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Culture Libre

Authors Lawrence Lessig

License CC-BY-NC-1.0

Plaintext
                        Culture Libre
Comment les médias utilisent la technologie et la loi pour verrouiller la
                 culture et contrôler la créativité



                        Lawrence Lessig




                        Petter Reinholdtsen
                                 Oslo
   Culture libre : comment les médias utilisent la technologie et la loi pour verrouiller la
                     culture et contrôler la créativité / Lawrence Lessig.
                    Copyright © 2004 Lawrence Lessig. Droits réservés.
                                 http://free-culture.cc/
           Publié en 2015. Première publication en 2004 par The Penguin Press.
L’édition norvégienne Bokmål et française est publiée par Petter Reinholdtsen avec l’aide de
                                 nombreux volontaires.
                 Mis en forme avec dblatex utilisant la fonte Crimson Text.
Extrait d’un éditorial titré « The Coming of Copyright Perpetuity », The New York Times, 16
janvier 2003. Copyright © 2003 du The New York Times Co. Réimprimé avec permission.
 Dessin de la figure 10.18 (p. 137) de Paul Conrad, copyright Tribune Media Services, Inc.
                      Tout droit réservé. Réimprimé avec permission.
Schéma de la figure 10.19 (p. 141) autorisation du commissaire du bureau du FCC, Michael
                                          J. Copps.
                  Couverture créée par Petter Reinholdtsen avec inkscape.
      Les citations sur la couverture viennent de http://free-culture.cc/jacket/.
  Le portrait sur la couverture a été créé en 2013 par ActuaLitté et sous licence Creative
   Commons Attribution-ShareAlike 2.0. Obtenu à partir de l’URL https://commons.
    wikimedia.org/wiki/File%3ALawrence_Lessig_(11014343366)_(cropped).jpg.
                                       Classifications :
                 (Dewey) 306.4, 306.40973, 306.46, 341.7582, 343.7309/9
                                        (UDK) 347.78
                   (Bibliothèque du Congrès des USA) KF2979.L47 2004
                                     (ACM CRCS) K.4.1
L’impression a été sponsorisée par la fondation NUUG, http://www.nuugfoundation.no/.
                                       Inclut un index.
Le fichier source au format DocBook est disponible au lien https://github.com/
petterreinholdtsen/free-culture-lessig. Merci de signaler à cette URL tout problème
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   Format / MIME-type                             ISBN
   Diffusion US par lulu.com                      978-82-690182-6-4
   application/pdf                                978-82-690182-7-1
   application/epub+zip                           978-82-690182-8-8




                                              2
                Table des matières

Introduction                                                                                                                                   15


I     « Piratage »                                                                                                                            25
Créateurs                                                                                                                                      31
« Simples copistes »                                                                                                                           39
Catalogues                                                                                                                                     51
« Pirates »                                                                                                                                    55
   Cinéma . . . . . . . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .    55
   Musique enregistrée        .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .    56
   Radio . . . . . . . . .    .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .    58
   Télévision par câble       .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .    59
« Piratage »                                                                                                                                   63
   Piratage I . . . . . . .   . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                                                          63
   Piratage II . . . . . .    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                                                          66


II    « Propriété »                                                                                                                           77
Fondateurs                                                                                                                                     81
Enregistreurs                                                                                                                                  89
Transformateurs                                                                                                                                93
Collectionneurs                                                                                                                                99
« Propriété »                                                                                                                                 105
   Pourquoi Hollywood a raison                        .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   111
   Débuts . . . . . . . . . . . . . .                 .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   115
   Loi : durée . . . . . . . . . . . .                .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   117
   Loi : portée . . . . . . . . . . .                 .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   119
   Loi et Structure : atteinte . . .                  .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   121
   Structure et Loi : force . . . . .                 .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   127
   Marché : Concentration . . . .                     .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   139
   Ensemble . . . . . . . . . . . .                   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   144


III    Casse-têtes                                                                                                                            149
Chimères                                                                      151
Dommages                                                                      155
  Contraindre les créateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
  Contraindre les innovateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
  Corrompre les citoyens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166


                                                          3
IV    Équilibres                                                                  173
Eldred                                                                            177
Eldred II                                                                           203
Conclusion                                                                          211
Postface                                                                            221
   Nous, maintenant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .       . . . . . . . 221
        Reconstruire les libertés autrefois présumées                  acquises :
                exemples . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .      . . . . . . . 222
        Reconstruire la culture libre : une idée . . . . . . .        . . . . . . . 226
   Eux, bientôt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .   . . . . . . . 229
        1. Davantage de formalités . . . . . . . . . . . . . .        . . . . . . . 229
                Enregistrement et renouvellement . . . . .            . . . . . . . 230
                Marquage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .      . . . . . . . 231
        2. Une durée plus courte . . . . . . . . . . . . . . .        . . . . . . . 232
        3. Usage libre contre usage loyal . . . . . . . . . . .       . . . . . . . 234
        4. Libérer la musique, à nouveau . . . . . . . . . . .        . . . . . . . 235
        5. Virer beaucoup d’avocats . . . . . . . . . . . . . .       . . . . . . . 241
Notes                                                                               243
Remerciements                                                                       261
À propos de cette édition                                                         263
Index                                                                             264




                                          4
                            À propos de l’auteur


LAWRENCE LESSIG (http://www.lessig.org), professeur de droit et John A.
Wilson Distinguished Faculty Scholar à la Faculté de droit de Stanford, est
le fondateur du Stanford Center for Internet and Society et est le président
de l’association Creative Commons (http://creativecommons.org). Auteur
de The Future of Ideas (Random House, 2001) et de Code : And Other Laws
of Cyberspace (Basic Books, 1999), Lessig est un membre du comité de la
Public Library of Science, de l’Electronic Frontier Foundation, et de Pu-
blic Knowledge. Il a été le lauréat du prix de la Free Software Foundation
pour le progrès du logiciel libre, a été mentionné deux fois dans Business-
Week « e.biz 25 », et a figuré parmi les cinquante « visionnaires » de Scientific
American. Diplômé de l’Université de Pennsylvanie, de Cambridge et de Yale
Law School, Lessig a été greffier pour le juge Richard Posner de la Septième
Cour d’Appel des États-Unis.
6
                        Du même auteur


— The USA is lesterland : The nature of congressional corruption (2014)
— Republic, lost : How money corrupts Congress - and a plan to stop it (2011)
— Remix : Making art and commerce thrive in the hybrid economy (2008)
— Code: Version 2.0 (2006)
— The Future of Ideas : The Fate of the Commons in a Connected World (2001)
— Code: And Other Laws of Cyberspace (1999)




                                     7
8
À Eric Eldred — dont l’œuvre m’a
amené en premier à cette cause, et
      pour qui elle continue.




                9
10
                                  Préface


    À la fin de sa critique de mon premier livre, Code : And Other Laws of Cy-
berspace, David Pogue, un brillant auteur de nombreux textes informatiques
et techniques, écrivait :
      Contrairement à la loi véritable, Internet n’a pas la capacité de
      punir. Il ne touche pas les gens qui ne sont pas en ligne (et seule
      une petite minorité de la population mondiale l’est). Et si vous
      n’aimez pas Internet, vous pouvez toujours éteindre le modem1 .
    Pogue était sceptique vis-à-vis de l’argument principal du livre, à savoir
que le logiciel, ou le « code », fonctionne comme une sorte de loi. Sa critique
suggérait l’heureuse idée que si la vie dans le cyberespace tournait mal, nous
pouvions toujours actionner l’interrupteur, et « abracadabra ! » être de re-
tour à la maison. Coupons le modem, débranchons l’ordinateur, et tout pro-
blème existant dans cet espace cesse de nous « toucher ».
    Pogue avait peut-être raison en 1999. Je suis sceptique, mais peut-être.
Mais quand bien même il aurait eu raison à l’époque, ce n’est plus le cas au-
jourd’hui : Culture Libre traite des problèmes causés par Internet même une
fois que le modem est éteint. Ce livre démontre comment les batailles qui
font rage aujourd’hui concernant la vie en ligne affectent fondamentalement
ceux « qui ne sont pas en ligne ». Il n’y a plus d’interrupteur pour nous isoler
des effets d’Internet.
    Mais contrairement à Code, le sujet de ce livre n’est pas tellement Internet
en soi. Le sujet en est plutôt les effets d’Internet sur une de nos traditions,
qui est bien plus fondamentale et, aussi difficile à admettre que ce soit pour
certains passionnés d’informatique et de technologies, bien plus importante.
    Cette tradition, c’est la manière dont notre culture est créée. Comme
je l’explique dans les pages qui suivent, nous venons d’une tradition de
« culture libre » : non pas libre au sens de gratuit, pour reprendre la phrase
du fondateur du logiciel libre2 , mais « libre » comme dans « expression
libre », « marchés libres », « commerce libre », « libre entreprise », « libre
volonté », et « élections libres ». Une culture libre protège et soutient les
créateurs et les innovateurs. Elle le fait d’une manière directe, en accordant
des droits de propriété intellectuelle. Mais elle le fait aussi indirectement,
en limitant la portée de ces droits, pour garantir que les nouveaux créateurs
restent aussi libres que possible d’un contrôle du passé. Une culture libre n’est
pas une culture sans aucune propriété, pas plus qu’un marché libre n’est
un marché dans lequel tout est gratuit. Le contraire d’une culture libre est


                                       11
une « culture de permissions » : une culture au sein de laquelle les créateurs
peuvent créer uniquement avec la permission des puissants, ou des créateurs
du passé.
    Si nous comprenions ce changement, je pense que nous nous y oppose-
rions. Non pas « nous » à gauche, ou « vous » à droite, mais nous tous qui ne
sommes pas actionnaires de ces industries de la culture qui ont caractérisé le
vingtième siècle. Que vous soyez de gauche ou de droite, si vous êtes, en ce
sens, désintéressés, alors l’histoire que je raconte ici va vous déranger. Car
les changements que je décris touchent à des valeurs que les deux bords de
notre culture politique tiennent pour fondamentales.
    Nous avons eu un aperçu de cette union sacrée au début de l’été 2003.
Lorsque la FCC envisagea d’assouplir la réglementation qui limite la concen-
tration des médias, une coalition extraordinaire se mit en place, et la FCC
reçut plus de 700 000 lettres de protestation contre ce changement. Lorsque
William Safire se décrivit défilant « mal à l’aise, au côté du mouvement des
Femmes en Rose pour la Paix et de la National Rifle Association, entre la
libérale Olympia Snowe et le conservateur Ted Stevens », il eut une formule
simple pour décrire ce qui était en jeu : la concentration du pouvoir. Il de-
manda :
      Ceci vous paraît-il anti-conservateur ? Pas à moi. Les conserva-
      teurs devraient jeter l’anathème contre la concentration du pou-
      voir, qu’il soit politique, d’entreprise, médiatique, culturel. La dif-
      fusion du pouvoir jusqu’à l’échelon local, encourageant ainsi la
      participation individuelle, est l’essence même du fédéralisme et
      la plus grande expression de la démocratie3 .
    Cette idée est un élément de l’argumentation de Culture Libre. Cepen-
dant, mon sujet n’est pas juste la concentration du pouvoir qui résulte d’une
concentration de la propriété, mais plutôt, peut-être parce que c’est moins vi-
sible, la concentration du pouvoir qui résulte d’un changement radical dans
la portée pratique de la loi. La loi est en train de changer ; ce changement
modifie la façon dont notre culture est créée. Ce changement devrait vous
inquiéter, que vous vous intéressiez à Internet ou non, et que vous soyez à
droite ou à gauche de Safire.
    Le titre et la plus grande partie de mon argumentation sont inspirés du
travail de Richard Stallman et de la Free Software Foundation. À vrai dire,
quand je relis le travail de Stallman, et plus particulièrement les essais dans
Free Software, Free Society, je me rends compte que toutes les idées théoriques
que je développe ici sont des idées que Stallman a décrites voilà des décen-
nies. Il serait donc légitime d’affirmer que ce travail est un « simple » travail
dérivé.
    J’accepte cette critique, si vraiment c’en est une. Le travail d’un juriste est
toujours un travail dérivé, et je ne veux rien faire d’autre dans ce livre que
de rappeler à une culture une tradition qui a toujours été la sienne. Comme
Stallman, je défends cette tradition sur la base de valeurs. Comme Stallman,
je crois que ces valeurs sont celles de la liberté. Et comme Stallman, je crois
que ces valeurs, héritées de notre passé, vont avoir besoin d’être défendues à


                                       12
l’avenir. Notre passé a connu une culture libre ; notre avenir n’en connaîtra
une que si nous changeons le chemin que nous sommes en train d’emprun-
ter aujourd’hui. Comme les arguments de Stallman pour le logiciel libre, le
plaidoyer pour une culture libre achoppe sur une confusion qui est difficile
à éviter, et même encore plus difficile à comprendre. Une culture libre n’est
pas une culture sans propriété ; ce n’est pas une culture dans laquelle les ar-
tistes ne sont pas payés. Une culture sans propriété, ou dans laquelle les créa-
teurs ne pourraient pas être payés, serait l’anarchie, et non pas la liberté. Et
mon propos n’est pas de plaider pour l’anarchie.
    Au contraire, la culture libre que je défends dans ce livre est un équilibre
entre anarchie et contrôle. Une culture libre, comme un marché libre, est
pleine de propriété. Elle est pleine de règles de propriété, et de contrats, que
les pouvoirs publics doivent faire respecter. Mais tout comme un marché
libre est perverti quand sa propriété devient féodale, de même une culture
libre peut être dévoyée par un extrémisme des règles de propriété qui la dé-
finissent. C’est ce que je crains pour notre culture aujourd’hui. C’est contre
cet extrémisme que ce livre est écrit.




                                      13
14
                              Introduction


    Le 17 décembre 1903, sur une plage venteuse de Caroline du Nord, en un
peu moins de cent secondes, les frères Wright démontrèrent qu’un véhicule
autopropulsé plus lourd que l’air pouvait voler. Le moment fut électrique
et son importance largement comprise. Presque immédiatement, cette tech-
nologie nouvelle du vol habité suscita une explosion d’intérêt, et une nuée
d’innovateurs se mirent à l’améliorer.
    À l’époque où les frères Wright inventaient l’avion, la loi américaine sti-
pulait que le propriétaire d’un terrain était non seulement propriétaire de la
surface de son terrain, mais de tout le sous-sol, jusqu’au centre de la Terre, et
de tout l’espace au-dessus, « jusqu’à l’infini »4 . Depuis des années, les érudits
s’étaient demandés comment interpréter au mieux l’idée que des droits de
propriété terrestres puissent monter jusqu’aux cieux. Cela signifiait-il que
vous possédiez les étoiles ? Pouviez-vous poursuivre les oies en justice, pour
violations de propriété, délibérées et répétées ?
    Puis vinrent les avions et, pour la première fois, ce principe de la loi amé-
ricaine — profondément ancré dans notre tradition, et reconnu par les plus
importants juristes de notre passé — prenait de l’importance. Si ma terre
s’étend jusqu’aux cieux, qu’advient-il quand un avion d’United Airlines sur-
vole mon champ ? Ai-je le droit de lui interdire ma propriété ? Ai-je le droit
de mettre en place un accord d’autorisation exclusive au profit de Delta Air-
lines ? Pouvons-nous organiser des enchères pour déterminer la valeur de
ces droits ?
    En 1945, ces questions donnèrent lieu à un procès fédéral. Quand des
fermiers de Caroline du Nord, Thomas Lee et Tinie Causby commencèrent
à perdre des poulets à cause d’avions militaires volant à basse altitude (ap-
paremment, les poulets terrorisés se jetaient contre les murs du poulailler
et en mouraient), ils portèrent plainte au motif que le gouvernement vio-
lait leur propriété. Bien entendu, les avions n’avaient jamais touché la sur-
face du terrain des Causby. Mais si, comme l’avaient déclaré en leur temps
Blackstone, Kent et Coke, leur terrain s’étendait « vers le haut jusqu’à l’in-
fini », alors le gouvernement commettait une violation de propriété, et les
Causby voulaient que cela cesse.
    La Cour suprême accepta d’entendre le cas des Causby. Le Congrès avait
déclaré les voies aériennes publiques. Mais si le droit de propriété s’éten-
dait réellement jusqu’aux espaces célestes, alors la déclaration du Congrès
pouvait très bien être anticonstitutionnelle, car elle constituait une « expro-
priation » sans dédommagement. La Cour reconnut que « selon l’ancienne


                                       15
doctrine les droits de propriété foncière s’étendent jusqu’à la périphérie de
l’univers ». Mais le Juge Douglas n’avait pas la patience d’écouter l’ancienne
doctrine. En un simple paragraphe adressé à la Cour, il annula des centaines
d’années de droit foncier :
      [La] doctrine n’a pas sa place dans le monde moderne. L’espace
      aérien est public, comme l’a déclaré le Congrès. Si ce n’était pas
      vrai, n’importe quel opérateur de vols transcontinentaux serait
      exposé à des plaintes sans nombre, pour violation de propriété.
      Le sens commun se révolte à cette idée. Donner raison à des re-
      vendications privées sur l’espace aérien entraînerait une paraly-
      sie des lignes aériennes, compromettrait profondément leur dé-
      veloppement et leur contrôle dans l’intérêt public, et reviendrait
      à privatiser un bien qui a vocation à être public5 .
    « Le sens commun se révolte à cette idée. » C’est comme ça que la loi fonc-
tionne en général. Pas souvent de façon aussi abrupte et impatiente, mais en
définitive, c’est comme ça qu’elle fonctionne. C’était le style de Douglas de
ne pas tergiverser. D’autres juges auraient noirci des pages et des pages pour
arriver à la même conclusion, que Douglas fit tenir en une seule ligne : « le
sens commun se révolte à cette idée ». Mais qu’elle tienne en quelques mots
ou en plusieurs pages, le génie particulier d’un système de droit commun
comme le nôtre est que la loi s’adapte aux technologies de son époque. Et en
s’adaptant, elle change. Des idées qui un jour semblent solides comme le roc
sont friables le lendemain.
    Ou du moins, c’est ainsi que les choses se passent quand il n’y a personne
de puissant pour s’opposer au changement. Les Causby n’étaient que des fer-
miers. Et bien qu’il y eut sans doute beaucoup de gens fâchés comme eux
par le trafic aérien naissant (on espère quand même que peu de poulets se
jetaient contre les murs), tous les Causby du monde auraient eu beaucoup
de mal à s’unir et à arrêter l’idée et la technique que les frères Wright avaient
fait naître. Les frères Wright avaient ajouté l’avion au pot commun techno-
logique ; le concept se répandit comme un virus dans un poulailler ; les fer-
miers comme Causby se trouvèrent brutalement confrontés à « ce qui sem-
blait raisonnable » étant donné la technologie inventée par les Wright. Ils
pouvaient à loisir, debout dans leurs fermes, poulets morts à la main, me-
nacer du poing ces nouvelles technologies. Ils pouvaient alerter leurs élus,
ou même aller en justice. Mais en fin de compte, la force de « l’évidence »
— le pouvoir du « bon sens » — allait l’emporter. Il n’était pas possible de
permettre que leur intérêt « privé » nuise à un intérêt public évident.
    Edwin Howard Armstrong est un des inventeurs géniaux oubliés de
l’Amérique. Il entra sur la scène des grands inventeurs américains juste après
des géants comme Thomas Edison et Alexandre Graham Bell. Mais son tra-
vail dans le domaine de la technique radiophonique fut peut-être, de celle de
tous les inventeurs individuels, la plus importante des cinquante premières
années de la radio. Il avait reçu une meilleure instruction que Michael Fa-
raday, qui avait découvert en 1831 l’induction électrique alors qu’il était
apprenti-relieur. Mais il avait la même intuition au sujet de la manière dont


                                       16
les ondes radio fonctionnaient et, en trois occasions au moins, Armstrong
inventa des technologies extrêmement importantes qui firent avancer notre
compréhension de la radio.
    Au lendemain de Noël 1933, quatre brevets furent accordés à Armstrong
pour son invention la plus importante : la radio FM. Jusque-là, les radios
grand public émettaient en modulation d’amplitude (AM). Les théoriciens
de l’époque avaient déclaré que la radio en modulation de fréquence (FM)
ne pourrait jamais fonctionner. Ils avaient raison pour la radio FM dans
une bande étroite de fréquences. Mais Armstrong découvrit que la radio à
modulation de fréquence dans une large bande de spectre délivrait un son
d’une fidélité étonnante, avec beaucoup moins de parasites, et nécessitait
bien moins de puissance d’émission.
    Il fit une démonstration de cette technologie le 5 novembre 1935, au
cours d’une réunion de l’Institut des Ingénieurs Radio, à l’Empire State Buil-
ding de New York. Il tourna le bouton de réglage de la radio, captant au pas-
sage une multitude d’émission AM, jusqu’à ce qu’il trouve l’émission qu’il
avait préparée, l’émetteur étant situé à vingt-sept kilomètres de là. La radio
se fit tout à fait silencieuse, comme si le poste était mort, et alors, avec une
clarté que personne dans la pièce n’avait jamais entendue venant d’un appa-
reil électrique, elle reproduisit la voix d’un animateur : « Ici la radio amateur
W2AG à Yonkers, New York, émettant en modulation de fréquence à deux
mètres cinquante. »
    L’auditoire entendit alors ce que personne n’avait cru possible :
      On versa un verre d’eau à Yonkers, devant le microphone : le
      bruit ressemblait à celui de l’eau qui coule. […] On froissa et dé-
      chira une feuille de papier : le bruit fut celui du papier, et non
      le grésillement d’un feu de forêt. […] On passa un disque des
      marches de Sousa, et on joua un solo de piano et un air de guitare.
      […] La musique se répandit avec une clarté rarement, voire ja-
      mais entendue venant d’une « boîte à musique » radiophonique6 .
    Comme nous le suggère notre bon sens, Armstrong avait découvert une
technologie de radio très supérieure. Mais à l’époque de son invention, Arm-
strong travaillait pour la RCA. La RCA était alors l’acteur dominant du mar-
ché alors dominant de la radio AM. Vers 1935, il existait un millier de sta-
tions de radio à travers les États-Unis, mais les stations des grandes villes
appartenaient toutes à une poignée de réseaux.
    Le directeur de la RCA, David Sarnoff, un ami d’Armstrong, voulait
qu’Armstrong trouve un moyen de supprimer les parasites de la radio AM.
Il fut donc fort enthousiasmé quand celui-ci lui annonça qu’il avait un sys-
tème pour supprimer les parasites de la « radio ». Mais quand Armstrong lui
montra son invention, Sarnoff ne fut pas content.
      Je pensais qu’Armstrong allait inventer une sorte de filtre pour
      enlever les parasites de notre radio AM. Je ne pensais pas qu’il al-
      lait lancer une révolution : démarrer une fichue nouvelle indus-
      trie qui entrerait en concurrence avec la RCA7 .



                                      17
   L’invention d’Armstrong menaçait l’empire de la RCA, et la firme en-
treprit d’étouffer la radio FM. La FM était peut-être une technologie supé-
rieure, mais Sarnoff était un tacticien supérieur. Comme le décrit un auteur,
     Les atouts de la FM, essentiellement d’ordre technique, ne fai-
     saient pas le poids face aux efforts des marchands, bureaux de
     brevets et cabinets d’avocats, pour éloigner cette menace contre
     l’industrie dominante. Car la FM, si on la laissait se dévelop-
     per librement, impliquait […] un bouleversement des rapports
     de force au sein de la radio […] et à long terme l’abandon du sys-
     tème soigneusement contrôlé de radio AM, grâce auquel la RCA
     avait bâti son empire8 .
    Au début, la RCA confina la technologie au sein de l’entreprise, en insis-
tant sur le fait qu’il était nécessaire de faire des expériences supplémentaires.
Quand, après deux ans de tests, Armstrong s’impatienta, la RCA commença
à utiliser son pouvoir auprès du gouvernement pour bloquer le déploiement
de la radio FM dans son ensemble. En 1936, la RCA engagea l’ancien direc-
teur de la FCC, avec pour mission de faire en sorte que la FCC attribuerait les
fréquences de manière à castrer la FM, essentiellement en déplaçant la radio
FM vers une bande différente du spectre. Au début, ces efforts échouèrent.
Mais quand l’attention d’Armstrong et celle de la nation furent détournées
par la seconde guerre mondiale, le travail de la RCA commença à porter des
fruits. Peu après la fin de la guerre, la FCC annonça un ensemble de mesures
clairement destinées à paralyser la radio FM. Comme Lawrence Lessing le
décrivit :
     La série de coups qu’a reçus la radio FM juste après la guerre, sous
     forme de règlements dictés, à travers la FCC, par les intérêts des
     grandes maisons de radio, étaient d’une force et d’un caractère
     retors incroyables9 .
    Afin de faire libérer des fréquences pour le dernier pari de la RCA, la té-
lévision, les utilisateurs de la radio FM allaient être déplacés vers une bande
de fréquences totalement nouvelle. Il fallut aussi diminuer la puissance des
émetteurs radio FM, ce qui signifiait qu’on ne pouvait plus utiliser la FM
pour radiodiffuser d’un bout à l’autre du pays. (Ce changement fut très forte-
ment soutenu par AT&T, parce que la perte d’émetteurs relais FM impliquait
que les stations de radio auraient à acheter des liaisons filaires à AT&T.) La
progression de la radio FM fut ainsi étouffée, du moins provisoirement.
    Armstrong résista aux efforts de la RCA. En réponse, la RCA résista aux
brevets d’Armstrong. Après avoir incorporé la technologie FM dans les stan-
dards émergents de la télévision, la RCA déclara les brevets invalides, sans
raison, et presque quinze ans après leur dépôt. L’entreprise refusa donc de lui
payer des royalties. Pendant six ans, Armstrong livra une coûteuse guerre lé-
gale pour défendre ses brevets. Finalement, juste au moment où les brevets
expiraient, la RCA proposa de transiger pour une somme si faible qu’elle
ne couvrait même pas les frais d’avocats d’Armstrong. Défait, brisé, et dé-
sormais ruiné, Armstrong écrivit en 1954 un court billet à sa femme, et se
donna la mort en se jetant par la fenêtre du treizième étage.


                                      18
    C’est ainsi que la loi fonctionne parfois. Pas souvent de manière aussi
tragique, et rarement accompagnée d’histoires héroïques, mais parfois c’est
ainsi qu’elle fonctionne. Depuis toujours, le gouvernement et ses agences
ont fait l’objet de détournements. Ceci a plus de chance de se produire si
des intérêts puissants se trouvent menacés par des changements légaux ou
techniques. Ces intérêts puissants, trop souvent, exercent leur influence au
sein du gouvernement pour obtenir sa protection. Bien sûr, la rhétorique
excusant cette protection est toujours inspirée par la défense de l’intérêt pu-
blic ; la réalité est quelque peu différente. Des idées qui un jour semblent
solides comme le roc, mais qui laissées à elles-mêmes se seraient effritées le
lendemain, se maintiennent grâce à cette corruption subtile de notre proces-
sus politique. La RCA avait ce que les Causby n’avaient pas : le pouvoir de
confisquer les effets du progrès technique.
    Internet n’a pas été inventé par une seule personne. On ne peut pas non
plus lui attribuer une date de naissance précise. Cependant, en très peu de
temps, Internet est entré dans les mœurs américaines. D’après le « Pew Inter-
net and American Life Project », 58 pour cent des américains avaient accès
à Internet en 2002, contre 49 pour cent deux ans auparavant10 . Ce nombre
pourrait bien dépasser les deux tiers de la nation avant la fin 2004.
    Au fur et à mesure qu’Internet s’est intégré à la vie ordinaire, il a changé
certaines choses. Certains de ces changements sont d’ordre technique : In-
ternet a rendu les communications plus rapides, rassembler des données est
devenu moins coûteux, et ainsi de suite. Ces changements techniques ne sont
pas le sujet de ce livre. Certes, ils sont importants. Certes, ils ne sont pas bien
compris. Mais ils font partie des choses qui disparaîtraient si nous arrêtions
tout à coup d’utiliser Internet. Ils ne touchent pas les gens qui n’utilisent pas
Internet, ou du moins, ils ne les touchent pas directement. Ils pourraient
faire le sujet d’un livre sur Internet. Mais ceci n’est pas un livre sur Internet.
    Le sujet de ce livre est plutôt un effet d’Internet, mais qui va au-delà d’In-
ternet : un effet sur la façon dont la culture est élaborée. Ma thèse est qu’In-
ternet a introduit dans ce processus un changement important, et dont nous
n’avons pas encore pris conscience. Ce changement va transformer radicale-
ment une tradition qui est aussi ancienne que notre République. La plupart
des gens, s’ils avaient conscience de ce changement, le refuseraient. Cepen-
dant, la plupart ne voient même pas ce qu’Internet a changé.
    Nous pouvons percevoir ce changement en distinguant culture commer-
ciale et culture non commerciale, et en comparant les aspects légaux de cha-
cune. Par « culture commerciale », j’entends cette partie de la culture qui
est produite et vendue, ou qui est produite pour être vendue. Par « culture
non commerciale », j’entends tout le reste. Quand un vieil homme s’asseyait
autrefois dans un parc ou à un coin de rue pour raconter des histoires que
les enfants (ou les adultes) consommaient, c’était de la culture non commer-
ciale. Quand Noah Webster faisait publier son « Reader », ou Joel Barlow sa
poésie, c’était de la culture commerciale.
    Au début de notre histoire, et pour l’essentiel de notre tradition, la culture
non commerciale a été non réglementée. Bien sûr, si vos histoires étaient
obscènes, ou si votre chanson troublait l’ordre public, il était possible que la


                                       19
loi intervienne. Mais la loi laissait cette culture « libre », et n’intervenait ja-
mais directement dans sa création ou sa diffusion. Les moyens habituels par
lesquels les citoyens ordinaires partageaient et transformaient leur culture
(raconter des histoires, rejouer des scènes de théâtre ou de télévision, partici-
per à des clubs d’amateurs, partager de la musique, enregistrer des cassettes)
n’étaient pas réglementés.
    La loi s’intéressait seulement à la création commerciale. Au début légè-
rement, puis d’une façon assez exhaustive, la loi a protégé les intérêts des
créateurs, en leur accordant des droits exclusifs sur leurs créations, de fa-
çon à ce qu’ils puissent vendre ces droits sur un marché commercial11 . Bien
sûr, cela représente aussi une partie importante de la création culturelle, et
cette partie est devenue de plus en plus importante en Amérique. Mais en
aucun cas elle n’a été un élément dominant de notre tradition. Au contraire,
ça n’était qu’une partie de notre culture, sous contrôle, et équilibrée par la
partie libre.
    Aujourd’hui, cette démarcation nette entre le libre et le « contrôlé » a
disparu12 . Internet a préparé le terrain à cette disparition, et avec l’appui des
médias, la loi y a contribué. Pour la première fois dans notre tradition, les
moyens habituels par lesquels les individus créent et partagent leur culture
tombent sous le coup de la loi, qui a étendu son emprise à des pans entiers de
la culture jusqu’ici libres de tout contrôle. La technologie, qui jusqu’ici avait
préservé l’équilibre historique entre la culture libre et la culture nécessitant
une « permission », a été défaite. La conséquence est que notre culture est
de moins en moins libre, et de plus en plus une culture de permissions.
    On nous justifie ce changement comme nécessaire à la protection de la
création commerciale. Et en effet, sa motivation est précisément le protec-
tionnisme. Mais le protectionnisme qui justifie le changement que je décris
plus loin n’est pas d’un genre limité et équilibré, comme celui qui caracté-
risait la loi dans le passé. Il ne s’agit pas d’un protectionnisme qui protège
les artistes. C’est plutôt un protectionnisme qui permet de protéger certains
secteurs d’activité. Certaines corporations, menacées par le potentiel qu’a
Internet de changer la manière dont la culture, commerciale ou non, est pro-
duite et partagée, se sont unies pour inciter le législateur à les protéger. C’est
l’histoire de la RCA et Armstrong ; c’est le rêve des Causby.
    Car pour beaucoup de gens, Internet a libéré une possibilité extraordi-
naire, de participer à la création et à l’élaboration d’une certaine culture, qui
rayonne bien au-delà des frontières locales. Cette possibilité a changé les
conditions de création et d’élaboration de la culture en général, et ce chan-
gement menace les industries établies du contenu. Ainsi, Internet est aux fa-
bricants et distributeurs de contenu du vingtième siècle ce que la radio FM
fut à la radio AM, ou ce que le camion fût au chemin de fer du XIXe siècle :
le début de la fin, ou du moins une transformation substantielle. Les tech-
nologies numériques, liées à Internet, pourraient générer un marché de la
culture plus concurrentiel et plus dynamique ; ce marché pourrait accueillir
des créateurs plus variés et plus nombreux. Ces créateurs pourraient propo-
ser et distribuer des créations plus variées et plus nombreuses ; et, en fonc-
tion de quelques facteurs importants, ces créateurs pourraient, en moyenne,


                                       20
mieux gagner leur vie dans ce système qu’ils ne le font aujourd’hui — du
moins si les RCA de notre temps n’utilisent pas la loi pour se protéger de
cette concurrence.
    Cependant, comme je le montre dans les pages qui suivent, c’est exacte-
ment ce qui est en train de se produire dans notre culture aujourd’hui. Ces
équivalents actuels des radios du début du vingtième siècle ou des chemins
de fer du dix-neuvième siècle usent de leur influence pour que la loi les pro-
tège contre ces moyens nouveaux, plus efficaces, et plus dynamiques, de fa-
briquer la culture. Ils sont en train de réussir à transformer Internet avant
qu’Internet ne les transforme.
    Beaucoup de gens ne voient pas les choses de cette manière. Les batailles
au sujet du copyright et d’Internet leur semblent éloignées. Pour les rares
personnes qui y prêtent attention, elles semblent surtout se résumer à de
simples interrogations, à savoir : le « piratage » va-t-il être autorisé, et la
« propriété » va-t-elle être protégée. La « guerre » qui a été engagée contre
les technologies de l’Internet, et que Jack Valenti, le président de la Motion
Picture Association of America (MPAA) appelle sa « guerre anti-terroriste
personnelle »13 a été présentée comme une bataille pour faire régner la loi
et pour faire respecter la propriété. Pour savoir de quel côté se ranger dans
cette guerre, la plupart pense qu’il suffit de décider si nous sommes pour ou
contre la propriété.
    Si c’était vraiment là l’alternative, alors je serais du côté de Jack Valenti
et de l’industrie du contenu. Moi aussi, je crois en la propriété, et particuliè-
rement en l’importance de ce que M. Valenti appelle poétiquement la « pro-
priété des créations ». Je crois que le « piratage » est mauvais, et que la loi,
intelligemment écrite, devrait punir le « piratage », que ce soit sur Internet
ou ailleurs.
    Mais ces idées simples cachent une question bien plus fondamentale
et un changement bien plus important. Ma crainte est que, à moins que
nous n’arrivions à comprendre ce changement, la guerre pour débarrasser
le monde des « pirates » d’Internet ne débarrasse aussi notre culture de cer-
taines valeurs qui ont fondé notre société depuis ses débuts.
    Ces valeurs ont fondé une tradition qui, pendant les 180 premières an-
nées de notre République au moins, a garanti aux créateurs le droit de s’inspi-
rer librement du passé, et a protégé créateurs et innovateurs du contrôle de
l’État ou d’un contrôle privé. Le Premier Amendement (NdT : de la Consti-
tution) protège les créateurs du contrôle de l’État. Et comme le démontre
avec force le professeur Neil Netanel14 , la loi sur le copyright, bien équili-
brée, protège les créateurs du contrôle privé. Notre tradition n’est donc ni
soviétique, ni une tradition de patrons. Au contraire, elle a délimité un large
espace au sein duquel les créateurs ont pu élaborer et étendre notre culture.
    Cependant la loi, en cherchant à réagir aux changements technologiques
liés à Internet, a répondu par une augmentation massive de la réglementa-
tion sur la création en Amérique. Pour nous inspirer d’œuvres existantes,
ou bien pour les critiquer, nous devons d’abord demander la permission,
à la manière d’Oliver Twist. Bien sûr, la permission est souvent accordée.
Mais elle n’est pas souvent accordée à un indépendant, ou à qui veut criti-


                                       21
quer. Nous avons créé une sorte de noblesse culturelle. Ceux qui sont dans
la classe noble ont la vie facile, ceux qui n’y sont pas ne l’ont pas. Mais c’est
la noblesse, sous toute ses formes, qui est étrangère à notre tradition.
    L’histoire qui suit a pour sujet cette guerre. Mon sujet n’est pas la « place
centrale de la technologie » dans notre vie quotidienne. Je ne crois pas aux
dieux, numériques ou autres. Il ne s’agit pas non plus d’une tentative de dia-
boliser un individu ou un groupe, car je ne crois pas non plus au diable, qu’il
soit capitaliste ou autre. Il ne s’agit ni d’un conte moral, ni d’un appel au jihad
contre une industrie.
    Il s’agit plutôt d’un effort pour comprendre une guerre, désespérément
destructrice, inspirée par les technologies d’Internet, mais qui s’étend bien
au-delà du code informatique. Et en nous faisant comprendre cette guerre,
c’est un effort pour trouver la paix. La dispute en cours autour des techno-
logies d’Internet n’a aucune bonne raison de continuer. Notre tradition et
notre culture souffriront beaucoup si cette guerre se prolonge de façon in-
justifiée. Nous devons comprendre les racines du conflit. Nous devons le
résoudre vite.
    Comme la bataille des Causby, l’objet du conflit, est, en partie, la « pro-
priété ». La propriété dans cette guerre n’est pas aussi palpable que celle
des Causby, et aucun poulet innocent n’y a perdu la vie. Pourtant, pour une
majorité de gens, les idées qui accompagnent cette notion de « propriété »
sont aussi évidentes que l’inviolabilité de leur ferme ne l’était aux yeux des
Causby. Nous sommes comme les Causby. Ainsi, la plupart d’entre nous
tiennent pour acquis les extraordinaires revendications faites de nos jours
par les détenteurs de « propriété intellectuelle ». La plupart d’entre nous,
comme les Causby, considérons que ces revendications sont évidentes. Et
par conséquent, comme les Causby, nous protestons quand une nouvelle
technologie interfère avec cette propriété. Tout comme pour eux, il nous
semble clair que ces nouvelles technologies d’Internet « violent » une reven-
dication légitime de « propriété ». Tout comme pour eux, il nous semble clair
que la loi doit intervenir pour faire cesser cette violation.
    Et par conséquent, quand des passionnés d’informatique ou de technolo-
gie veulent défendre ce qu’ils appellent des technologies à la Armstrong ou à
la Wright Brothers, nous restons indifférents. Le sens commun ne se révolte
pas. Contrairement au cas des malheureux Causby, le sens commun est du
côté des propriétaires dans cette guerre. Contrairement aux heureux frères
Wright, Internet n’a pas inspiré de révolution en sa faveur.
    Mon souhait est de faire évoluer ce sens commun. Je m’étonne de plus
en plus du pouvoir de cette idée de propriété intellectuelle, et surtout de sa
capacité à handicaper le sens critique des hommes politiques et des citoyens.
Jamais dans notre histoire la partie « possédée » de notre « culture » n’a été
aussi importante qu’aujourd’hui. Et pourtant, la concentration du pouvoir
qui contrôle les usages de cette culture n’a jamais été aussi largement accep-
tée.
    Le mystère, c’est : pourquoi ? Aurions-nous enfin compris une vérité
concernant la valeur et l’importance d’une propriété absolue sur les idées
et la culture ? Aurions-nous découvert que notre tradition a eu tort de reje-


                                       22
ter une revendication aussi absolue ?
     Ou bien est-ce parce que l’idée d’une propriété absolue des idées et de
la culture bénéficie aux RCA de notre époque, et ne nous choque pas à pre-
mière vue ?
     Cette dérive brutale par rapport à notre tradition de libre culture est-
elle le fait d’une Amérique corrigeant une erreur de son passé, comme elle
l’a fait après une guerre sanglante contre l’esclavage, et comme elle le fait
lentement avec les inégalités ? Ou bien n’est-elle qu’une manifestation de
plus d’un système politique détourné par une poignée d’intérêts particuliers
puissants ?
     Si le sens commun conduit à l’extrémisme sur ces questions, est-ce vrai-
ment parce qu’il croit à cet extrémisme ? Ou alors, est-ce que le sens com-
mun cède devant l’extrémisme, parce que, comme dans le cas d’Armstrong
contre la RCA, le côté le plus puissant s’est arrangé pour imposer ses vues ?
     Je ne cherche pas à être mystérieux. Mon opinion personnelle est faite.
Je crois qu’il était juste que le sens commun se révolte contre l’extrémisme
des Causby. Je crois qu’il serait juste que le sens commun se révolte contre
les revendications extrêmes faites aujourd’hui au nom de la « propriété in-
tellectuelle ». Ce que la loi exige aujourd’hui est de plus en plus stupide, un
peu comme un shérif qui arrêterait un avion pour violation de propriété.
Cependant les conséquences de cette stupidité sont bien plus profondes.
     La bataille qui fait rage actuellement est centrée autour de deux idées :
le « piratage » et la « propriété ». Mon but dans les deux prochaines parties
de ce livre est d’explorer ces deux idées.
     Ma méthode n’est pas la méthode habituelle d’un universitaire. Je ne sou-
haite pas vous plonger dans des arguties complexes, mâtinées de références
à d’obscurs théoriciens français, aussi naturel que ce soit pour les bizarres in-
dividus que nous sommes devenus, nous autres universitaires. Au contraire,
je commence chaque partie par quelques histoires, afin d’établir un contexte
dans lequel ces idées apparemment simples peuvent mieux être comprises.
     Les deux parties présentent l’idée centrale de ce livre : alors qu’Internet a
engendré quelque chose de nouveau et de fantastique, notre gouvernement,
poussé par les médias à répondre à cette « chose nouvelle », est en train de
détruire quelque chose de très ancien. Plutôt que comprendre les change-
ments que permet Internet, et au lieu de laisser au « sens commun » le temps
de trouver la meilleure réponse possible, nous laissons ceux qui sont les plus
menacés par ces changements user de leur influence pour changer la loi. Et
bien plus grave, pour changer quelque chose de fondamental concernant
notre identité.
     Nous les laissons faire, je pense, non pas parce qu’ils ont raison, ou parce
qu’une majorité d’entre nous croit réellement en ces changements. Nous les
laissons faire parce que les intérêts les plus menacés comptent parmi les plus
puissants acteurs dans notre système législatif désespérément corrompu. Ce
livre est l’histoire d’une conséquence de plus de cette corruption ; une consé-
quence dont pour la plupart nous n’avons pas conscience.




                                       23
24
Première partie

« Piratage »




      25
    La guerre contre le « piratage » est née en même temps que les lois qui
réglementent la propriété des créations. Les contours précis de ce concept
de « piratage » sont difficiles à cerner, mais il est facile de comprendre les
injustices qu’il entraîne. Au cours d’un procès qui étendit le champ d’appli-
cation du droit d’auteur anglais aux partitions musicales, Lord Mansfield
écrivit :
      Une personne peut utiliser la copie en interprétant la musique,
      mais elle n’a pas le droit de priver l’auteur de ses profits en mul-
      tipliant les copies et en les écoulant pour son propre compte15 .
    Aujourd’hui, nous sommes au milieu d’une autre « guerre » contre le « pi-
ratage ». Internet a provoqué cette guerre. Internet a permis la diffusion ef-
ficace des contenus. Le partage des fichiers en peer-to-peer (p2p) est l’une
des technologies les plus efficaces qu’Internet a rendues possibles. Grâce à
un système d’information répartie, les systèmes p2p facilitent la diffusion
rapide de contenus, d’une manière inconcevable il y a seulement une géné-
ration.
    Cette efficacité ne tient pas compte des contraintes traditionnellement
imposées par le droit d’auteur. Le réseau ne fait pas de différence entre le par-
tage de contenu sous copyright ou non. De ce fait, de grandes quantités de
contenus sous copyright ont été échangées. En retour, ces échanges ont pro-
voqué une guerre, les détenteurs de copyright craignant qu’ils ne « privent
l’auteur de ses profits. »
    Les guerriers du copyright se sont tournés vers les tribunaux, vers les lé-
gislateurs, et, de plus en plus, vers la technologie, pour défendre leur « pro-
priété » contre le « piratage ». Une génération d’américains, nous mettent-
ils en garde, est élevée dans l’idée que la « propriété » devrait être « gra-
tuite ». Oubliez les tatouages, qu’importent les piercings, nos enfants sont
en train de devenir des voleurs !
    Il ne fait aucun doute que le « piratage » est quelque chose de mauvais, et
que les pirates devraient être punis. Mais avant de convoquer les bourreaux,
nous devrions replacer cette notion de « piratage » dans un certain contexte.
Car si le concept est de plus en plus utilisé, on trouve, à son cœur même, une
idée assez extraordinaire qui est, presque certainement, erronée.
    Cette idée est à peu près la suivante :
      Le travail créatif a de la valeur. Dès que j’utilise le travail créatif
      d’autre personnes, ou que je fonde mon travail sur le leur, je leur
      prends quelque chose qui a de la valeur. Dès lors que je prends
      quelque chose qui a de la valeur à quelqu’un d’autre, je devrais
      avoir son autorisation. Il est injuste de prendre quelque chose
      qui a de la valeur à quelqu’un sans avoir sa permission. C’est une
      forme de piratage.
   Ce point de vue sous-tend les débats en cours. C’est ce que Rochelle Drey-
fuss, professeur en droit à l’université de New York, appelle la théorie « va-
leur implique droits » de la propriété des créations16 — s’il y a valeur, alors
quelqu’un doit avoir un droit dessus. C’est cette perspective qui a conduit


                                        27
l’organisation des droits d’auteur, l’ASCAP, à faire un procès aux Girl Scouts
pour ne pas avoir payé pour les chansons que les filles chantaient autour des
feux de camp de scouts.17 Il y avait de la « valeur » (les chansons), donc il
devait y avoir un « droit », quand bien même ce droit allait contre les Girl-
Scouts.
    Cette idée est certainement une interprétation possible de la façon dont
la propriété des créations devrait fonctionner. Elle pourrait très bien servir
de cadre à un système légal protégeant la propriété des créations. Cependant,
la théorie « valeur implique droit » n’a jamais été la théorie américaine de la
propriété des créations. Cette théorie n’a jamais eu sa place dans notre droit.
    Au contraire, dans notre tradition, la propriété intellectuelle est un
moyen. C’est un moyen de favoriser l’épanouissement de la création dans
la société, mais qui reste subordonné à la valeur de la créativité. Le débat
actuel constitue un revirement de cette tradition. Nous sommes devenus si
préoccupés de protéger l’instrument que nous perdons de vue l’objectif.
    À l’origine de cette confusion, il y a une différence que la loi ne prend plus
la peine de faire : la différence entre d’une part le fait de republier le travail
de quelqu’un d’autre, et d’autre part le fait de transformer ce travail, ou de
se fonder sur ce travail. Au départ, les lois sur le copyright ne concernaient
que la publication, aujourd’hui elles réglementent les deux aspects.
    Ce regroupement n’avait pas beaucoup d’importance avant l’apparition
d’Internet. Les procédés de publication étaient coûteux, et par conséquent la
grande majorité de l’édition était commerciale. Les organisations commer-
ciales pouvaient se permettre de se conformer à la loi — même aux lois d’une
complexité byzantine que sont devenues les lois sur le copyright. Ce n’était
qu’une dépense supplémentaire nécessaire pour faire des affaires.
    Mais depuis l’apparition d’Internet, cette limite naturelle au champ d’ap-
plication de la loi a disparu. La loi ne contrôle plus seulement la créativité
des créateurs commerciaux, mais celle de tout le monde. Cette extension se-
rait peut-être anodine si les lois sur le copyright ne réglementaient que la
« copie ». Cependant, vu la largesse et le flou avec lesquels s’applique la loi
actuelle, cette extension prend beaucoup d’importance. Les inconvénients
de cette loi dépassent maintenant de beaucoup ses avantages initiaux : elle
affecte la créativité non commerciale, et, de plus en plus, aussi, la créativité
commerciale. Comme nous le verrons plus clairement dans les chapitres
suivants, le rôle de la loi est de moins en moins de soutenir la créativité,
et de plus en plus de protéger certaines industries de la concurrence. Juste
au moment où les technologies numériques auraient pu libérer un flot ex-
traordinaire de créativité, commerciale et non commerciale, la loi entrave
cette énergie par des règlements vagues d’une complexité insensée, et en me-
naçant de peines d’une sévérité déraisonnable. Nous allons peut-être assis-
ter, comme l’écrit Richard Florida, à l’« Essor de la classe créative »18 (NdT :
« Rise of the Creative Class », titre d’un livre de Richard Florida). Malheu-
reusement, nous sommes aussi en train d’assister à une augmentation extra-
ordinaire de la réglementation de cette « classe créative ».
    Ces fardeaux réglementaires n’ont aucun sens dans notre tradition. Nous
devrions commencer par comprendre cette tradition un peu mieux, et par


                                       28
placer dans leur vrai contexte les batailles en cours contre le comportement
étiqueté « piratage ».




                                    29
30
                                Créateurs


    En 1928 est né un personnage de dessin animé. Mickey Mouse, première
version, fit ses débuts en mai de cette année là dans Plane Crazy, un flop reten-
tissant. En novembre, au « Colony Theater » de New York, dans le premier
dessin animé avec son synchronisé largement distribué, le personnage qui
allait devenir Mickey Mouse prit vie dans Steamboat Willie.
    Le son synchronisé était apparu un an plus tôt au cinéma dans le film The
Jazz Singer. Devant ce succès, Walt Disney copia la technique et introduisit
le son dans les dessins animés. Personne ne savait si cela allait marcher, ou,
si ça marchait, si ça plairait au public. Mais après un premier essai pendant
l’été 1928, les résultats furent sans équivoque. Laissons Disney décrire cette
première expérience :
     Deux de mes employés pouvaient lire la musique, et l’un d’eux
     jouait de l’harmonica. Nous les avons placés dans une pièce
     d’où ils ne pouvaient pas voir l’écran, et nous nous sommes dé-
     brouillés pour diffuser le son dans la pièce où nos épouses et nos
     amis s’apprêtaient à regarder le film.
     Les garçons travaillaient avec une partition indiquant la musique
     et les effets sonores. Après plusieurs faux départs, nous réussîmes
     à accorder le son avec l’action. L’homme à l’harmonica jouait
     l’air, nous autres du bruitage donnions des coups de sifflet et
     des coups de casserole, dans le rythme. La synchronisation était
     presque bonne.
     Notre assistance fut transportée. Les gens réagirent d’instinct à
     cette union du son et du mouvement. Je pensais qu’ils me fai-
     saient marcher. Du coup, ils me placèrent dans l’assistance, et
     recommencèrent l’action. C’était épouvantable, mais aussi, mer-
     veilleux ! Et c’était nouveau !19
    Ub Iwerks, un des plus talentueux professionnel du dessin animé, alors
associé de Disney, l’exprima plus vigoureusement : « Je n’ai jamais été aussi
excité de ma vie. Rien depuis n’a jamais égalé ça ».
    Disney avait créé quelque chose de très nouveau, fondé sur quelque chose
d’assez nouveau. Le son synchronisé donnait vie à une forme de créativité
qui avait rarement, sauf dans les mains de Disney, été autre chose qu’une
technique de remplissage dans d’autres films. Dans les premiers temps de
l’histoire du dessin animé, l’invention de Disney définit le standard que les
autres allaient peiner à suivre. Et très souvent, le génie de Disney, ses éclairs


                                       31
de créativité, furent fondés sur des travaux d’autres personnes.
    Tout ceci est familier. Ce que vous ignorez peut-être, c’est qu’une autre
importante transition marque aussi 1928. Cette année-là, un génie comique
créait son dernier film muet produit d’une façon indépendante. Ce génie
était Buster Keaton. Le film était Steamboat Bill, Jr.
    Keaton est né en 1895 dans une famille d’artistes de music-hall. Il fut un
maître du film muet, usant du genre burlesque pour provoquer le fou rire
du public. Steamboat Bill, Jr. est un classique de ce genre, fameux chez les
cinéphiles passionnés pour ses cascades incroyables. Le film était typique de
Keaton : très populaire, et parmi les meilleurs du genre.
    Steamboat Bill, Jr. est antérieur au dessin animé de Disney Steamboat Willie.
La similitude des titres n’est pas une coïncidence. Steamboat Willie est une
parodie en dessin animé de Steamboat Bill20 , et tous les deux sont construits
autour d’une musique commune. Ce n’est pas seulement à l’invention du
son synchronisé dans The Jazz Singer que nous devons Steamboat Willie. C’est
aussi de l’invention de Steamboat Bill, Jr. par Buster Keaton, lui-même ins-
piré par la chanson « Steamboat Bill », qu’est né Steamboat Willie, et, de
Steamboat Willie, Mickey Mouse.
    Cet « emprunt » n’avait rien d’exceptionnel, ni pour Disney, ni pour
l’industrie d’alors. Disney parodiait toujours les longs métrages de son
époque21 . Beaucoup d’autres en faisaient autant. Les premiers dessins ani-
més sont truffés d’imitations, de légères variations de thèmes populaires, de
nouvelles versions d’anciens contes. C’est l’éclat des différences qui était la
clef du succès. Chez Disney, c’était le son qui donnait à ses dessins animés
cet éclat. Plus tard, ce fut la qualité de son travail par rapport à celui de la
concurrence, qui fabriquait à la chaîne. Ces additions se fondaient cepen-
dant sur un socle emprunté. Disney enrichissait le travail d’autres avant lui,
créant du neuf avec de l’à peine vieux.
    L’emprunt était parfois léger. D’autre fois, il était important. Pensez
aux contes de fées des frères Grimm. Si vous êtes aussi oublieux que moi-
même, vous pensez sans doute que ces contes sont joyeux, gentils, qu’ils
conviennent à tous les enfants au moment de se mettre au lit. En réalité, les
contes de Grimm sont effrayants. Les parents qui oseraient lire ces histoires
sanglantes et moralisatrices à leurs enfants sont rares, et peut-être excessi-
vement ambitieux.
    Disney reprit ces contes et les raconta à nouveau d’une façon qui les pro-
jeta dans une ère nouvelle. Il anima les contes avec de la lumière et des per-
sonnages. Sans complètement supprimer les touches d’angoisse et de danger,
il rendit drôle ce qui était sinistre et insuffla émotion et compassion là où
auparavant on trouvait de la peur. Et pas seulement à partir de l’œuvre des
frères Grimm. En réalité, en reconstituant le catalogue des œuvres où Dis-
ney utilise des créations antérieures, on obtient un ensemble étonnant : Snow
White (1937),Fantasia (1940), Pinocchio (1940), Dumbo (1941), Bambi (1942),
Song of the South (1946), Cinderella (1950), Alice in Wonderland (1951), Robin
Hood (1952), Peter Pan (1953), Lady and the Tramp (1955),Mulan (1998), Slee-
ping Beauty (1959), 101 Dalmatians (1961), The Sword in the Stone (1963), et
The Jungle Book (1967). Mentionnons encore un exemple plus récent, qu’il


                                      32
faudrait peut-être mieux oublier : Treasure Planet (2003). Dans tous ces cas,
Disney (ou Disney, Inc.) a extrait l’inventivité de la culture qui l’entourait,
combiné cette inventivité avec son extraordinaire talent personnel, et gra-
ver ce mélange dans l’âme de ses créations. Extraire, combiner, et graver.
    Ceci est une forme de créativité. C’est une forme de créativité dont nous
devons nous souvenir et nous réjouir. Certains diront qu’il n’existe de créa-
tivité que de cette sorte. Il n’est pas nécessaire d’aller si loin pour en re-
connaître l’importance. Nous pourrions l’appeler « la créativité Disney »,
quoique ce serait un peu fallacieux. C’est, plus précisément, « la créativité
Walt Disney » : une forme d’expression et de génie qui utilise et transforme
la culture qui nous entoure.
    En 1928, Disney était libre de fonder ses œuvres sur une culture relative-
ment récente. Les travaux du domaine public en 1928 n’étaient pas très an-
ciens et par conséquent encore très vivants. La durée moyenne du copyright
était d’environ trente ans, pour cette minorité de travaux qui étaient effecti-
vement sous copyright22 . Cela voulait dire que pour trente ans, en moyenne,
les auteurs ou les détenteurs du copyright d’une œuvre de l’esprit avait un
« droit exclusif » à contrôler certains usages des œuvres. Il fallait la permis-
sion du détenteur du copyright pour utiliser, d’une façon limitée, les œuvres
sous copyright.
    Au terme du copyright, une œuvre entre dans le domaine public. Il n’est
plus nécessaire d’avoir une permission pour l’utiliser ou fonder un autre tra-
vail sur elle. Pas de permission, et, par conséquent, pas de juristes. Le do-
maine public est un « terrain sans juristes ». C’est ainsi que la plupart des
travaux du dix-neuvième siècle purent être utilisés librement par Disney en
1928. Puissant ou misérable, autorisé ou non, tout un chacun était libre d’uti-
liser ces travaux à sa guise.
    C’est ainsi que les choses se déroulaient depuis toujours. Jusqu’à une pé-
riode récente, le domaine public n’a jamais été bien loin à l’horizon. De 1790
jusqu’à 1978, la durée moyenne du copyright n’a jamais été supérieure à
trente-deux ans. En d’autres termes, toutes les créations vieilles d’une gé-
nération et demi étaient librement à la disposition de tous sans avoir be-
soin de la permission de personne. Pour donner une équivalence actuelle, les
œuvres des années 1960 et 1970 seraient actuellement librement à la dispo-
sition d’un nouveau Walt Disney. En fait, actuellement, on ne peut présumer
qu’une œuvre fait partie du domaine public que si elle date d’avant la grande
crise de 1929.
    Bien entendu, Walt Disney ne détenait pas de monopole sur la « créa-
tivité Disney ». L’Amérique non plus. Pays totalitaires exceptés, la culture
libre, jusqu’à récemment, est une norme universelle, et amplement appli-
quée.
    Considérons par exemple une forme de créativité que de nombreux amé-
ricains tiennent pour bizarre, mais qui est profondément ancrée dans la
culture japonaise : les mangas, genre de bandes dessinées. Les Japonais sont
passionnés de bande dessinée. Près de 40 pour cent des publications sont
des bandes dessinées, et 30 pour cent des revenus de l’édition en provient.
Les mangas sont partout dans la société japonaise, dans tous les kiosques ;


                                      33
dans les transports publics, on les remarque dans de nombreuses mains.
    Les américains ont tendance à faire peu de cas de cette forme de culture.
La bande dessinée est une caractéristique peu attrayante de notre culture.
Nous avons peu de chance de bien comprendre les mangas, parce que nous
sommes peu nombreux a avoir déjà lu quelque chose qui ressemble à ces au-
thentiques « romans graphiques ». Pour les Japonais, les mangas embrassent
tous les aspects de la vie sociale. Pour nous, la bande dessinée évoque des
« hommes en collants » ridicules. Et de toute façon, ce n’est pas comme si
le métro de New York était plein de lecteurs de Joyce ou même d’Heming-
way. Des gens de différentes cultures se distraient de façons différentes ; les
Japonais de cette curieuse et intéressante façon.
    Mais mon but n’est pas ici de comprendre les mangas. Il est de décrire
une variante des mangas, tout à fait étrange du point de vue d’un juriste,
mais tout à fait familière selon une perspective Disney.
    C’est le phénomène des doujinshis. Les doujinshis sont aussi des bandes
dessinées, mais une sorte de copie des mangas. La création des doujinshis
obéit à des règles strictes. Une copie conforme n’est pas un doujinshi ; l’artiste
doit apporter une contribution à l’art qu’il copie, par des transformations lé-
gères et subtiles, ou alors plus sensibles. Un doujinshi peut ainsi utiliser une
bande dessinée traditionnelle répandue, et la reprendre en changeant le scé-
nario. Ou garder tout le caractère d’un personnage, mais changer légèrement
son aspect. Il n’existe pas de formule qui définit ce qui fait qu’un doujinshi est
suffisamment « différent ». Mais la différence doit exister pour caractériser
un vrai doujinshi. Il existe des commissions qui rejettent les vulgaires co-
pies, et autorisent les authentiques doujinshis à participer à des expositions
spécialisées.
    Ces bandes dessinées inspirées par d’autres représentent une grosse part
du marché des mangas. De tout le Japon, plus de 33 000 groupes de créateurs
réalisent ces fragments de « créativité Walt Disney ». Deux fois par an, plus
de 450 000 Japonais se rassemblent dans de grandes manifestations pour
les échanger et les vendre. Ce marché existe en parallèle du marché com-
mercial grand public des mangas. Il est à l’évidence, d’une certaine façon, en
compétition avec ce marché. Mais les personnes qui contrôlent le marché
commercial des mangas n’entreprennent pas d’action soutenue pour fermer
le marché des doujinshis. Il prospère, malgré la concurrence et malgré la loi.
    Pour les spécialistes du droit, la caractéristique la plus curieuse du mar-
ché des doujinshis est simplement qu’il lui soit permis d’exister. D’après la
loi japonaise sur le copyright, qui reflète, au moins sur le papier, la loi amé-
ricaine, le marché des doujinshis est illégal. Les doujinshis sont clairement
des « œuvres dérivées ». Il n’est pas d’usage pour les créateurs de doujinshi
d’obtenir la permission des auteurs de mangas. En pratique, simplement, ils
utilisent et modifient les créations des autres, comme le fit Walt Disney avec
Steamboat Bill, Jr. Cette « appropriation », sans permission du détenteur ori-
ginal du copyright, est illégale d’après la loi japonaise, comme d’après la loi
américaine.
    Pourtant, ce marché illégal existe, et même prospère, au Japon. Beaucoup
pensent même que c’est précisément à son existence que les mangas japonais


                                       34
doivent leur prospérité. Voici ce que me disait l’auteur américain de bandes
dessinées Judd Winick : « Les premiers temps de la bande dessinée en Amé-
rique ressemblaient à ce qui se passe au Japon aujourd’hui. […] Les comics
américains sont nés en se copiant les uns les autres. […] C’est ainsi que [les
artistes] apprennent à dessiner, pas en décalquant les comics, mais en les
examinant et en les copiant » et en leur empruntant23 .
    Les comics américains sont maintenant très différents, explique Winick,
en partie à cause de la difficulté légale à les adapter à la façon des doujin-
shis. Il poursuit, parlant de Superman : « il y a des règles, et il faut s’y tenir ».
Superman ne « peut pas » faire certaines choses. « Pour un créateur, il est
frustrant de devoir respecter des limitations définies il y a cinquante ans. »
    L’usage, au Japon, atténue ce problème légal. Certains disent que c’est
précisément l’effet heureux sur le marché des mangas japonais qui explique
cette tolérance. Par exemple Salil Mehra, professeur de droit à la Temple
University, émet l’hypothèse que le marché des mangas accepte ces infrac-
tions parce qu’elles incitent le marché des mangas à être plus productif et
plus riche. Tout le monde y perdrait si les doujinshis étaient interdits, ce qui
explique que la loi n’interdit pas les doujinshis24 .
    Cette explication comporte cependant un défaut, admis par Mehra : le
mécanisme à l’origine de cette indulgence n’est pas clair. Il est possible que
le marché dans son ensemble se porte mieux avec des doujinshis autorisés
plutôt qu’interdits, mais cela n’explique pas pourquoi chaque détenteur de
copyright, considéré isolément, ne fasse pas de procès. Si la loi ne fait pas
d’exception spéciale en faveur des doujinshis (et d’ailleurs il est déjà arrivé
que des créateurs de doujinshis soient attaqués en justice par des auteurs de
mangas), pourquoi n’existe-t-il pas de mécanisme solide pour faire obstacle
aux « emprunts » perpétrés par la culture doujinshi ?
    J’ai passé quatre mois merveilleux au Japon, et posé cette question aussi
souvent que possible. C’est un ami d’un gros cabinet de juristes japonais qui
m’a sans doute donné la meilleure explication. Il m’a dit, un après-midi :
« nous n’avons pas assez d’avocats. Nous n’avons simplement pas assez de
ressources pour engager des poursuites dans des affaires de ce genre ».
    C’est un sujet sur lequel nous reviendrons : la réglementation par la loi
est fonction non seulement de la formulation de la loi, mais aussi des coûts
nécessaires pour la faire appliquer. Pour le moment, concentrons-nous sur
la question évidente, qui est éludée : le Japon se porterait-il mieux d’avoir
plus d’avocats ? Les mangas seraient-ils plus riches si les artistes doujinshis
étaient régulièrement poursuivis en justice ? Les Japonais gagneraient-ils
quelque chose d’important s’ils pouvaient interdire cette pratique de par-
tage sans indemnisation ? La piraterie, ici, nuit-elle à ses victimes, ou leur
est-elle bénéfique ? Des avocats combattant cette piraterie seraient-ils utiles
à leurs clients, ou leur causeraient-ils du tort ?
    Interrompons-nous un moment.
    Si vous êtes semblables à la plupart des gens qui s’intéressent pour la pre-
mière fois à ces questions, si vous êtes comme moi-même il y a une décennie,
alors, vous êtes certainement, à cet instant, troublé par une idée à laquelle
vous n’aviez jamais réfléchi jusqu’alors.


                                        35
    Nous vivons dans un monde qui tient la « propriété » en haute valeur.
Je partage cette idée. Je crois en la valeur de la propriété en général, et je
crois aussi en la valeur de cette étrange forme de propriété que les juristes
appellent la « propriété intellectuelle »25 . Une grande communauté, variée,
ne peut pas survivre sans propriété ; une société grande et moderne ne peut
pas prospérer sans propriété intellectuelle.
    Mais il faut juste une seconde de réflexion pour réaliser qu’il existe beau-
coup de valeurs dans le monde que la « propriété » ne peut pas « capturer ».
Je n’entends pas par là « l’amour ne s’achète pas », je veux parler effective-
ment de valeur faisant partie intégrante des processus de production, mar-
chands comme non marchands. Si les dessinateurs, chez Disney, avaient volé
une boîte de crayons pour dessiner Steamboat Willie, nous n’aurions pas hé-
sité à condamner ce vol. Même mineur, même passé inaperçu, c’eût été un
délit. Pourtant, il n’y avait rien de mal, au moins d’après la loi de l’époque, aux
emprunts de Disney à Buster Keaton ou aux frères Grimm. Il n’y avait rien
de mal aux emprunts à Keaton, parce qu’ils auraient été jugés loyaux. Il n’y
avait rien de mal aux emprunts aux frères Grimm, parce que leurs œuvres
étaient dans le domaine public.
    Donc, bien que Disney (ou, plus généralement, quiconque exerçant une
« créativité Disney ») prenne quelque chose de valeur, notre tradition ne
considère pas cette prise comme un délit. Certains emprunts restent gratuits
et libres dans une libre culture, et cette liberté est un bien.
    Même chose avec la culture doujinshi. Si un auteur de doujinshi s’intro-
duisait dans le bureau d’un éditeur et se sauvait, sans payer, avec mille copies
(voire même une seule) de son dernier ouvrage, nous n’hésiterions pas une
seconde à déclarer l’artiste en tort. En plus de commettre une violation de
propriété, il aurait volé quelque chose de valeur. La loi proscrit ce genre de
vol, petit ou grand.
    Pourtant il existe une réticence évidente, même chez les avocats japonais,
à dire que les artistes copieurs de mangas « volent ». Cette forme de « créati-
vité Walt Disney » est tenue pour loyale, même si les avocats, spécialement,
trouvent difficile d’expliquer pourquoi.
    Quand on y réfléchit, on peut trouver mille et un exemples de méca-
nismes similaires. Les scientifiques se servent des travaux d’autres scien-
tifiques sans demander de permission, ou sans payer pour ce privilège
(« Excusez-moi, Professeur Einstein, pourrais-je avoir la permission d’uti-
liser votre théorie de la relativité pour démontrer que vous aviez tort au su-
jet de la physique quantique ? »). Les compagnies théâtrales interprètent des
adaptations des œuvres de Shakespeare sans permission de quiconque. (Y
a-t-il quelqu’un pour penser sérieusement que Shakespeare serait mieux dif-
fusé s’il existait un organisme central de gestion des droits de Shakespeare
qui serait un passage obligé pour tous les producteurs de cet auteur ?) Et Hol-
lywood obéit à des cycles, avec certains genres de films : cinq films traitant
d’astéroïdes à la fin des années 1990 ; deux films catastrophe impliquant des
volcans en 1997.
    Les créateurs ici et partout ont toujours et de tout temps créé à partir
du passé, et du présent qui les entoure. Cette création s’est faite toujours


                                       36
et de tout temps, au moins en partie, sans dédommagement ni autorisation
du créateur d’origine. Aucune société, démocratique ou non, n’a jamais exigé
que soit payée chaque expression d’une « créativité Walt Disney », ou qu’une
autorisation soit toujours recherchée. Au contraire, chaque société (les socié-
tés démocratiques peut-être un peu plus que les autres) a laissé des pans de
sa culture libres d’être repris.
    Par conséquent, la difficulté n’est pas de savoir si une culture est libre.
Toutes les cultures sont libres jusqu’à un certain point. La difficulté est
de « quantifier cette liberté ». Est-elle limitée aux membres du parti ? Aux
membres de la famille royale ? Aux dix entreprises les plus performantes
de Wall Street ? Ou est-ce que cette liberté est accessible à beaucoup ? Aux
artistes en général, qu’ils soient affiliés au Metropolitan ou pas ? Aux musi-
ciens en général, qu’ils soient blancs ou non ? Aux cinéastes en général, qu’ils
soient affiliés à un studio ou non ?
    Les cultures libres sont celles qui, largement ouvertes, permettent la créa-
tion à partir de ce qui existe ; les cultures qui ne sont pas libres, ou qui im-
posent d’obtenir des permissions, offrent bien moins. Notre culture était
libre. Elle le devient de moins en moins.




                                      37
38
                        « Simples copistes »


    En 1839, Louis Daguerre inventa le premier procédé pratique permet-
tant de réaliser ce que nous allions appeler des « photographies » : le si bien
nommé « daguerréotype ». Le procédé était compliqué et coûteux, et la dis-
cipline par conséquent réservée aux professionnels et à quelques riches ama-
teurs passionnés (il exista même une association — American Daguerre As-
sociation — qui contribua à réglementer cette industrie, comme toutes les
associations de ce genre, en étouffant la concurrence pour maintenir des
prix élevés).
    Cependant, malgré des prix élevés, la demande pour les daguerréotypes
était forte. Cela incita les inventeurs à trouver des moyens plus simples et
moins chers de produire ces « images automatiques ». Bientôt, William Tal-
bot découvrit un procédé pour fabriquer des « négatifs ». Mais comme ceux-
ci étaient en verre, et devaient être maintenus humides, le procédé restait
encore coûteux et compliqué. En 1870 furent introduites les plaques sèches,
permettant de séparer plus facilement la prise de vue du développement. Il
s’agissait encore de plaques en verre et ce n’était toujours pas une méthode
à la portée du plus grand nombre.
    L’avancée qui permit de démocratiser la photographie n’apparut qu’en
1888, et fut l’œuvre d’un seul homme. George Eastman, photographe ama-
teur, était contrarié par la technologie des plaques. En un éclair de génie, il
comprit que si le film pouvait être rendu souple, il deviendrait possible de
l’enrouler autour d’un axe. Cette bobine pourrait alors être expédiée à un
développeur, ce qui entraînerait une baisse sensible des coûts de la photo-
graphie. En diminuant les coûts, Eastman s’attendait à ce que le nombre de
photographes augmente sensiblement.
    Eastman mis au point un film flexible, recouvert d’une émulsion. Il plaça
des rouleaux de film dans un modèle d’appareil photo petit et simple : le
Kodak. Celui-ci fut commercialisé en mettant en avant sa simplicité : « Ap-
puyez sur le bouton et nous faisons le reste »26 . Eastman décrivit son inven-
tion dans The Kodak Primer :
     Le principe du système Kodak est de séparer le travail que n’im-
     porte qui peut faire en photographie, de celui que seul un expert
     peut faire. […] Nous fournissons à n’importe qui, homme, femme
     ou enfant, suffisamment intelligent pour tenir un boîtier immo-
     bile et appuyer sur un bouton, un appareil qui élimine le besoin
     d’installations exceptionnelles et d’une connaissance pointue de
     cet art. On peut l’utiliser sans apprentissage préliminaire, sans


                                     39
      chambre noire et sans produits chimiques27 .
    Pour 25 dollars, tout le monde pouvait faire des photos. L’appareil était
vendu déjà chargé avec une pellicule, et retourné après utilisation, pour déve-
loppement, à l’usine Eastman. Évidemment, avec le temps, le prix de l’appa-
reil est allé diminuant et sa facilité d’utilisation a augmenté. Ainsi, le rouleau
de pellicule fut à l’origine de la croissance exponentielle de la photographie
populaire. Le premier appareil photo d’Eastman est sorti en 1888. L’année
suivante, Kodak tirait plus de six mille négatifs par jour. Entre 1888 et 1909,
alors que la production industrielle augmentait de 4,7 pour cent, les ventes
d’équipements et de matériels photographiques augmentaient de 11 pour
cent28 . Les ventes de Eastman Kodak augmentèrent durant cette même pé-
riode de 17 pour cent par an en moyenne29 .
    Cependant, la véritable importance de l’invention d’Eastman n’était pas
de nature économique. Elle était de nature sociale. La photographie profes-
sionnelle donnait aux gens des aperçus d’endroits qu’ils n’auraient jamais pu
voir autrement. La photographie amateur leur permit de garder des traces de
leurs propres vies d’une façon impossible jusqu’alors. Comme le remarque
l’auteur Brian Coe, « pour la première fois, l’album de photos a donné à
l’homme de la rue une mémoire permanente de sa famille et de ses activités.
[…] Pour la première fois dans l’Histoire, il existe une authentique archive
en images de l’apparence et des activités des gens ordinaires, sans interpré-
tation [littéraire] ni déformation »30 .
    En ce sens, l’appareil Kodak était une technique d’expression. Le crayon
ou le pinceau aussi, bien sûr. Mais il fallait des années d’entraînement avant
que des amateurs puissent s’en servir de manière utile et efficace. Avec le
Kodak, il devenait plus simple et plus rapide de s’exprimer. Les barrières à
l’expression s’abaissaient. Les snobs allaient évidemment esquisser un sou-
rire de mépris devant sa « qualité », les professionnels allaient l’écarter pour
sa médiocrité. Mais il suffit de regarder un enfant étudier comment enca-
drer au mieux une photo, pour capter cette expérience de la créativité per-
mise par le Kodak. Un outil démocratique donnait à des gens ordinaires des
moyens de s’exprimer, plus facilement qu’aucun autre outil auparavant.
    Qu’est-ce qui était nécessaire pour que cette technique prospère ? À l’évi-
dence, le génie d’Eastman joua un rôle important. Mais le cadre juridique
eut aussi une grande part. Car, tôt dans l’histoire de la photographie, il y
eut une série de décisions judiciaires qui aurait très bien pu changer de fa-
çon importante son devenir. Les tribunaux durent trancher la question de
savoir si le photographe, amateur ou professionnel, avait besoin d’une au-
torisation pour prendre et développer à sa guise n’importe quelle photo. Ils
répondirent que non31 .
    Les arguments avancés pour justifier la nécessité d’une permission vont
nous sembler étonnamment familiers. Le photographe « prenait » quelque
chose de la personne ou du bâtiment qu’il photographiait — il piratait
quelque chose qui avait de la valeur. Certains pensaient même qu’il prenait
l’âme du sujet. De même que Disney n’était pas autorisé à voler les crayons
que ses dessinateurs utilisaient pour dessiner Mickey, de même ces photo-
graphes ne devaient pas être autorisés à prendre des images qui avaient de


                                       40
la valeur.
     L’argument de l’autre partie devrait également nous être familier. Certes,
il se pouvait que le photographe utilise une chose qui avait de la valeur. Mais
les citoyens devraient au moins avoir le droit de prendre des images de ce
qui était à la vue du public (Louis Brandeis, bien avant de siéger à la Cour
suprême, pensait que la règle devait être différente pour les espaces privés32 ).
Peut-être cela signifiait-il que le photographe obtenait quelque chose pour
rien. Tout comme Disney pouvait s’inspirer de Steamboat Bill, Jr. ou des frères
Grimm, le photographe devait être libre de capturer une image sans indem-
niser son sujet.
     Heureusement pour M. Eastman, et pour la photographie, ces premières
décisions allèrent en faveur des pirates. En général, aucune permission ne
devait être requise pour prendre un cliché et le partager. La permission était
présumée. La liberté, implicite (la loi introduirait finalement une restriction
pour les célébrités : les photographes professionnels ont plus d’obligations
à respecter quand ils prennent, en vue de commercialisation, des clichés de
gens célèbres. Mais dans la majorité des cas, on peut prendre des photos sans
acquitter de droits33 ).
     On ne peut que faire des suppositions à propos de ce que serait devenue
la photographie si la loi était allée dans l’autre sens. Avec une présomption
contre lui, le photographe aurait dû présenter une autorisation. Eastman Ko-
dak aurait peut-être dû, aussi, présenter une autorisation avant de dévelop-
per les pellicules. Après tout, sans autorisation, Eastman Kodak aurait béné-
ficié du « vol » perpétré par le photographe. Tout comme Napster a bénéficié
des violations de copyright commis par ses utilisateurs, Kodak aurait bénéfi-
cié des violations de « droits à l’image » de ses photographes. Nous pouvons
imaginer alors que la loi exige d’une entreprise qu’elle produise une autori-
sation, avant de pouvoir développer des photos. Nous pouvons imaginer le
développement de tout un système pour gérer ces permissions.
     Mais, bien qu’un tel système de permissions soit imaginable, il est très
difficile de croire que la photographie eût prospéré comme elle l’a fait, si
l’obligation d’avoir des permissions avait fait partie intégrante des lois qui la
régissent. Certes, la photographie aurait existé. Elle se serait développée avec
le temps. Les professionnels auraient continué d’utiliser la technologie de la
même manière — car ils auraient plus facilement supporté les contraintes
du système de permissions. Mais on n’aurait pas vu la diffusion de la photo-
graphie auprès des gens ordinaires. Sa croissance n’aurait été en rien com-
parable. Et certainement rien de comparable au développement d’une tech-
nologie d’expression démocratique.
     Si vous conduisez à travers le Presidio (NdT : quartier historique) de
San Francisco, vous pouvez voir deux bus scolaires jaunes criards, et le logo
« Just Think ! » à la place du nom d’une école. Mais ces bus rendent possibles
des projets qui ne sont pas « uniquement » intellectuels. Ces bus sont bour-
rés de technologies qui apprennent aux enfants comment bricoler des films.
Pas les films d’Eastman. Pas même ceux de votre magnétoscope. Plutôt ceux
des caméscopes numériques. Just Think ! est un projet qui permet aux en-
fants de faire des films, de manière qu’ils puissent comprendre et critiquer la


                                       41
culture filmée dans laquelle ils baignent. Chaque année, ces bus visitent plus
de trente écoles, et permettent à entre trois et cinq cents enfants d’apprendre
quelque chose sur les médias, en faisant quelque chose avec les médias. En
faisant, ils pensent. En manipulant, ils apprennent.
    Ces bus ne sont pas bon marché, mais la technologie qu’ils transportent
l’est de plus en plus. Le coût d’un système de vidéo numérique de haute qua-
lité a énormément baissé. D’après un analyste, « Il y a cinq ans, un bon sys-
tème d’édition vidéo numérique coûtait 25 000 dollars. Aujourd’hui vous
pouvez obtenir de la qualité professionnelle pour 595 dollars »34 . Ces bus
sont bourrés de technologies qui auraient coûté des centaines de milliers de
dollars il y a à peine dix ans. Et maintenant il est possible d’imaginer non
seulement des bus comme ceux-là, mais aussi des salles de classe dans tout
le pays où les enfants apprennent de plus en plus ce que les enseignants ap-
pellent la « lecture des médias ».
    La « lecture des médias », comme la définit Dave Yanofsky, le directeur
exécutif de Just Think !, « est la capacité […] de comprendre, d’analyser et
de déconstruire les images des médias. Son but est de permettre [aux en-
fants] de comprendre comment fonctionnent les médias, comment ils sont
construits, de quelle manière ils sont distribués, et de quelle manière les gens
y ont accès. »
    Il peut paraître étrange de parler de « lecture ». Pour une majorité de
gens, la « lecture » se réfère à ce qui est écrit. Faulkner, Hemingway et les
accords du participe passé sont les choses qui vont avec la lecture.
    Peut-être. Mais dans un monde où les enfants voient en moyenne 390
heures de publicité télévisée par an, soit entre 20 000 et 45 000 publicités35 ,
il est de plus en plus important de comprendre la « grammaire » des images.
Car de même qu’il existe une grammaire de l’écrit, il y en a aussi une pour les
images. Et de même que les enfants apprennent à écrire en rédigeant beau-
coup de textes horribles, de même ils apprennent la grammaire des images
en construisant beaucoup d’images médiocres (au moins au début).
    Un nombre croissant d’intellectuels et d’activistes tiennent cette forme
de lecture pour cruciale dans la culture de la prochaine génération. En ef-
fet, bien que toute personne sachant écrire comprenne les difficultés de
l’écriture (difficulté d’ordonner une histoire, de garder l’attention du lec-
teur, de former des phrases compréhensibles), peu de gens ont une notion
du fonctionnement des images, comment elles retiennent le spectateur ou
l’emmènent à travers une histoire, comment elles déclenchent l’émotion ou
produisent du suspense.
    Il a fallu une génération au cinéma pour apprendre à bien faire ces choses.
Mais même après, la connaissance venait en filmant et non pas en écrivant
quelque chose au sujet du film. La compétence venait en faisant l’expérience
de la réalisation d’un film et non pas en lisant un livre qui en parle. On ap-
prend à écrire en écrivant et en réfléchissant ensuite à ce qu’on a écrit. On
apprend à écrire avec des images en les réalisant et en réfléchissant ensuite
à ce qu’on a créé.
    Cette grammaire a évolué avec les médias. Quand il ne s’agissait que de
films, comme me l’a expliqué Elizabeth Daley, directeur du Centre de Com-


                                      42
munication Annenberg de l’Université de Californie du Sud et doyenne de
l’école de Cinéma-Télévision de l’USC, cette grammaire concernait « le pla-
cement des objets, les couleurs, […] le rythme, la vitesse, et la texture »36 .
Mais quand les ordinateurs ouvrent un espace interactif où une histoire est
autant « jouée » que suivie, la grammaire évolue. Le contrôle simple de la
narration est perdu et donc d’autres techniques deviennent nécessaires. L’au-
teur Michael Crichton maîtrisait la narration de science-fiction. Mais quand
il essaya de faire un jeu d’ordinateur basé sur un de ses livres, il lui a fallu ap-
prendre une nouvelle forme. Comment conduire des gens à leur insu, le long
de l’intrigue d’un jeu, n’est pas évident, même pour un auteur à succès37 .
    Cette compétence est précisément le métier qu’apprend un réalisateur de
films. Comme le décrit Daley, « les gens sont très surpris par la manière dont
ils sont conduits tout au long d’un film. C’est parfaitement construit pour
être invisible, donc vous ne vous en rendez pas compte. Si un réalisateur
réussit son métier, alors vous n’avez pas conscience d’avoir été mené. » Et si
vous avez conscience d’avoir été mené à travers un film, alors c’est un échec.
    Pour autant l’impulsion en faveur d’une extension de l’enseignement de
la lecture (une lecture qui dépasse le texte pour inclure des éléments sonores
et visuels) n’est pas là pour faire de meilleurs metteurs en scène. Le but n’est
pas du tout d’améliorer la profession. Au contraire, comme l’explique Daley,
      De mon point de vue, la fracture numérique la plus importante
      n’est peut-être pas l’accès à un ordinateur. C’est plutôt la capacité
      de se saisir du langage avec lequel cet ordinateur travaille. Sinon
      très peu de gens peuvent écrire avec ce langage, et tous les autres
      sont réduits à être « read-only » (NdT : en « lecture seule »).
     « Read-only. » Récepteurs passifs d’une culture produite ailleurs. Plantes
vertes. Consommateurs. Voici le monde des médias du vingtième siècle.
     Le vingt-et-unième siècle pourrait être différent. Ce point est crucial :
Il pourrait permettre à la fois de lire et d’écrire. Ou au moins, de lire et de
mieux comprendre l’art d’écrire. Ou mieux, de lire et de comprendre les ou-
tils qui permettent à l’écriture de guider ou de tromper. Le but de toute lec-
ture, et de ce type de lecture en particulier, est de « permettre aux gens de
choisir le langage approprié pour ce qu’ils ont besoin de créer ou d’expri-
mer »38 . C’est de permettre aux étudiants de « communiquer dans le langage
du vingt-et-unième siècle »39 .
     Comme n’importe quel langage, ce langage vient plus facilement à cer-
tains qu’à d’autres. Il ne vient pas forcément plus facilement à ceux qui ex-
cellent dans le langage écrit. Daley et Stephanie Barish, le directeur de l’Ins-
titut d’Études Multimédia au Centre Annenberg, décrivent l’exemple parti-
culièrement saisissant d’un projet qu’ils effectuèrent dans un lycée. C’était
un lycée très pauvre du centre-ville de Los Angeles. Selon tous les critères
traditionnels du succès, ce lycée était en échec. Mais Daley et Barish effec-
tuèrent un programme qui donna aux enfants l’occasion d’utiliser des films
pour s’exprimer sur un sujet que les étudiants connaissent : la violence par
armes à feu.
     Le cours eut lieu les vendredis après-midi et il créa un problème inédit


                                        43
pour cette école. Alors que le problème de la plupart des cours est de faire
venir les enfants, le problème cette fois-ci fut de les en détourner. Les « en-
fants étaient là à 6 heures du matin et partaient à 5 heures de l’après-midi »,
dit Barish. Ils travaillaient plus dur que dans tout autre cours, pour faire ce
qui devrait être le sujet de toute éducation : apprendre à s’exprimer.
    En utilisant tout ce qu’ils « purent trouver comme support libre sur le
web » et des outils relativement simples pour permettre aux enfants de mixer
« des images, du son, et du texte », Barish indiqua que la classe avait produit
une série de projets montrant des éléments sur la violence par armes à feu
que peu auraient compris sinon. Cette production était proche de la vie de
ces étudiants. Barish expliqua que le projet « leur a donné un outil et l’auto-
nomie leur permettant de le comprendre et d’en parler ». Cet outil a permis
de développer une expression — avec plus de réussite et de puissance que
ne l’aurait permis le seul texte. « Si vous aviez dit à ces étudiants, “vous de-
vez l’écrire”, ils auraient simplement baissé les bras et fait autre chose », a
indiqué Barish car, sans aucun doute, ces étudiants n’auraient pas su expri-
mer correctement leurs idées avec du texte. D’autre part, le texte n’est pas la
forme dans laquelle ces idées peuvent être le mieux exprimées. La puissance
de ce message dépend de son lien avec la forme d’expression.
    « Mais », demandai-je, « le but de l’instruction n’est-il pas d’apprendre
aux enfants à écrire ? » Bien sûr, ça l’est en partie. Mais pourquoi leur
apprenons-nous à écrire ? Le but de l’instruction, m’expliqua Daley, est de
donner aux étudiants un moyen de « construire du sens ». Affirmer que ceci
se réduit à l’écriture, c’est comme dire qu’apprendre à écrire revient à ap-
prendre à épeler. L’écrit n’est qu’une partie — et de moins en moins pré-
pondérante — de notre manière de nous exprimer. Comme Daley l’expliqua
dans la partie la plus intéressante de notre interview :
      Ce que nous voulons, c’est donner à ces étudiants les moyens de
      construire du sens. Si vous ne leur donnez que l’écrit, ils ne le
      feront pas. Parce qu’ils n’y arriveront pas. Vous savez, vous avez
      là Johnny qui sait regarder des films, il sait jouer à des jeux vi-
      déo, il sait peindre des graffiti sur tous vos murs, il sait démon-
      ter votre voiture, et il sait faire encore beaucoup d’autres choses.
      Simplement, il ne sait pas lire votre texte. Donc Johnny vient à
      l’école, et vous lui dites, « Johnny, tu es illettré. Tu ne sais rien
      faire d’intéressant ». Alors, Johnny a deux possibilités : ou bien
      il va se déprécier, ou bien c’est vous qu’il va déprécier. Et s’il n’a
      pas de problèmes d’ego, c’est vous qu’il va déprécier. Mais si à
      la place vous lui dites « Bon, avec toutes les choses que tu sais
      faire, parlons un peu de ce sujet. Joue-moi une musique, ou bien
      montre-moi des images, ou bien dessine-moi quelque-chose qui
      reflète ce que tu en penses. » Pas en lui donnant un caméscope
      et […] en disant « on va s’amuser avec la caméra et faire un pe-
      tit film », mais plutôt sers-toi de ces éléments que tu comprends,
      qui sont ton langage, et construis un message qui a du sens sur le
      sujet. […]
      Cela libère beaucoup de potentiel. Et ce qui arrive ensuite, bien


                                       44
      sûr, comme ce fut le cas dans toutes ces classes, c’est qu’ils fi-
      nissent par se rendre compte que « j’ai besoin d’expliquer ceci, et
      pour ça j’ai vraiment besoin d’écrire quelque chose ». Et, comme
      le dit un des professeurs à Stephanie, ils réécrivaient un para-
      graphe 5, 6, 7, 8 fois, jusqu’à ce qu’ils soient satisfaits.
      Parce qu’ils en avaient besoin. Il y avait un motif pour le faire. Ils
      avaient besoin de dire quelque chose, à la différence de simples
      exercices scolaires. Ils avaient vraiment besoin d’utiliser un lan-
      gage qu’ils ne parlaient pas très bien. Mais ils avaient fini par com-
      prendre que ce langage leur donnait beaucoup de pouvoir.
     Quand deux avions se sont écrasés contre le World Trade Center, un
autre sur le Pentagone, et un quatrième dans un champ en Pennsylvanie, tous
les médias du monde se sont mis à couvrir l’événement. À chaque instant de
chaque jour de cette semaine-là, et pendant les semaines qui suivirent, les
médias en général, et les télévisions en particulier, ont répété l’histoire des
événements auxquels nous venions d’assister. Leur histoire était une redite,
car nous avions vu les événements qui étaient relatés. Le génie de cet acte
terroriste horrible fut que la seconde attaque, retardée, était parfaitement
synchronisée pour s’assurer que le monde entier serait en train de regarder.
     Ces redites nous ont semblé de plus en plus familières. Il y avait de la mu-
sique pendant les entractes, et des logos graphiques qui passaient à l’écran.
Les interviews étaient formatées. Il y avait de l’« équilibre », et du sérieux.
C’était de l’information, chorégraphiée sous une forme que nous attendions
de plus en plus, de l’« info-divertissement », quand bien même le divertisse-
ment est une tragédie.
     Mais à côté de ces informations publiées sur la « tragédie du 11 sep-
tembre », ceux qui parmi nous étaient reliés à Internet ont pu observer une
production tout autre. Internet était plein de récits des mêmes événements.
Cependant, ces récits avaient un point de vue très différent. Certaines per-
sonnes avaient réalisé des pages qui regroupaient des photos du monde en-
tier et les présentaient sous forme de diapositives avec du texte. D’autres
proposaient des lettres ouvertes. Il y avait des enregistrements sonores. Il y
avait de la colère et de la déception. Il y avait des tentatives pour fournir un
contexte. Il y avait, en bref, une remarquable mobilisation mondiale, dans le
sens où Mike Godwin l’utilise dans son livre Cyber Rights, autour d’une ac-
tualité qui a captivé l’attention du monde entier. Il y a eu ABC et CBS, mais
il y a aussi eu Internet.
     Mon propos n’est pas de faire un simple éloge d’Internet, bien que je
pense que ceux qui ont soutenu cette forme d’expression méritent un éloge.
Je cherche plutôt à démontrer en quoi cette forme d’expression est impor-
tante. Car comme Kodak, Internet permet de capturer des images. Et comme
dans un film créé par un étudiant de « Just Think ! », ces images peuvent être
combinées à du son ou à du texte.
     Mais à la différence d’une technologie qui se contenterait de capturer des
images, Internet permet de partager ces créations avec un nombre extraor-
dinaire de gens, presque instantanément. Ceci est quelque chose de nouveau
dans notre tradition ; non pas le fait que la culture puisse être saisie de façon


                                       45
mécanique, et évidemment pas non plus le fait que les événements reçoivent
des commentaires critiques, mais le fait que cette combinaison d’images, de
son et de commentaires puisse être largement répandue, presque instanta-
nément.
     Le 11 septembre n’a pas été une aberration, mais un début. Vers la même
époque, une forme de communication qui a pris depuis beaucoup d’impor-
tance, venait de faire son apparition dans l’esprit du public : Le Web-log,
ou blog. Le blog est une sorte de journal public, et dans certaines cultures,
comme au Japon, il fonctionne beaucoup comme un journal intime. Dans
ces cultures, il consigne des faits privés d’une manière publique — c’est une
sorte de Jerry Springer électronique, disponible partout dans le monde.
     Mais aux États-Unis, les blogs ont pris un caractère très différent. Cer-
tains utilisent cet espace simplement pour parler de leur vie privée. Mais
beaucoup l’utilisent pour engager des débats publics. Ils discutent de sujets
d’intérêt public, critiquent ceux qui se trompent à leurs yeux, critiquent les
hommes politiques sur les décisions qu’ils prennent, proposent des solutions
aux problèmes que nous voyons tous : les blogs donnent l’impression d’une
réunion publique virtuelle, mais à laquelle nous n’avons pas besoin d’être
présents en même temps, et où les conversations ne sont pas nécessaire-
ment reliées. Les meilleures contributions sont relativement courtes ; elles
pointent directement vers d’autres propos, en les critiquant ou en y ajou-
tant quelque chose. Les blogs sont sans doute la forme la plus importante de
discours public non chorégraphié que nous possédions.
     Ceci est une affirmation forte. Et pourtant, elle en dit autant sur notre dé-
mocratie que sur les blogs. Voici l’aspect de l’Amérique qui est le plus difficile
à accepter pour ceux d’entre nous qui aiment l’Amérique : notre démocratie
s’est atrophiée. Bien sûr nous avons des élections, et la plupart du temps les
tribunaux permettent à ces élections de compter. Un nombre relativement
restreint de personnes votent à ces élections. Le cycle de ces élections est
devenu complètement professionnalisé et routinier. La plupart d’entre nous
pensent que c’est ça, la démocratie.
     Mais la démocratie ne s’est jamais réduite à des élections. La démocra-
tie, c’est la souveraineté du peuple, mais la souveraineté signifie plus que de
simples élections. Dans notre tradition, cela signifie aussi le contrôle à tra-
vers des débats raisonnés. C’était d’ailleurs là l’idée qui captura l’imagination
de l’écrivain français du XIXe siècle Alexis de Tocqueville, auteur de la plus
importante analyse de la Démocratie en Amérique de ce temps-là. Ce n’étaient
pas les élections populaires qui le fascinaient ; c’était le jury, une institution
judiciaire qui donnait à des gens ordinaires le pouvoir de décider de la vie
ou de la mort d’autres citoyens. Et le plus fascinant pour lui était que le jury
ne faisait pas que voter l’issue du procès. Ils délibéraient. Les membres se
mettaient d’accord sur la meilleure solution, ils tentaient de se convaincre
les uns les autres de ce qui leur paraissait être la « bonne » solution et, au
moins dans les cas d’assises, devaient obtenir l’unanimité pour que le procès
soit clos40 .
     Et pourtant, même cette institution faiblit de nos jours en Amérique.
Et à sa place, il n’existe pas d’effort concerté pour permettre aux citoyens


                                       46
de débattre. Certaines personnes appellent à la création d’une institution
dont ce serait le rôle41 . Et dans certaines villes de Nouvelle Angleterre,
quelque chose d’analogue aux délibérations existe encore. Mais pour la plu-
part d’entre nous, et la plupart du temps, il n’existe ni espace ni moment
réservé au « débat démocratique ».
    Le plus bizarre est qu’en général, ce débat n’a même pas l’autorisation
d’avoir lieu. Nous, la démocratie la plus puissante du monde, avons adopté
une norme forte, qui nous interdit de parler de politique. Il est permis de par-
ler de politique avec les gens avec qui vous êtes d’accord. Mais il est impoli
d’en discuter avec ceux avec qui vous n’êtes pas d’accord. Le discours poli-
tique se fait isolé, et un discours isolé se fait plus extrême42 . Nous tenons le
discours que nos amis veulent entendre, et nous n’entendons presque rien
au-delà de ce qu’ils nous disent.
    Arrive le blog. L’architecture même du blog résout une partie de ce pro-
blème. Les gens postent quand ils en ont envie, et ils lisent quand ils en ont
envie. La difficulté est de synchroniser les gens. Une technologie qui permet
aux gens de communiquer de façon asynchrone, comme le courrier électro-
nique, augmente les occasions de communiquer. Les blogs permettent des
débats publics sans obliger le public à se rassembler en un seul endroit.
    Mais au-delà de l’architecture, les blogs ont aussi résolu le problème des
normes. Il n’existe pas (encore) de norme qui interdise de parler de politique
sur un blog. De fait, cet espace est rempli de discours à teneur politique, de
droite comme de gauche. Certains des sites les plus populaires sont conser-
vateurs ou libertaires, mais beaucoup ont toutes les couleurs politiques. Et
même les blogs qui ne sont pas politiques traitent de problèmes politiques
quand l’occasion se présente.
    Pour le moment, l’impact de ces blogs est faible, mais pas nul. Sans les
blogs, le nom de Howard Dean aurait sans-doute disparu de la course à
l’élection présidentielle de 2004. Car quand bien même le nombre de leurs
lecteurs reste faible, leur lecture a un effet.
    Ils ont un effet direct sur les actualités, qui avaient un cycle de vie diffé-
rent dans les médias traditionnels. L’affaire Trent Lott en est un exemple.
Quand Lott effectua un « dérapage verbal » lors d’une fête en l’honneur
du sénateur Strom Thurmond, en vantant la politique ségrégationniste de
Thurmond, il avait fait le calcul correct que cette histoire disparaîtrait de
la presse traditionnelle en quarante-huit heures. Ce qui fut le cas. Mais il
n’avait pas compté avec sa durée de vie sur les blogs. Les blogueurs n’arrê-
tèrent pas de rechercher cette histoire. Au cours du temps, de plus en plus
de récits de ce « dérapage » apparurent. Finalement, cette histoire fit son re-
tour dans la presse traditionnelle. Pour finir Lott fut forcé de démissionner
en tant que leader de la majorité au sénat43 .
    Ce cycle différent est possible car les blogs ne sont pas soumis aux mêmes
contraintes commerciales que les autres médias. Les journaux et les télévi-
sions sont des entités commerciales. Ils doivent faire en sorte de garder l’at-
tention. S’ils perdent des lecteurs, ils perdent des revenus. Comme les re-
quins, ils sont obligés d’avancer sans arrêt.
    Mais les blogueurs n’ont pas de contrainte de ce genre. Ils peuvent per-


                                       47
sévérer, ils peuvent se concentrer sur un sujet, ils peuvent devenir sérieux.
Si un blogueur écrit un texte particulièrement intéressant, de nombreux in-
ternautes créent des liens vers ce texte. Et plus le nombre de liens vers un
texte augmente, mieux ce texte est classé. Les gens lisent ce qui a du succès ;
ce qui a du succès a été sélectionné par un processus très démocratique de
classement par les pairs.
    Dans un second registre, aussi, les blogs suivent un cycle différent de la
presse traditionnelle. Comme me l’a dit Dave Winer, un des pères de ce mou-
vement, et un auteur de logiciels depuis plusieurs décennies, une autre diffé-
rence est l’absence de « conflit d’intérêt » financier. « Je pense que vous de-
vriez débarrasser le journalisme du conflit d’intérêt », m’a dit Winer. « Un
journaliste amateur n’a pas de conflit d’intérêt, ou alors ce conflit d’intérêt
est si facile à voir que vous savez, vous pouvez vous en débarrasser. »
    Ces conflits sont d’autant plus importants que les médias deviennent plus
concentrés (nous en reparlerons plus loin). La concentration permet aux mé-
dias de cacher plus de choses au public — et CNN a reconnu l’avoir fait après
la guerre en Irak, par peur des conséquences sur ses propres employés44 . Elle
leur impose aussi d’adopter un point de vue plus cohérent. (En pleine guerre
d’Irak, j’ai lu un message sur Internet, de quelqu’un qui à l’époque écoutait
une liaison satellite avec un reporter en Irak. La maison mère de New York
répétait sans cesse au reporter que sa version de la guerre était trop triste :
elle devait proposer un reportage plus optimiste. Quand elle dit à New York
que ça n’était pas garanti, ils rétorquèrent que c’était eux qui écrivaient « le
reportage »).
    Les Blogs donnent aux amateurs un moyen d’entrer dans le débat — j’em-
ploie le mot « amateur » non pas au sens de personne inexpérimentée, mais
au sens d’un athlète olympique, c’est-à-dire quelqu’un qui n’est payé par per-
sonne pour rendre compte. Cela permet d’avoir des sources d’information
bien plus variées, comme l’a montré la couverture du désastre de la navette
Columbia, quand des centaines de personnes du sud-ouest des États-Unis
se sont tournées vers Internet pour raconter ce qu’elles avaient vu45 . Et cela
amène les lecteurs à lire plusieurs points de vue, et à estimer la vérité « par
triangulation », comme le dit Winer. Les blogs, d’après Winer, « sont un lien
direct avec notre pensée, et il n’y a pas d’intermédiaire » — avec tous les
avantages, et tous les inconvénients que cela suppose.
    Winer est confiant en l’avenir d’un journalisme contaminé par les blogs.
« Ça va devenir une compétence essentielle », prédit-il, pour les personnages
publics, et de plus en plus pour les particuliers. Il n’est pas sûr que ça plaise au
« journalisme » — certains journalistes ont reçu pour instruction de limiter
leur activité sur les blogs46 . Mais il est clair que nous sommes encore dans
une période de transition. « Une grande partie de ce que nous faisons main-
tenant correspond à un exercice d’échauffement », m’a dit Winer. Beaucoup
de choses doivent parvenir à maturité, pour que cet espace démontre son
plein effet. Et comme l’ajout de contenus dans cet espace est, parmi les uti-
lisations d’Internet, celle qui viole le moins de copyrights, expliqua Winer,
« nous sommes la dernière chose qu’ils censureront ».
    Ce discours a un effet sur la démocratie. Winer pense que ceci est dû au


                                        48
fait que « vous ne devez pas travailler pour quelqu’un qui contrôle, [pour]
un gardien du temple ». C’est vrai. Mais il a aussi un autre effet sur la démo-
cratie. Quand des citoyens toujours plus nombreux expriment leur point de
vue, le défendent par écrit, cela modifie la manière dont les gens perçoivent
les problèmes publics. Il est facile de se tromper tout seul. C’est plus diffi-
cile quand le produit de votre esprit peut être critiqué par d’autres. Bien sûr,
rares sont les hommes qui reconnaissent avoir tort. Mais encore plus rares
sont ceux qui ne tiennent pas compte du fait que l’on démontre qu’ils ont
tort. Le fait d’écrire ses idées, arguments et critiques, améliore la démocratie.
Aujourd’hui, il y a peut-être deux millions de blogs où de tels débats écrits
prennent place. Quand il y en aura dix millions, nous assisterons à quelque
chose d’extraordinaire.
    John Seely Brown est le directeur scientifique de Xerox. Son travail,
comme il le décrit sur son site Web, est centré sur « l’apprentissage humain
et […] la création d’écologies de la connaissance afin de créer […] de l’inno-
vation. »
    Brown voit donc ces technologies de création numérique sous un angle
un peu différent des perspectives que j’ai décrites jusqu’ici. Je suis certain
qu’il serait enthousiasmé par n’importe quelle technologie qui pourrait amé-
liorer la démocratie. Mais ce qui l’intéresse vraiment, c’est la manière dont
ces technologies affectent l’apprentissage.
    D’après Brown, nous apprenons en bricolant. À l’époque où « la plupart
d’entre nous grandissait », explique-t-il, on bricolait « sur des moteurs de
motos, de tondeuses, des automobiles, des radios, etc. » Mais les technolo-
gies numériques rendent possible un bricolage d’un type différent : avec des
idées abstraites, mais sous forme concrète. Les jeunes de « Just Think ! » ne
se contentent pas de réfléchir à la manière dont une publicité représente un
homme politique ; en utilisant les technologies numériques, ils peuvent dé-
couper cette publicité, et la manipuler, bricoler afin de voir comment elle
produit son effet. Les technologies numériques ont lancé une forme de bri-
colage, ou de « collage libre », comme l’appelle Brown. Beaucoup peuvent
compléter ou transformer les résultats d’expériences faites par beaucoup
d’autres.
    Jusqu’ici, le meilleur exemple de grande envergure de ce type de bricolage
est le logiciel libre, ou open-source. Il s’agit de logiciels dont le code source
est partagé. N’importe qui peut télécharger la technologie qui fait tour-
ner ces programmes. Et n’importe quelle personne désireuse d’apprendre
comment fonctionne un aspect particulier d’une technologie libre ou open-
source peut modifier le code.
    Cette possibilité crée une « plateforme d’apprentissage d’un type entière-
ment nouveau », comme le décrit Brown. « Dès que vous commencez à faire
cela, vous […] offrez un collage libre à la communauté, de sorte que d’autres
gens peuvent examiner votre code, le retoucher, faire des essais, voir s’ils
peuvent l’améliorer. » Chaque effort est une forme d’apprentissage. « L’open
source devient une plateforme d’apprentissage majeure. »
    Dans ce processus, « les choses concrètes avec lesquelles vous bricolez
sont abstraites. C’est du code ». Les jeunes « déplacent leur habileté à brico-


                                      49
ler vers le domaine abstrait, et ce bricolage n’est plus une activité solitaire
que vous faites dans votre garage. Vous bricolez au sein d’une communauté.
[…] Vous bricolez avec les créations d’autres personnes. Plus vous bricolez,
plus vous améliorez. » Plus vous améliorez, plus vous apprenez.
    Le même processus est aussi à l’œuvre avec les contenus. Et il se produit
de la même manière collaborative quand ce contenu est sur le Web. Comme
le dit Brown, « le Web [est] le premier médium qui rend véritablement hom-
mage à de multiples formes d’intelligence. » Les technologies précédentes,
comme la machine à écrire ou le traitement de texte, ont aidé à amplifier
l’écrit. Mais le Web amplifie bien plus, et pas uniquement l’écrit. « Le Web
[…] dit ceci : si vous êtes musicien, artiste, ou bien intéressé par le cinéma
[alors] il y a beaucoup de choses que vous pouvez faire avec ce medium. Au-
jourd’hui, [le web] peut amplifier ces multiples formes d’intelligence, et leur
rendre hommage. »
    Brown parle de ce qu’Elizabeth Daley, Stephanie Barish, et Just Think !
nous enseignent : le fait que ce bricolage culturel instruit autant qu’il crée. Il
développe des talents d’une manière différente, et il s’ensuit un type différent
de reconnaissance.
    Cependant, la liberté de bricoler avec ces objets n’est pas garantie. En fait,
comme nous allons le voir au cours de ce livre, cette liberté est de plus en
plus menacée. Alors qu’il ne faisait aucun doute que votre père avait le droit
de bricoler le moteur de sa voiture, il est très peu probable que votre enfant
aura le droit de bricoler les images qu’elle trouve autour d’elle. La loi et, de
plus en plus, la technologie, interfèrent avec une liberté que la technologie
et la curiosité auraient normalement garantie.
    Ces restrictions sont devenues la préoccupation de certains chercheurs
et spécialistes. Ed Felten, professeur à Princeton (et dont nous reparlerons au
chapitre 10 (p. 105)) a développé un argument fort en faveur du « droit à bri-
coler », comme il s’applique à l’informatique et au savoir en général47 . Mais
l’inquiétude de Brown est antérieure, ou plus fondamentale. Elle concerne
ce que les enfants peuvent ou ne peuvent pas apprendre, à cause de la loi.
    « Voici où va l’éducation du vingt-et-unième siècle », explique Brown.
Nous devons « comprendre comment les enfants qui grandissent dans un
monde numérique pensent et veulent apprendre ».
    « Mais », comme le dit Brown, et comme le démontre la suite de ce livre,
« nous sommes en train de construire un système légal qui supprime com-
plètement les tendances naturelles des enfants de l’ère numérique. […] Nous
sommes en train de construire une architecture qui libère 60 pour cent de
l’intellect, [et] un système légal qui referme cette même partie de l’intellect. »
    Nous sommes en train de construire une technologie qui prend la magie
du Kodak, permet de combiner des images et du son, y ajoute un espace pour
accueillir des commentaires, et la possibilité de diffuser partout cette créati-
vité. Mais nous construisons aussi des lois pour fermer cette technologie.
    « Ce n’est pas comme ça qu’on fait marcher une culture », comme me le
dit Brewster Kahle, que nous rencontrerons au chapitre 9 (p. 99), dans un
rare moment de découragement.



                                       50
                               Catalogues


    À l’automne 2002, Jesse Jordan de la ville d’Oceanside, dans l’état de New
York, s’inscrivit en première année au Rensselaer Polytechnic Institute, à
Troy, état de New York. Sa matière principale au RPI était la technologie de
l’information. Bien qu’il ne fût pas programmeur, en octobre Jesse décida de
commencer à jouer avec les techniques de moteurs de recherche qui étaient
disponibles sur le réseau du RPI.
    Le RPI est l’un des centres de recherche technologiques les plus avancés
d’Amérique. Il délivre des diplômes dans des domaines allant de l’architec-
ture et l’ingénierie jusqu’aux sciences de l’information. Plus de 65 pour cent
de ses 5000 étudiants ont terminé le lycée en figurant parmi les 10 pour
cent des meilleurs de leur classe. L’école rassemble ainsi une combinaison
parfaite de talents et d’expériences afin d’imaginer puis de concevoir — une
génération pour l’ère des réseaux.
    Le réseau informatique du RPI relie les étudiants, les enseignants et l’ad-
ministration. Il relie également le RPI à Internet. Tout ce qui est disponible
sur le réseau de RPI ne l’est pas sur Internet. Mais le réseau est conçu pour
permettre aux étudiants d’avoir accès à Internet, ainsi qu’un accès plus privé
aux autres membres de la communauté du RPI.
    Les moteurs de recherche permettent de mesurer le degré d’intimité d’un
réseau. Google a beaucoup rapproché Internet de nous, en améliorant de ma-
nière fantastique la qualité des recherches sur le réseau. Les moteurs de re-
cherche spécialisés y parviennent encore mieux. Le principe des moteurs de
recherche pour « intranet », des moteurs de recherche qui cherchent à l’inté-
rieur du réseau d’une institution, est de fournir aux utilisateurs de cette ins-
titution un meilleur accès aux données de cette institution. Les entreprises
pratiquent cela couramment, afin de permettre à leurs employés d’accéder
à des données qui ne sont pas disponibles en dehors de l’entreprise. Les uni-
versités le font aussi.
    Ces moteurs fonctionnent grâce à la technologie même du réseau. Micro-
soft, par exemple, possède un système de fichier en réseau, qui permet aux
moteurs de recherche d’interroger le système très facilement, pour savoir
quels contenus sont disponibles publiquement (sur ce réseau). Le moteur de
recherche de Jesse fut construit de manière à tirer avantage de cette techno-
logie. Il utilisait le système de fichiers de Microsoft afin de construire une
liste de tous les fichiers disponibles sur le réseau du RPI.
    Le moteur de Jesse n’était pas le premier développé pour le réseau du
RPI. En effet, son moteur de recherche était une simple modification de mo-


                                      51
teurs conçus par d’autres. Sa seule amélioration importante était la correc-
tion d’une erreur du système de partage de fichier de Microsoft, qui provo-
quait des plantages d’ordinateurs. Avec les moteurs préexistants, en tentant
d’accéder à un fichier qui se trouvait sur un ordinateur qui n’était plus en
ligne avec un navigateur Windows, on pouvait faire planter son ordinateur.
Jesse modifia légèrement le système pour résoudre ce problème, en ajoutant
un bouton sur lequel un utilisateur pouvait cliquer pour savoir si la machine
qui contenait le fichier était toujours en ligne.
    Le moteur de Jesse fut mis en ligne fin octobre. Durant les six mois sui-
vants, il continua à le perfectionner et à en améliorer la fonctionnalité. En
mars, le système fonctionnait plutôt bien. Jesse avait plus d’un million de fi-
chiers dans son index, qui comprenait tous les types de contenus se trouvant
sur les ordinateurs des utilisateurs du réseau.
    Ainsi donc l’index produit par son moteur de recherche contenait des
images, que les étudiants pouvaient utiliser, pour les mettre sur leur site
web ; des copies de cours ou de la recherche ; des copies de textes tech-
niques ; des films courts réalisés par les étudiants ; des brochures d’universi-
tés — en bref, tout ce que les utilisateurs du réseau du RPI rendaient dispo-
nible dans un répertoire public de leur ordinateur.
    Mais l’index contenait aussi des fichiers de musique. En fait, ils représen-
taient un quart des fichiers listés par le moteur de recherche de Jesse. Mais
cela veut dire, bien sûr, que les trois quarts n’en étaient pas, et — ce point
est parfaitement clair — Jesse ne fit rien pour pousser les gens à mettre des
fichiers de musique dans leurs répertoires publics. Il ne fit rien pour cibler
le moteur de recherche vers ces fichiers. C’était un étudiant qui expérimen-
tait une technologie similaire à Google, dans une université où il étudiait les
sciences de l’information, et par conséquent, expérimenter était le but. À la
différence de Google, ou de Microsoft en l’occurrence, il ne gagnait pas d’ar-
gent de ses expériences ; il n’avait pas non plus de lien avec une entreprise
qui en gagnerait de son activité. Ce n’était qu’un étudiant qui expérimentait
une technologie, dans un environnement où c’était précisément ce qu’il était
supposé faire.
    Le 3 avril 2003, Jesse fut contacté par le doyen du RPI. Le doyen l’informa
que la Recording Industry Association of America, la RIAA, était en train de
porter plainte contre lui et trois autres étudiants qu’il ne connaissait même
pas, dont deux se trouvaient dans d’autres universités. Quelques heures plus
tard, on remit à Jesse les documents concernant la plainte. Lorsqu’il lut ces
documents et vit les nouvelles s’y rapportant, il fut de plus en plus étonné.
    « C’était absurde », me dit-il. « Je ne pense pas avoir fait quoi que ce soit
de mal. […] Je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit de mal avec le moteur
de recherche que j’ai fait tourner, ou […] avec ce que j’y ai apporté. C’est-à-
dire que je ne l’ai pas modifié d’une manière qui favorise ou facilite le travail
de pirates. Je l’ai simplement modifié pour le rendre plus facile à utiliser » —
une fois de plus, un moteur de recherche, que Jesse n’avait pas écrit lui-même,
afin de permettre aux membres de RPI d’accéder à des contenus que Jesse
n’avait pas créés ou postés lui-même, et dont la vaste majorité n’avait rien à
voir avec de la musique.


                                      52
    Mais la RIAA appelait Jesse un pirate. Elle prétendait qu’il animait un
réseau, et que par conséquent il avait « délibérément » violé les lois sur
le droit d’auteur. Elle demanda de lui verser des dommages-intérêts pour
sa faute. En cas d’« infraction délibérée », le Copyright Act définit ce que
les juristes appellent des « dommages-intérêts préétablis ». Ces dommages-
intérêts permettent à un détenteur de copyright de réclamer 150 000 dollars
par infraction. Comme la RIAA se plaignait de plus d’une centaine d’infrac-
tions au copyright, elle demanda à Jesse au moins 15 000 000 de dollars.
    Des procès similaires furent intentés à trois autres étudiants : un autre
étudiant du RPI, un à l’Université Technique du Michigan, et un à Princeton.
Leurs situations étaient semblables à celle de Jesse. Bien que chaque cas fût
différent dans le détail, la conclusion était exactement la même : d’énormes
« dommages-intérêts » que la RIAA prétendait être en droit de demander.
En additionnant ces indemnités, ces quatre procès demandaient aux tribu-
naux américains de dédommager les plaignants pour près de 100 milliards de
dollars — soit six fois le total des profits de l’industrie cinématographique en
200148 .
    Jesse appela ses parents. Ils le soutenaient, mais étaient un peu effrayés.
Un de ses oncles était avocat. Il commença à négocier avec la RIAA. Ils de-
mandèrent combien d’argent Jesse avait. Jesse avait économisé 12 000 dol-
lars, grâce à des emplois d’été et autres travaux. Ils demandèrent 12 000 dol-
lars pour retirer leur plainte.
    La RIAA voulait que Jesse reconnaisse avoir fait quelque chose de mal. Il
refusa. Ils voulaient qu’il accepte un jugement qui lui aurait interdit de tra-
vailler dans de nombreux secteurs technologiques pour le reste de sa vie. Il
refusa. Ils lui firent comprendre que le fait d’être traduit en justice n’allait pas
être une partie de plaisir. (Le père de Jesse me raconta que l’avocat principal
sur le dossier, Matt Oppenheimer, avait dit à Jesse, « Je ne vous conseille pas
de vous payer une deuxième visite chez un dentiste comme moi. ») Et tout
du long, la RIAA répéta qu’elle ne retirerait pas sa plainte avant d’avoir pris
le dernier centime économisé par Jesse.
    La famille de Jesse fut scandalisée par ces prétentions. Ils voulaient se
défendre en justice. Mais l’oncle de Jesse leur fit comprendre la nature du
système légal américain. Jesse pouvait se défendre contre la RIAA. Il se pou-
vait même qu’il gagne. Mais le coût d’un procès de ce genre, dit-il à Jesse,
serait d’au moins 250 000 dollars. S’il gagnait, il ne récupérerait pas cet ar-
gent. S’il gagnait, il se retrouverait avec un bout de papier mentionnant qu’il
avait gagné, et un autre bout de papier déclarant que lui et sa famille étaient
ruinés.
    Ainsi donc, Jesse était devant un choix digne de la mafia : 250 000 dol-
lars pour une chance de gagner, ou bien 12 000 dollars pour un règlement à
l’amiable.
    L’industrie du disque répète qu’il s’agit d’une question de loi et de mo-
rale. Mettons la loi de côté pour le moment, et pensons seulement à la mo-
rale. Où est la morale dans un procès comme celui-là ? Quelle vertu y a-t-il
à faire des boucs émissaires ? La RIAA est un lobby extrêmement puissant.
Son président gagne, semble-t-il, plus d’un million de dollars par an. Les ar-


                                        53
tistes, en revanche, ne sont pas bien payés. Un chanteur gagne en moyenne
45 900 dollars par an49 . La RIAA a énormément de moyens, pour influencer
et diriger la politique. Où est donc la morale à prendre l’argent d’un étudiant
pour avoir fait tourner un moteur de recherche50 ?
    Le 23 juin, Jesse vira ses économies à l’avocat de la RIAA. La plainte fut
retirée. Et par ces mots, cet étudiant qui avait transformé un ordinateur en
un procès à 15 millions de dollars devint un militant :
     Je n’étais absolument pas un militant [avant]. Je n’ai jamais vrai-
     ment voulu être un militant. […] [Mais] on m’y a poussé. En au-
     cune manière je n’avais prévu quelque chose de ce genre, mais je
     pense que ce que la RIAA a fait est complètement absurde.
     Les parents de Jesse gardent une certaine fierté pour leur militant malgré
lui. Comme me l’a dit son père, Jesse « se considère comme très conservateur,
et moi aussi. […] Il n’est pas du genre à se battre pour sauver les arbres. […]
Je trouve que c’est très bizarre que ce soit tombé sur lui. Mais il veut que les
gens sachent qu’ils envoient un mauvais signal. Et il veut corriger cela. »




                                      54
                                « Pirates »


    Si « pirater » signifie utiliser la propriété artistique des autres sans leur
permission — si le principe « valeur implique droits » est vrai — alors l’his-
toire de l’industrie du contenu est une histoire de piratage. Chaque secteur
important de l’industrie des médias d’aujourd’hui — cinéma, disque, radio
et télévision par câble — est né d’une forme de piratage selon cette défini-
tion. Ce chapitre montre comment chaque génération de pirates a fini par
rejoindre le club des industries respectables — jusqu’à aujourd’hui.


                                 Cinéma
    L’industrie cinématographique de Hollywood fut créée par des pirates
en fuite51 . Les créateurs et metteurs en scène migrèrent de la Côte Est
vers la Californie au début du vingtième siècle, en partie afin d’échapper
au contrôle que les brevets accordaient à l’inventeur du cinéma, Thomas
Edison. Ce contrôle était exercé par un « trust », la Motion Pictures Patent
Company, et était basé sur la propriété intellectuelle de Thomas Edison —
ses brevets. Edison créa la MPPC afin d’exercer les droits que sa propriété
intellectuelle lui donnait, et la MPPC ne prenait pas sa mission à la légère.
    Comme le rapporte un commentateur :
     Un ultimatum en janvier 1909 fut donné à toutes les compagnies
     pour se mettre en règle avec la licence. En février, les hors-la-loi
     qui ne possédaient pas de licence, et qui s’appelaient entre eux
     les indépendants, protestèrent contre le trust et continuèrent de
     travailler sans se soumettre au monopole d’Edison. À l’été 1909,
     le mouvement indépendant était en pleine activité, avec des pro-
     ducteurs et des propriétaires de cinémas qui utilisaient des équi-
     pements illégaux et importaient de la pellicule pour créer leur
     propre marché clandestin.
     Voyant le nombre de cinémas pirates dans le pays augmenter ra-
     pidement, la Compagnie des Brevets réagit contre le mouvement
     indépendant, en créant une filiale de gros bras, connue sous le
     nom de Compagnie Générale des Films, chargée de bloquer l’en-
     trée des cinémas sans licence. Au cours d’actions répressives qui
     sont entrées dans la légende, la Générale des Films confisqua les
     équipements sans licence, interrompit l’approvisionnement des



                                      55
      salles qui passaient des films sans licence, et monopolisa le cir-
      cuit de distribution, en acquérant toutes les bourses aux films
      américaines, à l’exception de celle détenue par Wiliam Fox, un
      indépendant qui continua de défier le Trust après que sa licence
      fut révoquée52 .
    Les Napster de l’époque, les « indépendants », étaient des compagnies
comme la Fox. Et pas moins qu’aujourd’hui, ces compagnies résistèrent vi-
goureusement. « Les tournages étaient interrompus par des vols de ma-
chines, et des “accidents” se produisaient fréquemment, qui se traduisaient
par des pertes de négatifs, d’équipements, de bâtiments et parfois de vies »53 .
Cela poussa les indépendants à fuir vers la Côte Ouest. La Californie était
suffisamment hors de portée d’Edison pour que les producteurs de films
puissent pirater ses inventions sans craindre la loi. c’est ce que firent sim-
plement les leaders du cinéma de Hollywood, et plus particulièrement Fox.
    Bien sûr, la Californie se développa rapidement, et la loi fédérale finit par
être appliquée à l’Ouest. Mais comme les brevets n’accordaient qu’un mono-
pole vraiment « limité » à leur détenteur (seulement dix-sept ans à l’époque),
au moment où les agents fédéraux furent en nombre suffisant, les brevets
avaient expiré. Une nouvelle industrie était née, en partie issue du piratage
de la propriété intellectuelle d’Edison.


                       Musique enregistrée
    L’industrie du disque est née d’un autre genre de piratage, mais pour s’en
apercevoir il faut connaître certains détails sur la manière dont la loi s’ap-
plique à la musique.
    A l’époque où Edison et Henri Fourneaux inventaient des machines à
reproduire la musique (Edison le phonographe, Fourneaux le piano méca-
nique), la loi accordait aux compositeurs le droit exclusif de contrôler les
copies et les exécutions publiques de leur musique. En d’autres termes, si en
1900 j’avais voulu une copie de « Happy Mose », un succès de Phil Russel en
1899, la loi stipulait que j’aurais dû payer pour avoir le droit d’obtenir une
copie de la partition musicale, et que j’aurais aussi dû payer pour avoir le
droit de la jouer en public.
    Mais qu’en était-il si j’avais voulu enregistrer « Happy Mose », à l’aide du
phonographe d’Edison, ou du piano mécanique de Fourneaux ? La loi blo-
quait sur ce point. Il était assez clair que j’aurais dû payer pour chaque copie
de la partition que j’aurais faite en créant cet enregistrement. Et il était aussi
clair que j’aurais dû payer pour chaque exécution en public de l’œuvre que
j’aurais enregistrée. Mais ce qui n’était pas clair, c’était si j’aurais dû payer
pour une « exécution publique » pour enregistrer la chanson à mon domi-
cile (même aujourd’hui, vous ne devez rien aux Beatles si vous chantez leurs
chansons sous la douche), ou si j’avais enregistré la chanson de mémoire (les
copies qui sont dans votre cerveau ne sont pas — encore — soumises à la loi
sur le droit d’auteur). Donc, si je chantais la chanson devant un appareil d’en-
registrement à mon propre domicile, il n’était pas sûr que je doive quelque


                                       56
chose au compositeur. Et, surtout, il n’était pas sûr que je doive quoi que ce
soit au compositeur si je faisais ensuite des copies de ces enregistrements. À
cause de cette faille juridique, on pouvait à l’époque pirater la chanson de
quelqu’un d’autre, sans rien payer au compositeur.
    Les compositeurs (et éditeurs) étaient tout sauf heureux de cette possi-
bilité de piratage. Pour reprendre les mots du sénateur Alfred Kittredge, du
Sud Dakota,
       Rendez-vous compte de l’injustice. Un compositeur écrit une
       chanson ou un opéra. Un éditeur achète au prix fort les droits de
       cet opéra, et le place sous copyright. Et puis arrivent l’industrie
       phonographique, et les entreprises qui découpent des rouleaux
       de musique, et qui volent délibérément le travail du compositeur
       et de l’éditeur, sans aucune considération pour [leurs] droits54 .
    Les innovateurs qui avaient développé la technologie pour enregistrer le
travail des autres « essoraient le travail, le talent et le génie des compositeurs
américains »55 et l’« industrie de l’édition musicale » se trouvait donc « à la
merci de ces pirates »56 . Comme l’a dit John Philip Sousa, de la manière la
plus directe possible, « S’ils font du profit avec ma musique, alors j’en veux
ma part »57 .
    Ces arguments trouvent un écho familier dans les guerres d’aujourd’hui.
De même que les arguments de la partie adverse. Les inventeurs du piano
mécanique arguèrent qu’il était « parfaitement possible de démontrer que
l’apparition de machines à jouer de la musique n’a privé aucun composi-
teur de rien qu’il n’eut avant ». Au contraire, les machines augmentaient les
ventes de partitions58 . Quoi qu’il en soit, dirent les inventeurs, le devoir du
Congrès était de « privilégier l’intérêt du [public], qu’il représente et doit
servir ». « Tous ces discours parlant de “vol” », écrivit le conseiller général
de la Compagnie Américaine des Graphophones, « ne sont que de la poudre
aux yeux, car il n’existe pas de propriété des idées musicales, littéraires ou
artistiques, sauf définie par décret »59 .
    La loi trancha rapidement cette bataille en faveur des compositeurs et des
interprètes qui enregistraient leur musique. Le Congrès amenda la loi pour
s’assurer que les compositeurs soient payés pour les « reproductions méca-
niques » de leur musique. Mais plutôt que d’accorder au compositeur un
contrôle total sur le droit de faire des reproductions mécaniques, le Congrès
donna aux interprètes le droit d’enregistrer de la musique, à un prix fixé
par le Congrès, après que le compositeur ait autorisé un premier enregistre-
ment. C’est cette partie de la loi sur le copyright qui rend possible les reprises.
Une fois qu’un compositeur a autorisé un enregistrement de sa musique, les
autres sont libres d’enregistrer la même musique, du moment qu’ils paient
au compositeur original une taxe fixée par la loi.
    En général, la loi américaine appelle ça une « licence obligatoire », mais
je préfère parler de « licence statutaire ». Une licence statutaire est une li-
cence dont les termes sont fixés par la loi. Après que le Congrès amenda le
Copyright Act en 1909, les maisons d’enregistrement furent libres de dis-
tribuer des copies de leurs enregistrements, du moment qu’ils payaient au
compositeur (ou au détenteur des droits d’auteur) la taxe fixée par le décret.


                                       57
    Cela constitue une exception dans la loi sur le droit d’auteur. Quand John
Grisham écrit un roman, un éditeur est libre de publier ce roman seulement
si Grisham lui en donne la permission. Celui-ci, en revanche, est libre de ré-
clamer la somme qui lui plaît en échange de cette permission. Le prix pour
publier Grisham est donc fixé par Grisham lui-même, et la loi sur le droit
d’auteur dit qu’en général vous n’avez pas le droit d’utiliser le travail de Gri-
sham sans sa permission.
    Mais la loi régissant les enregistrements sonores donne moins aux ar-
tistes. Et donc, en effet, la loi subventionne l’industrie du disque à travers une
sorte de piratage — en donnant aux musiciens un contrôle plus faible qu’elle
ne donne aux autres auteurs de créations artistiques. Les Beatles ont moins
de contrôle sur leur création que Grisham n’en a sur la sienne. Et l’industrie
du disque et le public sont les bénéficiaires de ce contrôle moindre. L’indus-
trie du disque obtient quelque chose de valeur pour moins que ce qu’elle paie-
rait normalement ; le public a accès à un éventail plus large de créations mu-
sicales. En effet, le Congrès fut très explicite sur les raisons pour lesquelles
il accordait ce choix. Sa crainte était le pouvoir monopolistique des ayants
droit, et que ce pouvoir n’étouffe la créativité à venir60 .
    Bien que l’industrie du disque soit devenue plutôt timide récemment sur
ce sujet, historiquement sa position a été en faveur des licences statutaires
pour les enregistrements. Comme l’indique un rapport du Comité Judiciaire
de la Chambre des Représentants datant de 1967 :
      les producteurs de disques soutinrent vigoureusement que le sys-
      tème de licences obligatoires devait être maintenu. Ils soutinrent
      que l’industrie du disque, qui pèse un demi milliard de dollars, est
      d’une importance économique majeure aux États-Unis et dans le
      monde ; les disques sont aujourd’hui le principal moyen de diffu-
      sion de la musique, et cela cause des problèmes particuliers, car
      les chanteurs ont besoin d’un accès non restreint à la musique, de
      manière non discriminatoire. Historiquement, firent-ils remar-
      quer, il n’existait pas de droits à l’enregistrement avant 1909, et
      le décret de 1909 avait accepté les licences obligatoires en tant
      que mesure anti-monopolistique délibérée, en échange de l’oc-
      troi de ces droits. Ils ajoutèrent que le résultat en a été une abon-
      dance de disques, donnant au public des prix plus bas, une qualité
      meilleure, et un choix plus large61 .
    Cette limitation des droits des musiciens, ce piratage partiel de leur tra-
vail créatif, bénéficient aux maisons de disques, et au public.


                                   Radio
   La radio aussi est née du piratage.
   Lorsqu’une radio passe un disque sur les ondes, cela constitue une « exé-
cution publique » de l’œuvre du compositeur62 . Comme je l’ai décrit plus
haut, la loi donne au compositeur (ou au détenteur des droits d’auteur) un


                                       58
droit exclusif sur les exécutions publiques de son œuvre. La station de radio
doit donc de l’argent au compositeur pour cette exécution.
     Mais quand une station de radio passe un disque, elle ne fait pas seule-
ment une copie de l’œuvre du compositeur. La radio effectue aussi une co-
pie de l’œuvre de l’interprète. C’est une chose d’avoir « Joyeux Anniversaire »
chanté à la radio par la chorale d’enfants locale ; c’en est une toute autre si ce
sont les Rolling Stones ou bien Lyle Lovett qui chantent. L’interprète ajoute
de la valeur à la composition jouée par la station de radio. Et si la loi était
parfaitement cohérente, la station de radio devrait payer l’interprète pour
son travail, tout comme elle paie le compositeur pour sa musique.
     Mais ce n’est pas le cas. D’après la loi sur les diffusions radiophoniques,
la station de radio n’a pas à payer l’interprète. La station de radio doit seule-
ment payer le compositeur. Par conséquent, la station reçoit quelque chose
sans contrepartie. Elle peut diffuser le travail de l’artiste gratuitement, même
si elle doit payer le compositeur pour avoir le droit de passer sa chanson.
     Cela peut faire une énorme différence. Supposez que vous composiez un
morceau de musique. Supposez que ce soit le premier. Vous détenez le droit
exclusif d’autoriser son exécution publique. Donc si Madonna veut chanter
votre chanson en public, elle doit obtenir votre permission.
     Supposez qu’elle chante votre chanson, et qu’elle l’aime beaucoup. Elle
décide alors d’en faire un enregistrement, qui devient un tube. D’après notre
loi, chaque fois qu’une station de radio passera votre chanson, vous recevrez
de l’argent. Et Madonna ne reçoit rien, à part l’effet indirect sur les ventes
de ses CDs. La diffusion publique de son enregistrement n’est pas un droit
« protégé ». Ainsi donc, la station de radio pirate la valeur du travail de Ma-
donna, sans rien lui payer.
     Sans doute, on pourra rétorquer que les interprètes en bénéficient. En
moyenne, la publicité qu’ils en tirent vaut plus que les droits qu’ils aban-
donnent. Peut-être. Mais quand bien même, la loi laisse d’habitude au créa-
teur le droit de faire son choix. En faisant le choix à sa place, cette loi donne
à la station de radio le droit de prendre quelque chose sans contrepartie.


                        Télévision par câble
    La télévision par câble elle-aussi est née d’une forme de piratage.
    Lorsque les entrepreneurs du câble commencèrent à fournir la télévision
par câble à des communautés en 1948, la plupart refusèrent de payer les
chaînes hertziennes pour les contenus qu’ils transmettaient à leurs clients.
Même lorsque les compagnies du câble commencèrent à vendre l’accès à la
télévision par câble, ils refusèrent de payer ce qu’ils revendaient. Ainsi, les
compagnies du câble napsterisaient les contenus émis sur les ondes, mais
d’une manière encore plus éhontée que tout ce que Napster a jamais fait —
Napster n’a jamais fait payer pour les contenus qu’ils permettaient aux gens
de partager.
    Les chaînes hertziennes et les détenteurs de copyright s’attaquèrent rapi-
dement à ce vol. Rosel Hyde, le président de la FCC, voyait cette pratique


                                       59
comme une forme de « compétition déloyale et potentiellement destruc-
trice »63 . Bien qu’il pût y avoir un « intérêt public » à augmenter l’offre de
la télévision par câble, Douglas Anello, conseiller général de la National As-
sociation of Broadcasters, demanda au sénateur Quentin Burdick lors d’un
procès, « L’intérêt public vous commande-t-il d’utiliser la propriété de quel-
qu’un d’autre ? »64 Un autre représentant des chaînes hertziennes le dit en
ces termes :
      Ce qu’il y a d’extraordinaire au sujet de la télévision par câble,
      c’est que c’est la seule industrie à ma connaissance qui revend un
      produit qu’elle n’a pas payé65 .
   Encore une fois, la demande des détenteurs de copyright semblait suffi-
samment raisonnable :
      Tout ce que nous demandons, c’est quelque chose de très simple,
      c’est que ceux qui maintenant prennent notre propriété pour rien
      paient pour cela. Nous tentons d’arrêter un piratage, et je ne crois
      pas qu’il y ait un terme moins fort pour décrire cela. Je pense qu’il
      y a des mots plus durs qui conviendraient.66
    C’était des « resquilleurs », d’après Charlton Heston, le président de la
Guilde des Acteurs, qui « privaient les acteurs de leurs revenus »67 .
    Mais encore une fois, il existait un autre point de vue sur ce débat. Pour
citer le vice-ministre de la Justice, Edwin Zimmerman,
      Notre préoccupation ici n’est pas de savoir s’il existe ou non une
      protection du copyright, le problème est de savoir si les déten-
      teurs de copyright déjà dédommagés, qui possèdent déjà un mo-
      nopole, devraient être autorisés à étendre ce monopole. […] La
      question ici est à combien doit s’élever leur compensation, et jus-
      qu’où doit s’étendre leur droit à une compensation68 .
    Les détenteurs de copyright traînèrent les compagnies du câble en justice.
Par deux fois, la Cour Suprême statua que les compagnies du câble ne leur
devaient rien.
    Il fallut au Congrès presque trente ans pour résoudre la question de sa-
voir si les compagnies du câble devaient payer pour les contenus qu’elles
« pirataient ». À la fin, le Congrès la résolut de la même manière qu’il avait
résolu la question des lecteurs de disques et des pianos mécaniques. Oui, les
compagnies du câble devraient payer pour les contenus qu’ils distribuaient ;
mais le prix qu’ils devraient payer ne serait pas décidé par le détenteur du
copyright. Ce prix serait fixé par la loi, de sorte que les chaînes hertziennes
ne puissent faire obstruction à la technologie émergente du câble. Les com-
pagnies du câble ont donc, en partie, bâti leur empire sur le « piratage » de
la valeur créée par le contenu des chaînes hertziennes.
    Ces différentes histoires chantent le même refrain. Si « piratage » veut
dire utiliser la valeur de la création artistique de quelqu’un sans sa permis-
sion, et c’est de plus en plus le sens qu’on accorde à ce mot aujourd’hui69 ,
alors chaque industrie concernée par le copyright de nos jours est le résultat


                                       60
et le bénéficiaire d’une certaine forme de piratage. Le cinéma, la musique, la
radio, la télévision par câble… La liste est longue, et elle pourrait bien s’al-
longer. Chaque génération accueille les pirates de la génération précédente
— jusqu’à aujourd’hui.




                                      61
62
                              « Piratage »


    Il y a du piratage de contenus protégés par copyright. Énormément. Ce
piratage prend de nombreuses formes. La plus significative est le piratage
commercial, l’appropriation non autorisée du bien d’autrui dans un contexte
commercial. Malgré les nombreuses justifications qui sont présentées dans
sa défense, cette appropriation est mauvaise. Personne ne devrait la pardon-
ner et la loi devrait l’arrêter.
    Mais, en dehors de copies pirates vendues dans le commerce, il existe une
autre sorte d’« appropriation », qui est plus directement liée à Internet. Cette
appropriation, elle aussi, semble mauvaise à beaucoup, et elle est mauvaise
la plupart du temps. Avant de nous intéresser à cette forme particulière de
« piratage », nous devrions cependant comprendre sa nature un peu plus.
Pour son plus grand malheur, cette appropriation est significativement plus
ambiguë qu’une simple reproduction qui ne tient pas compte des droits, et la
loi devrait lever cette ambiguïté, comme elle l’a si souvent fait dans le passé.


                                Piratage I
    Partout dans le monde, mais particulièrement en Asie et en Europe de
l’Est, des entreprises ne font rien d’autre que prendre le travail des autres
protégé par copyright, le copier et le vendre dans son intégralité sans la per-
mission du détenteur dudit copyright. L’industrie du disque estime qu’elle
perd environ 4,6 milliards de dollars chaque année à cause du piratage phy-
sique70 (ce qui correspond à un CD sur trois vendus dans le monde entier).
La MPAA estime ses pertes annuelles à trois milliards de dollars du fait du
piratage.
    C’est du piratage pur et simple. Rien dans les arguments de ce livre, ni
dans ceux que font la plupart des gens quand ils parlent du sujet de ce livre,
ne met en doute ce simple fait : le piratage est mauvais.
    Cela ne veut pas dire que des excuses et des justifications ne peuvent
pas être trouvées. Nous pourrions, par exemple, nous rappeler que, pour les
cents premières années de la République américaine, l’Amérique ne respecta
pas les copyrights étrangers. Nous sommes nés, en ce sens, en nation pirate.
Cela pourrait donc sembler hypocrite pour nous d’insister si fortement pour
que d’autres pays en voie de développement considèrent comme injuste ce
que nous avons, pendant les cent premières années de notre existence, consi-
déré comme juste.


                                      63
    Cette excuse n’est pas vraiment valable. Techniquement, notre loi n’in-
terdisait pas l’appropriation de travaux étrangers. Elle s’était explicitement
limitée aux travaux américains. Ainsi les éditeurs américains qui publièrent
des travaux étrangers sans la permission des auteurs étrangers ne violaient
aucune règle. Les magasins vendant des copies en Asie, à l’inverse, violent
la loi asiatique. La loi asiatique protège vraiment les copyrights étrangers
et de tels magasins violent cette loi. Donc, le piratage qu’ils pratiquent n’est
pas qu’une faute morale, mais une transgression légale, et pas uniquement
au niveau international, mais aussi au niveau local.
    Pour dire vrai, ces règlements locaux ont été, en fait, imposés à ces pays.
Aucun pays ne peut faire partie de l’économie mondiale et choisir de ne pas
protéger les copyrights internationalement. Nous sommes peut-être nés na-
tion pirate, mais nous n’accepterons pas qu’une autre nation ait une enfance
similaire.
    Cependant, si un pays doit être considéré comme souverain, alors ses
lois sont ses lois, indépendamment de leur origine. La loi internationale
sous laquelle ces pays vivent leur donne quelques occasions d’échapper aux
contraintes de la loi sur la propriété intellectuelle71 . Selon moi, plus de pays
en voie de développement devraient profiter de cette occasion, mais quand
ils ne font pas, alors leurs lois devraient être respectées. Et conformément
aux lois de ces pays, ce piratage est mal.
    Sinon, nous pourrions aussi essayer d’excuser ce piratage en notant que,
dans ce cas, cela ne fait pas de tort à l’industrie. Les Chinois qui ont accès
aux CDs américains à 50 cents [NdT : de dollar] l’unité ne sont pas des gens
qui pourraient acheter ces mêmes CDs à 15 dollars pièce. Donc personne
n’a en réalité moins d’argent qu’il n’aurait pu en avoir de toute façon72 .
    C’est souvent vrai (quoique j’ai des amis qui ont acheté des milliers de
DVDs piratés et qui ont certainement assez d’argent pour payer ce qu’ils
ont pris) et cela relativise quand même un peu le préjudice de tels vols. Les
extrémistes dans ce débat aiment dire : « Vous n’entreriez pas chez Barnes
& Noble pour prendre un livre sans le payer ; pourquoi cela devrait-il être
différent avec la musique en ligne ? » La différence est, bien sûr, que quand
vous prenez un livre de Barnes & Noble, ils ont un livre de moins à vendre.
À l’inverse, quand vous prenez un MP3 d’un réseau informatique, il n’y a
pas un CD de moins à vendre. La physique du piratage de l’immatériel est
différente de la physique du piratage du matériel.
    Cet argument est encore vraiment faible. Cependant, bien que le copy-
right soit un droit de propriété d’un type spécial, il reste un droit de propriété.
Comme tous les droits de propriété, le copyright donne à son détenteur le
droit de décider les termes selon lesquels le bien est partagé. Si le détenteur
ne veut pas vendre, il n’y est pas obligé. Il y a des exceptions : les licences
statutaires importantes qui s’appliquent au contenu protégé par copyright
indépendamment du souhait du détenteur. Ces licences donnent aux gens
le droit « de prendre » le contenu protégé par le droit d’auteur, que le déten-
teur veuille vendre ou non. Mais quand la loi ne donne pas aux gens ce droit,
il est illégal de prendre ce contenu même si cela ne crée aucun préjudice. Si
nous avons un système de propriété, et que ce système est en harmonie avec


                                       64
la technologie de son époque, alors il est mal de s’approprier quelque chose
sans la permission du propriétaire. C’est exactement ce que « propriété » si-
gnifie.
    Enfin, nous pourrions essayer d’excuser ce piratage avec l’argument que
le piratage aide en réalité le détenteur du copyright. Quand un Chinois
« vole » Windows, cela le rend dépendant de Microsoft. Microsoft perd la
valeur du logiciel qui a été volé. Mais il gagne des utilisateurs qui sont habi-
tués à vivre dans le monde Microsoft. Dans quelque temps, quand la nation
sera plus riche, de plus en plus de gens achèteront le logiciel plutôt que de
le voler. Et quelque temps après, parce que cet achat lui profitera, Microsoft
tirera des bénéfices du piratage. Si au lieu de pirater Microsoft Windows,
le Chinois avait utilisé le système d’exploitation GNU/LINUX, libre et gra-
tuit, alors ces utilisateurs chinois n’achèteraient finalement pas de produits
Microsoft. Sans piratage, Microsoft perdrait.
    Cet argument, lui aussi, est en partie fondé. La stratégie de dépendance
est une bonne stratégie. De nombreuses entreprises l’utilisent. Certaines
prospèrent grâce à elle. Par exemple, les étudiants en droit ont libre accès
aux deux plus grandes bases de données juridiques. Les sociétés qui vendent
l’accès à ces bases de données espèrent chacune que ces étudiants devien-
dront si habitués à leur service qu’ils voudront l’utiliser plutôt que l’autre,
une fois devenus avocats (et qu’ils paieront alors de lourds frais d’abonne-
ment).
    Là encore, l’argument n’est pas terriblement convaincant. Nous ne dé-
fendons pas un alcoolique quand il vole sa première bière simplement parce
que cela le rend plus susceptible d’acheter les trois suivantes. Au lieu de cela,
nous permettons d’habitude aux entreprises de décider elles-mêmes quand
il est préférable de donner leur produit. Si Microsoft craint la concurrence
de GNU/LINUX, alors Microsoft peut donner son produit, comme il l’a fait,
par exemple, avec Internet Explorer pour combattre Netscape. Un droit de
propriété signifie donner au propriétaire le droit de dire qui a accès à quoi —
au moins d’habitude. Et si la loi arrive à concilier les droits du détenteur de
copyright avec les droits d’accès, alors enfreindre la loi est, encore une fois,
une mauvaise chose.
    Ainsi, même si je comprends l’attrait de ces justifications du piratage, et
que j’en vois certainement la motivation, à mon avis, au final, ces efforts pour
justifier le piratage commercial ne tiennent plus. Cette sorte de piratage est
effrénée et ne cause que du tort. Elle ne transforme pas le contenu qu’elle
vole ; elle ne transforme pas le marché avec lequel elle est en concurrence.
Elle donne simplement à quelqu’un l’accès à quelque chose auquel il n’a pas
droit selon la loi. Rien n’a changé qui puisse mettre en doute cette loi. Cette
forme de piratage est complètement dans l’erreur.
    Mais même si certains piratages sont complètement mauvais, tous ne le
sont pas, comme le suggèrent les exemples des quatre chapitres précédents.
Ou du moins, tous les « piratages » ne sont pas mauvais, si ce terme prend le
sens de plus en plus utilisé actuellement. Beaucoup de sortes de « piratage »
sont utiles et productives, pour produire soit de nouveaux contenus, soit de
nouvelles façons de faire des affaires. Ni notre tradition, ni n’importe quelle


                                       65
tradition n’ont jamais interdit tous les « piratages » dans cette acception du
terme.
    Cela ne signifie pas qu’il n’y a aucune question levée par la dernière af-
faire de piratage en date : le partage de fichiers peer-to-peer. Mais cela si-
gnifie que nous devons comprendre un peu mieux le préjudice causé par le
peer-to-peer avant de le condamner à la potence, avec pour charge d’accu-
sation le piratage.
    Car, (1) comme Hollywood à ses débuts, le partage p2p s’émancipe d’une
industrie au contrôle excessif ; et (2) comme l’industrie du disque à ses dé-
buts, il exploite simplement une nouvelle façon de distribuer du contenu ;
(3) mais, à la différence de la télévision câblée, personne ne vend le contenu
qui est partagé sur les services p2p.
    Ces différences distinguent le partage p2p du vrai piratage. Elles de-
vraient nous pousser à trouver une façon de protéger les artistes tout en
permettant à ce partage de survivre.


                                Piratage II
    L’élément essentiel du « piratage » que la loi cherche à supprimer est une
utilisation qui « vole l’auteur [de son] bénéfice »73 . Cela veut dire que nous
devons déterminer, s’il y a lieu, quel est le préjudice causé par le partage p2p
avant de savoir dans quelle mesure la loi devrait l’empêcher ou trouver une
alternative pour garantir à l’auteur ses profits.
    Le Peer-to-peer a été rendu célèbre par Napster. Mais les inventeurs de
la technologie de Napster n’ont créé aucune innovation technologique ma-
jeure. Comme chaque grande avancée dans l’innovation sur Internet (et, pro-
bablement comme partout ailleurs74 ), Shawn Fanning et son équipe avaient
simplement réuni des composants qui avaient été développés indépendam-
ment.
    Le résultat a été une combustion spontanée. Lancé en juillet 1999, Naps-
ter a accumulé plus de 10 millions d’utilisateurs en neuf mois. Après dix-huit
mois, il y avait près de 80 millions d’utilisateurs enregistrés du système75 . Les
cours de justice ont rapidement fermé Napster, mais d’autres services sont
apparus pour le remplacer (Kazaa est actuellement le service de p2p le plus
populaire. Il se targue de plus de 100 millions de membres). Ces systèmes de
services ont des architectures différentes, bien que très proches au niveau
des fonctionnalités : chacun permet aux utilisateurs de rendre disponible un
contenu à un nombre quelconque d’autres utilisateurs. Avec un système p2p,
vous pouvez partager vos chansons préférées avec votre meilleur ami — ou
vos 20 000 meilleurs amis.
    D’après un certain nombre d’estimations, une proportion énorme d’amé-
ricains a goûté à la technologie du partage de fichiers. Une étude Ipsos-
Insight de septembre 2002 a évalué à 60 millions le nombre d’américains
qui ont téléchargé de la musique — 28 pour cent des américains plus âgés
que 12 ans76 . Un sondage du groupe NPD cité dans le New York Times a es-
timé que 43 millions de citoyens ont utilisé les réseaux de partage de fichiers


                                       66
pour faire des échanges en mai 200377 . La majorité d’entre eux n’était pas des
enfants. Quel que soit le chiffre réel, une quantité massive de données est
« tirée » de ces réseaux. La facilité et le caractère peu coûteux des réseaux
de partage de fichiers ont inspiré des millions de gens pour profiter de la
musique d’une manière nouvelle.
    Une part de cette nouveauté implique une infraction au copyright. Une
autre part non. Et même dans la partie qui constitue techniquement une
infraction, le calcul du préjudice réel causé au détenteur du copyright est
plus compliqué qu’on ne pourrait le penser. En effet, considérons — un peu
plus soigneusement que ne le font habituellement les orateurs partiaux de ce
débat — les différents types de partages possibles avec le partage de fichiers,
et les différents dommages que cela entraîne.
    Ceux qui partagent des fichiers partagent différents types de contenu.
On peut regrouper ces différents types en quatre catégories.
  A. Il y a ceux qui utilisent les réseaux de partage comme substitut à l’achat.
     Ainsi, quand un nouveau CD de Madonna est mis en vente dans le com-
     merce, plutôt que d’acheter le CD, ces utilisateurs le téléchargent tout
     simplement. Nous pourrions pinailler en nous demandant si, oui ou
     non, ceux qui se l’ont pris de cette manière l’auraient effectivement
     acheté si le partage ne l’avait mis à disposition gratuitement. La plu-
     part ne l’aurait probablement pas fait, mais il y a clairement certaines
     personnes qui l’auraient acheté. Ces derniers sont la cible de catégorie
     A : les utilisateurs qui téléchargent au lieu d’acheter.
  B. Il y a ceux qui utilisent les réseaux de partage pour avoir un échan-
     tillon de la musique qu’ils comptent acheter. Ainsi, un ami envoie à
     un autre ami un MP3 d’un artiste dont ce dernier n’a jamais entendu
     parler. L’autre ami achète alors le CD de l’artiste. C’est une sorte de pu-
     blicité ciblée, qui a relativement des chances de marcher. Si l’ami qui
     recommande l’album n’a rien à y gagner, alors on pourrait s’attendre à
     ce que les recommandations soient tout à fait bonnes. L’effet net de ce
     partage pourrait augmenter la quantité de musique achetée.
  C. Il y en a beaucoup qui utilisent les réseaux de partage pour avoir ac-
     cès à des contenus protégés par copyright qui ne sont plus vendus ou
     qu’ils n’auraient pas achetés parce que les coûts de transaction en de-
     hors d’Internet sont trop élevés. Cette utilisation des réseaux de par-
     tage est parmi la plus utile pour beaucoup. Les chansons qui bercèrent
     votre enfance, mais qui ont depuis longtemps disparu du marché ap-
     paraissent magiquement de nouveau sur le réseau (une amie m’a dit
     que quand elle a découvert Napster, elle a passé un week-end entier à
     « récupérer » de vieilles chansons. Elle a été stupéfiée par l’étendue et la
     variété des contenus qui étaient disponibles). Pour les œuvres non ven-
     dues, c’est toujours techniquement une infraction au copyright, bien
     que le détenteur du copyright ne vende désormais plus cette œuvre ;
     le préjudice économique est nul — c’est le même préjudice lorsque je
     vends ma collection de 45 tours des années 60 à un collectionneur lo-
     cal.


                                      67
  D. Enfin, il y en a beaucoup qui utilisent les réseaux de partage pour avoir
     accès à des éléments qui ne sont pas protégés par copyright ou que le
     détenteur du copyright veut donner.
Dans quelles proportions pèsent ces différents types de partage ?
    Commençons par quelques points simples mais importants. Du point de
vue de la loi, seul le partage de type D est complètement légal. D’un point de
vue économique, seule la catégorie A est clairement préjudiciable78 . Le type
de partage B est illégal, mais pleinement bénéfique. Le type C est illégal, et
pourtant bénéfique à la société (puisque l’engouement pour la musique est
bon) et bénin pour l’artiste (puisque son œuvre n’est pas disponible autre-
ment). Ainsi, en fin de compte, évaluer l’impact du partage est une question
à laquelle il est difficile de répondre — et certainement beaucoup plus diffi-
cile que ne le prétend la rhétorique actuelle.
    L’importance de la nuisance occasionnée par le partage dépend forte-
ment du degré de nuisance du partage de type A. De même qu’Edison s’est
plaint de Hollywood, que les compositeurs se sont plaints des rouleaux de
piano pneumatique, que les interprètes se sont plaints de la radio, et que la
télévision hertzienne s’est plainte de la télévision par câble, l’industrie de la
musique se plaint que le partage de type A est une sorte de « vol » qui « dé-
vaste » l’industrie.
    Même si les chiffres suggèrent vraiment que le partage est nuisible,
l’ordre de grandeur du préjudice est plus dur à estimer. Cela a longtemps été
la pratique de l’industrie du disque de blâmer la technologie à la moindre
baisse des ventes. L’histoire de l’enregistrement sur cassette est un bon
exemple. Comme le montre une étude menée par Cap Gemini Ernst &
Young, « Plutôt qu’exploiter cette technologie nouvelle et populaire, les mai-
sons de disque l’ont combattue »79 . Elles ont prétendu que chaque album en-
registré sur cassette était un album invendu, et quand des ventes de disques
ont chuté de 11,4 pour cent en 1981, l’industrie a prétendu que ce fait en
était ainsi la preuve. La technologie était le problème, et une technologie
permettant d’interdire ou de réglementer était la réponse.
    Pourtant, peu de temps après, et avant que le Congrès n’ait eu l’occasion
de voter une réglementation, MTV fut lancée et l’industrie connut un redres-
sement des ventes. « Au final », conclut Cap Gemini, « la “crise” […] n’était
pas due aux cassettes — qui ne disparurent pas après l’apparition de MTV —
mais résultait en grande partie de l’absence d’innovation musicale chez les
majors du disque »80 .
    Mais le fait que l’industrie se soit trompée par le passé ne signifie pas
qu’elle se trompe aujourd’hui. Pour évaluer la menace réelle que le partage
p2p représente pour l’industrie du disque en particulier, et pour la société
en général — ou tout du moins la société qui hérite de la tradition laissée
par l’industrie cinématographique, l’industrie du disque, l’industrie radio-
phonique, la télévision par câble, et le magnétoscope — la question n’est pas
simplement de savoir si le partage de type A est nuisible ou pas. La question
est aussi de savoir dans quelle mesure ce type de partage est nuisible et dans
quelle mesure les autres types sont bénéfiques.
    Commençons à répondre à cette question en nous concentrant sur le


                                      68
préjudice net, du point de vue de l’industrie en général, causé par les réseaux
de partage. « Le préjudice net » porté à l’industrie dans son ensemble est la
quantité de partage de type A qui excède le type B. Si les maisons de disque
vendent plus de disques grâce aux échantillons qu’elles n’en perdent à cause
des substitutions, alors en fin de compte les réseaux de partage profitent
aux entreprises de musique. Dans ce cas elles auraient donc peu de raisons
valables de leur résister.
     Cela pourrait-il être vrai ? L’industrie dans son ensemble pourrait-elle
tirer profit du partage de fichiers ? Aussi étrange que cela puisse paraître, les
statistiques de ventes de CDs suggèrent que ça pourrait l’être dans un futur
proche.
     En 2002, la RIAA a annoncé que les ventes de CD avaient chuté de
8,9 pour cent, passant de 882 millions à 803 millions d’unités ; les revenus
ont baissé 6,7 pour cent81 . Cela confirme la tendance de ces dernières an-
nées. La RIAA accuse le piratage par Internet d’être à l’origine de cette ten-
dance, alors qu’il y a beaucoup d’autres causes qui pourraient expliquer cette
baisse. SoundScan, par exemple, signale une chute de plus de 20 pour cent
du nombre de CDs sortis depuis 1999. Cela explique sans doute une part
de la diminution des ventes. L’augmentation des prix pourrait expliquer au
moins une partie des pertes. « De 1999 à 2001, le prix moyen d’un CD est
monté 7,2 pour cent, passant de 13,04 dollars à 14,19 dollars »82 . La concur-
rence d’autres formes de média pourrait aussi expliquer une partie du déclin.
Comme le note Jane Black dans BusinessWeek, « la musique du film Haute Fi-
délité (High Fidelity) a un prix en catalogue de 18,98 dollars. Vous pourriez
obtenir le film entier [sur DVD] pour 19,99 dollars »83 .
     Mais supposons que la RIAA ait raison et que toute la baisse des ventes
de CD soit imputable au partage sur Internet. Voici le hic : dans la même
période que celle où la RIAA évalue à 803 millions les CDs vendus, la RIAA
estime que 2,1 milliards de CDs ont été téléchargés gratuitement. Ainsi, bien
que 2,6 fois le nombre total de CDs vendus ait été téléchargé gratuitement,
le revenu des ventes n’a chuté que de 6,7 pour cent.
     Il y a trop de choses différentes qui sont arrivées en même temps pour
pouvoir expliquer ces chiffres de façon définitive, mais une conclusion est
inévitable : l’industrie du disque demande constamment, « Quelle est la dif-
férence entre le téléchargement d’une chanson et le vol d’un CD ? », alors
que leurs propres chiffres révèlent la différence. Si je vole un CD, alors il y a
un CD de moins à vendre. Chaque prélèvement est une vente perdue. Mais
sur la base des chiffres que la RIAA fournit, il est absolument clair que le
même principe n’est pas valable pour le téléchargement. Si chaque téléchar-
gement était une vente perdue — si chaque utilisation de Kazaa « vol[ait]
l’auteur de [son] bénéfice » — alors l’industrie aurait souffert d’une baisse
des ventes de 100 pour cent l’année dernière, et non une baisse de 7 pour
cent. Si 2,6 fois le nombre de CDs vendus ont été téléchargés gratuitement,
et que pourtant les recettes des ventes n’ont baissé que de 6,7 pour cent, alors
il y a réellement une différence énorme entre « télécharger une chanson » et
« voler un CD ».
     Ce sont les préjudices — allégués et peut-être exagérés mais, supposons-


                                       69
le, réels. Qu’en est-il des bénéfices ? Le partage de fichier impose peut-être
des coûts à l’industrie du disque. Quelle valeur produit-il en dehors de ces
coûts ?
     Le partage de type C est bénéfique — rendre disponible quelque chose
qui est techniquement sous copyright mais qui n’est plus commercialisé.
Cela ne représente pas une petite catégorie d’œuvres. Il y a des millions de
chansons qui ne sont plus commercialisées84 . Et même si on peut envisager
que certaines œuvres ne sont plus disponibles parce que les artistes qui les
produisent le souhaitent ainsi, la grande majorité n’est plus commercialisée
uniquement parce que l’éditeur ou le distributeur a décidé que cela n’avait
plus d’intérêt économique pour l’entreprise de le faire.
     Dans l’espace réel — bien avant Internet — le marché avait une réponse
simple à ce problème : les magasins de livres et de CDs d’occasion. Il y a des
milliers de tels dépôts en Amérique aujourd’hui85 . Ces magasins achètent les
œuvres à des propriétaires, et les vendent ensuite. Et conformément à la loi
du copyright américaine, quand ils achètent et vendent ces œuvres, même si
elles sont toujours sous copyright, le détenteur du copyright n’obtient pas un
centime. Les magasins de livres et de CDs d’occasion sont des entités com-
merciales ; qui gagnent de l’argent des œuvres qu’ils vendent ; mais comme
pour les sociétés du câble avant les licences statutaires, ils ne doivent pas
payer le détenteur du copyright pour le contenu qu’ils vendent.
     Le partage de type C, alors, ressemble beaucoup aux magasins de livres
ou de CDs d’occasion. C’est différent, bien sûr, parce que la personne qui
met à disposition le contenu n’en tire pas un revenu. C’est aussi différent,
bien sûr, parce que dans le monde réel, quand je vends un CD, je ne l’ai plus
désormais, alors que dans le monde virtuel, quand quelqu’un partage mon
enregistrement de 1949 de Bernstein « Deux Chansons d’Amour » (Two Love
Songs), je l’ai toujours. Cette différence aurait une importance économique si
le détenteur du copyright de 1949 vendait le CD en concurrence avec mon
partage. Mais nous parlons de la classe des œuvres qui ne sont plus commer-
cialisées actuellement. Internet le rend disponible, par le partage coopératif,
sans rivaliser avec le marché.
     Il se pourrait bien, toute chose considérée, qu’il soit préférable que le dé-
tenteur du copyright reçoive quelque chose de ce commerce. Mais le simple
fait de pouvoir faire mieux n’implique pas qu’il faudrait interdire les maga-
sins de livres d’occasion. Présenté différemment, si vous pensez que le type
de partage C devrait être arrêté, pensez-vous que les bibliothèques et les ma-
gasins de livres d’occasion devraient être fermés aussi ?
     Enfin, et peut-être surtout, les réseaux de partage de fichiers permettent
au partage de type D d’exister — le partage de contenus que les détenteurs du
copyright veulent voir partagés ou pour lesquels il n’y a plus de copyright en
cours. Ce partage rend clairement service aux auteurs et à la société. L’auteur
de science-fiction Cory Doctorow, par exemple, a sorti son premier roman
Down and Out in the Magic Kingdom à la fois en librairie et en version téléchar-
geable gratuitement le même jour. Son calcul (et celui de son éditeur) était
que la version en ligne ferait une belle publicité pour le livre « réel ». Les gens
en liraient une partie en ligne, et s’en feraient une opinion. S’ils l’aimaient,


                                       70
alors ils seraient plus susceptibles de l’acheter. L’œuvre de Doctorow est de
type D. Si les réseaux de partage permettent de diffuser son œuvre, alors lui
et la société en ressortent gagnants (en réalité, bien plus que gagnants : c’est
un grand livre !).
    De même pour les œuvres mises dans le domaine public : ce partage
bénéficie à la société sans aucun préjudice légal aux auteurs. Si des efforts
pour résoudre le problème du partage du type A, faits pour protéger ce type
d’œuvres, détruisent la possibilité du partage de type D, alors nous perdrons
quelque chose d’important.
    La question dans l’ensemble est la suivante : tandis que l’industrie du
disque dit, de façon compréhensible, « Voilà combien nous avons perdu »,
on doit aussi demander « Dans quelle mesure la société a-t-elle tiré profit
du partage p2p ? Quelle est la rentabilité ? Quelles sont les œuvres qui se-
raient autrement indisponibles ? »
    Car contrairement au piratage décrit dans la première section de ce cha-
pitre, une part importante du « piratage » par partage de fichiers est totale-
ment légal et bénéfique. Et comme le piratage que j’ai décrit dans le chapitre
4 (p. 55), ce piratage est en grande partie motivé par une nouvelle façon de
diffuser les contenus, liée aux évolutions des technologies de distribution.
Ainsi, en cohérence avec la tradition qui nous a donné Hollywood, la radio,
l’industrie du disque, et la télévision câblée, la question à se poser à propos
du partage de fichiers est comment préserver au mieux ses bienfaits tout
en minimisant (autant que possible) le préjudice injustifié qu’il cause aux ar-
tistes. C’est une question d’équilibre. La loi devrait chercher cet équilibre et
cet équilibre sera trouvé seulement avec le temps.
    « Mais cette guerre ne vise-t-elle pas uniquement le partage illégal ? La
cible n’est-elle pas juste ce que vous appelez le partage de type A ? »
    Vous pourriez le penser. Et nous devrions l’espérer. Mais jusqu’ici, il n’en
est rien. L’effet de la guerre prétendument ciblée sur le partage de type A uni-
quement est ressenti bien au-delà de cette seule catégorie de partage. C’est
plus évident dans le cas de Napster lui-même. Quand Napster dit à la cour fé-
dérale qu’il avait développé une technologie pour bloquer le transfert de 99,4
pour cent des données identifiées en infraction, la cour fédérale répondit à
la défense de Napster que 99,4 pour cent n’étaient pas suffisants. Napster
devait amener le nombre d’infractions « à zéro »86 .
    Si 99,4 pour cent ne sont pas suffisants, alors c’est une guerre aux tech-
nologies de partage de fichiers, et non une guerre contre les infractions au
copyright. Il n’y a aucun moyen d’assurer qu’un système de p2p est utilisé à
100 pour cent du temps conformément à la loi, pas plus qu’il n’y a de façon
de garantir que 100 pour cent des magnétoscopes ou 100 pour cent des ma-
chines de Xerox ou 100 pour cent des pistolets sont utilisés en accord avec
la loi. La tolérance zéro signifie zéro p2p. L’arrêt du tribunal signifie que
nous, en tant que société, devons perdre les bienfaits du p2p, même pour les
utilisations totalement légales et bénéfiques qu’il dessert, simplement pour
garantir qu’il y a zéro infraction au copyright causée par le p2p.
    La tolérance zéro ne fait par partie de notre histoire. Elle n’a pas produit
l’industrie du contenu que nous connaissons aujourd’hui. L’histoire de la loi


                                      71
américaine est une recherche d’équilibre. Quand de nouvelles technologies
modifiaient la façon de distribuer du contenu, la loi s’ajustait, après quelque
temps, à la nouvelle technologie. Dans cet ajustement, la loi cherchait à pré-
server les droits légitimes des créateurs tout en protégeant l’innovation. Par-
fois, cela a signifié plus de droits pour les créateurs. Parfois moins.
    Donc, comme nous l’avons vu, quand la « reproduction mécanique » a
menacé les intérêts des compositeurs, le Congrès a concilié les droits des
compositeurs et les intérêts de l’industrie du disque. Il a accordé des droits
aux compositeurs, mais aussi aux interprètes : les compositeurs devaient
être payés, mais à un prix fixé par le Congrès. Mais quand la radio a com-
mencé à passer les enregistrements des interprètes, et qu’ils se sont plaints
au Congrès que leur « propriété de création » n’était pas respectée (puisque
la station de radio ne devait pas les payer pour la création qu’elle diffusait),
le Congrès a rejeté leur revendication. Un avantage indirect était suffisant.
    La télévision par câble a suivi le modèle des disques. Quand les tribu-
naux ont rejeté la plainte demandant que les chaînes du câble payent pour le
contenu qu’elles rediffusaient, le Congrès a répondu en donnant aux chaînes
un droit à une contrepartie, mais à un niveau fixé par la loi. Il a de la même
façon donné aux sociétés du câble le droit du contenu, tant qu’elles payaient
le prix statutaire.
    Ce compromis, comme le compromis concernant les disques et les pia-
nos mécaniques, a servi deux buts importants — en fait, les deux buts essen-
tiels de toute législation sur le copyright. Premièrement, la loi assurait que
les nouveaux innovateurs auraient la liberté de développer de nouvelles fa-
çons de distribuer du contenu. Deuxièmement, la loi assurait que les déten-
teurs de copyright seraient payés pour le contenu qui était distribué. Une
crainte était que si le Congrès obligeait simplement la télévision par câble
à payer les détenteurs de copyright quelle que soit leur exigence pour ces
contenus, alors ces détenteurs associés aux chaînes utiliseraient leur pou-
voir pour étouffer cette nouvelle technologie, le câble. Mais si le Congrès
avait permis au câble d’utiliser le contenu des chaînes gratuitement, alors il
aurait injustement subventionné le câble. Ainsi le Congrès a choisi une ligne
qui assurerait une contrepartie sans donner au passé (les chaînes hertziennes)
le contrôle sur le futur (le câble).
    La même année où le Congrès établit cet équilibre, deux producteurs et
distributeurs principaux de films intentèrent un procès contre une autre
technologie, l’enregistreur de bande vidéo (maintenant appelé magnéto-
scope) que Sony avait produit : le Betamax. Le motif de la plainte de Disney
et Universal contre Sony était relativement simple : Sony produisait un ap-
pareil, selon Disney et Universal, qui permettait aux consommateurs de se
livrer à une infraction au copyright. Parce que l’appareil de Sony avait un
bouton « enregistrer », l’appareil pourrait être utilisé pour enregistrer des
films et des spectacles protégés par copyright. Sony profitait donc de l’infrac-
tion au copyright de ses clients. Il devrait donc, d’après la plainte de Disney
et Universal, être partiellement tenu responsable de cette infraction.
    La plainte de Disney et Universal avait quelque fondement. Sony avait
vraiment décidé de concevoir sa machine pour pouvoir enregistrer très sim-


                                      72
plement des émissions télévisées. Il aurait pu construire une machine qui
bloque ou interdise la copie directe d’une émission de télévision. Ou proba-
blement, il aurait pu construire une machine que ne puisse copier que s’il
y avait un signal spécial « Copiez-moi » sur la ligne. Il était clair que beau-
coup d’émissions télévisées n’auraient pas accordé la permission de copier.
En effet, si quelqu’un avait demandé, la majorité des émissions n’aurait sans
doute pas autorisé la copie. Et face à cette préférence évidente, Sony aurait
pu concevoir son système pour réduire au minimum les possibilités d’infrac-
tion au copyright. Il ne l’a pas fait, et pour cela, Disney et Universal voulaient
le tenir responsable de ses choix d’architecture.
    Le président de MPAA, Jack Valenti, est devenu le défenseur le plus lo-
quace des studios. Valenti a appelé les magnétoscopes les « vers de cassettes »
[NdT : littéralement les « vers solitaires »]. Il a averti « Quand il y aura 20,
30, 40 millions de ces magnétoscopes sur la terre, nous serons envahis par
des millions de ces “vers solitaires”, rongeant le cœur et l’essence même du
capital le plus précieux qu’un détenteur de copyright a, son copyright »87 .
« On n’a pas besoin d’être formé au marketing sophistiqué et au jugement in-
ventif », dit-il au Congrès, « pour comprendre la dévastation sur le marché
cinématographique causée par des centaines de millions d’enregistrements
qui auront un impact défavorable sur l’avenir de la communauté créatrice
dans ce pays. C’est simplement une question d’économie de base et d’un bon
sens total »88 . En effet, comme des sondages le montreraient plus tard, 45
pour cent des propriétaires de magnétoscope auraient une bibliothèque de
films de dix vidéos ou plus89 — une utilisation que la Cour considérerait
plus tard comme non « acceptable ». En « autorisant les possesseurs de ma-
gnétoscope à copier librement par le biais d’une exemption aux infractions
de copyright sans créer un mécanisme pour indemniser des détenteurs de
copyright », témoigna Valenti, le Congrès « prendrait aux propriétaires l’es-
sence même de leur propriété : le droit exclusif de contrôler qui peut utiliser
leur œuvre, c’est-à-dire qui peut la copier et qui profite ainsi de sa reproduc-
tion »90 .
    Cela a pris huit ans pour que ce cas soit résolu par la Cour suprême. Dans
l’intervalle, la neuvième cour d’appel régionale, qui inclut Hollywood dans
sa juridiction — le Juge principal Alex Kozinski, qui siège à cette cour, s’y
réfère comme « le Circuit de Hollywood » — a tenu à ce que Sony soit res-
ponsable de l’infraction du copyright rendu possible par ses machines. En
vertu du décret de la neuvième cour, cette technologie totalement familière
— que Jack Valenti avait appelé « l’Égorgeur de Boston de l’industrie cinéma-
tographique américaine » (pire encore, c’était un Égorgeur de Boston japo-
nais de l’industrie cinématographique américaine) — était une technologie
illégale91 .
    Mais la Cour suprême renversa la décision de la neuvième cour d’appel.
Et dans son revirement, la Cour expliqua clairement son interprétation sur
quand et si les tribunaux devaient intervenir dans de tels différends. Comme
la Cour l’écrivit :
      Une politique raisonnée, aussi bien que l’histoire, soutient notre
      respect constant du Congrès quand des innovations technolo-


                                       73
     giques majeures modifient le marché des éléments protégés par
     copyright. Le congrès a l’autorité constitutionnelle et la capacité
     institutionnelle d’accommoder entièrement les diverses combi-
     naisons des intérêts rivaux qui sont inévitablement impliqués par
     de telles technologies nouvelles92 .
Il a été demandé au congrès de répondre à la décision de la Cour suprême.
Mais comme pour la requête des artistes interprètes à propos des émissions
radiophoniques, le Congrès rejeta la demande. Le congrès était convaincu
que le film américain en avait assez, en dépit de ce « vol ». Si nous plaçons
ces cas ensembles, un schéma apparaît clairement :

                                          RÉPONSE
                     QUI A ÉTAIT                          RÉPONSE DU
  CAS                                     DES
                     « PIRATÉ »                           CONGRÈS
                                          TRIBUNAUX
                                          Pas de
  Enregistrements Compositeurs                            Licence légale
                                          protection
                     Artistes
  Radio                                   N/A             Rien
                     interprètes
  Télévision par                          Pas de
                     Diffuseurs                           Licence légale
  câble                                   protection
                     Créateurs de         Pas de
  Magnétoscopes                                           Rien
                     films                protection

    Dans chaque cas à travers notre histoire, une nouvelle technologie a
changé la façon dont les contenus étaient distribués93 . Dans chaque cas, tout
au long de notre histoire, ce changement a signifié que quelqu’un a obtenu
un « tour gratuit » sur le travail de quelqu’un d’autre.
    Dans aucun de ces cas, ni les tribunaux, ni le Congrès n’ont supprimé tous
ces tours gratuits. Dans aucun de ces cas, ni les tribunaux, ni le Congrès ne
demandèrent que la loi garantisse au détenteur du copyright d’avoir toute
la valeur de son copyright. Dans chaque cas, les détenteurs de copyright se
sont plaints de ce « piratage ». Dans chaque cas, le Congrès a pris des me-
sures pour reconnaître une part de légitimité dans le comportement des « pi-
rates ». Dans chaque cas, le Congrès a permis à quelque nouvelle technologie
de profiter des contenus faits auparavant. Il a équilibré les intérêts en jeu.
    Quand vous réfléchissez à tous ces exemples et aux autres exemples qui
composent les quatre premiers chapitres de cette partie, cet équilibre a du
sens. Est-ce que Walt Disney était un pirate ? Les Doujinshi seraient-ils
meilleurs si leurs créateurs devaient demander la permission ? Les outils qui
permettent aux autres de capter et de diffuser des images comme moyen de
cultiver ou de critiquer notre culture devraient-ils être mieux réglementés ?
Est-il vraiment juste que fabriquer un moteur de recherche vous expose à
15 millions de dollars de dommages et intérêts ? Cela aurait-il été mieux si
Edison avait contrôlé le cinéma ? Chaque orchestre devrait-il faire appel à
un avocat pour obtenir la permission d’enregistrer une chanson ?
    Nous pourrions répondre oui à chacune de ces questions, mais notre tra-
dition a répondu non. Dans notre tradition, comme la Cour suprême l’a af-


                                     74
firmé, le copyright « n’a jamais accordé à son détenteur le contrôle complet
de toutes les utilisations possibles de son œuvre »94 . Au lieu de cela, les utili-
sations particulières que la loi réglemente ont été définies en équilibrant l’in-
térêt d’un droit exclusif, et les contraintes qui en découlent. Et, historique-
ment, cet équilibrage a été fait après qu’une technologie ait mûri, ou participe
à un ensemble de technologies qui facilitent la distribution des contenus.
     Nous devrions faire la même chose aujourd’hui. La technologie d’Inter-
net évolue rapidement. La manière dont les gens se connectent à Internet
(filaire et sans-fil) évolue très rapidement. Sans doute le réseau ne devrait-il
pas devenir un instrument pour « voler » les artistes. Mais la loi ne devrait
pas non plus devenir un instrument pour consacrer un modèle particulier
de financement des artistes (ou plus exactement des distributeurs). Comme
je le décris en détail dans le dernier chapitre de ce livre, nous devrions ga-
rantir un revenu aux artistes tout en permettant au marché de sécuriser le
moyen le plus efficace de promouvoir et de distribuer le contenu. Cela né-
cessitera des changements de loi, au moins de façon transitoire. Ces change-
ments devraient être faits de façon à équilibrer la protection de la loi et la
forte contribution à l’intérêt général que continue d’apporter l’innovation.
     C’est particulièrement vrai quand une nouvelle technologie offre un
mode de distribution largement supérieur. Et c’est ce qu’offre le p2p. Les
technologies du p2p peuvent être idéales pour déplacer efficacement des
contenus à travers un réseau très divers. Si on les laissait se développer,
elles pourraient rendre le réseau bien plus efficace. Pourtant ces « bienfaits
publics potentiels », comme l’écrit John Schwartz dans le New-York Times,
« pourraient être retardés à cause du combat contre le P2P »95 .
     Pourtant quand quelqu’un commence à parler d’« équilibre », les guer-
riers du copyright soulèvent un argument différent. « Tout ce brassage d’air
sur l’équilibre et les incitations », disent-ils, « ignore un point fondamen-
tal. Notre contenu », insistent les guerriers, « est notre propriété. Pourquoi
devrions-nous attendre le Congrès pour “rééquilibrer” nos droits de pro-
priété ? Devez-vous attendre avant d’appeler la police quand votre voiture
a été volée ? Et pourquoi le Congrès devrait-il délibérer des mérites de ce
vol ? Se demande-t-on si le voleur a fait bon usage de la voiture volée avant
de l’arrêter ? »
     « C’est notre propriété » insistent les guerriers. « Et elle devrait être proté-
gée comme n’importe quelle autre propriété ».




                                        75
76
Deuxième partie

« Propriété »




      77
    Les guerriers du copyright ont raison : un copyright est une forme de
propriété. Il peut être détenu et vendu, et la loi protège contre son vol. En
général, le détenteur d’un copyright peut choisir de l’exercer au prix qu’il lui
plaît. Les marchés font jouer l’offre et la demande, qui déterminent en partie
le prix qu’il peut en obtenir.
    Mais, en langage ordinaire, appeler un copyright une « propriété » est un
peu trompeur, car la propriété liée au copyright est d’un type bien singulier.
En effet, l’idée même de posséder une idée ou une expression est très étrange.
Je sais ce que je prends si je prends la table de pique-nique que vous avez mise
au fond de votre jardin. Je prends un objet, la table de pique-nique, et une
fois que je l’ai prise, vous ne l’avez plus. Mais qu’est-ce que je prends, si je
prends la bonne idée que vous avez eue de mettre une table de pique-nique
dans votre jardin — par exemple, en allant acheter une table chez Sears, et
en la mettant au fond de mon jardin ? Quelle est dans ce cas la chose que je
prends ?
    La différence ne tient pas seulement au fait que les tables de pique-nique
sont des objets physiques et non pas des idées, même si c’est une différence
importante. La différence tient au fait que dans la plupart des cas — en fait,
dans pratiquement tous les cas sauf pour un nombre restreint d’exceptions
— les idées sont libres. Je ne vous prends rien si je copie votre manière de
vous habiller — bien que je risque de passer pour quelqu’un de bizarre si je
le fais tous les jours, surtout si vous êtes une femme. Au contraire, comme
disait Thomas Jefferson (et ceci est particulièrement vrai si je copie la ma-
nière dont quelqu’un s’habille), « Celui qui reçoit une idée de moi, reçoit
une instruction sans diminuer la mienne ; de même que celui qui allume sa
chandelle à la mienne, reçoit de la lumière sans me faire de l’ombre »96 .
    Les exceptions à l’utilisation libre concernent les idées et expressions
couvertes par la loi des brevets et du copyright, et quelques autres cas que je
n’aborderai pas ici. Dans ce cas la loi stipule que vous ne pouvez pas prendre
mon idée ou expression sans ma permission : la loi transforme l’impalpable
en propriété.
    Mais comment, jusqu’à quel point, et sous quelle forme — les détails, en
d’autres termes — ont ici leur importance. Afin de bien comprendre com-
ment est apparu cet exercice de transformation de l’impalpable en propriété,
il nous faut replacer cette « propriété » dans son contexte.97
    Pour cela, ma stratégie sera la même que dans la partie précédente. Je pro-
pose quatre anecdotes, afin d’aider à replacer dans son contexte l’idée que
« le copyright est une propriété ». D’où cette idée est-elle venue ? Quelles
sont ses limites ? Comment s’applique-t-elle en pratique ? Après ces anec-
dotes, le sens de cette assertion — « le copyright est une propriété » — sera
un peu plus clair, et ses implications apparaîtront bien différentes de celles
que les guerriers du copyright voudraient bien nous le faire accepter.




                                      79
80
                               Fondateurs


     William Shakespeare a écrit Roméo et Juliette en 1595. La pièce fut pu-
bliée pour la première fois en 1597. C’était la onzième grande pièce de
théâtre écrite par Shakespeare. Il continua d’écrire des pièces jusqu’en 1613,
et les pièces qu’il a écrites ont défini depuis lors la culture anglo-américaine.
Les œuvres de cet écrivain du seizième siècle ont imprégné notre culture
si profondément que souvent nous n’en reconnaissons même plus l’origine.
J’ai entendu un jour quelqu’un faire ce commentaire au sujet de l’adaptation
de Henri V par Kenneth Branagh : « J’ai aimé, mais Shakespeare contient tel-
lement de clichés ».
     En 1774, presque 180 ans après que Roméo et Juliette fut écrit, beaucoup
considéraient encore que le « copy-right » était le droit exclusif d’un unique
éditeur londonien, Jacob Tonson98 . Tonson était le plus en vue d’un petit
groupe d’éditeurs appelé les Conger99 qui contrôlaient les ventes de livres
en Angleterre au dix-huitième siècle. Les Conger prétendaient avoir un droit
perpétuel de contrôler la « copie » de livres qu’ils avaient acquis auprès de
leurs auteurs. Ce droit perpétuel signifiait que personne d’autre ne pouvait
publier de copies d’un livre dont ils détenaient les droits. Les classiques
étaient maintenus à des prix élevés : la concurrence, qui aurait pu produire
des éditions meilleures ou moins chères, était éliminée.
     Maintenant, l’année 1774 a quelque chose d’étonnant, pour qui s’y
connaît un peu en loi sur le droit d’auteur. L’année la plus connue dans l’his-
toire du droit d’auteur est 1710, année où le Parlement anglais adopta la pre-
mière loi de « copyright ». Connue sous le nom de Statut d’Anne, cette loi
stipulait que tout travail publié serait placé sous copyright pour quatorze an-
nées, renouvelables une fois si l’auteur était vivant, et que tout travail publié
avant 1710 serait protégé pour une durée additionnelle unique de vingt-et-
une années100 . Selon cette loi, Roméo et Juliette aurait dû être libre de droits
en 1731. Pourquoi, dans ce cas, la question de savoir s’il était sous le contrôle
de Tonson se posait-elle toujours en 1774 ?
     La raison est que les Anglais ne s’étaient pas encore mis d’accord sur ce
qu’était un « copyright » — en fait personne ne l’avait fait. À l’époque où les
Anglais passaient le Statut d’Anne, il n’y avait aucune autre législation gou-
vernant le droit d’auteur. La dernière loi réglementant l’activité des éditeurs,
le Licensing Act de 1662, avait expiré en 1695. Cette loi donnait aux éditeurs
un monopole sur la publication, afin de faciliter le contrôle de ce qui était pu-
blié par la Couronne. Mais après son expiration, il n’y avait pas de loi positive
qui réservait aux éditeurs, ou « Imprimeurs », un droit exclusif d’imprimer


                                      81
des livres.
    Qu’il n’y ait pas eu de loi positive ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de
loi du tout. La tradition légale anglo-américaine tient compte à la fois des
législateurs et des jurisprudences, afin de savoir quelles lois doivent gouver-
ner les comportements. Nous appelons « loi positive » les lois passées par le
législateur. Nous appelons « loi commune » les jurisprudences. La loi com-
mune définit le cadre dans lequel le législateur passe ses lois. Le législateur,
d’ordinaire, ne peut sortir de ce cadre que s’il passe une loi pour en changer.
Et donc la vraie question, une fois que le statut avait expiré, était de savoir si
la loi commune pouvait protéger un copyright, indépendamment de toute
loi positive.
    Cette question était importante pour les éditeurs, ou « libraires »,
comme ils étaient appelés, car il y avait une concurrence croissante de la
part d’éditeurs étrangers. Les Écossais, en particulier, publiaient et expor-
taient de plus en plus de livres vers l’Angleterre. Cette concurrence réduisait
les profits des Conger, qui réagirent en demandant au Parlement de passer
une loi qui leur donne à nouveau le contrôle exclusif de la publication. Cette
demande aboutit finalement au Statut d’Anne.
    Le Statut d’Anne accordait à l’auteur ou au « propriétaire » d’un livre le
droit exclusif d’imprimer ce livre. Cependant, au désespoir des libraires, une
limitation importante était que la loi n’accordait ce droit au libraire que pour
une durée limitée. À la fin de cette durée, le copyright « expirait », et l’œuvre
devenait libre et pouvait être publiée par n’importe qui. Ou du moins, il
semble que c’est ce que le législateur croyait.
    Maintenant, la question à laquelle je souhaite que vous réfléchissiez un
moment est la suivante : Pourquoi le Parlement avait-il limité ce droit exclu-
sif ? La question n’est pas comment la limite fut choisie, mais pourquoi cette
limite existait-elle ?
    Car les éditeurs, et les auteurs qu’ils représentaient, avaient un argument
très fort. Prenons par exemple Roméo et Juliette : Cette pièce a été écrite par
Shakespeare. C’est son seul génie qui lui a donné naissance. En créant cette
pièce, il n’a pris la propriété de personne (c’est une affirmation controversée,
mais passons), pas plus qu’il n’a rendu plus difficile la création de pièces par
d’autres. Pourquoi donc la loi autorise-t-elle quelqu’un à prendre un jour la
pièce de Shakespeare, sans sa permission ni celle d’un de ses agents ? Quelle
raison y a-t-il à laisser quelqu’un d’autre « voler » le travail de Shakespeare ?
    La réponse tient en deux parties. Premièrement, il nous faut savoir
quelque chose de spécial concernant la notion de « copyright » qui exis-
tait au temps du Statut d’Anne. Deuxièmement, nous devons comprendre
quelque chose d’important au sujet de ces « libraires ».
    Premièrement, au sujet du copyright. Au cours des trois cents dernières
années, nous n’avons cessé d’élargir le champ d’application du concept de
« droit d’auteur ». Mais en 1710, il ne s’agissait pas tant d’un concept que
d’un droit très particulier. Le droit d’auteur est né sous la forme d’un en-
semble d’interdictions très spécifiques : Il interdisait aux autres de repro-
duire un livre. En 1710, le « copy-right » était le droit d’utiliser une machine
particulière afin de répliquer une œuvre particulière. Il n’allait pas plus loin


                                       82
que ce droit très étroit. Il ne contrôlait pas la manière dont une œuvre pou-
vait être utilisée. Aujourd’hui ce droit comporte une longue liste de restric-
tions de la liberté des autres : il accorde à l’auteur le droit exclusif de copier,
le droit exclusif de distribuer, le droit exclusif d’exécuter, etc.
    Ainsi, par exemple, même si le copyright sur les œuvres de Shakespeare
était éternel, tout ce que cela aurait voulu dire au sens original du terme, c’est
que personne n’aurait pu rééditer une œuvre de Shakespeare sans la permis-
sion des ayants droit. Cela n’aurait en rien contrôlé, par exemple, la manière
dont cette œuvre aurait pu être jouée, le fait qu’on puisse la traduire, ou
que Kenneth Branagh soit autorisé à faire ses films. Le « copy-right » n’était
qu’un droit exclusif d’imprimer — rien de moins, bien sûr, mais aussi rien
de plus.
    Même ce droit limité était vu avec scepticisme par les Britanniques. Ces
derniers avaient eu une expérience longue et douloureuse des « droits exclu-
sifs », surtout ceux garantis par la Couronne. Les Anglais avaient connu une
guerre civile, en partie à cause de la pratique qu’avait la Couronne d’octroyer
des monopoles, surtout pour des œuvres qui existaient déjà. Le roi Henry
VIII avait octroyé une patente pour imprimer la Bible, et octroyé à Darcy le
monopole d’imprimer des cartes à jouer. Le parlement anglais commença à
résister à ces prérogatives de la Couronne. En 1656, il fit passer le Statut des
Monopoles, qui limitait les monopoles aux brevets pour les inventions nou-
velles. Et en 1710, le parlement était impatient de s’occuper du monopole
grandissant de l’édition.
    Ainsi le « copy-right ; droit de copie », vu comme un droit monopolis-
tique, était naturellement vu comme un droit qui devait être limité. (Aussi
convainquant que soit l’argument « ceci est ma propriété, et devrait le rester
pour toujours », essayez de rester convainquant en articulant « ceci est mon
monopole, et devrait le rester pour toujours ».) L’état protégeait les droits
exclusifs, mais seulement dans la mesure où la société en bénéficiait. Les An-
glais voyaient les dégâts qui résultaient des traitements de faveur ; ils avaient
passé une loi pour les faire cesser.
    Ensuite, à propos des libraires. Le problème n’était pas seulement que
le copyright était un monopole. Cela provenait aussi du fait que le mono-
pole était tenu par les libraires. De nos jours, ils nous semblent pittoresques
et inoffensifs. Ils n’étaient pas vus comme inoffensifs dans l’Angleterre du
dix-septième siècle. Les membres de la Congrégation étaient de plus en plus
vus comme des monopolistes de la pire espèce — des instruments de la ré-
pression de la couronne, vendant la liberté de l’Angleterre pour garantir leur
propre profit. Les attaques contre ces monopolistes étaient dures : Milton
les décrit comme des « vieux titulaires de brevets et accapareurs du marché
de la vente de livres » ; c’était « des hommes qui ne travaillent donc pas dans
une profession honnête, dans laquelle l’apprentissage est inutile »101 .
    Beaucoup croyaient que le pouvoir exercé par les libraires limitait la dif-
fusion du savoir, au moment même où les Lumières enseignaient l’impor-
tance de l’éducation et de la diffusion de la connaissance en général. L’idée
que la connaissance devait être libre fut un des jalons de l’époque, et ces puis-
sants intérêts commerciaux interféraient avec cette idée.


                                       83
    Pour contrecarrer ce pouvoir, le Parlement décida d’augmenter la
concurrence parmi les libraires, et la manière la plus facile de le faire fut
de favoriser la diffusion des livres les plus intéressants. Le Parlement dé-
cida donc de limiter la durée des copyrights et, par là même, garantit que
les livres de valeur pourraient être ouverts à la publication pour tous les li-
braires après un temps limité. La mise en place d’une durée de vingt et un
ans pour les œuvres existantes fut un compromis pour combattre la puis-
sance des libraires. La limitation des durées était un moyen indirect d’assu-
rer la concurrence entre éditeurs, et ainsi la construction et la diffusion de
la culture.
    Néanmoins, en 1731 (1710 + 21), les libraires prirent peur. Ils voyaient
les conséquences de plus de concurrence, et comme tout compétiteur, ils
n’aimaient pas ça. Ils commencèrent par ignorer le Statut d’Anne, en conti-
nuant d’insister sur leurs droits perpétuels de contrôle de la publication.
Mais en 1735 et 1737, ils tentèrent de persuader le Parlement de prolon-
ger leurs durées. Vingt et un ans ne leur suffisaient pas ; ils avaient besoin de
plus de temps.
    Le Parlement rejeta leurs requêtes. Ces mots d’un pamphlétaire de
l’époque font écho à la situation actuelle :
      Je ne vois aucune raison pour accorder une prolongation supplé-
      mentaire aujourd’hui, qui ne serait là que pour être prolongée
      encore et encore, au fur et à mesure que les durées précédentes
      expirent ; si cette loi devait passer, elle établirait de fait un mono-
      pole perpétuel, une chose justement odieuse au regard de la loi ;
      ce serait une grande entrave au commerce, un découragement de
      l’apprentissage, sans aucun bénéfice pour les auteurs mais un im-
      pôt général sur le public ; et tout ceci pour seulement augmenter
      les gains privés des libraires102 .
    Ayant échoué au Parlement, les éditeurs se tournèrent vers les tribunaux,
dans une série de procès. Leur argument était simple et direct : le Statut
d’Anne donnait aux auteurs certaines protections au travers d’une loi posi-
tive, mais ces protections n’étaient pas destinées à remplacer la loi commune.
Elles étaient destinées simplement à la compléter. Sous la loi commune, il
était déjà interdit de prendre la « propriété » de création d’une autre per-
sonne et de l’utiliser sans sa permission. Le Statut d’Anne n’y a rien changé,
dirent les libraires. C’est pourquoi, selon eux, lorsque le Statut d’Anne a ex-
piré, cela ne signifiait pas que les protections de la loi commune aient expiré :
selon cette loi, ils avaient le droit d’interdire la publication d’un livre, même
si le Statut d’Anne avait expiré. C’était, selon eux, la seule manière de proté-
ger les auteurs.
    C’était un argument astucieux, un de ceux qui avaient le soutien des prin-
cipaux juristes de l’époque. Il démontrait aussi une extraordinaire perver-
sité. Jusqu’alors, comme l’a écrit le professeur de droit Raymond Patterson,
« Les éditeurs […] avaient autant d’égards pour les auteurs qu’un fermier en
a pour son bétail. »103 Les libraires ne prêtaient aucune attention aux droits
des auteurs. Leur seule préoccupation était le profit monopolistique qu’ils
pouvaient tirer de leurs œuvres.


                                       84
    L’argument des libraires ne fut pas accepté sans lutte. Le principal pro-
tagoniste de cette lutte était un libraire écossais nommé Alexander Donald-
son.104
    Donaldson ne faisait pas partie des Conger de Londres. Il commença sa
carrière à Edimbourg en 1750. Son commerce était concentré sur les réédi-
tions bon marché d’« œuvres standard dont la durée de copyright avait ex-
piré », du moins selon le Statut d’Anne105 . La maison d’édition de Donald-
son prospéra et devint « quelque chose comme un centre pour écossais ins-
truits ». « Parmi eux », écrit le professeur Mark Rose, se trouvait « le jeune
James Boswell qui, avec son ami Andrew Erskine, publia avec Donaldson
une anthologie de poèmes écossais contemporains. »106
    Quand les libraires de Londres tentèrent de fermer la boutique de Do-
naldson en Écosse, il répliqua en déménageant sa boutique à Londres, où il
vendit des éditions bon marché « des livres anglais les plus populaires, en
défiance au supposé droit de la loi commune sur la Propriété Littéraire »107 .
Ses livres étaient 30 à 50 pour cent moins chers que ceux des Conger, et il
justifiait son droit de leur faire concurrence par le fait que, selon le Statut
d’Anne, les œuvres qu’il vendait n’étaient plus protégées.
    Les libraires de Londres donnèrent rapidement suite, afin d’empêcher un
tel « piratage ». Un certain nombre d’actions contre les « pirates » réussirent,
la plus importante victoire étant celle de Millar contre Taylor.
    Millar était un libraire, qui en 1729 avait acquis les droits du poème
« The Seasons » de James Thomson. Millar répondait aux exigences du Sta-
tut d’Anne, et reçut donc la protection complète prévue par le statut. Une
fois le copyright expiré, Robert Taylor commença à imprimer une édition
concurrente. Millar le poursuivit, arguant d’un droit perpétuel selon la loi
commune, quoi qu’en dise le Statut d’Anne108 .
    A l’étonnement des juristes modernes, un des plus grands juges de l’his-
toire anglaise, Lord Mansfield, approuva les libraires. Quelle que soit la pro-
tection accordée par le Statut d’Anne aux libraires, ce dernier n’annulait en
aucun cas les droits découlants de la loi commune. La question était de sa-
voir si la loi commune protégeait l’auteur contre les « pirates ». La réponse
de Mansfield fut oui : la loi commune empêchait Taylor de réimprimer le
poème de Thomson sans la permission de Millar. Cette loi commune don-
nait donc effectivement aux libraires un droit perpétuel de contrôler la pu-
blication de tout livre leur étant assigné.
    Pris comme un problème de justice abstraite, en raisonnant comme si la
justice n’était qu’affaire de déduction logique en partant de principes de base,
la conclusion de Mansfield peut sembler juste. Mais ce qu’elle ne prenait pas
en compte, c’était le problème plus vaste que le Parlement avait eu à résoudre
en 1710 : Comment limiter au mieux le monopole des éditeurs ? La stratégie
du Parlement avait été d’offrir une durée de protection pour les travaux exis-
tants qui était assez longue pour acheter la paix en 1710, mais assez courte
pour assurer que la culture passe dans le domaine de la concurrence au bout
d’un temps raisonnable. En vingt et un ans, pensait le Parlement, la Grande-
Bretagne passerait du système de culture contrôlée voulu par la Couronne,
à la culture libre dont nous avons hérité.


                                      85
     Cependant, le combat pour défendre les limites imposées par le Statut
d’Anne ne devait pas se terminer là, et c’est ici que Donaldson entre dans la
danse.
     Millar mourut peu après sa victoire, il ne fut donc pas fait appel. Son hé-
ritier vendit les poèmes de Thomson à une association d’imprimeurs, dont
Thomas Beckett faisait partie109 . Donaldson publia ensuite une édition non
autorisée des œuvres de Thomson. Beckett, fort de la décision prise dans
l’affaire Millar, obtint une injonction à l’encontre de Donaldson. Donaldson
fit appel devant la Chambre des Lords, qui fonctionnait comme notre Cour
Suprême. En février 1774, cette chambre eut l’occasion d’interpréter la si-
gnification des limites décidées par le Parlement soixante ans plus tôt.
     Fait plutôt rare en matière de loi, l’affaire Donaldson contre Beckett attira
une attention immense dans toute la Grande-Bretagne. Les avocats de Do-
naldson soutinrent que quels que soient les droits qui avaient pu exister sous
la loi commune, le Statut d’Anne les rendait obsolètes. Après l’adoption du
Statut d’Anne, la seule protection légale pour un droit exclusif de contrôler
une publication devait venir de ce statut. Donc, disaient-ils, une fois que la
durée spécifiée dans le Statut d’Anne était écoulée, les œuvres qui avaient été
protégées par ce statut n’étaient plus protégées.
     La Chambre des Lords était une institution étrange. Les questions légales
étaient soumises à la Chambre, et les « lords de la loi », membres d’une dis-
tinction judiciaire spéciale qui fonctionnait beaucoup comme les juges de
notre Cour Suprême, votaient en premier. Ensuite, une fois que les lords de
la loi avaient voté, la Chambre des Lords votait au complet.
     Les rapports sur le vote des lords de la loi sont mitigés. D’après certains,
il semble que le copyright perpétuel ait prévalu. Mais il n’y a pas d’ambiguïté
concernant le vote de la Chambre des Lords au complet. À une majorité des
deux tiers (22 contre 11), ils rejetèrent l’idée de copyrights perpétuels. Quelle
que soit la manière dont on interprétait la loi commune, un copyright était
maintenant fixé pour un temps limité, après lequel l’œuvre protégée par co-
pyright passait dans le domaine public.
     « Le domaine public. » Avant le procès Donaldson contre Beckett, il n’y avait
pas de notion claire de domaine public en Angleterre. Avant 1774, l’idée do-
minante était que la loi commune sur le copyright était perpétuelle. Après
1774, le domaine public était né. Pour la première fois dans l’histoire anglo-
américaine, le contrôle légal sur les créations expirait, et les plus grandes
œuvres de l’histoire anglaise, y compris celles de Shakespeare, Bacon, Mil-
ton, Johnson, et Bunyan, étaient libres de contraintes légales.
     C’est difficile à imaginer pour nous, mais cette décision de la Chambre
des Lords provoqua une réaction populaire et politique extraordinaire. En
Écosse, où la plupart des « éditeurs pirates » effectuaient leur travail, les gens
fêtèrent cette décision dans les rues. Comme le rapporta l’Edinburgh Adver-
tiser, « Aucune cause privée n’avait à ce point capté l’attention du public, et
aucune cause n’avait été défendue devant la Chambre des Lords dont l’issue
intéressait autant de gens ». « Grandes réjouissances à Edinburgh après la
victoire sur la propriété littéraire : feux de joie et illuminations »110 .
     A Londres, cependant, du moins parmi les éditeurs, la réaction fut aussi


                                       86
forte dans la direction opposée. Le Morning Chronicle rapporte :
      Par la décision précédente […] c’est une valeur d’environ 200 000
      livres de ce qui fut honnêtement acheté lors de ventes publiques,
      et qui était considéré hier comme de la propriété, est mainte-
      nant réduite à néant. Les libraires de Londres et de Westminster,
      qui pour beaucoup d’entre eux avaient vendu leurs biens et leurs
      maisons afin d’acheter des Copyrights, se retrouvent en quelque
      sorte ruinés, et ceux qui après plusieurs années de métier pen-
      saient avoir acquis une compétence à offrir à leur famille se re-
      trouvent sans un centime à offrir à leurs successeurs.111
    « Ruinés » est un peu exagéré. Mais il n’est pas exagéré de dire que le
changement fut profond. La décision de la Chambre des Lords signifiait que
les libraires ne pourraient plus contrôler la manière dont la culture se déve-
lopperait en Angleterre. Désormais, la culture en Angleterre était libre. Non
pas au sens où les droits d’auteur n’étaient pas respectés, car bien sûr, pour
une durée limitée suivant la publication d’une œuvre, le libraire avait le droit
exclusif de contrôler la publication de ce livre. Et non pas au sens où les livres
pouvaient être volés, car même après que le copyright avait expiré, il fallait
toujours acheter le livre à quelqu’un. Mais libre en ce sens que la culture et sa
croissance n’étaient plus contrôlés par un petit groupe d’éditeurs. Comme
tout marché libre, celui de la culture libre allait croître à partir des choix
des consommateurs et des producteurs. La culture anglaise se développe-
rait en fonction des choix des nombreux lecteurs anglais — choix des livres
qu’ils achetaient et écrivaient, choix des idées qu’ils répétaient et adoptaient.
Ils choisissaient dans un cadre concurrentiel, et non pas dans un cadre où les
choix concernant quelle culture est disponible, et de quelle manière on y ac-
cède, seraient faits par une minorité, en dépit des souhaits de la majorité.
    Du moins, c’était la règle dans un monde où le Parlement était opposé aux
monopoles, et résistait aux plaidoyers protectionnistes des éditeurs. Dans
un monde où le Parlement aurait été plus flexible, la culture libre aurait été
moins protégée.




                                       87
88
                              Enregistreurs


    Jon Else est un réalisateur. Il est surtout connu pour ses documentaires,
et ses œuvres ont eu beaucoup de succès. C’est aussi un enseignant, et en tant
qu’enseignant moi-même, j’envie la loyauté et l’admiration que lui vouent
ses étudiants. (J’ai rencontré, par hasard, deux de ses étudiants au cours d’un
dîner. Ils le considéraient comme un dieu.)
    Else a travaillé sur un documentaire auquel je participais. Pendant une
pause, il me raconta une histoire qui parlait de la liberté de création dans les
films aux États-Unis aujourd’hui.
    En 1990, Else travaillait à un documentaire sur la Tétralogie de Wagner.
Le sujet du documentaire concernait les machinistes à l’Opéra de San Fran-
cisco. Les machinistes constituent une partie particulièrement curieuse et
pittoresque d’un opéra. Pendant une représentation, ils se promènent sous
la scène, dans la loge du souffleur et le local d’éclairage. Ils font un contraste
parfait avec l’art de la scène.
    Pendant une des représentations, Else filmait des machinistes en train de
jouer aux dames. Dans un coin de la salle il y avait un écran de télévision. À
l’écran, pendant que les machinistes jouaient aux dames et que l’opéra jouait
Wagner, passaient Les Simpson. D’après Else, cette touche de dessin animé
permettait de mieux ressentir ce que la scène avait de spécial.
    Des années plus tard, quand il finit par obtenir un financement pour ter-
miner son film, Else voulut s’acquitter des droits pour ces quelques secondes
des Simpson. Car bien sûr, ces quelques secondes sont protégées par copy-
right ; et bien sûr, pour utiliser du contenu sous copyright, il faut la permis-
sion du détenteur de copyright, sauf si c’est pour un « usage loyal » ou autre
cas particulier du même genre.
    Else appela le bureau de Matt Groening, le créateur des Simpson, pour
obtenir sa permission. Groening fut d’accord. Il ne s’agissait que de quatre
secondes et demie, sur un minuscule écran de télévision dans un coin de la
pièce. Quel mal pouvait-il y avoir à cela ? Groening était content d’avoir ces
quelques secondes des Simpson dans le film, mais il dit à Else de contacter
Gracie Film, la compagnie qui produit le programme.
    Chez Gracie Films on fut aussi d’accord, mais comme Groening, on vou-
lut faire attention. On dit donc à Else de contacter la Fox, la maison mère
de Gracie Films. Else appela la Fox et leur expliqua l’histoire du clip dans un
coin de l’écran. Else dit que Matt Groening avait déjà donné sa permission.
Il voulait juste obtenir confirmation de la Fox.
    C’est alors que, comme me le raconta Else, « deux choses se produisirent.


                                       89
Premièrement nous découvrîmes […] que la création de Matt Groening ne
lui appartenait pas — ou du moins que quelqu’un [chez Fox] croyait qu’elle
ne lui appartenait pas ». Et deuxièmement, la Fox « voulait dix mille dollars
en échange de l’utilisation de ces quatre secondes et demie des Simpson, qui
apparaissaient de manière tout à fait fortuite sur un coin de l’écran. »
    Else était certain qu’il y avait erreur. Il réussit à obtenir ce qu’il pensa
être la vice-présidente pour les questions de licence, Rebecca Herrera. Il lui
expliqua « Vous devez faire erreur […] nous vous demandons le tarif édu-
catif ». C’était bien le tarif éducatif, lui répondit Herrera. Un jour plus tard,
Else rappela pour obtenir confirmation de ce qu’on lui avait dit.
    « Je voulais m’assurer que j’avais bien compris », me dit il. « Oui, vous
avez bien compris », lui dit-elle. Il en coûterait 10 000 dollars d’utiliser le
clip des Simpson dans le coin de l’écran d’un documentaire sur la Tétralogie
de Wagner. Et puis, d’une manière étonnante, Herrera dit à Else : « Et si vous
citez ce que je viens de dire, vous entendrez parler de nos avocats ». Plus tard,
un assistant de Herrera dit à Else : « Ils se fichent du reste. Ils veulent l’argent
et c’est tout. »
    Else n’avait pas de quoi acheter le droit de remontrer ce que montrait
la télévision des coulisses de l’opéra de San Francisco. Montrer cette réalité
dépassait le budget du réalisateur. À la dernière minute avant la sortie du
film, Else remplaça à l’ordinateur la vue par un extrait d’un autre film sur
lequel il avait travaillé dix ans plus tôt, The Day After Trinity.
    Il ne fait aucun doute que quelqu’un, que ce soit Matt Groening ou la
Fox, est propriétaire des droits des Simpson. Ces droits sont leur propriété.
Pour utiliser ce contenu protégé, la permission du détenteur des droits est
parfois nécessaire. Si l’utilisation que Else voulait faire des Simpson était un
des cas restreints par la loi, alors il avait besoin d’obtenir la permission avant
de pouvoir les utiliser de cette manière. Et dans un marché libre, c’est le
propriétaire des droits qui fixe le prix de toute utilisation pour laquelle la loi
lui accorde le contrôle.
    Par exemple, une « représentation publique » des Simpson est soumise
au contrôle du propriétaire des droits. Si vous prenez quelques-uns de vos
épisodes favoris, louez un cinéma, et faites payer pour voir « Mes épisodes
préférés des Simpson », alors il vous faut la permission du propriétaire des
droits. Et ce propriétaire peut (c’est son bon droit, à mon avis) faire payer le
montant qu’il lui plaît — 10 dollars ou un million de dollars. C’est son droit,
car fixé par la loi.
    Mais quand des juristes entendent cette histoire sur Jon Else et la Fox,
leur première pensée est « usage loyal »112 . L’utilisation par Else de 4,5 se-
condes d’une vue indirecte d’un épisode des Simpson est clairement un usage
loyal des Simpson — et l’usage loyal ne nécessite pas la permission de qui que
ce soit.
    J’ai donc demandé à Else pourquoi il ne s’était pas tout simplement pré-
valu de l’« usage loyal ». Voici sa réponse :
      Le fiasco des Simpson a été pour moi une leçon sur le fossé qui
      sépare ce que les avocats jugent sans importance de leur point de
      vue abstrait, et ce qui en pratique est d’une importance écrasante


                                        90
     pour nous autres qui essayons de tourner et diffuser des docu-
     mentaires. Je n’ai jamais douté qu’il s’agisse d’un « usage claire-
     ment loyal » sur le plan purement légal. Mais je ne pouvais pas
     me reposer là-dessus en pratique. Voici pourquoi :
        1. Avant qu’un film puisse être diffusé, la chaîne nous impose
           de souscrire à une assurance de responsabilité civile profes-
           sionnelle. Les assureurs demandent un « bulletin visuel »,
           qui dresse la liste de chaque séquence du film, sa source et
           son statut de licence. Ils ont une notion assez restreinte de
           l’« usage loyal », et prétendre à un « usage loyal » peut com-
           promettre la demande d’assurance.
        2. Je n’aurais probablement jamais dû poser la question à Matt
           Groening dès le départ. Mais je savais que la Fox avait l’habi-
           tude de rechercher et de stopper toute utilisation des Simp-
           son sans licence, tout comme George Lucas se distinguait
           pour ses recours aux tribunaux concernant l’utilisation de
           Star Wars. Donc j’ai décidé de suivre la loi à la lettre, en pen-
           sant que nous obtiendrions une licence gratuite ou presque
           pour quatre secondes de Simpson. En tant que producteur
           de documentaires contraint de faire des économies sur les
           lacets, la dernière chose dont j’avais besoin était de risquer
           un procès, même en dommages, et même pour défendre un
           principe.
        3. Il se trouve que j’ai parlé avec un de vos collègues de la Fa-
           culté de Droit de Stanford […] qui m’a confirmé qu’il s’agis-
           sait d’un usage loyal. Il a aussi confirmé que la Fox « porte-
           rait plainte et vous ferait passer la corde au cou », quelle que
           soit la validité de mes arguments. Il me dit clairement que
           ce serait celui qui avait le plus d’avocats et les poches les plus
           profondes qui l’emporterait.
        4. En général, cette question de l’usage loyal se pose à la fin
           d’un projet, alors que nous devons tenir une date de sortie
           et que nous n’avons plus d’argent.
    En théorie, usage loyal signifie que l’on peut se passer de permission. Par
conséquent la théorie favorise la culture libre, et préserve d’une culture de
permissions. Mais en pratique, l’usage loyal fonctionne très différemment.
Le flou des limites légales, combiné à l’énormité des amendes infligées à qui
les franchit, fait qu’en pratique l’usage loyal est très restreint dans beaucoup
de domaines de la création artistique. La loi vise juste, mais la manière dont
elle est appliquée vise ailleurs.
    Cet exemple montre combien la loi s’est éloignée de ses racines du dix-
huitième siècle. La loi est née comme bouclier pour protéger les revenus des
éditeurs de la concurrence déloyale d’un pirate. Elle a grandi comme une
épée qui se mêle de tous les usages, transformatifs ou non.



                                       91
92
                           Transformateurs


    En 1993, Alex Alben, un avocat, travaillait pour Starwave, Inc. Starwave
était une entreprise innovante fondée par Paul Allen, le cofondateur de Mi-
crosoft, dans le but de développer du contenu numérique. Bien avant qu’In-
ternet ne devienne populaire, Starwave commença à investir dans de nou-
velles technologies permettant la diffusion de contenus que la puissance des
réseaux permettait d’anticiper.
    Alben s’intéressait tout spécialement aux nouvelles technologies. Il était
intrigué par le marché émergent de la technologie du CD-ROM — non pas
pour la distribution des films, mais pour faire des choses avec les films qui
serait difficile à réaliser autrement. En 1993, il initia le développement d’un
produit servant à produire une rétrospective du travail d’un acteur donné.
Le premier acteur choisi fut Clint Eastwood. L’idée était de mettre à l’affiche
tout le travail d’Eastwood avec des clips tirés de ses films et des interviews
de personnes importantes dans sa carrière.
    À l’époque, Eastwood avait déjà fait plus de cinquante films en tant qu’ac-
teur et réalisateur. Alben commença une série d’interviews avec Eastwood,
l’interrogeant sur sa carrière. Puisque c’était Starwave qui produisait ces in-
terviews, la compagnie était libre de les inclure sur son CD.
    Les interviews seules n’auraient pas fait un produit très intéressant, alors
Starwave voulut ajouter du contenu tiré des films d’Eastwood : des affiches,
des scripts, et d’autres choses en rapport avec les films qu’Eastwood avait
fait. La majeure partie de sa carrière, Eastwood l’avait passé chez Warner
Brothers, et il était donc relativement facile d’obtenir la permission d’accès
à ce contenu.
    Puis Alben et son équipe décidèrent d’inclure d’authentiques extraits de
film. « Notre objectif était d’avoir un extrait de chacun des films d’East-
wood », me dit Alben. C’est à ce moment-là que le problème se posa. « Per-
sonne n’avait réellement fait ça auparavant », expliqua Alben. « Personne
n’avait jamais essayé de faire cela dans la perspective de couvrir la carrière
d’un acteur. »
    Alben présenta l’idée à Michael Slade, le PDG de Starwave. Slade lui de-
manda : « Bon, que devrons-nous faire ? »
    Alben répondit : « Eh bien, nous allons devoir nous acquitter des droits
de chaque personne qui apparaît dans ces films, de même pour la musique
et tout ce que nous voulons utiliser dans ces extraits de film ». Slade lui dit :
« Excellent ! Faisons cela » 113 .
    Le problème était que ni Alben ni Slade n’avait la moindre idée de ce


                                       93
qui serait nécessaire à l’obtention des autorisations. Tous les acteurs jouant
dans chacun des films auraient pu réclamer des redevances pour la réutili-
sation d’un film. Cependant, les CD-ROM n’avaient pas été spécifiés dans
les contrats avec les acteurs, alors il n’y avait aucun moyen de savoir ce que
Starwave allait faire.
    J’ai demandé à Alben comment il avait réglé le problème. Visiblement
fier de son esprit d’initiative, qui masquait l’évidente bizarrerie de son récit,
Alben raconta ce qu’ils avaient fait :
     Nous avons examiné les extraits de films un par un. Nous avons
     choisi, en fonction de critères artistiques, quels extraits de film
     inclure — bien sûr, nous allions utiliser l’extrait « Make my day »
     de Dirty Harry. Mais ensuite il fallait trouver le type au sol qui
     tremble sous le canon, et il fallait sa permission. Et il fallait déci-
     der combien nous allions le payer.
     Nous avons décidé qu’il serait équitable de leur offrir le tarif de fi-
     gurant en échange du droit de réutiliser leur travail. Il s’agit d’un
     extrait de moins d’une minute, mais pour pouvoir réutiliser ce
     travail dans le CD-ROM, le tarif à l’époque était d’environ 600
     dollars. Donc, il nous a fallu identifier les gens. Certains d’entre
     eux étaient difficile à identifier, parce que dans les films d’East-
     wood on ne sait pas toujours qui est le type qui passe à travers
     la vitre : est-ce l’acteur ou le cascadeur ? Et ensuite, tout simple-
     ment, nous avons monté une équipe, mon assistant et quelques
     autres, et nous avons commencé à appeler ces personnes.
    Certains acteurs étaient heureux de nous aider — Donald Sutherland, par
exemple, s’assura lui-même que tous les droits étaient acquittés. D’autres
étaient étonnés de leur chance. Alben leur demandait « Allô, puis-je vous
payer 600 dollars, ou peut-être 1 200 si vous apparaissez dans deux films,
vous voyez ? » Et ils disaient « Vous êtes sérieux ? Hé, j’aimerais beaucoup
1 200 dollars ». Et d’autres, bien sûr, étaient un peu difficiles (les ex-épouses
délaissées, en particulier). Mais finalement, Alben et son équipe avaient ac-
quitté les droits pour ce CD-ROM de rétrospective sur la carrière de Clint
Eastwood.
    C’était une année plus tard — « et même à ce moment nous n’étions pas
sûrs de les avoir tous acquittés ».
    Alben est fier de son travail. Ce projet était le premier du genre, et à sa
connaissance c’était la seule fois où une équipe avait entrepris un effort aussi
massif dans le but de sortir une rétrospective.
      Tout le monde pensait que cela serait trop difficile. Tout le monde
      levait les mains au ciel et disait « Oh, mon dieu, un film, cela fait
      tellement de copyrights, il y a la musique, la mise en scène, le
      directeur, les acteurs ». Mais nous l’avons fait. Nous en avons sé-
      paré chaque partie, et dit « OK, il y a tant d’acteurs, tant de direc-
      teurs, […]tant de musiciens » et nous avons procédé de manière
      très systématique et nous avons acquitté les droits.



                                       94
    Et sans aucun doute, le produit lui-même était exceptionnellement bon.
Eastwood l’adorait, et il se vendit très bien.
    Mais je fis observer à Alben à quel point il semble étrange qu’il ait fallu
un an de travail simplement pour s’acquitter des droits. Sans doute Alben
l’avait fait de manière très efficace, mais pour reprendre un mot célèbre de
Peter Drucker, « il n’y a rien de plus inutile que de faire efficacement quelque
chose qu’on ne devrait pas faire du tout »114 . Est-il normal, demandai-je à
Alben, de devoir procéder ainsi pour réaliser un travail nouveau ?
    Car, comme il le reconnut, « très peu de gens […] ont le temps et les res-
sources, et la volonté de faire cela », et donc, très peu d’œuvres de ce type
seraient jamais réalisés. Est-il normal, lui demandai-je, du point de vue de
ceux qui ont reçu les droits en premier, que vous ayez à acquitter des droits
pour ce type d’extraits ?
      Je ne pense pas. Quand un acteur joue un rôle dans un film, il ou
      elle est très bien payée […] Et ensuite si 30 secondes de ce rôle
      sont utilisées dans un nouveau produit qui est une rétrospective
      sur la carrière de quelqu’un, je ne pense pas que cette personne
      […] doive être indemnisée pour cela.
    Ou du moins, est-ce là la manière dont l’artiste doit être indemnisé ? Ne
pourrait-il pas y avoir, demandai-je, un système de licences statutaires, que
l’on paierait pour être libre de réutiliser ce type d’extraits ? Était-il vraiment
raisonnable qu’un créateur doive rechercher chaque acteur, directeur, ou
musicien, pour obtenir leur accord explicite ? Est-ce qu’il n’y aurait pas plus
de créations si on pouvait simplifier l’aspect légal du processus de création ?
      Absolument. Je pense que s’il y avait un système de licences équi-
      tables (dans lequel vous ne seriez pas soumis a des chantages ou
      à des ex-épouses répudiées), nous verrions beaucoup plus de tra-
      vaux de ce type, car il ne serait pas si décourageant de tenter de
      monter une rétrospective de la carrière de quelqu’un et de l’illus-
      trer avec des extraits de sa carrière. Si vous étiez le producteur
      d’une de ces œuvres, vous auriez a prendre en compte un coût
      supplémentaire : celui de payer X dollars à l’artiste qui a effectué
      le travail. Mais ce serait un coût connu. Voila le problème qui
      empêche tout le monde de travailler et rend ce type de produit
      difficile à réaliser. Si vous saviez que vous avez cent minutes de
      film dans ce produit et que cela va vous coûter X, alors vous fe-
      riez votre budget en fonction et vous pourriez obtenir des fonds
      ainsi que tout ce dont vous avez besoin pour le produire. Mais si
      vous dites « Oh, je veux cent minutes de quelque chose, et je n’ai
      aucune idée de ce que cela va me coûter et un certain nombre de
      personnes vont me réclamer de l’argent », alors il devient diffi-
      cile de monter tout cela.
   Alben travaillait pour une grande compagnie. Sa compagnie était soute-
nue par certains des investisseurs les plus riches au monde. Il avait dont une
autorité et des facilités qu’un créateur de sites Web moyen n’a pas. Donc, s’il


                                       95
lui a fallu un an, combien de temps cela aurait-il pris à quelqu’un d’autre ? Et
combien de créativité est perdue simplement parce que les coûts d’acquitte-
ment des droits sont si élevés ?
    Ces coûts sont le fardeau de ce type de réglementation. Prenons la cas-
quette d’un Républicain un instant, et mettons-nous un peu en colère. Le
gouvernement définit l’étendue de ces droits, et cette étendue détermine
combien il coûtera de les négocier. (Souvenez-vous de l’idée que la propriété
foncière s’étend aux cieux, et imaginez le pilote achetant des droits de pas-
sage pendant qu’il négocie son vol de Los Angeles à San Francisco.) Ces
droits peuvent très bien avoir eu leur raison d’être ; mais quand les circons-
tances changent, ils n’ont plus de sens du tout. Ou du moins, un républicain
bien entraîné et hostile a toute réglementation devrait considérer ces droits
et demander : « Ceci est-il toujours justifié ? » J’ai parfois vu une lueur de re-
connaissance quand les gens comprennent cela, mais en de rares occasions
seulement. La première fois ce fut lors d’une conférence de juges fédéraux
en Californie. Les juges s’étaient rassemblés pour discuter du sujet nouveau
de cyber-loi. On me demanda de faire partie du panel. Harvey Saferstein, un
avocat d’un cabinet respecté de L.A., présenta au panel une vidéo qu’il avait
produite avec un ami, Robert Fairbank.
    La vidéo était un collage brillant de films de chaque période du vingtième
siècle, le tout organisé à la façon d’un épisode de 60 minutes. L’exécution était
parfaite, fidèle jusqu’à reproduire le chronomètre de soixante minutes. Les
juges en adorèrent chaque minute.
    Lorsque les lumières furent allumées, je jetai un œil vers mon collègue de
panel, David Nimmer, peut-être l’expert en copyright le plus en vue dans le
pays. Il y avait sur son visage un regard étonné, alors qu’il scrutait cette salle
de plus de 250 juges bien divertis. D’une voix sentencieuse, il commença son
discours par une question : « Savez-vous combien de lois fédérales viennent
d’être violées dans cette pièce ? »
    Car bien évidemment, les deux brillants créateurs de ce film n’avaient
pas fait ce qu’Alben avait fait. Ils n’avaient pas passé une année à s’acquitter
des droits de ces extraits ; techniquement, ce qu’ils avaient fait violait la loi.
Bien sûr, ils n’allaient pas être poursuivis pour cette violation (et ce malgré
la présence de 250 juges et d’un troupeau d’officiers de police fédérale). Mais
Nimmer montrait un point important : une année avant que quiconque n’en-
tende parler de Napster, et deux ans avant qu’un autre membre du panel, Da-
vid Boies, ne défende Napster devant la Neuvième Cour d’Appel, Nimmer
essayait de faire voir à ces juges que la loi ne serait pas en accord avec les
capacités permises par cette technologie. La technologie signifie que main-
tenant vous pouvez facilement faire des choses étonnantes ; mais que vous
ne pouvez pas facilement les faire de façon légale.
    Nous vivons dans une culture du « copier-coller », rendue possible par la
technologie. Toute personne qui écrit une présentation connaît la liberté ex-
traordinaire qu’offre le système du copier-coller d’Internet : en une seconde
vous pouvez trouver pratiquement n’importe quelle image ; en une autre se-
conde vous l’avez incorporée à votre présentation.
    Mais les présentations ne sont qu’un début. En utilisant Internet et ses


                                       96
archives, les musiciens sont capables d’enchaîner des mixages de sons ja-
mais imaginés auparavant ; les réalisateurs de films sont capables de faire
des films à partir d’extraits trouvés sur des ordinateurs autour du monde. Un
site extraordinaire en Suède prend des images d’hommes politiques et leur
ajoute de la musique, pour créer des commentaires politiques mordants. Un
site appelé Camp Chaos a produit une des critiques les plus acerbes qui soit
de l’industrie du disque, en combinant la musique et la technologie Flash.
    Et toutes ces créations sont techniquement illégales. Même si leurs créa-
teurs voulaient être dans la « légalité », ce qu’il en coûte est incroyablement
élevé. Par conséquent, pour ceux qui observent la loi, un trésor de créativité
n’est jamais exprimé. Et quant à la partie qui s’exprime, si elle ne suit pas les
règles d’acquittement des droits, ses créations ne sortent jamais.
    Pour certains, ces histoires suggèrent une solution : modifions le jeu des
droits, de sorte que les gens soient libres de s’inspirer de notre culture. Libres
d’ajouter ou de composer comme il leur plaît. Nous pourrions même effec-
tuer ce changement sans pour autant imposer que l’usage « libre » soit « gra-
tuit ». Non, le système pourrait simplement faire qu’il soit facile pour des
créateurs d’indemniser les artistes dont ils reprennent le travail sans avoir
besoin d’une armée d’avocats avec eux : par exemple, une loi disant « la rede-
vance due au détenteur de copyright d’une œuvre non enregistrée, pour les
usages dérivés de cette œuvre, sera 1 pour cent des revenus nets, à mettre
de côté pour le détenteur de copyright ». Sous cette règle, le détenteur de
copyright pourrait bénéficier d’une redevance, mais il n’aurait pas le béné-
fice d’un droit de propriété totale (qui implique le droit de choisir son prix)
à moins qu’il ne fasse enregistrer son œuvre.
    Qui pourrait objecter à cela ? Et quelle serait la raison pour objecter ?
Nous parlons de créations qui ne sont même pas réalisées aujourd’hui ; et
qui, si elles étaient réalisées selon ce plan, généreraient de nouveaux revenus
pour les artistes. Pour quelle raison pourrait-on s’y opposer ?
    En février 2003, les studios DreamWorks ont annoncé avoir passé un
accord avec Mike Myers, le génie comique de Saturday Night Live et de Aus-
tin Powers. D’après l’annonce, Myers et DreamWorks allaient travailler en-
semble pour former un « pacte unique de réalisation de films ». Selon l’ac-
cord, DreamWorks « va acquérir les droits de films célèbres et classiques,
écrire de nouveaux scénarios et, en utilisant une technologie numérique de
pointe, insérer Myers et d’autres acteurs dans ces films, en créant ainsi un
spectacle entièrement nouveau ».
    L’annonce appelait ça faire du « film sampling ». Comme l’expliqua
Myers, « Film Sampling est une manière passionnante d’ajouter une touche
originale à des films existants, et de permettre au public de voir de vieux
films sous un jour nouveau. Les artistes de rap ont fait cela pendant des
années avec la musique, et bien maintenant nous sommes capables de re-
prendre le concept et de l’appliquer au cinéma ». Steven Spielberg était cité,
disant : « Si quelqu’un est capable de trouver une manière de rendre acces-
sibles de vieux films à un public nouveau, c’est bien Mike. »
    Spielberg a raison. Le Film sampling de Myers sera brillant. Mais si vous
n’y pensez pas, vous risquez de manquer le point véritablement étonnant de


                                       97
cette annonce. Alors que l’immense majorité de notre héritage cinématogra-
phique reste protégée par le droit d’auteur, le sens véritable de l’annonce de
DreamWorks est le suivant : C’est Mike Myers, et seulement Mike Myers,
qui est libre de faire du sampling. Toute liberté générale de s’inspirer des
archives de notre culture, une liberté qui en d’autres circonstances serait
supposée nous appartenir à tous, est maintenant un privilège réservé à ceux
qui sont amusants et célèbres — et riches, on suppose.
    Ce privilège devient réservé pour deux raisons. La première est la conti-
nuation de l’histoire du dernier chapitre : le flou lié à la notion d’« usage
loyal ». L’essentiel du « sampling » devrait être considéré comme un « usage
loyal ». Mais peu de gens s’appuient sur une garantie si faible pour créer.
Cela nous amène à la deuxième raison pour laquelle le privilège est réservé
à une minorité : Les coûts de négociation des droits légaux pour la réuti-
lisation d’une œuvre sont astronomiques. Ces coûts reflètent les coûts liés
à l’usage loyal : ou bien vous payez un avocat pour défendre votre droit à
l’usage loyal, ou bien vous en payez un pour rechercher toutes les permis-
sions, de sorte que vous n’aurez pas à vous appuyer sur l’usage loyal. D’une
manière ou d’une autre, le processus de création consiste à payer des avocats
— encore un privilège, ou peut-être un tourment, réservé à une minorité.




                                     98
                            Collectionneurs


    En avril 1996, des millions de « bots » (programmes informatiques
conçus pour « tisser », c’est-à-dire parcourir automatiquement Internet et
recopier son contenu) commencèrent à parcourir le Net. Page par page, ces
« bots » recopièrent l’information trouvée sur Internet sur un petit nombre
d’ordinateurs situés dans un sous-sol du Presidio (NdT : quartier historique)
de San Francisco. Une fois que les « bots » eurent couvert tout Internet, ils
recommencèrent depuis le début. Encore et encore, une fois tous les deux
mois, ces programmes effectuaient des copies d’Internet et les archivaient.
    En octobre 2001, les « bots » avaient rassemblé plus de cinq années de co-
pies. Et lors d’une modeste conférence à Berkeley, en Californie, les archives
composées de ces copies, les Archives d’Internet, furent mises à disposition
du monde. En utilisant une technologie appelée « la Machine à Remonter
Dans le Temps » (« the Way Back Machine »), vous pouviez visiter une page
Web, et consulter toutes ses copies depuis 1996, et voir quand elle avait été
modifiée.
    Voila un aspect d’Internet qui aurait plu à Orwell. Dans la dystopie dé-
crite dans 1984, les vieux journaux étaient constamment remis à jour, pour
s’assurer que la vision présente du monde, approuvée par le gouvernement,
n’était pas contredite par les actualités passées.
    Des milliers de travailleurs rééditaient continuellement le passé, de sorte
qu’il était impossible de savoir si l’article que vous lisiez aujourd’hui était le
même que celui qui avait été imprimé à la date inscrite sur le papier.
    Il en va de même avec Internet. Si vous visitez une page Web aujour-
d’hui, vous n’avez aucun moyen de savoir si le contenu que vous lisez est
le même que celui que vous avez lu précédemment. La page peut sembler
être la même, mais son contenu pourrait facilement être différent. Internet
est la bibliothèque d’Orwell : constamment réécrite, sans aucune mémoire
fiable.
    Du moins, jusqu’à la Machine à Remonter Dans le Temps. Grâce à cette
machine, et aux Archives d’Internet, vous pouvez voir ce qu’Internet a été.
Vous avez le pouvoir de voir ce dont vous vous souvenez. Et c’est peut-être
plus important, vous avez le pouvoir de trouver ce dont vous ne vous souve-
nez pas, et que d’autres préféreraient que vous oubliez.115
    Nous tenons pour acquis que nous pouvons revenir en arrière et voir
ce que nous nous souvenons avoir lu. Pensez aux journaux. Si vous voulez
étudier la réaction du journal de votre ville natale face aux émeutes raciales
à Watts en 1965, ou au canon à eau de Bull Connor en 1963, vous pouvez


                                       99
aller à la bibliothèque municipale et consulter les journaux. Ils existent pro-
bablement sur microfiche. Si vous avez de la chance, ils existent aussi sur
papier. D’une manière ou d’une autre, vous êtes libres, en utilisant une bi-
bliothèque, de revenir en arrière, et de vous souvenir : pas seulement de ce
dont il est commode de se souvenir, mais de quelque chose qui est proche
de la vérité.
     On dit que ceux qui oublient l’Histoire sont condamnés à la revivre. Ce
n’est pas tout à fait vrai. Nous oublions tous l’Histoire. L’essentiel est de sa-
voir si nous avons un moyen de revenir en arrière et de (re)découvrir ce que
nous avons oublié. Plus concrètement, l’essentiel est de savoir si un point de
vue objectif sur le passé peut nous aider à rester honnêtes. Les bibliothèques
nous y aident, en rassemblant du contenu et en le conservant, pour les élèves,
pour les chercheurs, pour nos grand-parents. Une société libre suppose cette
connaissance.
     Internet était une exception à cette règle. Jusqu’aux Archives d’Internet,
il n’y avait aucun moyen de revenir en arrière. Internet était le médium éphé-
mère par essence. Et maintenant, alors qu’Internet contribue de plus en plus
à construire et réformer la société, il devient de plus en plus important que
nous en conservions une forme historique. Il est tout à fait étrange de consta-
ter que nous avons pléthore d’archives de journaux de petites villes d’un peu
partout dans le monde, mais qu’il n’y a qu’une seule et unique copie d’Inter-
net : celle conservée par les Archives d’Internet.
     Brewster Kahle est le fondateur des Archives d’Internet. Il eut beaucoup
de succès en tant que chercheur en informatique, et plus encore ensuite, en
tant qu’entrepreneur d’Internet. Dans les années 90, Kahle décida qu’il avait
eu assez de réussites en affaires. Il était temps de connaître un autre genre
de réussite. Il entreprit donc une série de projets destinés à archiver le savoir
de l’humanité. Les Archives d’Internet n’étaient que le premier projet de cet
Andrew Carnegie de l’Internet. En décembre 2002, les Archives avaient dé-
passé les 10 milliards de pages, et grossissaient d’un milliard d’autres chaque
mois.
     La Machine à Remonter Dans le Temps constitue la plus grande archive
du savoir humain de l’histoire de l’humanité. Fin 2002, elle contenait « deux
cent trente Téraoctets de matériel », et était « dix fois plus volumineuse que
la Bibliothèque du Congrès ». Et ce n’était que la toute première des archives
que Kahle projetait d’édifier. En plus des Archives d’Internet, Kahle construi-
sait des Archives Télévisées. La télévision s’avère être encore plus éphémère
qu’Internet. Alors qu’une bonne partie de la culture du vingtième siècle a
été construite via la télévision, seule une infime partie en est accessible au-
jourd’hui. Trois heures d’actualités sont enregistrées tous les soirs par l’Uni-
versité de Vanderbilt — grâce à une dérogation à la loi sur le copyright. Ce
contenu est indexé, et reste accessible aux universitaires pour un prix très
raisonnable. « Mais en dehors de ceux-là, [la télévision] n’est quasiment pas
disponible », me confia Kahle. « Si vous étiez Barbara Walters, vous auriez
accès à [ces archives], mais qu’en est-il si vous êtes un simple étudiant ? »
Ajouta Kahle,
      Vous rappelez-vous lorsque Dan Quayle conversait avec Murphy


                                      100
     Brown ? Vous souvenez-vous de cette expérience surréelle d’un
     homme politique conversant avec un personnage de fiction télé-
     visée ? Si vous étiez un étudiant voulant étudier cela, et si vous
     vouliez obtenir ces échanges entre eux deux, l’épisode de 60 Mi-
     nutes qui sortit après […] ce serait presque impossible. […] Ce ma-
     tériel est presque introuvable. […]
    Pourquoi cela ? Pourquoi la partie de notre culture qui est sur journaux
papier reste-t-elle accessible pour toujours, alors que la partie qui est sur
cassettes vidéo ne l’est pas ? Comment se fait-il que nous ayons créé un
monde où les chercheurs qui voudront comprendre l’influence des médias
sur l’Amérique du dix-neuvième siècle auront moins de difficultés que ceux
qui voudront comprendre l’influence des médias sur l’Amérique du ving-
tième siècle ?
    C’est en partie à cause de la loi. Au début de la législation américaine sur
le droit d’auteur, les détenteurs de copyright devaient déposer des copies de
leur ouvrage en bibliothèque. Ces copies étaient destinées à la fois à faciliter
la propagation du savoir, ainsi qu’à s’assurer qu’une copie serait accessible
une fois le copyright expiré, pour que d’autres puissent éventuellement lire
et copier l’ouvrage.
    Ces règles s’appliquaient également aux films. Mais en 1915, la Biblio-
thèque du Congrès fit une exception pour les films. Les films pouvaient être
sous copyright une fois de tels dépôts faits. Mais le cinéaste avait ensuite
l’autorisation de réemprunter le film ainsi déposé, sans limite de temps, gra-
tuitement. Rien qu’en 1915, il y avait plus de 5 475 films déposés et « réem-
pruntés ». Donc, quand le copyright d’un film expire, il n’y en a plus aucune
copie dans aucune bibliothèque. La copie existe — si tant est qu’elle existe
encore — dans les archives de la société qui a produit le film116 .
    En général, cela vaut aussi pour la télévision. À l’origine les émissions de
télévision n’étaient pas sous copyright ; il n’y avait aucun moyen d’enregis-
trer ces émissions, il n’y avait donc aucune crainte de « vol ». Mais quand la
technologie permit leur capture, les diffuseurs comptèrent de plus en plus
sur la législation. La loi exigeait qu’ils fassent une copie de chaque émission
pour que l’ouvrage soit « copyright »é. Mais ces copies était simplement dé-
tenues par les diffuseurs. Aucune bibliothèque n’avait de droits dessus ; le
gouvernement ne les réclamait pas. Le contenu de cette partie de la culture
américaine est pratiquement invisible pour quiconque.
    Kahle était impatient de changer cela. Avant le 11 septembre 2001, lui
et ses alliés avaient commencé à enregistrer la télévision. Ils avaient choisi
vingt chaînes du monde entier, et appuyé sur le bouton Enregistrer. À par-
tir du 11 septembre, Kahle, avec des douzaines de collaborateurs, choisirent
vingt chaînes du monde entier et, à partir du 11 octobre 2001, mirent en
ligne gratuitement la couverture de la semaine du 11 septembre. Tout le
monde pouvait voir comment les journaux télévisés de par le monde avaient
couvert cette journée.
    Kahle avait le même projet pour les films. Avec Rick Prelinger, dont les ar-
chives cinématographiques contiennent près de 45 000 « films éphémères »
(c’est-à-dire des films non produits par Hollywood, et jamais protégés par le


                                     101
droit d’auteur), Kahle mit en place les Archives du Cinéma. Prelinger le laissa
numériser 1 300 films de ces archives, et mettre ces films sur Internet, pour
qu’ils puissent être téléchargés gratuitement. La société de Prelinger est à but
lucratif. Elle vend des copies de ces films sous forme de pellicules. Il fit la dé-
couverte suivante : après en avoir rendu une partie significative librement
accessible, ses ventes de pellicules augmentèrent très fortement. Les gens
pouvaient trouver facilement le contenu qu’ils voulaient utiliser. Certains
téléchargeaient ce contenu et faisaient leurs propres films. D’autres ache-
taient des copies afin de permettre la création d’autres films. D’une manière
ou d’une autre, l’archive rendait possible l’accès à cette part importante de
notre culture. Envie de voir une copie du film « Duck and Cover » qui expli-
quait aux enfants comment se protéger au milieu d’une attaque nucléaire ?
Allez sur archive.org, et vous pourrez télécharger le film en quelques mi-
nutes — gratuitement.
    Ici encore, Kahle nous donne accès à une partie de notre culture, qu’au-
trement nous ne pourrions pas obtenir facilement, voire pas du tout. Il s’agit
d’une autre partie de ce qui définit le vingtième siècle, et qui est perdue
pour l’Histoire. La loi ne requiert pas que ces copies soient conservées ou
déposées dans une archive par quiconque. Par conséquent, il n’existe pas de
moyen simple de les trouver.
    Le point clé ici, c’est l’accès, pas le prix. Kahle veut permettre un accès
libre à ce contenu, mais il veut aussi permettre à d’autres de vendre cet accès.
Son but est de s’assurer que la concurrence existe parmi ceux qui proposent
un accès à cette partie importante de notre culture. Pas pendant la vie com-
merciale d’une création, mais pendant cette seconde vie que possède toute
création : sa vie non-commerciale.
    Car c’est une idée dont on devrait tenir compte plus clairement. Toute
création artistique traverse plusieurs « vies ». Au cours de sa première vie,
si le créateur est chanceux, l’œuvre est vendue. Dans ce cas le marché com-
mercial est une réussite pour le créateur. La grande majorité des créations
artistiques ne connaissent pas un tel succès, mais c’est le cas flagrant de cer-
taines d’entre elles. Pour ces productions, la vie commerciale est extrême-
ment importante. Sans ce marché commercial, il y aurait, semble-t-il, beau-
coup moins de créations.
    Une fois que la vie commerciale d’une création a pris fin, notre tradi-
tion a toujours encouragé une seconde vie. Un journal apporte les nouvelles
du jour à notre palier de porte. Le jour suivant, il sert à emballer du pois-
son, ou bien à remplir des boîtes contenant des cadeaux fragiles, ou encore
à construire une archive de connaissances sur notre histoire. Au cours de
cette seconde vie, le contenu peut continuer d’informer, même si cette in-
formation n’est plus vendue.
    La même chose est aussi vraie au sujet des livres. Un livre cesse d’être im-
primé très rapidement (aujourd’hui, en moyenne après un an 117 ). Une fois
épuisé, il peut être vendu dans des magasins de livres d’occasion, sans que le
détenteur de copyright n’obtienne quoi que ce soit, et il peut être conservé
dans une bibliothèque, où beaucoup de gens le liront, tout aussi gratuite-
ment. Les librairies d’occasion et les bibliothèques sont donc la seconde vie


                                       102
d’un livre. Cette seconde vie est extrêmement importante pour la diffusion
et la stabilité de la culture.
    Cependant, il devient de plus en plus difficile de croire en une seconde
vie stable pour les éléments de création les plus importants de la culture
populaire des vingtième et vingt-et-unième siècles. Pour ces composantes
(télévision, films, musique, radio, Internet), il n’y a pas de garantie d’une se-
conde vie. Pour ces types de culture, c’est comme si nous avions remplacé
nos bibliothèques par des magasins Barnes & Noble. L’accès à cette culture
se réduit à la demande d’un certain marché limité. Au-delà de ça, la culture
disparaît.
    Pendant la plus grande partie du vingtième siècle, ce sont les conditions
économiques qui en ont voulu ainsi. C’eut été un coût démentiel que de ras-
sembler et de rendre accessibles toutes les émissions de télévision, tous les
films et toute la musique existants : le coût des copies analogiques est ex-
traordinairement élevé. Donc, même si la loi aurait restreint en principe la
capacité d’un Brewster Kahle de copier la culture en général, la véritable
contrainte était d’ordre économique. Le marché rendait impossible de faire
quoi que ce soit de cette culture éphémère ; la loi avait peu d’effet pratique.
    La caractéristique peut-être la plus importante de la révolution numé-
rique est que, pour la première fois depuis la Bibliothèque d’Alexandrie, il
est possible d’imaginer la construction d’une archive qui contienne toute
la culture produite ou distribuée publiquement. La technologie nous per-
met d’imaginer une archive de tous les livres publiés, et bientôt de toutes les
images animées et de tous les sons.
    La mesure de cette archive potentielle est quelque chose que nous
n’avons jamais imaginé auparavant. Les Brewster Kahle de notre histoire
en ont rêvé ; mais nous arrivons à un moment où, pour la première fois, ce
rêve est devenu possible. Comme le décrit Kahle :
      Il semble qu’il y ait quelque deux ou trois millions d’enregistre-
      ments de musique. En tout. Il y a environ cent mille films sor-
      tis en salle, […] et entre un et deux millions de films [distribués]
      durant le vingtième siècle. Il y a environ vingt-six millions de
      titres de livres. Tout cela tiendrait dans des ordinateurs qui tien-
      draient dans cette salle, et que pourrait s’offrir une petite entre-
      prise. Nous somme donc à un tournant de notre histoire. L’accès
      universel est le but. Et la possibilité de vivre une vie différente, ba-
      sée là-dessus, donne […] des frissons. Cela pourrait être une des
      plus grandes fiertés de l’humanité. Avec la bibliothèque d’Alexan-
      drie, le premier homme sur la Lune, et l’invention de l’imprime-
      rie.
   Kahle n’est pas le seul libraire. L’Internet Archive n’est pas la seule ar-
chive. Mais Kahle et l’Internet Archive suggèrent ce que l’avenir des biblio-
thèques et des archives pourrait être. Quand s’arrête la vie commerciale
d’une œuvre ? Je ne sais pas. Mais elle finit par s’arrêter. Et quand cela arrive,
Kahle et son archive nous font découvrir un monde dans lequel le savoir et la
culture restent disponibles à jamais. Certains s’en inspireront, pour la com-


                                       103
prendre ; d’autres pour la critiquer. Certains s’en serviront, comme Walt Dis-
ney, pour re-créer le passé pour l’avenir. Ces technologies nous promettent
quelque chose qui était devenu inimaginable pour la majeure partie de notre
passé : un futur pour notre passé. La technologie numérique pourrait réaliser
à nouveau le rêve de la Bibliothèque d’Alexandrie.
    La technologie a donc supprimé le coût économique de la construction
d’une telle archive. Mais il reste le coût légal. Car, pour autant que nous
puissions appeler de nos vœux ces « archives », aussi réconfortante que soit
l’idée d’une « bibliothèque », le « contenu » qui est rassemblé dans ces es-
paces numériques est aussi la « propriété » de quelqu’un. Et la loi sur la pro-
priété restreint les libertés dont Kahle et les autres feraient usage.




                                     104
                             « Propriété »


    Jack Valenti est le président de la Motion Picture Association of America
(MPAA) depuis 1966. Il est arrivé pour la première fois à Washington dans les
valises de l’administration de Lyndon Johnson. La célèbre photographie de
Johnson prêtant serment dans Air Force One après l’assassinat du Président
Kennedy montre Valenti à l’arrière-plan. Pendant presque quarante ans pas-
sés à la tête de la MPAA, Valenti s’est imposé comme le lobbyiste peut-être
le plus en vue et le plus efficace de Washington.
    La MPAA est la branche américaine de l’International Motion Picture As-
sociation. Elle fut formée en 1922 en tant qu’association commerciale dont
le but était de défendre les films américains contre des critiques intérieures
croissantes. Aujourd’hui l’organisation ne représente pas seulement des met-
teurs en scène, mais aussi les producteurs et les distributeurs de spectacles
pour la télévision, la vidéo, et le câble. Son conseil d’administration est com-
posé des présidents des sept producteurs et distributeurs principaux de films
et d’émissions de télévision aux États-Unis : Walt Disney, Sony Pictures En-
tertainment, MGM, Paramount Pictures, Twentieth Century Fox, Universal
Studios, et Warner Brothers.
    Valenti n’est que le troisième président de la MPAA. Aucun président
avant lui n’avait eu autant d’influence sur cette organisation, ou sur Washing-
ton. En bon Texan, Valenti possède le talent politique le plus important dans
le Sud : la capacité à paraître simple et lent, tout en dissimulant une pensée
rapide comme l’éclair. À ce jour, Valenti joue à l’homme simple et humble.
Mais ce diplômé de Harvard, auteur de quatre livres, qui termina le lycée
à quinze ans et effectua plus de cinquante missions aériennes de combat
durant la deuxième guerre mondiale, n’est pas Monsieur Tout-Le-Monde.
Quand Valenti est allé à Washington, il a compris la quintessence de cette
ville.
    En défendant la liberté artistique et la liberté d’expression sur laquelle
repose notre culture, la MPAA a été très bénéfique. En créant son système
de notation, la MPAA nous a probablement évité une censure dommageable.
Mais il y a un aspect de la mission de cette organisation qui est à la fois le
plus radical et le plus important : il s’agit de l’effort continuel de cette or-
ganisation, incarné par chaque acte de Valenti, pour redéfinir la notion de
« propriété de création ».
    En 1982, le discours de Valenti devant le Congrès illustrait parfaitement
cette stratégie :



                                     105
      Qu’importe la longueur des argumentations, quelles que soient
      les charges et contre-charges, quels que soient les tumultes et les
      cris, les hommes et femmes raisonnables retourneront toujours
      au problème fondamental, le thème central qui anime tout ce dé-
      bat : les détenteurs de propriété intellectuelle doivent obtenir les mêmes
      droits et protections que tous les autres détenteurs de propriété de la na-
      tion. Voilà le problème. Voilà la question. Et c’est sur ce terrain
      que toute l’audition, et tous les débats qui s’ensuivront, doivent
      rester118 .
    La stratégie de cette rhétorique, comme toujours chez Valenti, est
brillante et simple, et brillante parce que simple. Le « thème central » auquel
les « hommes et femmes raisonnables » retourneront est celui-ci : « Les dé-
tenteurs de propriété intellectuelle doivent se voir accordés les mêmes droits
et protections que tous les autres les détenteurs de propriété de la nation ».
Valenti aurait pu continuer ainsi : « Il n’y a pas de citoyen de seconde classe.
Il ne devrait donc pas y avoir de détenteurs de propriété de seconde classe ».
    Cette revendication possède une force d’attraction évidente. Elle est ex-
primée avec tant de clarté qu’elle rend l’idée évidente, aussi évidente que
la notion d’utiliser des élections pour désigner les présidents. Mais en fait,
personne parmi les gens qui prennent ce débat au sérieux ne soutient de po-
sition plus extrême. Jack Valenti, aussi doux et brillant soit-il, est peut-être
le pire extrémiste de la nation lorsqu’il s’agit de la nature et de la portée de
la « propriété intellectuelle ». Ses vues n’ont aucun lien raisonnable avec ce
qui constitue vraiment notre tradition juridique, même si la force discrète
de son charme texan a lentement redéfini cette tradition, du moins à Wa-
shington.
    Alors que la « propriété intellectuelle » est certainement une « pro-
priété », au sens laborieux et précis que les juristes ont l’habitude de com-
prendre119 , il n’y a jamais eu de cas, et il ne devrait pas y en avoir, où les
« détenteurs de propriété intellectuelle » ont obtenu « les mêmes droits et
protections que tous les autres détenteurs de propriété ». En effet, si les dé-
tenteurs de propriété intellectuelle obtenaient les mêmes droits que tous les
autres détenteurs de propriété, alors ceci instituerait un changement radical,
et radicalement indésirable, dans notre tradition.
    Valenti le sait. Mais il parle pour une industrie qui se fiche bien de notre
tradition et des valeurs qu’elle représente. Il parle pour une industrie qui au
contraire se bat pour restaurer la tradition que les Britanniques ont démise
en 1710. Dans le monde qui résulterait des changements de Valenti, quelques
puissants exerceraient un contrôle strict sur la manière dont notre culture
serait développée.
    J’ai deux objectifs dans ce chapitre. Le premier est de vous convaincre
que, sur le plan historique, l’assertion de Valenti est absolument fausse. Le
second est de vous convaincre qu’il serait terriblement mauvais pour nous
de rejeter notre histoire. Nous avons toujours traité les droits sur la pro-
priété des créations différemment des droits des autres types de propriété.
Ils n’ont jamais été pareils aux autres droits. Et ils ne devraient jamais de-
venir pareils, car, aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, les rendre


                                         106
identiques reviendrait à réduire fondamentalement la possibilité pour les
nouveaux créateurs de créer. La créativité tient à ce que ses propriétaires
n’aient pas de contrôle absolu sur elle.
    Les organisations comme la MPAA, avec les hommes plus puissants de
l’arrière-garde dans leur conseil d’administration, n’ont aucun intérêt, en dé-
pit de leur rhétorique, à faire en sorte que les jeunes puissent les remplacer.
Aucune organisation, aucun individu n’a intérêt à cela. (Posez-moi la ques-
tion au sujet de ma chaire, par exemple.) Mais ce qui est bon pour la MPAA ne
l’est pas nécessairement pour l’Amérique. Une société qui défend les idéaux
d’une culture libre doit justement préserver la possibilité pour une créativité
nouvelle de menacer l’ancienne.
    Pour avoir un indice montrant qu’il y a quelque chose de fondamentale-
ment erroné dans l’argumentation de Valenti, il nous suffit de lire la Consti-
tution des États-Unis.
    Les Pères Fondateurs de notre Constitution aimaient la « propriété ». En
fait, ils l’aimaient tellement qu’ils ont incorporé à la Constitution une clause
importante : si le gouvernement vous prend votre propriété (s’il vous expro-
prie de votre maison, ou bien s’il acquiert une parcelle de terrain de votre
ferme), il doit, selon la « Clause des Expropriations » du Cinquième Amen-
dement, vous payer un « dédommagement juste ». La Constitution garantit
donc que la propriété est, en un certain sens, sacrée. Elle ne peut jamais être
soustraite à son propriétaire, sauf si le gouvernement paie pour ce privilège.
    Et pourtant la même constitution parle très différemment à propos de
ce que Valenti appelle la « propriété de création ». Dans l’article qui accorde
au Congrès le pouvoir de créer la « propriété de création », la Constitution
exige qu’après un « temps limité », le Congrès abroge les droits qu’il a ac-
cordé et mette la « propriété de création » gratuitement dans le domaine
public. Et quand le Congrès fait cela, quand l’expiration de la durée d’un
copyright vous en « exproprie » pour le mettre dans le domaine public, le
Congrès n’a aucune obligation de payer un « dédommagement juste » pour
cette « expropriation ». Au contraire, la même constitution qui exige qu’on
vous indemnise pour votre terre, exige que vous perdiez votre droit de « pro-
priété créative » sans la moindre compensation.
    La constitution stipule donc de prime abord qu’on ne doit pas accorder
les mêmes droits à ces deux formes de propriété. Elles doivent simplement
être traitées différemment. Valenti ne demande donc pas juste un change-
ment dans notre tradition, quand il soutient que les détenteurs de « pro-
priété de création » devraient obtenir les mêmes privilèges que tout autre
détenteur de droit de propriété. Il plaide en effet pour un changement dans
notre constitution elle-même.
    Réclamer un changement de notre constitution n’est pas forcément une
erreur. Notre constitution originale était mauvaise sur bien des points. La
constitution de 1789 a renforcé l’esclavage ; elle prévoyait que les sénateurs
soient nommés plutôt qu’élus ; elle a permis au collège électoral de provo-
quer une égalité entre le président et son propre vice-président (comme cela
s’est produit en 1800). Les Pères Fondateurs étaient sans doute extraordi-
naires, mais je serais le premier à reconnaître qu’ils ont commis de grosses


                                     107
erreurs. Depuis lors, nous avons corrigé certaines de ces erreurs ; il en reste
sans doute d’autres, que nous devrions corriger aussi. Ainsi je ne pense pas
que si Jefferson a fait une chose, nous devions faire de même.
    En revanche, je pense que si Jefferson a fait quelque chose, nous devrions
au moins tenter de comprendre pourquoi. Pourquoi les Pères Fondateurs, dé-
fenseurs fanatiques de la propriété privée qu’ils étaient, ont-ils rejeté l’idée
que la propriété sur les créations donne les mêmes droits que les autres types
de propriétés ? Pourquoi ont-ils requis l’existence d’un domaine public pour
ce type de propriété ?
    Pour répondre à cette question, nous devons prendre du recul sur l’his-
toire de ces droits de « propriété sur les créations », et sur le contrôle qu’ils
ont rendu possible. Quand nous verrons clairement comment ces droits ont
été définis différemment, nous serons mieux en mesure de poser la question
qui devrait être au centre de cette guerre. La question n’est pas si la pro-
priété sur les créations devrait être protégée, mais plutôt de quelle manière.
Non pas si nous allons défendre les droits que la loi accorde aux détenteurs
de propriétés sur les créations, mais plutôt quel doit être l’équilibre de ces
droits. Non pas si les artistes doivent être payés, mais plutôt si les institu-
tions créées pour garantir que les artistes soient payés ont aussi besoin de
contrôler la manière dont la culture se développe.
    Pour répondre à ces questions, nous avons besoin de concepts généraux
pour dire comment la propriété est protégée. Plus précisément, nous avons
besoin de concepts plus vastes que ceux que permet le langage juridique.
Dans Code et Autres Lois du Cyberespace, j’ai utilisé un modèle simple pour dé-
crire ces concepts. Pour chaque droit ou règle particulière, ce modèle montre
comment quatre modalités différentes interagissent, pour renforcer ou affai-
blir ce droit ou cette règle. Je l’ai représenté avec le diagramme suivant :




                                 F        10.1

    Au centre du diagramme se trouve le point réglementé : l’individu ou
le groupe qui est la cible de la réglementation, ou le détenteur d’un droit.
(Dans chaque cas tout au long de ce paragraphe, nous pouvons décrire ça soit
comme une réglementation, soit comme un droit. Par simplicité, je parlerai
seulement de réglementations.) Les ovales représentent les quatre manières
par lesquelles l’individu ou le groupe peut être réglementé — soit contraint,
soit, sinon, permis. La loi est la contrainte la plus évidente (au moins pour les


                                      108
avocats). Elle contraint en menaçant de sanctions après les faits si les règles
définies à l’avance sont violées. Donc si, par exemple, vous violez sciemment
le copyright de Madonna en copiant une chanson de son dernier CD et la
postez sur le Web, vous pouvez être condamné à une amende de 150 000
dollars. L’amende est une punition a posteriori pour la violation d’une règle
préexistante. Elle est imposée par l’État.
    Les normes forment un autre type de contrainte. Elles aussi sanctionnent
un individu pour avoir violé une règle. Mais la sanction d’une norme est
infligée par la communauté, et non pas (ou pas seulement) par l’État. Il n’y
a peut-être pas de loi contre le fait de cracher, mais cela ne veut pas dire
que vous ne serez pas puni si vous crachez par terre en faisant la queue au
cinéma. La punition n’est peut-être pas dure, ce qui dépend toutefois de la
communauté, mais elle pourrait facilement être plus sévère que bon nombre
de peines imposées par l’État. Ce qui fait la différence, ce n’est pas la sévérité
de la règle, mais l’origine de son application.
    Le marché est un troisième type de contrainte. Sa contrainte est effec-
tuée à travers des conditions : vous pouvez faire X si vous payez Y ; vous
serez payé M si vous faites N. Ces contraintes ne sont évidemment pas indé-
pendantes des lois et des normes — c’est la loi sur la propriété qui définit ce
qui doit être acheté pour être pris légalement ; ce sont les normes qui disent
ce qui est vendu de manière appropriée. Mais pour un ensemble de normes
donné, et sur la base de lois sur la propriété et de contrats, le marché im-
pose une contrainte simultanée sur la façon de se comporter d’un individu
ou d’un groupe.
    Pour finir, et pour le moment peut-être, plus mystérieusement, la « struc-
ture » — le monde physique tel qu’on le trouve — est une contrainte sur le
comportement. Un pont écroulé peut contraindre votre capacité à traverser
une rivière. Des voies de chemin de fer peuvent contraindre la capacité d’une
communauté à intégrer sa vie sociale. Tout comme le marché, la structure
n’effectue pas sa contrainte à travers des punitions a posteriori. Au lieu de
cela, tout comme le marché, la structure effectue ses contraintes à travers
des conditions simultanées. Ces conditions ne sont pas imposées par des
tribunaux faisant appliquer des contrats, ni par la police punissant le vol,
mais par nature, de façon « structurelle ». Si un boulet d’une tonne bloque
votre route, c’est la loi de la gravité qui applique cette contrainte. Si un billet
d’avion de 500 dollars vous sépare d’un vol pour New York, c’est le marché
qui applique cette contrainte.
    Donc le premier point à noter concernant ces quatre modalités de ré-
glementation est évident : elles interagissent. Les restrictions imposées par
l’une peuvent être renforcées par une autre. Ou les restrictions imposées par
l’une peuvent être sapées par une autre.
    Le deuxième point en découle directement : si nous voulons comprendre
la véritable liberté que quiconque possède à un moment donné pour faire
une chose particulière, nous devons considérer comment ces quatre modali-
tés interagissent. Qu’il y ait ou non d’autres contraintes (il peut très bien il y
en avoir ; je ne prétends pas être exhaustif), ces quatre là sont parmi les plus
importantes, et tout régulateur (que ce soit de contrôle ou de libération) doit


                                       109
examiner comment ces quatre en particulier interagissent.
    Ainsi, par exemple, considérez la « liberté » de conduire une voiture à
vitesse élevée. Cette liberté est en partie restreinte par les lois : des limita-
tions de vitesse qui disent à quelle vitesse vous pouvez rouler dans des en-
droits particuliers à des moments particuliers. Elle est en partie restreinte
par la structure : des dos d’ânes, par exemple, ralentissent les conducteurs les
plus raisonnables ; des régulateurs de vitesse dans des bus, un autre exemple,
fixent la vitesse maximale à laquelle on peut conduire. Cette liberté est en
partie restreinte par le marché : l’efficacité du carburant diminue au fur
et à mesure que la vitesse augmente, et donc le prix de l’essence est une
contrainte indirecte sur la vitesse. Conduisez à 100 km/h devant une école
dans votre propre voisinage et vous serez vraisemblablement réprimé par
les voisins. La même norme ne serait pas aussi efficace dans une autre ville,
ou la nuit.
    Le dernier point à signaler sur ce modèle simple devrait aussi être assez
clair : alors que ces quatre modalités sont analytiquement indépendantes, la
loi joue un rôle spécial car elle affecte les trois autres120 . La loi, en d’autres
termes, opère parfois pour augmenter ou diminuer la contrainte d’une mo-
dalité particulière. Ainsi, la loi pourrait être utilisée pour augmenter les taxes
sur l’essence, afin d’inciter à rouler moins vite. La loi pourrait être utilisée
pour faire installer plus de dos d’ânes, afin d’augmenter la difficulté de rouler
vite. La loi pourrait être utilisée pour financer des campagnes stigmatisant la
conduite dangereuse. Ou bien la loi pourrait être utilisée pour requérir que
d’autres lois soient plus strictes — une exigence fédérale pour que les états
diminuent la vitesse maximale autorisée, par exemple — afin de baisser l’at-
trait de la conduite rapide.




                                  F        10.2

    Ces contraintes peuvent ainsi changer, et elles peuvent être changées.
Pour comprendre la protection efficace de la liberté ou celle de la propriété à
chaque moment, nous devons suivre ces changements au fil du temps. Une
restriction imposée par une modalité peut être effacée par une autre. Une
liberté permise par une modalité peut être chassée par une autre121 .




                                       110
                Pourquoi Hollywood a raison
    Ce que ce modèle révèle de plus évident est simplement pourquoi, ou en
quoi, Hollywood a raison. Les défenseurs du copyright ont rallié à leur cause
le Congrès et les tribunaux. Ce modèle nous aide à comprendre en quoi ce
ralliement a du sens.
    Disons que c’est l’image de la réglementation du copyright avant Inter-
net :




                                 F        10.3

    Il y a un équilibre entre la loi, les normes sociales, le marché et la struc-
ture. La loi limite la possibilité de copier et partager du contenu en imposant
des pénalités à ceux qui copient et partagent. Ces pénalités sont renforcées
par des technologies qui rendent copie et partage difficiles (structure) et coû-
teux (marché). Cependant, ces pénalités sont atténuées par des habitudes que
nous admettons tous — par exemple, des jeunes qui enregistrent les disques
de leurs copains. Ces utilisations de contenu protégé peuvent bien consti-
tuer des infractions, les normes de notre société, du moins avant Internet,
les tolèrent.
    Voilà qu’arrive Internet, ou, plus précisément, des technologies comme
le format MP3 ou le partage de fichiers (« peer to peer »). Là, les contraintes
de structure changent radicalement, tout comme celles venant du marché. Et
pendant que le marché et la structure assouplissent tous les deux les règles
du copyright, les normes renforcent cette tendance. L’équilibre satisfaisant
(pour les défenseurs du copyright du moins) qui prévalait avant Internet de-
vient de fait une situation anarchique.
    D’où la réaction compréhensible des défenseurs du copyright, et sa justi-
fication. La technologie a changé, disent-ils, et la conséquence de ce change-
ment, une fois qu’il s’est diffusé au travers du marché et des normes, est que
l’équilibre des protections dont jouissaient les détenteurs de droits a disparu.
C’est l’Irak après la chute de Saddam, mais à l’heure actuelle aucun gouver-
nement ne justifie le pillage qui s’ensuit.




                                      111
                                F        10.4

     Pas plus cette analyse que les conclusions qui en découlent ne sont nou-
velles pour les défenseurs. En effet, dans un « livre blanc » préparé par le
Département du commerce (un département lourdement influencé par les
défenseurs du copyright) en 1995, cette combinaison de modalités régula-
trices a déjà été identifiée, et la stratégie pour y répondre déjà élaborée. En
réponse aux changements apportés par Internet, le livre blanc affirme que
(1) le Congrès devrait durcir les lois protégeant la propriété intellectuelle,
(2) les entreprises devraient adopter de nouvelles techniques de marketing,
(3) les techniciens devraient être incités à développer du code protégeant les
contenus, (4) les éducateurs devraient apprendre aux jeunes à mieux respec-
ter le copyright.
     Cette stratégie composite est juste ce dont le copyright avait besoin — si
c’était pour préserver cet équilibre particulier qui existait avant le change-
ment apporté par Internet. Et on devrait simplement s’attendre que ce soit
la demande des industries de contenu. C’est typiquement américain, comme
la tarte aux pommes, de considérer l’existence agréable dont vous jouissez
comme un droit, et de compter sur la loi pour protéger ce droit si quelque
chose vient à l’altérer. Les propriétaires qui habitent dans le lit d’un fleuve
n’hésitent pas à en appeler au gouvernement pour reconstruire (et recons-
truire encore) leur maison lorsque le fleuve (structure) déborde sur leur pro-
priété (loi). Les agriculteurs n’hésitent pas à en appeler au gouvernement
pour les tirer d’affaire lorsqu’un virus (structure) dévaste leurs troupeaux.
Les syndicats n’hésitent pas à en appeler au gouvernement lorsque les im-
portations (marché) détruisent l’industrie sidérurgique des U.S.A.
     C’est pourquoi il n’y a rien d’anormal ni de surprenant dans la campagne
menée par l’industrie du contenu pour se protéger des conséquences né-
fastes d’une innovation technologique. Et je serais la dernière personne à
prétendre que la technologie mouvante d’Internet n’a pas eu un effet pro-
fond sur la façon de mener les affaires pour l’industrie du contenu, ou
comme le décrit John Seely Brown, sur son « architecture de revenus ».
     Mais ce n’est pas parce qu’un intérêt particulier demande l’aide du gou-
vernement que cette aide doit nécessairement être accordée. Et ce n’est pas
parce que le changement technologique a affaibli une manière particulière
de faire des affaires que le gouvernement doit nécessairement intervenir
pour sauver cette ancienne manière de faire des affaires. Kodak, par exemple,


                                     112
a perdu de l’ordre de 20% du marché traditionnel de la pellicule au profit
du marché nouveau des appareils photos numériques122 . Y a-t-il quelqu’un
pour penser que le gouvernement devrait interdire les appareils numériques
juste pour soutenir Kodak ? Les autoroutes ont nui au transport par rail. Y
a-t-il quelqu’un pour penser qu’il faudrait interdire les camions dans le but
de protéger le rail ? Plus proche du sujet de ce livre, les télécommandes ont
nui au côté « captif » de la publicité télévisée (si une pub ennuyeuse passe sur
le petit écran, la télécommande permet facilement de zapper), et il se peut
bien que ce changement ait nui au marché de la publicité télévisée. Mais
est-ce qu’il y a quelqu’un pour penser qu’il faudrait réglementer l’usage de
la télécommande pour soutenir la télévision commerciale ? (peut-être en ne
permettant de zapper qu’une fois par minute, ou de ne passer que sur dix
chaînes par heure ?)
    La réponse à toutes ces questions forcément rhétoriques est évidemment
non. Dans une société libre, avec un marché libre, soutenu par des entre-
prises libres et un commerce libre, le rôle du gouvernement n’est pas de sou-
tenir un secteur d’activité au détriment d’un autre. Son rôle n’est pas de choi-
sir un vainqueur et de le protéger de tout échec. Si le gouvernement faisait
cela de façon habituelle, nous n’aurions jamais aucun progrès. Comme Bill
Gates, le président de Microsoft l’a écrit en 1991, dans une note critiquant
les brevets logiciels, « les entreprises établies ont un intérêt à évincer leurs
futurs concurrents123 ». Et en ce qui concerne les start-ups, les entreprises
établies ont en les moyens (songez aux radios RCA et FM). Un monde où
des concurrents arrivant avec de nouvelles idées doivent se battre non seule-
ment contre le marché, mais aussi contre le gouvernement, est un monde où
les idées nouvelles n’ont aucune chance de réussite. C’est un monde qui va
vers la stagnation. C’est l’Union soviétique sous Brejnev.
    Donc, tandis qu’il est compréhensible que les industries menacées par les
nouvelles technologies qui compromettent leurs méthodes commerciales
sollicitent la protection du gouvernement, les politiques ont le devoir par-
ticulier de garantir que cette protection ne compromet pas le progrès. C’est
le devoir des hommes politiques, en d’autres termes, de garantir que les me-
sures qu’ils prennent en réponse aux demandes de ceux qui ont été lésés par
le changement technologique, sont des mesures qui préservent les intérêts
et les opportunités d’innovation et de changement.
    Dans le contexte des lois qui réglementent l’expression — ce qui inclut,
évidemment, la loi sur le copyright — ce devoir est encore plus impérieux.
Quand l’industrie, se plaignant des changements technologiques, exige du
Congrès des mesures qui pèsent sur l’expression et la créativité, les politi-
ciens devraient être particulièrement prudents. C’est toujours une mauvaise
chose pour le gouvernement de se mêler de la réglementation des marchés
de l’expression. Les risques encourus à ce jeu-là sont précisément ceux pour
lesquels les auteurs de notre constitution ont institué le premier amende-
ment : « Le Congrès ne doit édicter aucune loi […] restreignant la liberté
d’expression ». Ainsi, lorsqu’on demande au Congrès d’examiner une loi qui
risque de « restreindre » la liberté d’expression, il devrait examiner — soi-
gneusement — si une telle réglementation est justifiée.


                                     113
    Le propos que je vais développer maintenant, ne cherche pas à savoir si
les changements réclamés par les défenseurs du copyright sont « justifiés ».
Il porte sur leurs effets. Car avant d’en venir à la question de la justification,
une question difficile qui dépend beaucoup de vos valeurs personnelles, il
faut d’abord se demander si nous évaluons bien les conséquences des chan-
gements que souhaite l’industrie du contenu.
    Voici une métaphore qui illustrera l’argumentation qui suit.
    En 1873, le DDT a été synthétisé pour la première fois. En 1948, le chi-
miste suisse Paul Hermann Muller a reçu le prix Nobel pour son travail dé-
montrant les propriétés insecticides du DDT. Dans les années 50, cet insec-
ticide a été très largement utilisé pour combattre les parasites porteurs de
maladie, ainsi que pour augmenter la production agricole.
    Personne ne met en doute le fait que supprimer des parasites ou augmen-
ter la production du bétail soit une bonne chose. Personne ne met en doute
le fait que le travail de Muller a été de valeur et qu’il a probablement sauvé
des vies, peut-être même des millions.
    Mais en 1962, Rachel Carson a publié Printemps silencieux, qui démontre
que le DDT, quels qu’aient été les bienfaits qu’il a apportés au début, a eu
aussi des conséquences imprévues sur l’environnement. Les oiseaux ont
perdu leur capacité à se reproduire. Toute la chaîne écologique a été détruite.
    Personne n’a pour but de détruire l’environnement et Paul Muller n’a
certainement jamais voulu faire de mal aux oiseaux. Mais l’effort déployé
pour résoudre un ensemble de problèmes a produit un autre ensemble de
problèmes, bien plus graves aux yeux de certains que ceux qu’on avait cher-
ché à résoudre en premier lieu. Ou plus précisément, les problèmes causés
par le DDT ont été pires que ceux qu’il a résolus, du moins si l’on considère
les autres manières, plus écologiques, d’atteindre le but qu’il était censé at-
teindre.
    C’est précisément l’image que James Boyle, professeur de droit à l’Univer-
sité de Duke, utilise lorsqu’il soutient que nous avons besoin d’une « écolo-
gie » de la culture124 . Son propos, et celui que je cherche à développer dans la
suite de ce chapitre, n’est pas de dire que le but du copyright est mauvais, ou
que les auteurs ne devraient pas être payés pour leur travail, ou que la mu-
sique devrait être donnée « gratuitement ». Le sujet, c’est que certains des
moyens que nous pourrions employer pour protéger les auteurs risquent
d’avoir des conséquences imprévisibles pour l’environnement culturel, tout
comme le DDT en a eues pour l’environnement naturel. Et, tout comme les
critiques faites au DDT ne constituent pas une approbation de la malaria ou
une attaque contre les agriculteurs, de même la critique d’un ensemble parti-
culier de mesures de protection du copyright ne constitue pas une approba-
tion de l’anarchie ou une attaque à l’encontre des auteurs. Nous cherchons
seulement un environnement favorable à la création, et nous devrions prêter
attention aux conséquences de nos actions sur cet environnement.
    Mon argumentation, dans le cadre de ce chapitre, tente de cartographier
ces conséquences. Nul doute que la technologie d’Internet a eu un effet spec-
taculaire sur la capacité des détenteurs de copyright à protéger leurs conte-
nus. Mais il ne devrait pas non plus y avoir de doute sur le fait que si vous ad-


                                      114
ditionnez les changements effectués au fil du temps à la loi sur le copyright,
au changement technique qu’Internet subit à l’heure actuelle, le résultat ne
se réduira pas à une protection efficace des œuvres sous copyright. Le résul-
tat, généralement non perçu, de cette augmentation massive de protection
sera dévastateur pour l’environnement de la créativité.
    En une phrase : pour nous débarrasser d’un moustique, nous répandons
du DDT, avec des effets sur la culture libre bien plus dévastateurs que ceux
qu’aurait causés ce moustique.


                                  Débuts
   L’Amérique a copié les lois anglaises sur le copyright. En fait, nous les
avons copiées en les améliorant. Notre constitution rend le but de la « pro-
priété des créations » très clair ; les limitations explicites de ces lois ren-
forcent l’intention initiale des anglais d’éviter que les éditeurs aient un pou-
voir excessif.
   Le pouvoir d’établir les droits de « propriété des créations » est accordé
au Congrès d’une manière qui, pour notre constitution du moins, est très
bizarre. L’Article I, section 8, clause 8 de notre Constitution établit que :
      Le Congrès a le pouvoir de promouvoir le Progrès des Sciences
      et Techniques, en assurant pour une durée limitée aux Auteurs
      et Inventeurs un Droit exclusif sur leurs Écrits et Découvertes
      respectifs.
    Nous pouvons appeler cela une « Clause de Progrès », pour mettre en
lumière ce que cette clause ne dit pas. Elle ne dit pas que le Congrès a le pou-
voir d’accorder des « droits de propriété sur les créations ». Elle dit que le
Congrès a le pouvoir de promouvoir le progrès. L’objet de la clause est d’accor-
der un pouvoir, et il s’agit d’un but public, pas le but d’enrichir des éditeurs,
ni même initialement de rémunérer les auteurs.
    La Clause de Progrès limite explicitement la durée du copyright. Comme
nous l’avons vu au chapitre 6 (p. 81), les anglais ont limité la durée du copy-
right pour garantir qu’une minorité ne puisse pas exercer un contrôle dis-
proportionné sur la culture en ayant un contrôle exagéré sur la publication.
Nous pouvons supposer que les auteurs de la Constitution ont imité les an-
glais dans un but similaire. En fait, contrairement aux anglais, ces auteurs
ont renforcé cet objectif en exigeant que le copyright ne s’applique qu’aux
« auteurs ».
    La conception de cette Clause de Progrès reflète la conception de la
Constitution en général. Lorsqu’ils voulaient éviter un problème, ses auteurs
construisaient une structure. Pour ne pas concentrer le pouvoir aux mains
des éditeurs, ils ont établi une structure qui exclut les éditeurs du copyright
et n’accorde qu’une durée brève à celui-ci. Pour ne pas concentrer le pou-
voir aux mains d’une église, ils ont interdit au gouvernement de fonder une
église. Pour ne pas concentrer le pouvoir aux mains du gouvernement fé-
déral, ils ont créé des structures pour renforcer le pouvoir des états — ce


                                      115
qui inclut le Sénat dont les membres à cette époque étaient désignés par les
états, et un collège électoral, lui aussi désigné par les états, pour choisir le
président. Dans chaque cas, il y a une structure qui exerce une surveillance
et crée un équilibre dans le cadre constitutionnel, conçue pour éviter une
concentration de pouvoir qui serait inévitable autrement.
    Je ne pense pas que les auteurs de notre constitution reconnaîtraient la
réglementation que nous appelons « copyright » (NdT : « droit-de-copie »)
aujourd’hui. Le champ d’application de cette réglementation va bien au-delà
de tout ce qu’ils ont pu imaginer. Pour commencer à comprendre ce qu’ils
ont fait, il faut replacer notre « copyright » dans son contexte : il faut voir
en quoi il a changé pendant les 210 années écoulées depuis sa conception.
    Certains de ces changements proviennent de la loi : certains pour tenir
compte de changements technologiques et certains pour tenir compte de
changements technologiques dans le contexte d’une concentration particu-
lière de pouvoir au niveau du marché. Dans le langage de notre modèle, nous
sommes partis d’ici :




                                 F       10.5

   Nous finirons là :




                                 F       10.6

   Je vais maintenant expliquer comment.




                                     116
                               Loi : durée
    Lorsque le premier Congrès édicta des lois pour protéger la propriété des
créations, il fit face à la même incertitude concernant le statut de cette pro-
priété que les anglais, qui s’y étaient confrontés en 1774. Beaucoup d’états
avaient fait passer des lois protégeant la propriété des créations, et certains
pensaient que ces lois ne faisaient que compléter les droits de la loi com-
mune qui protégeait déjà les auteurs de créations125 . Ce qui signifie qu’il n’y
avait pas de domaine public garanti aux États Unis en 1790. Si les copyrights
étaient protégés par la loi commune, alors il n’y avait aucun moyen simple
de savoir si une œuvre publiée aux États Unis était libre ou protégée. Tout
comme en Angleterre, cette incertitude persistante empêchait les éditeurs
de compter sur un domaine public pour la réimpression et la diffusion des
œuvres.
    Cette incertitude prit fin lorsque le Congrès vota une législation ac-
cordant des copyrights. Comme la loi fédérale a précédence sur toute loi
contraire d’un état, les protections fédérales des œuvres sous copyright an-
nulent toute protection issue d’une loi d’état. Tout comme en Angleterre où
le « Statut d’Anne » garantit que les copyrights de toutes les œuvres anglaises
finissent par expirer, un statut fédéral stipulait que tout copyright accordé
par un état devait expirer également.
    En 1790, le Congrès édicta la première loi sur le copyright. Il institua
un copyright fédéral et le fixa pour quatorze ans. Si l’auteur était encore en
vie à l’issue de ces quatorze années, alors il pouvait choisir de le renouveler
pour quatorze années supplémentaires. S’il ne le renouvelait pas, son œuvre
passait dans le domaine public.
    Alors que de nombreuses œuvres furent créées aux États-Unis pendant
les dix premières années de la république, seulement 5 pour cent de ces
œuvres étaient en fait enregistrées sous le régime du copyright fédéral. De
toutes les œuvres créées aux États Unis avant 1790 et de 1790 à 1800, 95
pour cent passèrent immédiatement dans le domaine public ; le reste pas-
serait dans le domaine public au pire vingt-huit années plus tard, et plus
probablement durant les quatorze années qui suivraient126 .
    Ce système de renouvellement constituait une pièce critique du système
américain de copyright. Il garantissait que la durée maximale du copyright
serait accordée uniquement lorsque c’était demandé. À l’issue de la période
initiale de quatorze ans, si l’auteur ne prenait pas la peine de renouveler le
copyright, alors ce n’était pas la peine que la société maintienne le copyright
non plus.
    Quatorze ans ne nous semblent peut-être pas une longue durée, mais
pour la grande majorité des détenteurs de copyright de cette époque, c’était
bien assez long : seule une petite minorité d’entre eux renouvelait leur copy-
right ; les autres laissaient leur travail passer dans le domaine public127 .
    Encore aujourd’hui, cette construction serait pertinente. La plupart des
créations n’a que quelques années de vie commerciale. La plupart des livres
sont épuisés en moins d’un an128 . Lorsque cela se produit, la vente des livres


                                     117
d’occasion n’est plus soumise aux règles du copyright. Ainsi les livres ne sont
plus de fait sous le contrôle du copyright. Le seul usage commercial de ces
livres est la vente de livres d’occasion ; cet usage — parce qu’il n’implique
pas de publication — est libre en effet.
    Au cours des cent premières années de la République, la durée du co-
pyright a changé une seule fois. En 1831, cette durée est passée d’un maxi-
mum de 28 ans à un maximum de 42 ans en augmentant la durée initiale
du copyright de 14 à 28 ans. Dans les cinquante ans qui suivirent, cette du-
rée augmenta une nouvelle fois. En 1909, le Congrès prolongea la durée de
renouvellement de 14 à 28 ans, portant la durée maximale à 56 ans.
    Puis, au début de 1962, le Congrès a adopté une pratique qui a servi de-
puis à définir la loi sur le copyright. Onze fois durant les quarante dernières
années, le Congrès a augmenté la durée de copyrights existants ; deux fois
durant cette période, il a allongé la durée des futurs copyrights. Au début, ces
allongements étaient courts, de l’ordre de un à deux ans. En 1976, le congrès
a allongé tous les copyrights existants de dix-neuf ans. Et en 1998, avec le
« Sonny Bono Copyright Term Extension Act », il a allongé la durée des co-
pyrights existants et futurs de vingt ans.
    L’effet de ces allongements est simplement de pénaliser, ou de retarder,
le passage des œuvres dans le domaine public. Ce dernier allongement si-
gnifie que le domaine public aura été pénalisé de trente-neuf ans en plus
des cinquante-cinq ans initiaux, soit une augmentation de 70 pour cent de-
puis 1962. Donc, pendant les vingt ans qui s’écouleront après l’édiction du
« Sonny Bono Act », tandis qu’un million de brevets tomberont dans le do-
maine public, aucun copyright n’arrivera à l’expiration de sa durée légale.
    L’effet de ces allongements est encore exacerbé par un autre changement,
peu remarqué, de la loi sur le copyright. Souvenez-vous, j’ai dit que les initia-
teurs de la loi avaient prévu un régime en deux temps, obligeant un détenteur
de copyright à le renouveler à l’issue de sa durée initiale. Cette exigence de
renouvellement permettait aux œuvres pour lesquelles la protection du co-
pyright n’était plus nécessaire de passer plus vite dans le domaine public. Les
œuvres restant protégées seraient celles qui continuaient à avoir une valeur
commerciale.
    Les États Unis ont abandonné ce système sage en 1976. Pour toutes les
œuvres créées après 1978, il n’y avait plus qu’une seule durée du copyright
— la durée maximale. Pour des auteurs « personnes physiques », cette du-
rée était de cinquante ans après leur mort. Pour les entreprises, cette durée
était de soixante-quinze ans. Puis, en 1992, le Congrès a abandonné l’exi-
gence de renouvellement pour toutes les œuvres créées avant 1978. Toutes
les œuvres encore sous copyright ont obtenu la durée maximale possible.
Après le Sonny Bono Act, cette durée était de quatre-vingt-quinze ans.
    Ce changement signifiait que la loi américaine n’avait plus aucun moyen
de garantir automatiquement que les œuvres qui n’étaient plus exploitées
puissent tomber dans le domaine public. Ces changements de législation ont
rendu le domaine public orphelin. Malgré l’exigence d’avoir une durée « li-
mitée », nous n’avons aucune preuve que quelque chose la limitera.
    L’effet de ces changements sur la durée moyenne du copyright est consi-


                                      118
dérable. En 1973, plus de 85 pour cent des détenteurs de copyright négli-
geaient de les renouveler, ce qui fait que la durée moyenne du copyright
en 1973 n’était que de 32,2 ans. Par suite de la suppression de l’exigence
de renouvellement, la durée moyenne du copyright est maintenant la durée
maximale. En trente ans, la durée moyenne a triplé, passant de 32,2 ans à 95
ans129 .


                              Loi : portée
    La « portée » d’un copyright est l’éventail des droits accordés par la loi.
La portée du copyright américain a changé de façon spectaculaire. Ces chan-
gements ne sont pas forcément mauvais, mais il faut en comprendre l’impor-
tance si nous voulons garder ce débat dans son contexte.
    En 1790, sa portée était très restreinte. Le copyright couvrait unique-
ment « les cartes, les graphiques et les livres ». Cela ne concernait donc pas,
par exemple, la musique ou l’architecture. Plus précisément, le copyright
donnait à l’auteur le droit exclusif de « publier » l’œuvre sous copyright. Ce
qui veut dire que quelqu’un ne violait le copyright que s’il rééditait l’œuvre
sans la permission du détenteur du copyright. Enfin, le droit accordé par le
copyright était un droit exclusif sur un livre bien précis. Ce droit ne s’éten-
dait pas à ce que les juristes appellent « les œuvres dérivées ». Par consé-
quent, il n’interférait pas avec le droit de n’importe qui en dehors de l’auteur
de traduire un livre sous copyright, ou d’adapter l’histoire à un autre mode
de présentation (comme une pièce de théâtre basée sur un livre publié).
    Cela aussi a changé considérablement. Tandis qu’il est très difficile de
le décrire en des termes simples et généraux, ce droit couvre pratiquement
toute œuvre qui prend une forme tangible. Il couvre aussi bien la musique
que l’architecture, le théâtre que les programmes d’ordinateur. Il donne
au détenteur du copyright non seulement le droit exclusif de « publier »
l’œuvre, mais aussi celui contrôler toute « copie » de cette œuvre. Le plus
important en ce qui concerne notre propos actuel est que le droit donne au
détenteur du copyright tout contrôle non seulement sur son œuvre propre-
ment dite, mais aussi sur toute « œuvre dérivée ». De cette façon, le droit
protège plus de créations, les protège de façon plus complète, et protège les
œuvres basées de façon significative sur la création originale.
    En même temps que le champ du copyright s’est étendu, les contraintes
procédurières du droit se sont assouplies. Je viens de décrire la suppression
complète de l’exigence de renouvellement en 1992. En plus de cette exigence
de renouvellement, pendant la plus grande partie de l’histoire de la loi améri-
caine sur le copyright, l’œuvre devait être enregistrée avant de pouvoir jouir
de la protection. Il y a eu également l’obligation que toute œuvre sous co-
pyright soit marquée du fameux © ou du mot copyright. Et pendant tout ce
temps, on a exigé que les œuvres soient placées en dépôt auprès du gouver-
nement avant que le copyright puisse être garanti.
    La raison de cette obligation d’enregistrement venait de l’interprétation
logique que pour la majorité des œuvres, aucun copyright n’était requis. Une


                                     119
fois encore, pendant les dix premières années de la République, 95 pour cent
des œuvres éligibles au copyright ne furent jamais mises sous copyright.
Ainsi, la règle était le reflet de la norme : la plupart des œuvres n’avaient
apparemment pas besoin de copyright, donc l’enregistrement réduisait l’ap-
plication de la loi aux quelques œuvres enregistrées. Le même raisonnement
justifiait l’obligation de marquer une œuvre sous copyright — il était ainsi
facile de savoir si un copyright était revendiqué. L’obligation de dépôt des
œuvres visait à garantir qu’une fois le copyright expiré, il y aurait une copie
de l’œuvre quelque part afin qu’elle puisse être copiée par d’autres sans avoir
à localiser l’auteur original.
    Toutes ces « formalités » furent abolies dans le système américain quand
nous avons décidé de suivre la loi européenne sur le copyright. Il n’y a pas
l’obligation d’enregistrer une œuvre pour obtenir un copyright ; le copyright
est maintenant automatique ; le copyright existe que vous marquiez ou non
votre œuvre avec un © ; et le copyright existe que vous mettiez ou non à
disposition une copie pour que d’autres la reproduisent.
    Prenons un exemple pratique pour comprendre la portée de ces diffé-
rences.
    Si, en 1790, vous aviez écrit un livre et que vous étiez un des 5 pour cent à
avoir effectivement mis ce livre sous copyright, alors la loi du copyright vous
protégeait contre d’autres éditeurs voulant prendre votre livre et le rééditer
sans votre permission. Le but de la loi était de réglementer les éditeurs afin
d’empêcher ce type de concurrence injuste. En 1790, il y avait 174 éditeurs
aux États-Unis130 . La loi sur le copyright était donc une réglementation mi-
nuscule d’une proportion minuscule d’une part minuscule du marché de la
création des États-Unis — les éditeurs.
    La loi laissait les autres créateurs totalement déréglementés. Si je copiais
votre poème à la main, encore et encore, afin de l’apprendre par cœur, mon
acte n’était absolument pas réglementé par la loi de 1790. Si je prenais votre
roman et en faisait une pièce de théâtre, ou si je le traduisais ou l’abrégeais,
aucune de ces activités n’était réglementée par la loi sur le copyright. Ces ac-
tivités de création restaient libres, alors que les activités des éditeurs étaient
restreintes.
    Aujourd’hui, l’histoire est très différente : si vous écrivez un livre, votre
livre est automatiquement protégé. En fait, pas seulement votre livre.
Chaque courriel, chaque note de votre conjoint, chaque griffonnage, chaque
acte créatif qui prend une forme tangible — tout cela est automatiquement
placé sous copyright. Il n’y a pas besoin d’enregistrer ou de marquer votre
travail. La protection est une conséquence de la création, et non pas des
étapes que vous effectuez pour la protéger.
    Cette protection vous donne le droit (sujet à quelques exceptions de type
usage loyal) de contrôler comment les autres copient votre œuvre, qu’ils la
copient pour la rééditer ou pour en partager un extrait.
    Tout ceci est la partie évidente. N’importe quel système de droit d’auteur
contrôlerait l’édition concurrentielle. Mais il y a une seconde partie dans le
copyright d’aujourd’hui qui n’est pas du tout évidente. C’est la protection
des « droits dérivés ». Si vous écrivez un livre, personne ne peut en faire un


                                      120
film sans permission. Personne ne peut le traduire sans permission. Cliff-
sNotes (NdT : une série de livres scolaires analysant des œuvres littéraires)
ne pourrait pas en faire un résumé à moins d’en avoir la permission. Le co-
pyright, en d’autres termes, est maintenant non seulement un droit exclusif
sur vos écrits, mais aussi un droit exclusif sur une grande proportion des
écrits inspirés par eux.
    C’est ce droit dérivatif qui semblerait le plus bizarre à nos législateurs,
bien qu’il soit devenu comme une seconde nature pour nous. À l’origine,
cette extension a été créée pour traiter les contournements évidents d’un
copyright plus restreint. Si j’écris un livre, pouvez-vous changer un mot et
revendiquer un copyright sur un livre nouveau et différent ? Évidemment
cela serait une farce pour le copyright, et donc la loi a été correctement éten-
due pour inclure ces légères modifications au même titre que les œuvres
originales mot pour mot.
    En empêchant cette farce, la loi a créé un pouvoir étonnant à l’intérieur
d’une culture libre — tout du moins, c’est étonnant quand vous comprenez
que la loi s’applique non seulement à l’éditeur commercial mais aussi à n’im-
porte qui possédant un ordinateur. Je comprends le tort qu’il y a à dupli-
quer et revendre l’œuvre de quelqu’un d’autre. Mais pour autant que cela soit
néfaste, transformer l’œuvre de quelqu’un d’autre est de nature différente.
Certains voient la transformation comme n’étant pas mauvaise du tout —
ils croient que notre loi, tels que les législateurs l’ont écrite, ne devrait pas
du tout protéger les droits dérivatifs131 . Que l’on aille ou non aussi loin, il
semble évident que quel que soit le tort causé, il est fondamentalement dif-
férent de celui causé par la piraterie directe.
    Et pourtant la loi du copyright traite ces deux types de tort de la même
manière. Je peux aller devant les tribunaux et obtenir une injonction contre
votre piratage de mon livre. Je peux aller devant les tribunaux et obtenir
une injonction contre votre transformation de mon livre132 . Ces deux diffé-
rentes utilisations de ma création sont traitées de la même manière.
    Ceci encore peut vous sembler juste. Si j’ai écrit un livre, alors pourquoi
auriez-vous le droit d’écrire un film qui reprend mon histoire, et de faire de
l’argent dessus sans me rémunérer ou m’en donner le mérite ? Ou si Disney
crée une créature appelée « Mickey Mouse », pourquoi auriez-vous le droit
de fabriquer des jouets Mickey Mouse et d’être celui qui fait du commerce
sur la valeur créée au départ par Disney ?
    Ce sont de bons arguments, et, de façon générale, je ne dis pas que les
droits dérivatifs sont injustifiés. Mon intention en ce moment est bien plus
limitée : elle est simplement de montrer clairement que cette extension est
un changement significatif des droits accordés initialement.


                   Loi et Structure : atteinte
    Alors qu’à l’origine la loi réglementait seulement les éditeurs, le change-
ment dans l’étendue du copyright signifie que la loi réglemente aujourd’hui
les éditeurs, les utilisateurs, et les auteurs. Elle les réglemente, car tous les


                                      121
trois sont capables de faire des copies, et le cœur de la réglementation sur le
copyright porte sur la copie133 .
    « Copie ». Cela semble être à l’évidence l’objet de la réglementation de la
loi du copyright. Mais comme avec l’argumentation de Jack Valenti du début
de ce chapitre, que la « propriété des créations » mérite les « mêmes droits »
que toutes les autres propriétés, c’est cette évidence à laquelle nous devons
faire le plus attention. Car tandis qu’il peut être évident que dans le monde
avant Internet, les copies étaient le déclencheur manifeste de la loi du copy-
right, à la réflexion, il devrait être évident que dans le monde avec Internet,
les copies ne devraient pas être le déclencheur de la loi sur le copyright. Plus
précisément, elles ne devraient pas toujours l’être.
    C’est peut-être la revendication centrale de ce livre, donc laissez-moi m’y
prendre très lentement afin que l’idée soit bien comprise. Mon argument
est qu’Internet devrait au moins nous forcer à repenser les conditions sous
lesquelles la loi du copyright s’applique automatiquement134 , car il est clair
que la portée actuelle du copyright n’a jamais été envisagée, et encore moins
choisie, par les législateurs qui en ont promulgué la loi.
    Nous pouvons voir cette idée de manière abstraite en commençant par
ce cercle en grande partie vide.




                                  F       10.7

    Pensez à un livre dans l’espace réel, et imaginez ce cercle comme repré-
sentant toutes ses utilisations potentielles. La plupart d’entre elles ne sont pas
réglementées par la loi du copyright, car elles ne créent pas de copie. Si vous
lisez un livre, cet acte n’est pas réglementé par la loi du copyright. Si vous
donnez le livre à quelqu’un, cet acte ne l’est pas non plus. Si vous revendez
un livre, cet acte n’est pas réglementé (la loi du copyright stipule expressé-
ment qu’après la première vente d’un livre, le détenteur du copyright ne peut
pas imposer davantage de conditions sur la mise à disposition de ce livre). Si
vous dormez sur le livre ou l’utilisez pour surélever une lampe ou laissez
votre chiot le mordiller, ces actes ne sont pas réglementés par la loi du copy-
right, car ces actes ne créent pas de copie.




                                      122
                                  F        10.8

    Évidemment, toutefois, certaines utilisations d’un livre sous copyright
sont réglementées par la loi du copyright. Rééditer ce livre, par exemple,
crée une copie. C’est donc réglementé par la loi du copyright. En effet, cette
utilisation particulière se trouve au cœur du cercle des utilisations possibles
d’une œuvre sous copyright. C’est l’utilisation paradigmatique dûment régle-
mentée par la réglementation sur le copyright (voir le premier diagramme
10.9 (p. 123)).




                                  F        10.9

    Enfin, il existe une minuscule bande d’utilisations de copies, par ailleurs
réglementées, qui restent non réglementés car la loi les considère comme
étant de l’« usage loyal ».
    Ce sont des utilisations qui elles-mêmes impliquent la copie, mais que
la loi traite comme non réglementées, parce que la politique publique exige
qu’elles le restent. Vous êtes libre de citer ce livre, même pour une critique
plutôt négative, sans ma permission, même si une citation constitue une co-
pie. Cette copie donnerait normalement au détenteur du copyright le droit
exclusif de dire s’il l’autorise ou non, mais la loi lui refuse tout droit exclusif
sur de tels « usages loyaux » en raison de la politique publique (et probable-
ment du Premier Amendement).




                                       123
                                 F        10.10

    Dans l’espace réel, donc, les utilisations possibles d’un livre sont divisées
en trois sortes : (1) utilisations non réglementées, (2) utilisations réglemen-
tées et (3) utilisations réglementées qui sont néanmoins considérées comme
« justes » sans se soucier de l’opinion du détenteur du copyright.
    Arrive Internet — un réseau distribué numérique où chaque utilisation
d’une œuvre sous copyright produit une copie135 . Et à cause de cette seule et
arbitraire caractéristique de la conception d’un réseau numérique, la portée
de la catégorie 1 change nettement. Des utilisations qui étaient auparavant
présumées non réglementées sont maintenant présumées l’être. Il n’y a plus
un ensemble d’utilisations présumées non réglementées qui forment une li-
berté associée à une œuvre sous copyright. Au lieu de cela, chaque utilisation
est maintenant soumise au copyright, parce qu’elle crée également une co-
pie — la catégorie 1 se fait avaler par la catégorie 2. Et ceux qui défendaient
les utilisations non réglementées d’œuvres sous copyright doivent regarder
exclusivement la catégorie 3, les usages loyaux, pour supporter le poids de
ce déplacement.
    Soyons donc très précis pour que cette idée générale soit bien claire.
Avant Internet, si vous achetiez un livre et le lisiez dix fois, le détenteur du
copyright n’avait pas de moyen crédible lié au copyright pour contrôler l’uti-
lisation de son livre. La loi du copyright n’aurait rien eu à dire si vous lisiez
le livre une fois, dix fois, ou chaque soir avant de vous coucher. Aucun de
ces cas d’utilisation — la lecture — ne pouvait être réglementé par la loi du
copyright car aucune de ces utilisations ne produisait de copie.
    Mais le même livre au format électronique est efficacement régi par un
ensemble différent de règles. Maintenant, si le détenteur du copyright disait
que vous ne pouvez lire le livre qu’une seule fois ou seulement une fois par
mois, alors la loi du copyright l’aiderait à exercer ce degré de contrôle, à cause
de la caractéristique accidentelle de cette loi qui déclenche son application
lorsqu’il y a copie. Maintenant, si vous lisez le livre dix fois et que la licence
ne vous l’autorise que cinq fois, alors à chaque fois que vous lisez le livre (ou
une de ses parties) au-delà de la cinquième fois, vous faites une copie du livre
contrairement à la volonté du détenteur du copyright.




                                      124
                                F       10.11

    Il y a certaines personnes qui pensent que c’est parfaitement sensé. Mon
but pour le moment n’est pas de discuter si ça l’est ou non. Mon but est
seulement de montrer clairement le changement. Une fois que vous le voyez,
quelques autres considérations deviennent également claires :
    Premièrement, aucun décideur n’a jamais eu l’intention de faire dispa-
raître la catégorie 1. Le Congrès n’a pas réfléchi à l’effondrement des utili-
sations présumées non réglementées des œuvres sous copyright. Il n’y a au-
cune preuve que les décideurs avaient cette idée en tête quand ils ont permis
à notre politique, dont il est ici question, de changer. Les utilisations non
réglementées constituaient une partie importante de la culture libre avant
Internet.
    Deuxièmement, ce changement est particulièrement troublant dans le
cadre d’une transformation de contenu créatif. Encore une fois, nous pou-
vons tous comprendre la nuisance du piratage commercial. Mais la loi pré-
tend maintenant réglementer n’importe quelle transformation faite avec une
machine d’une œuvre de création. Le « copier coller » et le « couper coller »
deviennent des crimes. Retoucher une histoire et la diffuser à d’autres ex-
pose le manipulateur à au moins une obligation de justification. Aussi trou-
blante que soit cette extension pour la copie d’une œuvre particulière, elle est
extraordinairement troublante pour les transformations d’œuvre de créa-
tion.
    Troisièmement, ce glissement de la catégorie 1 vers la catégorie 2 met
un poids extraordinaire sur la catégorie 3 (« usage loyal ») que l’usage loyal
n’avait jamais eu à supporter auparavant. Si un détenteur de copyright es-
sayait maintenant de contrôler combien de fois je peux lire un livre en ligne,
la réponse naturelle serait d’affirmer que c’est une violation de mes droits
d’usage loyal. Mais il n’y a jamais eu de litige pour déterminer si la lecture
est un droit d’usage loyal, car avant Internet, la lecture ne déclenchait pas
l’application de la loi du copyright, et par conséquent il n’y avait pas besoin
de l’usage loyal comme défense. Auparavant, le droit de lire était effective-
ment protégé, car la lecture n’était pas réglementée.
    Ce point concernant l’usage loyal est totalement ignoré, même par les
défenseurs de la culture libre. Nous sommes piégés en soutenant que nos
droits dépendent de l’usage loyal — sans même jamais poser la question évo-
quée plus haut sur l’extension de la réglementation réelle. Une protection


                                     125
mince fondée sur l’usage loyal a du sens lorsque la majorité des utilisations
est non réglementée. Mais quand tout devient a priori réglementé, alors les
protections de l’usage loyal ne suffisent plus.
    Le cas de Video Pipeline est un bon exemple. Video Pipeline était fabri-
quant de « bandes-annonces » pour des films en vente dans des magasins
de vidéos. Ces magasins diffusaient les bandes-annonces comme moyen de
promotion des vidéos. Video Pipeline obtenait les bandes-annonces des dis-
tributeurs de films, les mettait sur cassette, et vendait ces cassettes aux ma-
gasins.
    L’entreprise fit ça pendant environ quinze ans. Puis, en 1997, elle com-
mença à réfléchir à Internet comme autre moyen de distribuer ces bandes-
annonces. L’idée était d’étendre leur technique de « vente par échantillon »
en donnant aux magasins en ligne la même capacité de « naviguer » parmi
les films. Tout comme dans une librairie vous pouvez lire quelques pages
d’un livre avant de l’acheter, donc, vous pourriez aussi voir un extrait de
film en ligne avant de l’acheter.
    En 1998, Video Pipeline informa Disney et d’autres distributeurs de film
qu’elle avait l’intention de distribuer les bandes-annonces par Internet (plu-
tôt qu’en envoyant des cassettes) aux distributeurs de leurs vidéos. Deux ans
plus tard, Disney demanda à Video Pipeline d’arrêter. Le propriétaire de Vi-
deo Pipeline souhaita discuter du sujet avec Disney — il avait construit une
activité de distribution de ce contenu comme un moyen d’aider Disney à
vendre ses films ; il avait des clients qui dépendaient de la diffusion de ce
produit. Disney acceptait de parler seulement si Video Pipeline cessait im-
médiatement la distribution. Video Pipeline pensait que cela faisait partie de
leurs droits « d’usage loyal » de distribuer des extraits comme ils le faisaient.
Donc ils intentèrent un procès pour demander à la cour de déclarer qu’ils
étaient dans leur droit.
    Disney contre-attaqua en justice — pour 100 millions de dollars de dom-
mages et intérêts. Ces dommages et intérêts étaient demandés au motif que
Video Pipeline avait « délibérément violé » le copyright de Disney. Quand
un tribunal conclut à une infraction délibérée, il peut accorder des dom-
mages et intérêts non pas sur la base du préjudice réel au détenteur du copy-
right, mais sur la base d’un montant fixé par la loi. Parce que Video Pipeline
avait diffusé sept cents extraits de films Disney pour permettre aux magasins
de vidéos de vendre ces films, Disney poursuivait désormais Video Pipeline
pour 100 millions de dollars.
    Disney a le droit de contrôler sa propriété, bien sûr. Mais les magasins
de vidéos qui vendaient les films de Disney avaient en quelque sorte égale-
ment le droit de pouvoir vendre les films achetés à Disney. La revendication
de Disney au tribunal était que les magasins étaient autorisés à vendre les
films et à lister leur titre, mais, sans la permission de Disney, ils n’étaient pas
autorisés à montrer des extraits des films pour faire leur vente.
    Maintenant, vous pensez peut-être que c’est un cas difficile à trancher,
et je pense que les tribunaux le considéreraient comme tel. Mon objectif
ici est de cartographier le changement qui donne un tel pouvoir à Disney.
Avant Internet, Disney ne pouvait pas vraiment contrôler comment les gens


                                       126
accédaient à son contenu. Une fois qu’une vidéo était sur le marché, la « doc-
trine de la première vente » donnait au vendeur la liberté d’utiliser la vidéo
comme bon lui semblait, incluant la diffusion d’extraits pour susciter les
ventes de la vidéo complète. Mais avec Internet, il devient possible à Disney
de centraliser le contrôle d’accès à ce contenu. Parce que chaque utilisation
d’Internet produit une copie, son utilisation devient l’objet d’un contrôle de
copyright. La technologie étend la portée du contrôle effectif, parce qu’elle
génère une copie pour chaque transaction.
    Sans doute, une possibilité n’est pas encore un abus, et donc la possibi-
lité de contrôle n’est pas encore un abus de contrôle. Barnes & Noble (NdT :
une chaîne de librairies) a le droit de dire que vous ne pouvez pas toucher un
livre dans leur magasin ; la loi sur la propriété leur en donne le droit. Mais
le marché protège efficacement contre cet abus. Si Barnes & Noble inter-
disait de feuilleter les livres, alors les clients choisiraient d’autres librairies.
La concurrence protège des extrêmes. Et il se peut même (mon argument
jusqu’à présent ne remet même pas cela en question) que la concurrence évi-
terait n’importe quel danger similaire quand il s’agit de copyright. Bien sûr,
les éditeurs exerçant les droits octroyés par les auteurs peuvent essayer de
réglementer combien de fois vous lisez un livre, ou essayer de vous empê-
cher de partager le livre avec quiconque. Mais dans un marché concurrentiel
comme celui du livre, le danger que cela arrive est assez faible.
    Une fois de plus, mon intention jusqu’à présent est simplement de car-
tographier les changements rendus possibles par cette structure modifiée.
Permettre à la technologie d’appliquer le contrôle du copyright signifie que
ce contrôle n’est plus défini par une politique équilibrée. Le contrôle du co-
pyright est simplement ce que les propriétaires privés choisissent. Dans cer-
tains contextes, au moins, ce fait est inoffensif. Mais dans d’autres, c’est la
recette d’un désastre.


                      Structure et Loi : force
    La disparition des utilisations non réglementées serait à elle seule déjà un
changement assez grand, mais un second changement important provoqué
par Internet amplifie sa portée. Ce second changement n’affecte pas la portée
de la réglementation du copyright ; il affecte comment elle est appliquée.
    Dans le monde d’avant la technologie numérique, c’était généralement
la loi qui contrôlait si quelqu’un était réglementé par la loi du copyright, et
comment. Qui dit loi, dit tribunal, dit juge : à la fin, c’était un être humain,
formé dans la tradition de la loi et conscient des équilibres que la tradition
embrassait, qui disait si et comment une loi devait restreindre votre liberté.
    Il y a une anecdote célèbre à propos d’une bataille entre les Marx Bro-
thers et Warner Brothers. Les Marx prévoyaient de faire une parodie de Ca-
sablanca. Warner Brothers s’y opposa. Ils écrivirent une lettre désagréable
aux Marx, les avertissant qu’il y aurait de graves conséquences légales s’ils
continuaient dans leur projet136 .
    Cela a amené les Marx Brothers à répondre de la sorte : ils avertirent


                                       127
Warner Brothers que les Marx Brothers « étaient frères bien avant que vous
le soyez »137 . Les Marx Brothers possédaient ainsi le mot brothers, et si War-
ner Brothers insistait pour essayer de contrôler Casablanca, alors les Marx
Brother insisteraient pour avoir le contrôle sur brothers.
    Une menace absurde et creuse, bien sûr, parce que Warner Brothers,
comme les Marx Brothers, savait qu’aucun tribunal n’appliquerait jamais
une telle demande. Cet extrémisme était sans rapport avec les réelles libertés
dont quiconque (y compris Warner Brothers) jouissait.
    Sur Internet, toutefois, il n’y a pas de vérification des règles idiotes, parce
que sur Internet, de plus en plus, les règles sont appliquées par une machine
et non par un être humain : de plus en plus, les règles de la loi sur le copyright,
telles qu’interprétées par le détenteur du copyright, sont construites dans la
technologie qui délivre le contenu protégé. C’est le code, plutôt que la loi,
qui décide. Et le problème avec les règlements par le code, c’est que, à la
différence de la loi, le code n’a pas de honte. Le code n’aurait pas compris
l’humour des Marx Brothers. La conséquence de ceci n’est pas drôle du tout.
    Considérons la vie de mon Adobe eBook Reader (NdT : lecteur de livre
électronique Adobe).
    Un e-book est un livre sous une forme électronique. Un Adobe eBook
n’est pas un livre publié par Adobe ; Adobe produit simplement le logiciel
que les éditeurs utilisent pour livrer les e-books. Il fournit la technologie,
que les éditeurs utilisent pour livrer leur contenu.




                                 F        10.12

   La figure 10.12 (p. 128) est l’image d’une vieille version de mon Adobe
eBook Reader.


                                       128
    Comme vous pouvez le voir, j’ai une petite collection d’e-books dans
cette bibliothèque d’e-books. Certains de ces livres reproduisent du contenu
qui est dans le domaine public : Middlemarch, par exemple, est dans le do-
maine public. Certains d’entre eux reproduisent du contenu qui n’est pas
dans le domaine public : mon propre livre L’avenir des idées n’est pas encore
dans le domaine public. Prenons Middlemarch d’abord. Si vous cliquez sur
ma copie e-book de Middlemarch, vous verrez une jolie couverture, et puis
un bouton en bas appelé Permissions.
    Si vous cliquez sur le bouton Permissions, vous allez voir la liste des per-
missions que l’éditeur prétend accorder avec ce livre.




                                 F       10.13

   D’après mon eBook Reader, j’ai la permission de copier dans le presse-
papiers de l’ordinateur dix sélections de texte tous les dix jours. (Jusqu’à pré-
sent, je n’ai copié aucun texte dans le presse-papiers.) J’ai également la per-
mission d’imprimer dix pages du livre tous les dix jours. Pour finir, j’ai la
permission d’utiliser le bouton Read Aloud (NdT : lire à voix haute) pour
entendre Middlemarch lu par l’ordinateur.
   Voici le e-book d’une autre œuvre dans le domaine public (y compris les
traductions) : La Politique d’Aristote.




                                      129
                                F        10.14

   D’après ses permissions, aucune impression ni copie n’est permise du
tout. Mais heureusement, vous pouvez utiliser le bouton Read Aloud pour
écouter ce livre.




                                F        10.15

   Enfin (et c’est le plus gênant), voici les permissions pour la version e-book
originale de mon dernier livre, L’avenir des idées :




                                     130
                                  F       10.16

    Pas de copie, pas d’impression, et ne vous avisez pas d’essayer d’écouter
ce livre !
    Maintenant, l’Adobe eBook Reader appelle ces contrôles « permissions »
— comme si l’éditeur avait le pouvoir de contrôler comment sont utilisées
ces œuvres. Pour des œuvres soumises au copyright, le détenteur du copy-
right en a certainement le pouvoir — dans les limites de la loi sur le copy-
right. Mais pour des œuvres non soumises au copyright, le pouvoir du co-
pyright ne s’applique pas138 . Quand mon e-book de Middlemarch dit que j’ai
la permission de copier seulement dix sélections de texte en mémoire tous
les dix jours, cela signifie en réalité que l’eBook Reader a permis à l’éditeur
de contrôler comment j’utilise le livre sur mon ordinateur, bien au-delà du
contrôle que la loi autorise.
    Au lieu de cela, le contrôle provient du code — de la technologie dans
laquelle « réside » le livre électronique. Bien que le e-book dise que ce sont
des permissions, c’est le genre de « permissions » que la plupart d’entre nous
ne pratique pas. Quand une adolescente obtient la « permission » de sortir
jusqu’à minuit, elle sait (à moins d’être Cendrillon) qu’elle peut sortir jus-
qu’à deux heures du matin, mais qu’elle subira une sanction si elle se fait
prendre. Mais quand l’Adobe eBook Reader dit que j’ai la permission de faire
dix copies du texte dans la mémoire de l’ordinateur, cela signifie qu’après
dix copies, l’ordinateur n’en fera pas plus. Pareil pour les restrictions d’im-
pression : après dix pages, l’eBook Reader n’en imprimera pas plus. C’est la
même chose pour la restriction idiote qui dit que vous ne pouvez pas utiliser
le bouton Read Aloud pour lire mon livre à voix haute — l’entreprise ne vous
poursuivra pas en justice si vous le faites ; à la place, si vous appuyez sur le
bouton Read Aloud, la machine ne lira simplement pas à voix haute.
    Ce sont des contrôles, pas des permissions. Imaginez un monde où les
Marx Brothers vendraient un logiciel de traitement de texte qui, quand vous
tenteriez de taper « Warner Brothers », effacerait « Brothers » de la phrase.
    C’est l’avenir de la loi du copyright : ce ne sera pas tant la loi sur le copy-
right que le code du copyright. Les contrôles d’accès au contenu ne seront pas
ratifiés par les tribunaux ; ces contrôles seront ceux codés par des program-
meurs. Et alors que les contrôles construits par la loi sont toujours amenés
à être vérifiés par un juge, les contrôles construits par la technologie n’ont
pas de vérification interne similaire.
    En quoi est-ce important ? N’est-il pas toujours possible de contourner
les contrôles faits par la technologie ? Les logiciels étaient habituellement


                                       131
vendus avec des techniques qui limitaient la capacité des utilisateurs à les
copier, mais c’étaient des protections triviales à défaire. Pourquoi ne sera-t-
il pas trivial de défaire ces protections aussi ?
    Nous n’avons fait qu’effleurer la surface de cette histoire. Retournons à
l’Adobe eBook Reader.
    Plus tôt dans la vie de l’Adobe eBook Reader, Adobe souffrait de relations
publiques cauchemardesques. Parmi les livres que vous pouviez télécharger
gratuitement sur le site de Adobe figurait une copie d’Alice au pays des mer-
veilles. Ce merveilleux livre est dans le domaine public. Pourtant quand vous
cliquiez sur Permissions pour ce livre, vous aviez le message suivant :




                                  F        10.17

    Voici un livre pour enfants du domaine public que vous n’êtes pas auto-
risé à copier, ni autorisé à prêter, ni autorisé à donner, et, comme l’indiquent
les « permissions », ni autorisé à « lire à voix haute » !
    Le cauchemar des relations publiques était lié à cette dernière permis-
sion. Parce que le texte ne disait pas que vous n’étiez pas autorisé à utiliser
le bouton Read Aloud ; il disait que vous n’aviez pas la permission de lire le
livre à voix haute. Cela a amené certaines personnes à penser qu’Adobe re-
streignait le droit des parents, par exemple, de lire le livre à leurs enfants, ce
qui semblait, c’est le moins qu’on puisse dire, absurde.
    Adobe répondit rapidement qu’il était absurde de penser qu’il essayait
de restreindre le droit de lire un livre à voix haute. [Note : Quelle ironie in-
téressante pour Adobe de dire qu’il est « absurde » de restreindre un livre d’être lu
à voix haute quand elle construit exactement cette capacité dans ses logiciels.] Évi-
demment c’était seulement restreindre la capacité d’utiliser le bouton Read
Aloud pour avoir le livre lu à voix haute. Mais Adobe n’a jamais répondu à la
question suivante : Adobe serait-il donc d’accord pour qu’un client utilise li-
brement un logiciel pour contourner les restrictions mises dans l’eBook Rea-
der ? Si une entreprise (appelons-la Elcomsoft) développait un programme
pour désactiver la protection technique d’un Adobe eBook afin qu’une per-
sonne aveugle, disons, puisse utiliser un ordinateur pour lire le livre à voix
haute, Adobe penserait-il que cet usage de l’eBook Reader est loyal ? Adobe
n’a pas répondu parce que la réponse, aussi absurde puisse-t-elle paraître,
est non.
    Ce n’est pas pour dire du mal d’Adobe. En effet, Adobe est parmi les entre-
prises les plus innovantes, développant des stratégies pour équilibrer l’accès


                                        132
ouvert au contenu et des incitations pour que les entreprises innovent. Mais
la technologie d’Adobe permet le contrôle, et Adobe a un intérêt à défendre
ce contrôle. Cet intérêt est compréhensible, mais ce qu’il produit est souvent
délirant.
    Pour illustrer ce fait dans un cas particulièrement absurde, voici une de
mes histoires préférées qui met en évidence la même chose.
    Prenons le chien robot de Sony nommé « Aibo ». L’Aibo apprend des
tours, fait des câlins et vous suit. Il ne consomme que de l’électricité et ne
fait pas tant de dégâts que ça (au moins dans votre maison).
    L’Aibo est cher et populaire. Des fans du monde entier ont monté des
clubs pour échanger des histoires. Un fan en particulier a monté un site Web
pour pouvoir partager des informations sur le chien Aibo. Ce fan a monté
aibopet.org (et aibohack.org, mais celui-ci mène au même site), et sur ce site
il a fourni des informations sur comment apprendre à un Aibo à faire des
tours en plus de ceux que Sony lui a appris.
    « Apprendre » a ici un sens spécial. Les Aibos sont juste des ordinateurs
mignons. Vous apprenez à un ordinateur à faire quelque chose en le pro-
grammant différemment. Donc, dire qu’aibopet.com donnait des informa-
tions sur comment apprendre au chien à faire de nouveaux tours est juste
une manière de dire qu’aibopet.com donnait aux utilisateurs de l’animal de
compagnie Aibo l’information sur comment hacker (NdT : bricoler) leur
« chien »-ordinateur pour lui faire faire de nouveaux tours (d’où le nom ai-
bohack.com).
    Si vous n’êtes pas programmeur ou ne connaissez pas beaucoup de pro-
grammeurs, le verbe hacker (NdT : en anglais, tailler ou découper) a une
connotation particulièrement peu sympathique. Les non-programmeurs
taillent des buissons ou la mauvaise herbe. Les non-programmeurs dans des
films d’horreur font encore pire. Mais pour les programmeurs, ou codeurs,
comme je les appelle, hacker est un terme bien plus positif. Un hack veut juste
dire du code qui permet au programme de faire quelque chose qu’il n’était
pas prévu ou permis de faire. Si vous achetez une nouvelle imprimante pour
un vieil ordinateur, vous constaterez peut-être que l’imprimante ne marche
pas, ou n’est pas « pilotée » par le vieil ordinateur. Si vous découvrez ça, vous
serez ensuite content de trouver un hack sur le Net de quelqu’un qui a écrit
un pilote qui permette à l’ordinateur d’utiliser l’imprimante que vous venez
d’acheter.
    Certains hacks sont faciles. D’autres sont incroyablement difficiles. Les
hackeurs en tant que communauté aiment relever et se lancer des défis, avec
des objectifs de plus en plus difficiles. Il y a un certain respect qui va avec
le talent de bien hacker. Il y a un respect fort mérité qui va avec le talent de
hacker avec éthique.
    Le fan de Aibo montrait un peu des deux talents quand il a hacké le pro-
gramme et offert au monde un morceau de code qui permettait à l’Aibo de
danser le jazz. Le chien n’était pas programmé pour danser le jazz. C’était
une petite adaptation astucieuse qui avait transformé le chien en une créa-
ture plus talentueuse que celle construite par Sony.
    J’ai raconté cette histoire à de nombreuses occasions, à la fois dans et


                                      133
en dehors des États-Unis. Une fois, un membre du public interloqué m’a
demandé s’il était permis pour un chien de danser le jazz aux États-Unis ?
Nous oublions que les histoires sur l’arrière-pays font toujours le tour d’une
grande partie du monde. Soyons donc simplement clair avant de continuer :
ce n’est (plus maintenant) un crime nulle part de danser le jazz. Ce n’est pas
non plus un crime d’apprendre à votre chien de danser le jazz. Cela ne de-
vrait pas non plus être un crime (quoique nous n’avons pas beaucoup de
quoi continuer ici) d’apprendre à votre chien à danser le jazz. Danser le jazz
est une activité complètement légale. On imagine que le propriétaire d’aibo-
pet.com a pensé : quel problème potentiel pourrait-il y avoir à apprendre à danser
à un chien robot ?
    Mettons le chien en veilleuse une minute, et tournons-nous vers un spec-
tacle de poney — pas au sens littéral, mais plutôt un article qu’un universi-
taire de Princeton nommé Ed Felten a écrit pour une conférence. Cet uni-
versitaire de Princeton est reconnu et respecté. Il a été engagé par le gouver-
nement dans l’affaire Microsoft pour évaluer les affirmations de Microsoft
sur ce qui pouvait et ne pouvait pas être fait avec son propre code. Dans ce
procès, il a fait preuve à la fois d’une grande intelligence et de sang-froid.
Soumis à un lourd harcèlement de la part des avocats de Microsoft, Ed Fel-
ten a fait front. On n’allait pas le museler par la force sur quelque chose qu’il
connaissait très bien.
    Mais la bravoure de Felten a été vraiment mise à l’épreuve en avril
2001139 . Lui et un groupe de collègues étaient en train de travailler sur un
article qui allait être présenté en conférence. L’objet de l’étude était de dé-
crire les faiblesses d’un système de chiffrement en cours de développement
par Secure Digital Music Initiative utilisé comme technique pour contrôler
la distribution de musique.
    Le but de la coalition SDMI était d’avoir une technologie qui permette
aux propriétaires de contenu d’exercer un bien meilleur contrôle de leur
contenu que ce que permettait Internet, tel que conçu à l’origine. En utilisant
le chiffrement, SDMI souhaitait développer un standard qui permettrait à
un détenteur de contenu de dire « cette musique ne peut pas être copiée »,
et d’avoir un ordinateur qui respecte cette consigne. La technologie devait
faire partie d’un « système éprouvé » de contrôle, qui ferait d’Internet un
système bien plus fiable pour les détenteurs de contenu.
    Quand SDMI pensa être proche d’un standard, il organisa un concours.
Les participants devaient casser le chiffrement d’un contenu crypté par
SDMI, et en cas de réussite rapporter les problèmes au consortium.
    Felten et son équipe comprirent rapidement la méthode de chiffrement.
Lui et son équipe virent la faiblesse de ce type de méthode : beaucoup de
systèmes de chiffrement souffriraient de la même faiblesse, et Felten et son
équipe pensaient que cela valait le coup de le signaler à ceux qui étudient les
techniques de chiffrement.
    Examinons ce que Felten était en train de faire. Encore une fois, nous
sommes aux États-Unis. Nous avons un principe de liberté d’expression.
Nous avons ce principe pas juste parce que c’est la loi, mais aussi parce que
c’est une grande idée. Une tradition de liberté d’expression fortement pro-


                                      134
tégée a des chances d’encourager les critiques les plus variées. Ces critiques
sont susceptibles, en échange, d’améliorer les systèmes ou les gens ou les
idées critiquées.
    Ce que Felten et ses collègues étaient en train de faire, c’était publier un
papier décrivant la faiblesse d’une technologie. Ils ne diffusaient pas de la
musique gratuitement, ni ne développaient ou déployaient cette technolo-
gie. L’article était un essai scientifique, incompréhensible pour la plupart des
gens. Mais il montrait clairement la faiblesse dans le système SDMI, et pour-
quoi SDMI, dans sa conception actuelle, ne réussirait pas.
    Ce qui relie les deux, aibopet.com et Felten, ce sont les lettres qu’ils ont
reçues. Aibopet.com reçut une lettre de Sony concernant le hack de aibo-
pet.com. Bien qu’un chien dansant le jazz soit parfaitement légal, Sony écri-
vit :
     Votre site contient des informations donnant les moyens de
     contourner le protocole de protection contre la copie du logiciel
     AIBO, constituant une violation des dispositions du Digital Mil-
     lennium Copyright Act.
Et bien qu’un article scientifique expliquant la faiblesse d’un système de chif-
frement devrait également être parfaitement légal, Felten reçut une lettre
d’un avocat de la RIAA disant :
      Toute divulgation d’information obtenue de la participation au
      Public Challenge serait en dehors du cadre des activités permises
      par l’Accord et pourrait vous exposer vous et votre équipe de re-
      cherche à des poursuites en vertu du Digital Millennium Copy-
      right Act (« DMCA »).
    Dans les deux cas, cette loi étrangement orwellienne était invoquée pour
contrôler la diffusion de l’information. Le Digital Millennium Copyright Act
faisait de la diffusion de ces informations un délit.
    Le DMCA a été voté pour répondre à la première peur des détenteurs de
copyright concernant le cyberespace. La peur que le contrôle du copyright
soit effectivement mort ; la réponse fut de trouver des technologies qui pour-
raient contrebalancer. Ces nouvelles technologies seraient des technologies
de protection de copyright — des technologies pour contrôler la réplication
et la distribution de contenu protégé. Elles étaient conçues comme du code
destiné à modifier le code original d’Internet, pour rétablir une protection
des détenteurs de copyright.
    Le DMCA était une loi faite pour soutenir la protection de ce code conçu
pour protéger le contenu sous copyright. C’était, pourrait-on dire, du code
légal destiné à soutenir le code logiciel qui lui-même était destiné à soutenir le
code légal du copyright.
    Mais le DMCA n’a pas été conçu pour simplement protéger les œuvres
sous copyright dans la limite de ce que prévoit la loi sur le copyright. Sa pro-
tection, pour ainsi dire, ne s’est pas arrêtée à la ligne tracée par la loi sur le
copyright. Le DMCA réglementait des systèmes conçus pour contourner des
mesures de protection de copyright. Il a été créé pour interdire ces systèmes,


                                      135
que l’accès à du contenu sous copyright rendu possible par ce contourne-
ment soit une violation du copyright ou pas.
    Aibopet.com et Felten en sont de parfaits exemples. Le hack du Aibo
contournait un système de protection de copyright dans le but de permettre
au chien de danser le jazz. Cette activation a sans doute impliqué l’utilisa-
tion de matériel sous copyright. Mais comme le site d’aibopet.com n’était
pas à but commercial, et que l’utilisation ne permettait pas de violations
ultérieures de copyright, il n’y a pas de doute que le hack d’aibopet.com
était de l’usage loyal du matériel de Sony. Pourtant l’usage loyal n’est pas
un argument de défense contre le DMCA. Pour lui, la question n’est pas de
savoir si l’utilisation de matériel sous copyright est une violation du copy-
right. La question est de savoir si un système de protection de copyright a
été contourné.
    La menace contre Felten était plus atténuée, mais elle suivait le même rai-
sonnement. En publiant un article expliquant comment un système de pro-
tection de copyright pouvait être contourné, prétendit l’avocat de la RIAA,
Felten était lui-même en train de distribuer une technique de contourne-
ment. Ainsi, même si lui-même ne violait le copyright de personne, son
étude théorique permettait à d’autres d’enfreindre le copyright appartenant
à d’autres.
    La bizarrerie de ces arguments est capturée dans une caricature dessinée
en 1981 par Paul Conrad. À cette époque, un tribunal de Californie avait
affirmé que le magnétoscope pouvait être interdit car c’était une technolo-
gie d’infraction du copyright : il permettait aux consommateurs de copier
des films sans la permission du détenteur du copyright. Il y avait sans doute
des utilisations de la technologie qui était légales : Fred Rogers, alias « Mr.
Rogers », par exemple, avait témoigné dans cette affaire qu’il voulait que les
gens se sentent libres d’enregistrer Mr. Roger’s Neighborhood.
      Des chaînes publiques, aussi bien que des chaînes commerciales,
      diffusent le « Neighborhood » à des heures où certains enfants ne
      peuvent pas le regarder. Je pense que c’est un vrai service rendu
      aux familles que de pouvoir enregistrer de tels programmes et de
      les montrer à des heures appropriées. J’ai toujours pensé qu’avec
      la venue de toute cette nouvelle technologie qui permet aux gens
      d’enregistrer le « Neighborhood » sans avoir à le regarder, et
      je parle du « Neighborhood » parce que c’est ce que je produis,
      qu’elles deviendraient bien plus actives dans la programmation
      de leur vie télévisuelle familiale. Très franchement, je suis opposé
      au fait que des gens soient programmés par d’autres. Mon ap-
      proche globale des émissions a toujours été que « Vous êtes une
      personne importante simplement comme vous êtes. Vous pouvez
      prendre des décisions saines ». Peut-être que je m’égare, mais je
      pense simplement que tout ce qui permet à une personne d’être
      plus active dans le contrôle de sa vie, de manière saine, est impor-
      tant140 .
    Même s’il y avait des utilisations qui étaient légales, le tribunal a tenu
pour responsables les entreprises produisant le magnétoscope, car certaines


                                     136
de ses utilisations étaient illégales.
   Ce qui amena Conrad à dessiner le dessin de la figure 10.18 (p. 137), que
nous pouvons reprendre pour le DMCA.
   Je n’ai pas d’argument qui pourrait surpasser cette image, mais laissez-
moi essayer de m’en approcher.




F       10.18— « Pour quel objet les tribunaux ont-ils rendus responsables
les constructeurs et les détaillants d’avoir fourni l’article ? »

    Les dispositions anti-contournement du DMCA ciblent les technolo-
gies de contournement de copyright. Les technologies de contournement
peuvent être utilisées à des fins différentes. Elles peuvent être utilisées, par
exemple, pour permettre le piratage massif de matériel sous copyright — une
mauvaise fin. Ou elles peuvent être utilisées pour permettre l’utilisation de
certains matériels sous copyright d’une façon qui serait considérée comme
de l’usage loyal — une bonne fin.
    Un pistolet peut être utilisé pour tuer un policier ou un enfant. Les plu-
part des gens serait d’accord pour dire qu’un tel usage est mauvais. Ou un
pistolet peut être utilisé pour s’entraîner au tir ou se protéger contre un in-
trus. Au moins quelques personnes diraient que de tels usages seraient bons.
C’est, aussi, une technologie qui a à la fois des bons et des mauvais usages.
    L’idée évidente du dessin de Conrad est l’étrangeté d’un monde où les
pistolets sont légaux, malgré les dommages qu’ils peuvent faire, alors que les
magnétoscopes (et les technologies de contournement) sont illégaux. Flash :
Personne n’est jamais mort à cause d’un contournement de copyright. Et pourtant
la loi interdit absolument les technologies de contournement, malgré le bien
potentiel qu’elles pourraient apporter, mais autorise les pistolets, malgré les
dommages évidents et tragiques qu’ils provoquent.


                                     137
    Les exemples de l’Aibo et de la RIAA démontrent comment les détenteurs
de copyright sont en train de changer l’équilibre accordé par la loi du copy-
right. En utilisant du code, les détenteurs de copyright restreignent l’usage
loyal ; en utilisant le DMCA, ils sanctionnent ceux qui tenteraient d’échap-
per aux restrictions sur l’usage loyal qu’ils imposent par le code. La techno-
logie devient un moyen par lequel l’usage loyal peut être effacé ; la loi du
DMCA soutient cet effacement.
    C’est ainsi que le code devient la loi. Les contrôles intégrés dans la techno-
logie de protection de l’accès et contre la copie deviennent des règles, dont
la violation constitue également une infraction à la loi. De cette manière, le
code étend la loi — en augmentant sa réglementation, même si l’objet qu’il ré-
glemente (des activités qui autrement constitueraient simplement de l’usage
loyal) est en dehors de la portée de la loi. Le code devient la loi ; le code
étend la loi ; le code étend ainsi le contrôle effectué par les détenteurs de
copyright — au moins pour les détenteurs de copyright qui ont des avocats
pouvant écrire les lettres de menaces que Felten et aibopet.com ont reçues.
    Il y a un dernier élément de l’interaction entre la structure et la loi qui
contribue à la force de la réglementation du copyright. C’est la facilité avec
laquelle les infractions à la loi peuvent être détectées. Car contrairement à
la rhétorique habituelle à la naissance du cyberespace — qui dit que sur In-
ternet, personne ne sait si vous êtes un chien ou un chat — de plus en plus,
compte tenu des évolutions des technologies déployées sur Internet, il est
facile de trouver le chien qui a commis un acte illégal. Les technologies d’In-
ternet sont ouvertes aussi bien aux espions qu’aux partageurs, et les espions
s’améliorent dans la recherche d’identité de ceux qui enfreignent les règles.
    Par exemple, imaginez que vous fassiez partie d’un fan club de Star Trek.
Vous vous rassemblez chaque mois pour partager des anecdotes, et peut-être
pour monter une sorte de fiction de fans sur la série. Une personne jouerait
Spock, une autre le capitaine Kirk. Les personnages commenceraient avec
une trame issue d’une vraie histoire, et la continueraient simplement141 .
    Avant Internet, c’était, dans le fond, une activité totalement non-
réglementée. Peu importe ce qui se passait dans la salle de votre club, la po-
lice du copyright ne vous aurait jamais dérangé. Vous étiez libre dans cet
espace de faire ce que vous vouliez avec cette partie de notre culture. Vous
étiez autorisé à l’utiliser selon votre souhait, sans crainte de contrôle légal.
    Mais si vous déplacez votre club sur Internet, et que généralement vous
acceptez d’autres adhérents, cela se passerait très différemment. Des robots
parcourant le Net à la recherche d’infractions aux marques et aux copyrights
trouveraient rapidement votre site. Vos écrits de fiction, en fonction de la
propriété des séries que vous dépeignez, pourraient bien motiver une me-
nace d’avocat. Et ignorer la menace d’un avocat serait en effet extrêmement
coûteux. La loi sur le copyright est extrêmement efficace. Les peines sont
sévères, et la procédure est rapide.
    Ce changement dans la puissance réelle de la loi est dû à la facilité avec
laquelle la loi peut maintenant être appliquée. Ce changement modifie éga-
lement l’équilibre de la loi de manière radicale. C’est comme si votre voi-
ture transmettait la vitesse à laquelle vous roulez à chaque moment de votre


                                      138
conduite ; cela serait la dernière étape avant que l’état ne commence à impri-
mer des amendes à partir des données que vous envoyez. C’est, en réalité, ce
qui est en train de se passer ici.


                   Marché : Concentration
     La durée du copyright a augmenté de manière considérable – triplement
durant les trente dernières années. Le domaine d’application du copyright
a augmenté aussi – régissant à l’origine uniquement les éditeurs pour main-
tenant s’appliquer à tout le monde. Et la portée du copyright a changé, car
toute action devient une copie et est par conséquent susceptible d’être ré-
glementée. Et comme les techniciens trouvent de meilleurs moyens pour
contrôler l’utilisation du contenu, et comme l’application du copyright est
renforcée par la technologie, la force du copyright change aussi. Une utili-
sation abusive est plus facile à trouver et à contrôler. Cette réglementation
du processus de création, qui a commencé comme une réglementation mi-
nuscule portant sur une part minuscule du marché de la création, est deve-
nue le régulateur principal de la création. C’est une augmentation massive
de l’étendue du contrôle gouvernemental sur l’innovation et la créativité ; le
copyright serait totalement méconnaissable pour ceux qui le créèrent.
     Et pourtant, de mon point de vue, ces changements ne seraient pas si
importants s’il n’y avait une évolution supplémentaire dont on doit aussi
tenir compte. C’est une évolution qui d’une certaine manière nous est très
familière, même si sa signification et sa portée ne sont pas bien comprises.
C’est elle qui justifie précisément pourquoi nous devons nous inquiéter de
toutes les autres évolutions que j’ai citées.
     C’est l’évolution dans la concentration et l’intégration des médias. Dans
les vingt dernières années, la nature de la propriété des médias a subi une
transformation radicale, provoquée par le changement des lois régissant les
médias. Avant que ce changement survienne, les différentes formes de mé-
dia étaient possédées par des entreprises différentes. Maintenant, les mé-
dias sont entre les mains de quelques sociétés. En effet, depuis les change-
ments annoncés en juin 2003 par la FCC, la plupart s’attendent à ce que d’ici
quelques années 85% des médias soient contrôlés par seulement trois socié-
tés.
     Ces évolutions sont de deux sortes : l’étendue de la concentration, et sa
nature.
     Les évolutions sur l’étendue sont les plus faciles à décrire. Comme l’a
résumé le sénateur John McCain à partir des statistiques sur la propriété
des médias présentées dans le rapport à la FCC, « cinq sociétés contrôlent
85% de nos sources médiatiques142 ». Les cinq labels Universal Music Group,
BMG, Sony Music Entertainment, Warner Music Group, et EMI contrôlent
84,8% du marché musical américain143 . Les « cinq plus grands opérateurs
du câble drainent jusqu’à 74% des abonnés au niveau national144 ».
     L’histoire de la radio est encore plus dramatique. Avant la dérégulation,
les plus grandes compagnies de radio possédaient moins de 75 stations. Au-


                                    139
jourd’hui une compagnie possède plus de 1 200 stations. Durant cette pé-
riode de concentration, le nombre de propriétaires de stations de radio a
chuté de 34%. Aujourd’hui, sur la plupart des marchés, les deux acteurs
principaux contrôlent 74% des revenus. Globalement, quatre compagnies
drainent 90% des revenus nationaux de la publicité radio.
     Il y a aussi une concentration des propriétaires de journaux. Aujourd’hui,
il y a six cents fois moins de quotidiens aux États Unis qu’il y a quatre-vingts
ans, et dix entreprises contrôlent la moitié des tirages du pays. Il y a vingt
éditeurs de journaux importants aux États Unis. Les dix premiers studio de
cinéma récoltent 99% des revenus cinématographiques. Les dix principales
compagnies de câble comptabilisent 85% des revenus du secteur. C’est un
marché très éloigné de la presse libre que les rédacteurs de la constitution
cherchaient à protéger. En fait, c’est un marché qui est entièrement protégé
– par le marché.
     La concentration est une chose. L’évolution la plus insidieuse concerne
la nature de cette concentration. Comme James Fallows le soulignait dans
un article récent sur Rupert Murdoch :
      Les Sociétés du groupe Murdoch constituent un système de
      production inégalé dans son intégration. Elles fournissent le
      contenu — films de la Fox […] émissions télé de la Fox […] dif-
      fusion d’événements sportifs exclusifs de la Fox, plus des quo-
      tidiens et des livres. Elles vendent le contenu au public et aux
      annonceurs — dans les journaux, sur le réseau hertzien, et les ré-
      seaux câblés. Et elles gèrent le système de distribution physique
      qui transmet le contenu aux clients. Le système de satellites de
      Murdoch diffuse maintenant News Corp en Europe et en Asie ;
      si Murdoch devient l’unique propriétaire du plus grand système
      de télévision directe, ce système servira la même fonction aux
      États Unis 145 .
   Le modèle de Murdoch c’est le modèle des médias modernes. Pas sim-
plement quelques compagnies possédant beaucoup de radio, mais quelques
compagnies possédant autant de variétés de média que possible. Un dessin
décrit mieux ce modèle que des milliers de mots :




                                     140
                                 F       10.19

    Cette concentration est-elle si importante ? Affecte-t-elle le contenu ou
ce qui est distribué ? Ou s’agit-il simplement d’un moyen plus efficace de
produire et de distribuer du contenu ?
    Mon point de vue était que la concentration ne devrait pas déranger. Je
pensais qu’il ne s’agissait que d’une structure financière plus efficace. Mais
maintenant, après avoir lu et écouté un ensemble de créateurs essayant de
me convaincre du contraire, je commence à changer d’avis.
    Voici une histoire représentative qui suggère comment cette concentra-
tion peut jouer.
    En 1969, Norman Lear réalisa un pilote pour la série All in the Family. Il
le présenta à ABC. La chaîne ne l’aima pas. C’est trop provocateur, dit ABC à
Lear. Refaites-le. Lear le refit encore plus provocateur que le premier. ABC
était exaspéré. Vous êtes à coté du sujet, lui dirent-ils. Nous le voulions moins
provocateur, pas davantage.
    Plutôt que de se soumettre, Lear proposa son émission ailleurs. CBS était
ravi d’avoir la série ; ABC ne pouvait pas l’en empêcher. Les copyrights de
Lear garantissaient son indépendance vis-à-vis de la chaîne146 .
    Le chaîne ne contrôlait pas ces copyrights car la loi interdisait aux
chaînes de contrôler les contenus qu’ils diffusaient. La loi imposait une sé-
paration entre les chaînes et les producteurs de contenu ; cette séparation
garantissait la liberté de Lear. Et jusqu’en 1992, grâce à ces règles, la grande
majorité des émissions de grande écoute – 75% d’entre elles – était « indé-
pendante » des chaînes.
    En 1994, la FCC supprima les règles imposant cette indépendance. Après
ce changement, les chaînes ont rapidement modifié l’équilibre. En 1985, il
existait 25 studios indépendants de production de télévision ; en 2002, il


                                      141
n’en restait plus que 5. « En 1992, seulement 15% des nouvelles séries étaient
produites par la filiale d’une chaîne. L’année dernière, le pourcentage des
émissions produites par des filiales de chaîne a plus que quintuplé pour
atteindre 77%. » « En 1992, 16 nouvelles séries ont été produites indépen-
damment du contrôle d’un conglomérat, et l’année dernière, il n’y en a eu
qu’une »147 . En 2002, 75% des émissions en prime time étaient produites par
la chaîne qui les diffusait. « Dans la période entre 1992 et 2002, le nombre
d’heures par semaine d’émission en prime time produites par les chaînes ont
augmenté de 200%, tandis que le nombre d’heures par semaine d’émission
en prime time produites par des studios indépendants a chuté de 63%. »148
    Aujourd’hui, un autre Norman Lear avec un autre All in the Family aurait
le choix soit de rendre l’émission moins provocatrice, soit d’être renvoyé. Le
contenu des productions développées pour une chaîne est de plus en plus la
propriété de la chaîne.
    Tandis que le nombre de chaînes a augmenté de manière considérable,
la propriété de ces chaînes s’est concentrée dans les mains de quelques-uns.
Comme le disait Barry Diller à Bill Moyers :
     Eh bien, si vous avez des entreprises qui produisent, financent,
     diffusent sur leur chaîne, et qui distribuent au niveau mondial
     tout ce qui passe par leur système de distribution, alors ce que
     vous obtenez c’est de moins en moins d’acteurs réels dans le pro-
     cessus. [Nous] avions des douzaines et des douzaines de produc-
     teurs indépendants d’émission de télévision. Maintenant il n’en
     reste même pas une poignée149 .
    Cette réduction a un effet sur ce qui est produit. La production de chaînes
aussi vastes et concentrées est de plus en plus homogène. De plus en plus pru-
dente. De plus en plus stérile. La production des journaux d’actualité de ces
chaînes est de plus en plus façonnée par le message que la chaîne veut vé-
hiculer. Ce n’est pas le parti communiste, bien que de l’intérieur, cela doive
ressembler un peu au parti communiste. Personne ne peut émettre un doute
sans risque de conséquences – pas nécessairement le bannissement en Si-
bérie, mais une sanction tout de même. Des points de vue indépendants,
critiques, différents sont rejetés. Ce n’est pas un environnement pour une
démocratie.
    L’économie offre un parallèle qui permet d’expliquer pourquoi cette in-
tégration affecte la créativité. Clay Christensen a écrit sur le « le dilemme
des innovateurs » : le fait que de grandes sociétés traditionnelles ignorent de
manière délibérée les percées technologiques qui concurrencent leur cœur
de métier. La même analyse pourrait aider à expliquer pourquoi de grands
groupes de média traditionnels trouvent rationnels d’ignorer de nouvelles
tendances culturelles150 . Les mastodontes non seulement ne sprintent pas,
mais ne devraient pas sprinter. Si le terrain est réservé aux géants, il y aura
très peu de sprint.
    Je ne pense pas que nous connaissions suffisamment l’économie du mar-
ché des médias pour affirmer avec certitude ce que la concentration et l’in-
tégration amèneront. Les rendements sont importants, et les effets sur la
culture difficiles à mesurer.


                                     142
    Mais, il y a un exemple évident qui montre nettement le problème.
    En plus de la guerre des copyrights, nous sommes au milieu de la guerre
de la drogue. La politique gouvernementale combat les cartels de la drogue ;
les tribunaux au pénal et au civil sont surchargés des suites de ce combat.
    Laissez-moi maintenant me disqualifier pour toute nomination éven-
tuelle au gouvernement, en disant que je crois que ce combat est une pro-
fonde erreur. Je ne suis pas pro-drogue. Au contraire, je viens d’une famille
victime de la drogue, bien que les drogues qui détruisirent ma famille étaient
entièrement légales. Je crois que ce combat est une erreur profonde car les
dommages collatéraux sont si grands qu’ils rendent folle la poursuite de la
guerre. Quand vous additionnez le fardeau sur le système judiciaire, le déses-
poir de générations d’ado dont la seule réelle opportunité économique est
d’être un revendeur, les atteintes aux protections constitutionnelles à cause
de la surveillance constante que ce combat implique, et, par dessus tout, la
complète destruction du système judiciaire de plusieurs pays d’Amérique la-
tine à cause du pouvoir des cartels de la drogue, je pense qu’il est impossible
de croire que le bénéfice marginal de la réduction de la consommation amé-
ricaine de drogue puisse contrebalancer ces coûts.
    Vous n’êtes peut-être pas convaincu. D’accord, nous sommes en démo-
cratie et c’est par le vote que nous choisissons notre politique. Mais pour
cela, nous sommes fondamentalement tributaires de la presse qui informe
les américains de ces sujets.
    Au début de 1998, l’office national de lutte contre la drogue lança une
campagne médiatique dans sa « guerre contre les drogues ». La campagne
produisit des tas de clips traitant de questions relatives aux drogues illégales.
Dans une des séries (Nick et Norm) deux hommes dans un bar discutent de
l’idée de légaliser des drogues comme un moyen d’éviter certains des dom-
mages collatéraux de cette guerre. L’un avance un argument en faveur de
la légalisation des drogues. L’autre répond à l’argument du premier par un
développement convaincant et étayé. À la fin, le premier gars change d’avis
(c’est de la télé). L’insert publicitaire se termine par une attaque accablante
contre la campagne pour la légalisation.
    Assez juste. Bonne publicité. Pas vraiment trompeuse. Elle délivre bien
son message. Il s’agit d’un message raisonnable et équilibré.
    Mais imaginons que vous pensiez que c’est un message erroné et que vous
vouliez faire une contre publicité. Imaginons que vous vouliez présenter une
série de spots qui cherchent à démontrer les extraordinaires dommages col-
latéraux de la guerre contre la drogue. Pouvez vous le faire ?
    Évidemment toutes ces annonces coûtent beaucoup d’argent. Supposons
que vous arriviez à récolter les fonds. Supposons qu’un groupe de citoyens
donne suffisamment d’argent pour vous aider à diffuser votre message. Êtes-
vous sûr que votre message sera entendu ?
    Non. Ce n’est pas sûr. Les chaînes de télévision ont pour politique d’évi-
ter les annonces sujettes à « controverse ». Les annonces produites par le
gouvernement sont supposées ne pas être sujettes à controverse ; les an-
nonces en désaccord avec le gouvernement sont sujettes à controverse. Cette
sélectivité peut être jugée incompatible avec le premier amendement, mais


                                      143
la cour suprême a décidé que les stations ont le droit de choisir ce qu’elles
diffusent. Donc les principales chaînes commerciales refuseront à une des
parties la possibilité de présenter son avis sur un débat crucial. Et les tribu-
naux entérineront les droits des stations à de telles pratiques151 .
    Je serais ravi de défendre aussi les droits des diffuseurs, si nous vivions
dans univers médiatique réellement varié. Mais la concentration des médias
jette un doute sur cette hypothèse. Si une poignée de sociétés contrôle l’ac-
cès aux médias, et que cette poignée d’entreprises décide quelles sont les opi-
nions politiques que doivent promouvoir ses chaînes, alors il est évident que
la concentration pose problème. Vous partagez peut-être les opinions choi-
sies par cette poignée de compagnies. Mais vous ne devriez pas apprécier
un monde où seuls quelques-uns peuvent décider des sujets que les autres
peuvent connaître.


                                Ensemble
     Il y a quelque chose de naïf et d’évident dans la revendication des guer-
riers du copyright que le gouvernement devrait « protéger ma propriété ».
Dans l’abstrait, c’est évidemment vrai et, d’ordinaire, complètement inoffen-
sif. Toute personne saine d’esprit qui n’est pas un anarchiste devrait être d’ac-
cord.
     Mais quand nous voyons de quelle manière spectaculaire la « propriété »
a changé — lorsque nous admettons que sa capacité actuelle à interagir avec
à la fois la technologie et les marchés signifie que la contrainte effective sur
la liberté de cultiver notre culture est radicalement différente — la reven-
dication commence à être moins innocente et évidente. Étant donné (1) le
pouvoir de la technologie à s’ajouter au contrôle de la loi, et (2) le pouvoir
de la concentration des marchés à affaiblir les possibilités de contestation,
si l’application stricte des droits de « propriété » massivement étendus ac-
cordés par le copyright change fondamentalement la liberté de cultiver et
de réutiliser le passé dans cette culture, alors on doit se demander si cette
propriété ne devrait pas être redéfinie.
     Pas violemment. Ni absolument. Je ne dis pas que nous devrions abolir
le copyright ou revenir au XVIIIe siècle. Ce serait une erreur totale, désas-
treuse pour les initiatives créatives les plus importantes dans notre culture
aujourd’hui.
     Mais il y a un espace entre zéro et un, malgré la culture d’Internet. Et ces
changements massifs du pouvoir réel de la réglementation du copyright, liés
à la concentration accrue de l’industrie du contenu et entre les mains d’une
technologie qui permettra de plus en plus le contrôle de l’utilisation de la
culture, devraient nous amener à considérer qu’un autre ajustement est né-
cessaire. Pas un ajustement qui augmenterait le pouvoir du copyright. Pas un
ajustement qui augmenterait sa durée. Plutôt, un ajustement qui restaurerait
l’équilibre qui a traditionnellement défini la réglementation du copyright —
un affaiblissement de cette réglementation, pour renforcer la créativité.
     La loi du copyright n’est pas comme le Rocher de Gibraltar. Ce n’est


                                      144
pas un ensemble d’engagements constants que, pour une raison mystérieuse,
les adolescents et les mordus d’informatique méprisent maintenant. Au
contraire, le pouvoir du copyright a augmenté énormément sur une courte
période, en même temps que les technologies de distribution et de création
changeaient, et que les lobbyistes faisaient pression pour donner aux dé-
tenteurs de copyright plus de contrôle. Les changements faits par le passé
en réponse aux évolutions technologiques suggèrent que nous avons peut-
être bien besoin de changements similaires à l’avenir. Et ces changements
doivent être des réductions de la portée du copyright, en réponse à l’aug-
mentation extraordinaire du contrôle que la technologie et le marché per-
mettent.
    Car la seule chose qui est perdue dans cette guerre contre les pirates est
une chose que nous ne voyons qu’après avoir sondé l’étendue de ces change-
ments. Quand on additionne l’effet des changements de loi, la concentration
des marchés, et l’évolution technologique, on aboutit à un résultat étonnant :
jamais, dans notre histoire, un si petit nombre d’individus n’a eu le droit légal de
contrôler autant le développement de notre culture qu’aujourd’hui.
    Pas même quand les copyrights étaient perpétuels, car alors ils ne tou-
chaient précisément que ces œuvres de création. Pas même quand les édi-
teurs étaient les seuls à avoir les outils pour publier, car le marché était alors
beaucoup plus varié. Pas même quand il n’y avait que trois chaînes de té-
lévision, car même dans ce cas, les journaux, les studios de cinéma, les sta-
tions de radio, et les éditeurs étaient indépendants des chaînes. Le copyright
n’a jamais protégé un tel éventail de droits, contre un éventail aussi grand
d’acteurs, pour une durée aussi longue. Cette forme de réglementation —
une réglementation minuscule d’une minuscule partie de l’énergie créatrice
d’une nation à ses débuts — est maintenant une réglementation massive de
l’ensemble du processus créatif. La loi, la technologie, et le marché inter-
agissent maintenant pour que cette réglementation historiquement inoffen-
sive devienne la plus importante réglementation de la culture que notre so-
ciété libre a jamais connu152 .
    Cela a été un long chapitre. Son but peut maintenant être brièvement
énoncé.
    Au début de ce livre, j’ai fait la distinction entre la culture commerciale
et non-commerciale. Au cours de ce chapitre, j’ai fait la distinction entre
copier une œuvre et la transformer. Nous pouvons maintenant combiner
ces deux distinctions et dessiner une carte claire des changements que la loi
du copyright a subis. En 1790, la loi ressemblait à ceci :

                             PUBLIE                     TRANSFORME
  Commercial                 ©                          Libre
  Non-commercial             Libre                      Libre

    L’acte de publier une carte, un graphique, et un livre était réglementé par
la loi sur le copyright. Rien d’autre ne l’était. Les transformations étaient
libres. Et comme le copyright s’obtenait uniquement avec une inscription,
et comme seuls ceux qui avaient l’intention d’obtenir un bénéfice commer-


                                       145
cial s’enregistraient, la copie par édition d’œuvres non-commerciales était
également libre.
    À la fin du XIXe siècle, la loi avait changé en ceci :

                            PUBLIE                    TRANSFORME
  Commercial                ©                         ©
  Non-commercial            Libre                     Libre

    Les œuvres dérivées étaient alors réglementées par la loi sur le copy-
right — si publiées, ce qui encore, étant donné l’économie de l’édition à cette
époque, signifie qu’elles étaient commercialisées. Mais les éditions et trans-
formations non-commerciales étaient encore essentiellement libres.
    En 1909, la loi changea pour réglementer les copies, pas l’édition, et après
ce changement, la portée de la loi fut liée à la technologie. Plus la technologie
de copie se répandait, plus la portée de la loi s’étendait. Ainsi en 1975, comme
les photocopieuses devenaient de plus en plus courantes, on pourrait dire
que la loi commençait à ressembler à ceci :

                            COPIE                     TRANSFORME
  Commercial                ©                         ©
  Non-commercial            © / Libre                 Libre

   La loi était interprétée pour atteindre la copie non-commerciale au tra-
vers, disons, des photocopieuses, et pourtant la plupart des copies en dehors
du marché commercial restait libre. Mais les conséquences de l’apparition
des technologies numériques, en particulier dans le cadre d’un réseau numé-
rique, signifie que la loi ressemble maintenant à ceci :

                            COPIE                     TRANSFORME
  Commercial                ©                         ©
  Non-commercial            ©                         ©

    Tous les domaines sont gouvernés par la loi sur le copyright, alors qu’au-
paravant la plupart des créations ne l’était pas. La loi réglemente maintenant
la gamme complète des créations — commerciales ou non, transformatrices
ou non — avec les mêmes règles conçues pour réglementer les éditeurs com-
merciaux.
    Évidemment, la loi sur le copyright n’est pas l’ennemi. L’ennemi, c’est une
réglementation qui est néfaste. Donc on devrait maintenant se demander si
déployer les réglementations de la loi sur le copyright dans chacun de ces
domaines est véritablement une bonne chose.
    Je ne doute pas que réglementer les copies commerciales est bénéfique.
Mais je ne doute pas non plus que réglementer les copies non-commerciales
(tel qu’appliqué maintenant) fait plus de mal que de bien et, tout spéciale-
ment, pour la transformation non-commerciale. Et de plus en plus, pour les
raisons évoquées en particulier aux chapitres 7 (p. 89) et 8 (p. 93), on pour-


                                      146
rait même se demander si au final elle n’est pas préjudiciable pour la transfor-
mation commerciale. Davantage d’œuvres commerciales de transformation
seraient créées si les droits dérivés étaient drastiquement réduits.
    Le problème n’est donc pas simplement de savoir si le copyright est une
propriété. Le copyright est bien sûr une sorte de « propriété », et bien sûr,
comme avec toute propriété, l’État se doit de la protéger. Mais contraire-
ment à une idée préconçue, ce droit de propriété (comme pour tous les droits
de propriété153 ) a été conçu, historiquement, pour concilier le besoin impor-
tant de mesures incitatives pour les auteurs et les artistes, et le besoin tout
aussi important d’assurer l’accès à l’œuvre de création. Cet équilibre a tou-
jours été établi en fonction des nouvelles technologies. Et pendant presque la
moitié de notre histoire, le « copyright » n’a pas du tout contrôlé la liberté de
réutiliser ou de transformer une œuvre de création. La culture américaine
est née libre, et pendant presque 180 ans notre pays a systématiquement pro-
tégé une culture libre, vivante et riche.
    Nous avons obtenu cette culture libre parce que notre loi respectait d’im-
portantes limites sur l’étendue des intérêts protégés par la « propriété ». La
naissance même du « copyright » comme droit statutaire reconnaissait ces
limites, en accordant aux détenteurs de copyright une protection pour une
durée limitée (l’histoire du chapitre 6 (p. 81)). La tradition de « l’usage loyal »
est animée par une préoccupation identique, alors qu’elle est soumise à une
contrainte croissante, à mesure que le prix pour l’exercer devient inévitable-
ment élevé (l’histoire du chapitre 7 (p. 89)). L’ajout de droits statutaires où
le marché pourrait étouffer l’innovation, est une autre limite familière sur
le droit de propriété qu’est le copyright (chapitre 8 (p. 93)). Et accorder aux
archives et aux bibliothèques une liberté générale de collecte, malgré les re-
vendications de propriété, est un élément essentiel pour garantir l’âme d’une
culture (chapitre 9 (p. 99)). Les cultures libres, comme les marchés libres,
sont construites avec la propriété. Mais la nature de la propriété qui établit
une culture libre est très différente de la vision extrémiste qui domine le
débat aujourd’hui.
    La culture libre est de plus en plus la victime de cette guerre contre le
piratage. En réponse à une menace réelle, à défaut d’être quantifiée, que les
technologies d’Internet représentent pour les modèles économiques de pro-
duction et de distribution de la culture du vingtième siècle, on est en train
de transformer la loi et la technologie d’une manière qui va saper notre tra-
dition de culture libre. Le droit de propriété que constitue le copyright n’est
plus le droit équilibré qu’il était, ou qu’il était censé être. Ce droit de pro-
priété est maintenant en déséquilibre, incliné vers un extrême. L’opportu-
nité de créer et de transformer s’affaiblit dans un monde où créer requiert
une permission et où il faut consulter un avocat avant d’être créatif.




                                       147
148
Troisième partie

 Casse-têtes




       149
                                 Chimères


    Dans une nouvelle célèbre de H. G. Wells, un alpiniste du nom de Nunez
se retrouve (en descendant une pente verglacée) dans une vallée inconnue et
isolée des Andes Péruviennes154 . La vallée est extraordinairement belle, avec
« de l’eau douce, des prairies, un climat constant, des collines d’une terre
riche et brune avec des arbustes enchevêtrés qui portaient des fruits excel-
lents. » Mais les villageois sont tous aveugles. Nunez y voit sa chance. « Au
royaume des aveugles », se dit-il, « les borgnes sont rois. » Il décide donc de
vivre avec les villageois, pour connaître une vie de roi.
    Les choses ne se déroulent pas comme prévu. Il essaie d’expliquer l’idée
de vision aux villageois. Ils ne comprennent pas. Il leur dit qu’ils sont
« aveugles ». Ils ne connaissent pas le mot aveugle. Ils le tiennent pour un
idiot. En effet, au fur et à mesure qu’ils se rendent compte des choses qu’il ne
sait pas faire (entendre le bruit des pas sur l’herbe, par exemple), ils essaient
de le manipuler. Lui, de son côté, devient de plus en plus amer. « “Vous ne
comprenez pas”, dit-il, d’une voix qu’il voulait forte et résolue, mais qui se
transforma en pleur. “Vous êtes aveugles et moi je vois. Laissez-moi tran-
quille !” »
    Mais les villageois ne le laissent pas tranquille. Pas plus qu’ils ne voient
(pour ainsi dire) les avantages de son pouvoir spécial. Même l’objet de tous
ses désirs, une jeune femme qui lui semble « la chose la plus belle de toute
la création », ne comprend rien à la beauté de la vue. La description faite
par Nunez de ce qu’il voit « lui semblait la fantaisie la plus poétique, et elle
écoutait sa description des étoiles et des montagnes et de sa propre douce
beauté comme s’il s’agissait d’un plaisir coupable. » « Elle ne croyait pas »,
nous dit Wells et « elle ne pouvait comprendre qu’à moitié, mais elle était
mystérieusement enchantée. »
    Lorsque Nunez annonce sa volonté d’épouser cet amour « mystérieuse-
ment enchanté », son père et le village s’y opposent. « Vois-tu, ma chère »,
lui explique son père, « c’est un idiot. Il a des illusions. Il ne sait rien faire
correctement. » Ils emmènent Nunez chez le médecin du village.
    Après un examen attentif, le docteur donne son avis. « Son cerveau est
perturbé, » dit-il.
    « De quelle manière ? » demande le père. « Ces choses bizarres que l’on
appelle les yeux […] sont malades […] d’une manière qui perturbe son cer-
veau. »
    Le docteur continue : « Je pense pouvoir affirmer sans me tromper que
pour le soigner complètement, nous n’avons qu’à effectuer une opération


                                      151
chirurgicale simple et facile — c’est-à-dire enlever ces corps irritants [les
yeux]. »
    « Remercions le Ciel de nous avoir donné la science ! » dit le père au doc-
teur. Ils informent Nunez de la condition nécessaire pour qu’il soit autorisé
à épouser sa fiancée. (Vous devrez lire l’original pour savoir ce qui se passe
à la fin. Je crois en une culture libre, mais je ne révèle jamais la fin d’une
histoire.)
    Il arrive parfois que les œufs de jumeaux fusionnent dans l’utérus de leur
mère. Cette fusion produit une « chimère ». Une chimère est une créature
avec deux patrimoines génétiques. L’ADN dans le sang, par exemple, peut
être différent de l’ADN de la peau. Cette possibilité est sous-utilisée pour
les romans policiers. « Mais l’ADN démontre avec 100 pour cent de certi-
tude qu’elle n’est pas la personne dont on a retrouvé le sang sur les lieux du
crime. […] » Avant d’avoir lu quelque chose sur ces chimères, j’aurais tenu
leur existence pour impossible. Une seule personne ne peut pas avoir deux
patrimoines génétiques. L’idée même que l’on a de l’ADN est que c’est le code
d’un individu. Mais en fait, non seulement deux individus peuvent avoir le
même ADN (vrais jumeaux), mais une personne peut avoir deux ADN dif-
férents (une chimère). Notre définition d’une « personne » doit prendre en
compte cette réalité.
    Plus je travaille à comprendre la dispute actuelle au sujet du copyright
et de la culture, que j’ai appelée souvent à tort, mais parfois à raison, « la
guerre du copyright », plus je pense que nous avons affaire à une chimère.
Par exemple, dans la bataille sur la question « Qu’est-ce que le partage de
fichier p2p ? », les deux camps ont à la fois raison et tort. Un camp dit : « Le
partage de fichier, c’est comme deux enfants qui s’échangent et copient des
cassettes — le genre de chose que nous avons fait depuis une trentaine d’an-
nées sans jamais nous poser de questions. » C’est vrai, du moins en partie.
Quand je dis à mon meilleur ami d’essayer un nouveau CD que j’ai acheté, et
au lieu de lui envoyer le CD, je lui indique mon serveur p2p, c’est, à tous
points de vue, exactement ce que chaque directeur de chaque maison de
disque faisait étant enfant : partager de la musique.
    Mais cette description est aussi fausse en partie. Car si mon serveur p2p
fait partie d’un réseau p2p à travers lequel tout le monde peut accéder à ma
musique, alors bien sûr mes amis peuvent y accéder, mais c’est déformer le
sens du mot « ami » que de dire « mes dix mille meilleurs amis » peuvent y
accéder. Que partager ma musique avec mon meilleur ami soit ou non « ce
que nous avons toujours été autorisés à faire », nous n’avons pas toujours
été autorisés à la partager avec « nos dix mille meilleurs amis. »
    De même, quand l’autre camp dit : « Partager des fichiers, c’est exacte-
ment comme entrer chez Tower Records, prendre un CD du rayonnage et
sortir avec », c’est vrai, du moins en partie. Si, après que Lyle Lovett a (enfin)
sorti un nouvel album, plutôt que de l’acheter je vais sur Kazaa et j’en trouve
une copie gratuite, ça ressemble beaucoup à voler un CD chez Tower.
    Mais ce n’est pas complètement comme voler chez Tower. Après tout, si
je leur prends un CD, Tower Records a un CD de moins à vendre, et j’ai un
morceau de plastique avec une pochette, quelque chose à exhiber sur mon


                                      152
étagère. (Et pendant qu’on y est, on peut aussi remarquer que si je vole un
CD chez Tower Records, le montant maximum de l’amende qui peut m’être
infligée, du moins selon la loi californienne, est de 1 000 dollars. D’après la
RIAA, si à l’inverse je télécharge un CD de dix titres, je suis passible d’une
amende de 1 500 000 dollars).
    Je ne cherche pas à dire que la réalité est différente de ce que chaque camp
décrit. Ce que je veux dire, c’est que la réalité est comme ils la décrivent tous
les deux — la RIAA et Kazaa. C’est une chimère. Et au lieu de dénier ce que
l’autre camp affirme, nous devons commencer à réfléchir à la manière de
répondre à cette chimère. Quelles sont les lois qui la gouvernent ?
    Nous pourrions répondre simplement que ce n’est pas une chimère.
Nous pourrions, avec la RIAA, décider que chaque acte de partage de fichier
est un délit. Nous pourrions poursuivre des familles, et leur réclamer des
millions de dollars de dommages, simplement parce que des fichiers ont été
échangés sur un ordinateur familial. Et nous pouvons forcer les universités à
surveiller tout le trafic sur leurs réseaux, pour s’assurer qu’aucun ordinateur
n’est utilisé pour commettre ce délit. Ces réponses sont peut-être extrêmes,
mais elles ont toutes été soit proposées soit mises en pratique.155 Ou alors,
nous pourrions répondre au partage de fichier de la manière anticipée par
beaucoup. Nous pourrions le rendre entièrement légal. Faire qu’il n’y ait pas
de responsabilité civile ou légale à rendre des contenus sous copyright dis-
ponibles sur Internet. Rendre le partage de fichier comme les rumeurs : que
sa seule régulation vienne des normes sociales, mais pas de la loi.
    Chaque réponse est possible. Je pense que chacune serait une erreur. Plu-
tôt que d’adopter l’un ou l’autre de ces extrémismes, nous devrions adopter
quelque chose qui reconnaît la vérité des deux. Et alors que je termine ce
livre avec une description d’un tel système, mon but dans le chapitre suivant
est de montrer à quel point il serait mauvais d’adopter la tolérance zéro. Je
pense que chaque extrême serait pire qu’une alternative raisonnable. Mais je
pense que la solution de tolérance zéro serait le pire des deux extrêmes.
    Et pourtant la tolérance zéro est de plus en plus la politique de notre gou-
vernement. Au milieu du chaos créé par l’irruption d’Internet, la carte du
pouvoir est en train d’être redessinée de manière radicale. La loi et la tech-
nologie y sont déplacées, de manière à donner aux ayants droit un contrôle
sur notre culture qu’ils n’ont jamais eu auparavant. Et par cet extrémisme,
beaucoup d’opportunités pour innover et créer seront perdues.
    Je ne parle pas des opportunités pour les adolescents de « voler » de la
musique. Je pense plutôt aux innovations commerciales et culturelles que
cette guerre va aussi tuer. Le pouvoir d’innover n’a jamais été aussi large-
ment répandu parmi nos citoyens, et nous n’avons vu que le début de la
vague d’innovations que ce pouvoir va libérer. Cependant Internet a déjà
vu la perte d’un cycle d’innovation concernant les technologies de distribu-
tion de contenu. La loi est responsable de cette perte. En critiquant les pro-
tections des contenus ajoutées par le DMCA, le vice-président des relations
internationales de l’un de ces innovateurs, eMusic.com, disait :
      eMusic s’oppose au piratage. Nous sommes un distributeur de
      contenus sous copyright, et nous voulons protéger ces droits.


                                      153
     Mais construire une forteresse technologique qui sécurise les ma-
     jors n’est en aucun cas la seule manière de protéger les intérêts
     du copyright, pas plus que cela n’est nécessairement la meilleure.
     Il est tout simplement trop tôt pour répondre à cette question.
     Les forces du marché, en agissant naturellement, pourraient très
     bien aboutir à une industrie organisée selon un modèle totale-
     ment différent.
     Ce point est d’une importance critique. Les choix faits par l’in-
     dustrie au sujet de ces systèmes vont directement modeler le mar-
     ché des médias numériques, et la manière dont l’information nu-
     mérique est distribuée. En retour, ceci affectera directement les
     options disponibles pour les consommateurs, à la fois en termes
     de facilité d’accès aux médias numériques, et d’équipements né-
     cessaires pour y accéder. Faire dès maintenant de mauvais choix
     retardera la croissance de ce marché, et va à l’encontre de l’intérêt
     de tout le monde156 .
    En avril 2001, eMusic.com a été rachetée par Vivendi Universal, une des
« majors ». Sa position sur ce problème a changé maintenant.
    En revenant aujourd’hui sur notre tradition de tolérance, nous n’allons
pas seulement éradiquer le piratage. Nous allons aussi sacrifier un certain
nombre de valeurs qui sont importantes pour notre culture, et tuer des pos-
sibilités qui auraient pu avoir une valeur inestimable.




                                     154
                              Dommages


    Pour combattre le « piratage » et protéger la « propriété », l’industrie du
contenu est entrée en guerre. Le lobbying et de nombreuses campagnes de
pressions ont forcé le gouvernement à s’engager dans cette guerre. Comme
dans toute guerre, il y aura des victimes directes et des dommages collaté-
raux. Comme dans toute guerre de prohibition, l’essentiel des dommages
sera subi par nos concitoyens.
    Jusqu’à présent mon but a été de décrire les conséquences de cette guerre,
tout particulièrement pour « la culture libre ». Mais je vais désormais plus
loin : cette guerre est-elle justifiée ?
    Selon moi, non. Il n’y a aucune raison valable pour que, cette fois, qui
serait la première, la loi doive défendre l’ordre ancien contre le nouveau et
cela au moment précis où la « propriété intellectuelle » est à son apogée.
    Pourtant le « sens commun » ne le voit pas de cette façon. Le sens com-
mun est encore du côté des Causby et de l’industrie du contenu. Les reven-
dications extrêmes de contrôle au nom de la propriété trouvent toujours un
écho favorable, et le rejet irrationnel du « piratage » a toujours cours.
    La poursuite de cette guerre ne sera pas sans conséquences. Je n’en dé-
crirai que trois. On pourrait dire que chacune des trois est fortuite. Pour
la troisième, j’en suis certain. J’en suis moins sûr pour les deux premières.
Les deux premières protègent les RCAs modernes, mais il n’y a aucun Ho-
ward Armstrong en coulisses pour combattre les monopoles de la culture
d’aujourd’hui.


                  Contraindre les créateurs
    Dans la prochaine décennie, nous devrions voir une explosion des tech-
nologies numériques. Ces technologies permettront à tous de reproduire et
de partager de l’information. Cela existe bien sûr depuis l’aube de l’huma-
nité. C’est ainsi que nous communiquons et que nous apprenons. Mais la
technologie numérique permet une fidélité de reproduction et un pouvoir
de diffusion bien plus grands. Vous pouvez envoyer un courriel pour racon-
ter une blague que vous avez vu sur Comedy Central (NdT : chaîne de télé-
vision câblée américaine), ou bien vous pouvez envoyer la séquence vidéo.
Vous pouvez écrire un pamphlet sur les incohérences du politicien que vous
aimez le plus haïr, ou vous pouvez réaliser un court métrage qui démonte
un argumentaire. Vous pouvez écrire un poème pour déclarer votre flamme,


                                     155
ou vous pouvez mélanger des chansons de vos artistes préférés en un seul
morceau et le rendre accessible sur le Net.
     Cette « reproduction et diffusion » numérique est à la fois une extension
de la reproduction et de la diffusion qui a toujours fait partie de notre culture,
et à la fois quelque chose de nouveau. C’est la suite de Kodak, mais cela dé-
passe les frontières de la technologie « type Kodak ». La technologie numé-
rique laisse entrevoir un monde où la créativité serait extrêmement diver-
sifiée, et pourrait être facilement et largement partagée. Et si la démocratie
s’applique à cette technologie, elle permettra à grand nombre de citoyens de
s’exprimer, de critiquer et de contribuer à la culture globale.
     La technologie nous a ainsi donné la possibilité de faire quelque chose de
la culture qui n’était possible que pour de petits groupes d’individus. Imagi-
nez un vieil homme racontant une histoire lors d’une rencontre de quartier.
Imaginez maintenant que cette histoire soit diffusée dans le monde entier.
     En fait, tout cela n’est possible que si ces activités sont supposées lé-
gales. Sous le régime législatif actuel, ce n’est pas le cas. Oubliez le partage
de fichier pour un moment. Pensez à vos excellents sites favoris sur le Net.
Les sites web peuvent offrir un aperçu d’émissions télévisées oubliées ; les
sites peuvent cataloguer des dessins animés des années 60 ; les sites peuvent
mixer des images et du son pour critiquer les politiciens ou les hommes d’af-
faires ; les sites peuvent collecter des articles sur des sujets pointus scien-
tifiques ou culturels. Il existe une importante quantité d’œuvres créatives à
travers l’Internet. Mais, à cause de la manière dont la loi est faite, ces œuvres
sont supposées illégales.
     Cette présomption va refroidir de plus en plus la créativité, au fur et à me-
sure que les exemples de condamnations graves pour des infractions floues
vont se multiplier. Il est impossible de distinguer clairement ce qui est auto-
risé de ce qui ne l’est pas, et en même temps, les sanctions pour avoir franchi
la ligne sont extrêmement dures. Les quatre étudiants qui avaient été mena-
cés par la RIAA (Jesse Jordan au chapitre 3 (p. 51) n’était qu’un de ceux-là)
encouraient une amende de 98 milliards de dollars pour avoir construit des
moteurs de recherche qui permettaient de copier des chansons. D’un autre
côté, Worldcom, (NdT : entreprise américaine au cœur d’un scandale finan-
cier en 2002) qui a escroqué les investisseurs d’une somme de 11 milliards
de dollars, et qui a ainsi entraîné une perte de 200 milliards de dollars sur le
marché mondial, a eu une amende de seulement 750 millions de dollars157 .
Et d’après la législation actuellement en vigueur au Congrès, un docteur qui
amputerait par négligence la mauvaise jambe lors d’une opération ne devrait
que 250 000 dollars en dommages et intérêts158 . Le sens commun peut-il re-
connaître l’absurdité d’un monde dans lequel l’amende maximale encourue
pour avoir téléchargé deux chansons sur Internet est plus importante que
celle encourue par un docteur qui aurait charcuté un patient par négligence ?
     La conséquence de ce flou juridique, associé aux sanctions élevées, est
qu’une grande quantité de créations ne verra jamais le jour ou ne sera jamais
rendue publique. Nous sapons les bases du processus créatif en stigmatisant
les « pirates » de Walt Disney. Nous empêchons les entreprises de s’appuyer
sur le domaine public, parce que les frontières du domaine public ne sont pas


                                      156
claires. Le seul moyen d’être gagnant, c’est de payer pour le droit de créer, et
par conséquent, seuls ceux qui payent sont autorisés à créer. Comme ce fut
le cas en Union Soviétique, bien que pour des raisons très différentes, nous
allons rentrer dans un monde où l’art sera clandestin — pas parce que le
message doit nécessairement être politique, mais parce que le simple fait de
créer, est un délit. Déjà, des expositions « d’art illégal » circulent aux États-
Unis159 . En quoi consiste cette « illégalité » ? Dans le fait de mixer la culture
autour de nous, dans un esprit critique ou réfléchi.
    Cette peur de l’illégalité est en partie due aux changements de la loi. J’ai
détaillé ces changements au chapitre 10 (p. 105). Mais elle est, dans une plus
grande mesure, la conséquence de la facilité de plus en plus grande avec la-
quelle les infractions peuvent être détectées. Les amateurs du partage de fi-
chiers ont découvert en 2002 à quel point il était facile, pour les détenteurs
de copyright, d’amener les tribunaux à ordonner aux fournisseurs d’accès à
Internet de révéler qui possède quel contenu. C’est comme si votre lecteur
de cassette transmettait une liste des chansons que vous écoutiez chez vous,
que n’importe qui pourrait consulter pour n’importe quel motif.
    Jamais dans notre histoire, un peintre n’a eu à s’occuper de savoir si
sa peinture empiétait sur le travail de quelqu’un d’autre. Mais le dessina-
teur contemporain, qui utilise des outils comme Photoshop et partage du
contenu sur le web, doit s’en soucier en permanence. Les images sont om-
niprésentes, mais on ne peut utiliser dans une création que celles achetées
à Corbis (NdT : société vendant des images numérisées ; propriété de Bill
Gates) ou à une autre banque d’images. Et avec l’achat, la censure arrive. Le
marché des crayons est libre ; nous n’avons pas à nous occuper de leurs ef-
fets sur la créativité. Mais le marché de l’image culturelle est très concentré
et réglementé ; nous ne sommes pas aussi libres de les utiliser et de les trans-
former.
    Les avocats ont rarement conscience de cela, car ils voient rarement les
choses de manière pragmatique. Comme je l’ai décrit au chapitre 7 (p. 89),
en réponse à l’histoire sur le réalisateur de films documentaires Jon Else, j’ai
reçu à maintes reprises la leçon des avocats qui prétendaient que l’utilisation
de Else relevait de l’usage loyal, et que j’avais donc tort de dire que la loi
réglementait ce genre d’emploi.
    Mais, en Amérique, usage loyal signifie simplement le droit de louer
les services d’un avocat pour défendre votre droit de créer. Et, comme les
avocats ont tendance à l’oublier, notre système de défense de droits tels
que l’usage loyal est incroyablement mauvais — dans pratiquement tous les
contextes, mais particulièrement dans celui-ci. Il coûte trop cher, il est trop
lent, et sa conclusion a souvent peu à voir avec la demande de justice qui
sous-tend la requête. Le système légal peut être tolérant pour ceux qui sont
très riches. Pour tous les autres, c’est le fardeau d’une tradition qui s’enor-
gueillit d’être basée sur la loi.
    Les juges et les juristes ont beau se dire que l’usage loyal fournit une
« marge de manœuvre » adaptée entre le contrôle par la loi et la liberté d’ac-
cès qu’elle devrait garantir. Mais cela mesure à quel point le système légal
est maintenant déconnecté de la réalité. Les règles imposées par les éditeurs


                                      157
aux écrivains, par les distributeurs aux réalisateurs de films, par les maisons
de presse aux journalistes — ce sont les vraies lois qui gouvernent la créa-
tivité. Et ces règles ont peu de rapport avec la « loi », sur laquelle les juges
s’appuient.
    Car dans un monde qui menace de 150 000 dollars une simple violation
de copyright, qui demande des dizaines de milliers de dollars juste pour
se défendre face à une accusation de violation de copyright, et qui n’ac-
corde jamais à l’accusé acquitté le moindre remboursement des coûts en-
gagés pour défendre ses droits — dans ce monde, l’extraordinaire emprise
des lois étouffe l’expression et la créativité au nom du « copyright ». Et dans
ce monde, il faut un aveuglement délibéré pour continuer à croire que la
culture est libre.
    Comme Jed Horovitz, l’homme d’affaires aux commandes de Video Pi-
peline, me disait :
      Nous perdons des opportunités [créatives] ici et là. Les créateurs
      sont réduits au silence. Les idées sont bâillonnées. Et tandis que
      beaucoup de choses peuvent [encore] être créées, elles ne seront
      pas distribuées. Même si l’œuvre est réalisée […] elle ne sera pas
      distribuée dans les médias de masse tant que vous n’avez pas un
      petit mot d’un avocat disant, « Cela a été contrôlé ». Ça ne pas-
      sera même pas sur PBS (NdT : service de diffusion audiovisuelle
      non commercial) sans ce type de permission. C’est à ce niveau
      que s’exerce le contrôle.


                 Contraindre les innovateurs
    L’histoire de la section précédente était celle d’un gauchiste radical : créa-
tivité bridée, artistes censurés, et patati et patata. Peut-être que ça ne vous
parle pas. Peut-être que vous pensez qu’il y a assez d’œuvres d’art bizarres,
et assez de voix critiques qui s’expriment sur tous les sujets. Et si c’est ce que
vous pensez, vous pensez peut-être qu’il n’y a rien d’inquiétant pour vous
dans cette histoire.
    Mais il y a un aspect de cette histoire qui n’a rien de gauchiste. En effet,
c’est un aspect qui pourrait être écrit par le plus extrémiste des idéologues
pro-marché. Et si vous êtes un idéologue de cette espèce (mais d’un genre
spécial, pour arriver à lire ce livre jusqu’à la page 158), alors vous pourrez y
être sensible en remplaçant « culture libre » par « marché libre » dans toute
mon argumentation. La démonstration est la même, même si les intérêts liés
à la culture sont plus fondamentaux.
    L’accusation que j’ai faite jusqu’à présent concernant la réglementation
de la culture est la même que les défenseurs du marché libre font à propos
de la réglementation du marché. Tout le monde, bien sûr, concède qu’une
réglementation du marché est nécessaire — au minimum, nous avons be-
soin de règles de propriété et de contrat, et des tribunaux pour appliquer
les deux. De la même manière, dans ce débat sur la culture, tout le monde
concède qu’un cadre légal de copyright est également requis. Mais ces deux


                                      158
perspectives insistent avec vigueur sur le fait que ce n’est pas parce qu’une
réglementation est bénéfique, qu’il faudrait plus de réglementation. Et les
deux perspectives sont systématiquement attentives à l’exploitation de la ré-
glementation par les industries puissantes d’aujourd’hui pour simplement
se protéger des concurrents de demain.
    C’est spécifiquement l’effet le plus spectaculaire du changement dans la
stratégie de réglementation que j’ai décrite dans le chapitre 10 (p. 105). La
conséquence de cette menace massive de poursuites, liée aux frontières obs-
cures de la loi du copyright, est que ceux qui veulent innover dans cet espace
ne peuvent le faire en sécurité que s’ils ont l’acte de décès des industries do-
minantes de la génération précédente. C’est cette leçon qui a été donnée aux
capital-risqueurs au travers d’une série d’affaires, spécialement conçues et
exécutées pour qu’ils l’apprennent. Cette leçon — ce que l’ancien PDG de
Napster Hank Barry appelle un « voile nucléaire » qui s’est abattu sur la Silli-
con Valley — est maintenant apprise.
    Pour illustrer cette idée, prenez par exemple l’histoire dont j’ai raconté le
début dans L’avenir des idées et qui a progressé d’une manière que même moi
(pourtant extraordinairement pessimiste) n’aurais jamais pu prédire.
    En 1997, Michael Robertson lança une société appelée MP3.com.
MP3.com avait l’ambition de réinventer le commerce de la musique. Leur
but n’était pas juste de faciliter de nouvelles manières d’accéder au contenu.
Leur but était aussi de favoriser de nouvelles façons de créer du contenu.
Contrairement aux maisons de disques dominantes, MP3.com offrait aux
créateurs un endroit pour distribuer leurs créations, sans exiger un engage-
ment exclusif de leur part.
    Pour faire marcher ce système, toutefois, MP3.com avait besoin d’une
manière fiable de recommander de la musique à ses utilisateurs. L’idée der-
rière cette alternative était d’exploiter les préférences musicales révélées des
auditeurs pour leur recommander de nouveaux artistes. Si vous aimez Lule
Lovett, vous avez des chances d’apprécier Bonnie Raitt. Et ainsi de suite.
    Cette idée nécessitait d’avoir un moyen simple pour récupérer les pré-
férences des utilisateurs. MP3.com a trouvé une méthode extraordinaire-
ment ingénieuse pour récolter ces informations. En janvier 2000, la société
lança un service nommé my.mp3.com. En utilisant un logiciel fourni par
MP3.com, un utilisateur s’inscrivait à un compte et insérait dans son ordi-
nateur un CD. Le logiciel identifiait le CD, puis donnait à l’utilisateur l’accès
à ce contenu. Donc, par exemple, si vous aviez inséré un CD de Jill Sobule,
alors, où que vous soyez — au travail ou à la maison — vous pouviez avoir
accès à cette musique avec ce compte. Ce système était ainsi une sorte de
juke-box verrouillé.
    Il n’y pas de doute que certains pouvaient utiliser ce système pour co-
pier illégalement du contenu. Mais cette possibilité existait avec ou sans
MP3.com. Le but du service MP3.com était de donner aux utilisateurs ac-
cès à leur propre contenu, et en produit dérivé, de découvrir le genre de
musique qu’ils aimaient.
    Pour faire marcher ce système, toutefois, MP3.com devait copier 50 000
CDs sur un serveur. (En principe, cela aurait pu être à l’utilisateur d’uploader


                                      159
la musique, mais cela aurait été une grande perte de temps, et cela aurait
donné une qualité de service contestable.) La société acheta donc 50 000 CDs
dans un magasin, et commença le processus de copie de ces CDs. Encore une
fois, elle ne servait le contenu de ces copies qu’à ceux qui avaient authentifié
avoir une copie du CD auquel ils voulaient avoir accès. Donc même si c’était
50 000 copies, c’était 50 000 copies destinées à donner aux clients quelque
chose qu’ils avaient déjà acheté.
     Neuf jours après que MP3.com ait lancé son service, les cinq maisons de
disque dominantes, sous la bannière de la RIAA, attaquèrent MP3.com en
justice. MP3.com régla l’affaire avec quatre des cinq majors. Neuf mois plus
tard, un juge fédéral déclara MP3.com coupable d’infraction délibérée vis-à-
vis de la cinquième major. Appliquant la loi telle qu’elle est, le juge imposa
une amende de 118 millions de dollars à MP3.com. MP3.com finit par régler
l’affaire avec le dernier plaignant, Vivendi Universal, en payant plus de 54
millions de dollars. Vivendi racheta MP3.com presque un an plus tard.
     Je vous ai déjà raconté cette partie de l’histoire. Maintenant attendez sa
conclusion.
     Après le rachat de MP3.com, Vivendi se retourna contre ses avocats et
leur fit un procès pour faute professionnelle, pour lui avoir affirmé de bonne
foi que le service offert serait considéré comme légal au regard de la loi sur
le copyright. Cette poursuite cherchait à punir tout avocat qui avait osé sug-
gérer que la loi était moins restrictive que ce que les maisons de disques
exigeaient.
     Le but clair de cette poursuite (qui se termina par un arrangement d’un
montant confidentiel peu de temps après que l’histoire ne soit plus cou-
verte par la presse) était d’envoyer un message sans équivoque aux avocats
conseillant des clients dans ce domaine : ce n’est pas seulement vos clients
qui pourraient souffrir si l’industrie du contenu dirige ses feux contre eux.
C’est aussi vous. Donc ceux d’entre vous qui croient que la loi devrait être
moins restrictive, devraient réaliser qu’un tel point de vue leur coûtera cher,
à eux et à leur établissement.
     Cette stratégie ne se limite pas aux avocats. En avril 2003, Universal
et EMI poursuivirent Hummer Winblad, l’entreprise de capital-risque qui
avait financé Napster à un certain stade de son développement, ainsi que
son cofondateur (John Hummer), et son associé gérant (Hank Barry)160 . Ici
aussi, le motif de la plainte était que l’entreprise de capital-risque aurait dû
reconnaître à l’industrie du contenu le droit de contrôler comment devait
se développer l’industrie. Ils devaient être tenus pour personnellement res-
ponsables pour avoir financé une société dont le commerce s’est avéré être
hors-la-loi. Ici encore, le but de la poursuite judiciaire est transparent : tout
capital-risqueur reconnaît maintenant que si vous financez une société dont
l’activité n’est pas approuvée par les dinosaures, vous prenez des risques pas
seulement sur le marché, mais aussi devant un tribunal. Vous investissez non
seulement dans une société, mais aussi dans un procès. L’environnement est
devenu si extrême que même les fabricants de voiture ont peur des techno-
logies qui touchent au contenu. Dans un article du Business 2.0, Rafe Needle-
man relate une discussion avec BMW :


                                      160
      J’ai demandé pourquoi, avec toute la capacité de stockage et la
      puissance informatique qui se trouvent dans une voiture, il n’y
      avait pas moyen de jouer des fichiers MP3. On m’a dit que les
      ingénieurs BMW en Allemagne avaient prototypé un nouveau
      véhicule qui pouvait jouer des MP3 avec son système audio,
      mais que les départements juridique et marketing de la société
      n’étaient pas à l’aise avec l’idée de la mettre sur le marché amé-
      ricain. Même aujourd’hui, aucune nouvelle voiture n’est vendue
      aux États-Unis avec de véritables lecteurs MP3161 …
C’est un véritable système mafieux — rempli d’offres « la bourse ou la vie »,
gouverné à la fin non pas par les tribunaux mais par les menaces que la loi
permet aux détenteurs de copyright d’exercer. C’est un système qui va évi-
demment et nécessairement étouffer l’innovation. C’est déjà assez difficile
de démarrer une entreprise. C’est une difficulté insurmontable si l’entre-
prise est constamment sous la menace de poursuites.
    L’idée n’est pas que les entreprises devraient avoir le droit d’exercer des
activités illégales. L’idée est la définition de « illégal ». La loi est une accumu-
lation d’incertitudes. Nous n’avons pas de bon moyen de savoir comment
elle devrait s’appliquer aux nouvelles technologies. Et pourtant en inversant
notre tradition de respect de la justice, et en adoptant les pénalités éton-
namment hautes que la loi du copyright impose, ces incertitudes produisent
maintenant une réalité qui est bien plus conservatrice que juste. Si la loi im-
posait la peine de mort pour les contraventions, beaucoup moins de gens
conduiraient. Le même principe s’applique à l’innovation. Si l’innovation est
constamment à la merci de poursuites aléatoires et illimitées, nous aurons
une innovation bien moins dynamique et beaucoup moins de créativité.
    L’idée est directement équivalente à l’argument gauchiste concernant
l’usage loyal. Quelle que soit la « vraie » loi, la réalité de l’effet de la loi dans
ces deux contextes est la même. Ce système de réglementation terriblement
punitif va systématiquement étouffer la créativité et l’innovation. Il proté-
gera quelques industries et quelques créateurs, mais fera du mal à l’industrie
et à la créativité en général. Le marché libre et la culture libre reposent sur
une concurrence dynamique. Et pourtant l’effet de la loi aujourd’hui est de
simplement étouffer ce genre de compétition. L’effet est de produire une
culture sur-réglementée, tout comme l’effet de trop de contrôle dans le mar-
ché est de produire un marché sur-réglementé.
    La construction d’une culture de permission, plutôt que d’une culture
libre, est le premier moyen important avec lequel les changements que j’ai
décrits vont entraver l’innovation. Une culture de permission signifie une
culture d’avocats — une culture dans laquelle pour pouvoir créer il faut ap-
peler son avocat. Une fois de plus, je ne suis pas anti-avocat, tout du moins
quand ils restent à leur place. Je ne suis certainement pas anti-loi. Mais notre
profession a perdu le sens de la mesure. Et les leaders de notre profession
ne se rendent plus compte des coûts exorbitants que notre profession im-
pose aux autres. L’inefficacité de la loi est une honte pour notre tradition. Et
même si je crois que notre profession devrait donc tout faire pour rendre la
loi plus efficace, elle devrait au moins tout faire pour limiter l’étendue de la


                                        161
loi là où elle ne fait rien de bon. Les coûts cachés de transaction dans une
culture de permission sont suffisants pour enterrer les créativités les plus
diverses. Il faut trouver beaucoup d’arguments pour arriver à justifier un tel
résultat.
    L’incertitude de la loi est un frein à l’innovation. Il y a un second far-
deau qui opère plus directement. C’est l’effort de nombreuses personnes de
l’industrie du contenu, d’utiliser la loi pour légiférer directement sur la tech-
nologie d’Internet afin qu’elle protège mieux leur contenu.
    La motivation de cette réaction est évidente. Internet permet la diffusion
efficace de contenu. Cette efficacité est une caractéristique de la conception
d’Internet. Mais du point de vue de l’industrie du contenu, cette caractéris-
tique est un « bogue ». La diffusion efficace de contenu signifie que les distri-
buteurs de contenu ont plus de mal à contrôler sa distribution. Une réponse
évidente à cette efficacité est donc de rendre Internet moins efficace. Si In-
ternet permet le « piratage », alors, dit cette réponse, nous devrions briser
les genoux d’Internet.
    Il y a de nombreux exemples de cette forme de législation. Sous la pres-
sion de l’industrie du contenu, des membres du Congrès ont menacé de faire
une loi qui exigerait que les ordinateurs déterminent si le contenu auquel ils
ont accès est protégé ou pas, et qu’ils désactivent la diffusion d’un contenu
protégé162 . Le Congrès a déjà lancé des procédures pour explorer la pos-
sibilité de rendre obligatoire un « jeton de diffusion » sur tout système ca-
pable de transmettre de la vidéo numérique (c’est-à-dire un ordinateur), et
qui désactiverait la possibilité de copier tout contenu signalé pour diffusion.
D’autres membres du Congrès ont proposé de protéger les fournisseurs de
contenu d’éventuelles poursuites judiciaires pour la technologie qu’ils pour-
raient déployer pour traquer les violateurs de copyright et neutraliser leurs
machines163 .
    Dans un sens, ces solutions semblent logiques. Si le problème est le code,
pourquoi ne pas réglementer le code pour enlever le problème. Mais toute
réglementation d’une infrastructure technique sera toujours adaptée à la
technologie particulière du moment. Elle imposera des contraintes et des
coûts importants sur la technologie, mais sera susceptible d’être éclipsée par
des avancées destinées à contourner précisément ces règles.
    En mars 2002, une large coalition de sociétés high-tech, menées par Intel,
essayèrent d’amener le Congrès à réaliser les dégâts qu’une telle législation
causerait164 . Leur argument n’était évidemment pas que le copyright ne de-
vrait pas être protégé. Au lieu de cela, ils ont soutenu que toute protection
ne devrait pas faire plus de mal que de bien.
    Il y a une manière plus évidente par laquelle cette guerre nuit à l’inno-
vation — encore une fois, cette histoire sera assez familière des adeptes du
marché libre.
    Le copyright est peut-être une propriété, mais comme toutes les proprié-
tés, c’est aussi une forme de réglementation. C’est une réglementation qui
bénéficient à certains et cause du tort à d’autres. Bien faite, elle bénéficie
aux créateurs et fait du tort aux sangsues. Mal faite, les puissants l’utilisent
pour vaincre leurs concurrents.


                                      162
     Comme je l’ai décrit dans le chapitre 10 (p. 105), malgré la partie régle-
mentaire du copyright, par ailleurs objet de restrictions importantes sou-
lignées par Jessica Litman dans son livre Digital Copyright165 , le bilan du
copyright sur l’ensemble de son histoire n’est pas mauvais. Comme le dé-
taille le chapitre 10 (p. 105), quand de nouvelles technologies sont arrivées,
le Congrès a trouvé le juste milieu pour garantir que le nouveau était protégé
de l’ancien. Des licenses obligatoires, ou statutaires, font partie de cette stra-
tégie. L’usage libre (comme dans le cas du magnétoscope) en est une autre.
     Mais cette habitude du respect envers les nouvelles technologies a main-
tenant changé avec l’avènement d’Internet. Plutôt que de trouver un juste mi-
lieu entre les prétentions d’une nouvelle technologie et les droits légitimes
des créateurs de contenu, à la fois les tribunaux et le Congrès ont imposé des
restrictions légales qui auront pour effet d’étouffer le nouveau pour bénéfi-
cier à l’ancien.
     La réponse des tribunaux est assez universelle166 . Elle se reflète dans les
menaces et les réponses véritablement mises en œuvre par le Congrès. Je ne
ferai pas la liste de toutes ces réponses ici167 . Mais il y a un exemple qui en
capture toute la saveur. C’est l’histoire de la mort des webradios.
     Comme je l’ai décrit dans le chapitre 4 (p. 55), quand une station de radio
diffuse une chanson, l’artiste-interprète n’est pas payé pour cette « interpré-
tation radiophonique » à moins qu’il ou elle en soit également le composi-
teur. Donc, par exemple si Marylin Monroe avait enregistré une version de
« Happy Birthday » — pour immortaliser sa fameuse prestation devant le
Président Kennedy à Madison Square Garden — alors à chaque diffusion
de cet enregistrement à la radio, les propriétaires actuels du copyright de
« Happy Birthday » recevraient de l’argent, mais pas Marylin Monroe.
     Le raisonnement derrière cet équilibre atteint par le Congrès a du sens.
La justification était que la radio était une sorte de publicité. L’artiste in-
terprète en bénéficiait donc parce qu’en diffusant sa musique, la station de
radio rendait plus probable l’achat de ses disques. Ainsi, l’artiste interprète
avait quelque chose, même si c’était indirectement. Probablement que ce rai-
sonnement avait moins à voir avec résultat qu’avec le pouvoir des stations
de radio : leurs lobbyistes étaient assez bons pour arrêter toutes tentatives
d’obtenir du Congrès une loi de compensation des artistes interprètes.
     Arrive la webradio. Comme la radio normale, la webradio est une tech-
nologie qui diffuse du contenu d’un émetteur à un auditeur. La diffusion se
fait par Internet, et non par des ondes radioélectriques. Ainsi, je peux « cap-
ter » une station de webradio à Berlin tout en étant à San Francisco, même
s’il n’y a pas moyen pour moi de capter une radio habituelle au-delà de la
zone métropolitaine de San Francisco.
     Cette caractéristique de l’architecture de la webradio signifie qu’il y a po-
tentiellement un nombre illimité de stations de radio qu’un utilisateur pour-
rait capter en utilisant son ordinateur, alors qu’avec l’architecture actuelle
de la radiodiffusion, il y a une limite évidente du nombre d’émetteurs et des
fréquences d’émission. La webradio pourrait donc être plus compétitive que
la radio habituelle ; elle pourrait fournir un éventail plus large de stations. Et
parce que le public potentiel pour la webradio est le monde entier, des sta-


                                      163
tions de niche pourraient facilement se développer et vendre leur contenu à
un nombre relativement élevé d’utilisateurs à travers le monde. D’après cer-
taines estimations, plus de 80 millions d’utilisateurs à travers le monde ont
écouté cette nouvelle forme de radio.
    Ainsi la webradio est à la radio ce que la FM était à l’AM. C’est une amé-
lioration potentiellement largement plus importante que l’amélioration de
la FM par rapport à l’AM, étant donné que non seulement la technologie est
meilleure, donc, également, la compétition. En effet, il y a un parallèle direct
entre le combat pour instaurer la radio FM et le combat pour protéger la we-
bradio. Comme l’explique un auteur parlant de la lutte d’Howard Armstrong
pour permettre à la radio FM d’exister,
      Un nombre presque illimité de stations FM était possible dans
      les ondes courtes, mettant ainsi fin aux restrictions artificielles
      imposées sur la radio dans les grandes ondes surpeuplées. Si la
      FM se développait librement, le nombre de stations serait limité
      uniquement par l’économie et la concurrence, et non par des res-
      trictions techniques. […] Armstrong compara la situation appa-
      rue dans la radio à ce qui se passa après l’invention de la presse
      d’imprimerie, quand les gouvernements et les classes dirigeantes
      tentèrent de contrôler ce nouvel instrument de communication
      de masse en lui imposant des licences restrictives. Cette tyran-
      nie fut brisée seulement quand il devint possible aux hommes
      d’acquérir librement des machines d’impression et de les utiliser
      librement. La FM dans ce sens était une invention aussi grande
      que la presse d’imprimerie, car elle donnait aux radios l’opportu-
      nité de briser ses chaînes168 .
    Ce potentiel pour la radio FM ne se réalisa jamais — pas parce que Arm-
strong avait tort à propos de la technologie, mais parce qu’il avait sous-
estimé le pouvoir des « intérêts particuliers, habitudes, coutumes et [de la]
législation »169 de retarder la croissance de cette technologie compétitive.
    On pourrait maintenant faire exactement la même affirmation sur la
webradio. Car encore, il n’y a pas de limitation technique qui pourrait res-
treindre le nombre de stations de webradio. Les seules restrictions sur la
webradio sont celles imposées par la loi. La loi du copyright est une de ces
lois. Donc la première question que nous devrions nous poser est : quelles
sont les règles du copyright qui gouverneraient la webradio ?
    Mais ici le pouvoir des lobbyistes est inversé. La webradio est une in-
dustrie nouvelle. Les artistes interprètes, d’un autre côté, ont un lobby très
puissant, la RIAA. Ainsi lorsque le Congrès considéra le phénomène de la
webradio en 1995, les lobbyistes ont poussé le Congrès à adopter une règle
différente pour la webradio de celle qui s’applique à la radio terrestre. Alors
que la radio terrestre n’a pas à payer notre Marylin Monroe hypothétique
quand elle diffuse son enregistrement hypothétique de « Happy Birthday »,
la webradio le fait. Non seulement la loi n’est pas neutre envers la webradio
— en fait la loi est plus contraignante pour la webradio que pour la radio
terrestre.


                                     164
   Cette contrainte financière n’est pas légère. Comme l’estime le profes-
seur de droit William Fisher de Harvard, si une webradio distribuait de la
musique populaire sans publicité à (environ) dix mille auditeurs, 24 heures
par jour, le montant total des frais artistiques à payer par la station de ra-
dio s’élèverait à plus de 1 million de dollars par an170 . Une station de radio
normale diffusant le même contenu ne payerait pas de frais équivalents.
   La contrainte n’est pas seulement financière. Selon les règles initialement
proposées, une station de webradio (mais pas une station de radio terrestre)
devrait collecter les informations suivantes de chaque transaction d’écoute :
  1. nom du service ;
  2. chaîne du programme (les stations AM/FM utilisent le « station ID ») ;
  3. type de programme (archivé/en boucle/en direct) ;
  4. date de transmission ;
  5. heure de transmission ;
  6. fuseau horaire d’origine de la transmission ;
  7. désignation numérique de l’endroit de l’enregistrement sonore dans le
     programme ;
  8. durée de la transmission (à la seconde près) ;
  9. titre de l’enregistrement sonore ;
 10. code ISRC de l’enregistrement ;
 11. année de sortie de l’album par indication de copyright et dans le cas
     d’albums de compilations, la date de sortie de l’album et la date de co-
     pyright du morceau ;
 12. artiste interprète y figurant ;
 13. titre de vente de l’album ;
 14. maison de disque ;
 15. code UPC de l’album vendu ;
 16. numéro de catalogue ;
 17. informations sur le détenteur du copyright ;
 18. genre musical de la chaîne ou du programme (format de station) ;
 19. nom du service ou entité ;
 20. chaîne ou programme ;
 21. date et heure auxquelles l’utilisateur s’est connecté (dans le fuseau ho-
     raire de l’utilisateur) ;
 22. date et heure auxquelles l’utilisateur s’est déconnecté (dans le fuseau
     horaire de l’utilisateur) ;
 23. fuseau horaire où le signal a été reçu (utilisateur) ;
 24. identifiant unique de l’utilisateur ;
 25. pays où l’utilisateur a reçu les transmissions.


                                       165
    Le président de la Bibliothèque du Congrès a finalement suspendu ces
exigences de renseignement, en attente d’étude supplémentaire. Et il chan-
gea également les taux fixés initialement par le comité d’arbitrage en charge
de fixer les taux. Mais la différence fondamentale entre la webradio et la ra-
dio terrestre demeure : la webradio doit payer un type de taxe de copyright que
la radio terrestre ne paie pas.
    Pourquoi ? Qu’est-ce qui justifie cette différence ? Y a-t-il eu une étude
de l’impact économique de la webradio qui justifierait ces différences ? Le
motif était-il de protéger les artistes contre le piratage ?
    Dans un rare élan de candeur, un expert de la RIAA a admis ce qui
semblait évident à tout le monde à cette époque. Comme Alex Alben, vice-
président de la Politique Publique à Real Networks, me disait :
     La RIAA, qui représentait les maisons de disques, présenta des
     témoignages sur ce qu’ils imaginaient être le prix négocié entre
     un vendeur et un acheteur potentiels, et c’était bien plus élevé.
     C’était dix fois plus que ce que les stations de radio payent pour
     jouer les mêmes chansons sur la même période. Et donc les avo-
     cats représentant les diffuseurs sur le web demandèrent à la
     RIAA, […] « Comment arrivez-vous à un taux qui est tellement
     plus élevé ? Pourquoi est-ce que cela vaut plus que la radio ? Parce
     que nous avons ici des centaines de milliers de diffuseurs sur le
     web prêts à payer, et cela devrait établir le taux du marché, et si
     vous fixez le taux si haut, vous allez conduire les petits diffuseurs
     à la faillite. […] »
     Et les experts de la RIAA dirent : « Eh bien, nous ne voyons pas
     vraiment cela comme une industrie avec des milliers de diffu-
     seurs sur le web, nous pensons que cela devrait être une industrie avec,
     vous voyez, cinq ou six gros acteurs qui peuvent payer un taux élevé, et
     c’est un marché stable, prévisible. » (Insistance ajoutée.)
    Traduction : le but est d’utiliser la loi pour éliminer la concurrence, afin
que cette plateforme potentiellement immensément compétitive, qui ferait
exploser la diversité et la portée du contenu, ne cause pas de tort aux dino-
saures du passé. Il n’y a personne, ni de droite ni de gauche, qui devrait cau-
tionner cette utilisation de la loi. Et pourtant il n’y a pratiquement personne,
ni de droite ni de gauche, qui fait quoi que ce soit d’efficace pour l’empêcher.


                    Corrompre les citoyens
   L’excès de réglementation tue la créativité. Il bride l’innovation. Il donne
aux dinosaures un droit de veto sur l’avenir. Il gaspille le potentiel extra-
ordinaire d’une créativité démocratique rendue possible par la technologie
numérique.
   En plus de ces dommages importants, il y en a un autre, qui était im-
portant pour nos prédécesseurs, mais semble oublié aujourd’hui. L’excès de
réglementation corrompt les citoyens, et affaiblit l’état de droit.


                                      166
    La guerre qui est livrée aujourd’hui est une guerre de prohibition.
Comme toute guerre de prohibition, elle est dirigée contre le comportement
d’un très grand nombre de citoyens. Selon le New York Times, 43 millions
d’américains ont téléchargé de la musique en mai 2002171 . Selon la RIAA, le
comportement de ces 43 millions d’américains est un délit. Nous avons donc
un système de loi qui transforme 20 pour cent de l’Amérique en délinquants.
Plus la RIAA fera de procès aux Napster et autres Kazaa, mais aussi à des
étudiants qui construisent des moteurs de recherche, et de plus en plus à de
simple usagers qui téléchargent du contenu, plus les technologies de partage
de fichiers feront de progrès, afin de mieux protéger et cacher leurs usages
illégaux. C’est une course aux armements, une guerre civile, où l’extrémisme
d’un camp renforce celui de son adversaire.
    Les tactiques de l’industrie du contenu exploitent les défaillances du sys-
tème légal américain. Quand la RIAA a poursuivi Jesse Jordan en justice, elle
savait qu’elle avait trouvé en Jordan un bouc-émissaire, et non pas un inculpé.
La menace d’avoir à payer tout l’argent du monde en dommages et intérêts
(15 000 000 $) ou presque tout l’argent du monde pour se défendre (250 000
$ en frais de justice) amena Jordan à choisir de payer tout l’argent du monde
qu’il avait (12 000 $) pour arrêter le procès. La même stratégie anime les
procès de la RIAA contre des utilisateurs individuels. En septembre 2003, la
RIAA poursuivit 261 personnes — parmi lesquels une fille de 12 ans vivant
dans un HLM et un homme de 70 ans qui n’avait aucune idée de ce qu’était
le partage de fichiers172 . Comme le découvrirent ces boucs-émissaires, cela
coûtera toujours plus de se défendre contre ces procès que de simplement
trouver un arrangement. (La fille de douze ans, par exemple, comme Jesse
Jordan, paya avec ses économies de 2 000 $ pour régler l’affaire.) Notre loi
est un système abominable pour la défense des droits. C’est une honte pour
notre tradition. Et la conséquence de la loi telle qu’elle est, est que ceux qui
ont le pouvoir peuvent se servir de la loi pour annuler les droits qui les
gênent.
    Les guerres de prohibition ne sont pas nouvelles en Amérique. Celle-ci
est juste plus extrême que tout ce nous avons vu auparavant. Nous avons fait
l’expérience de la prohibition de l’alcool, à une époque où la consommation
d’alcool était de 5,7 litres par personne et par an. La guerre contre la bois-
son a d’abord réduit cette consommation de juste 30 pour cent du niveau
précédant la prohibition, mais à la fin de la prohibition, la consommation
avait remonté jusqu’à 70 pour cent du niveau précédant la prohibition. Les
américains buvaient presque autant, mais un grand nombre étaient mainte-
nant des criminels173 . Nous avons lancé une guerre contre la drogue visant
à réduire la consommation de narcotiques réglementés, que 7 pour cent (ou
16 millions) d’américains consomment actuellement174 . C’est une chute par
rapport au pic de 1979 qui était de 14 pour cent de la population. Nous ré-
glementons les automobiles au point qu’une vaste majorité des américains
enfreignent la loi chaque jour. Nous avons un système fiscal tellement com-
plexe qu’une majorité des paiements en liquide fraudent régulièrement175 .
Nous nous enorgueillissons de notre « société libre », mais une liste sans fin
de comportements ordinaires est réglementée au sein de notre société. Avec,


                                     167
comme résultat, une énorme proportion d’américains qui violent régulière-
ment au moins une loi.
    Cet état de fait n’est pas sans conséquence. C’est un problème particu-
lièrement saillant pour des professeurs comme moi, dont le travail est d’ap-
prendre aux étudiants en droit l’importance de l’« éthique ». Comme l’a dit
mon collègue Charlie Nesson à une classe à Stanford, chaque année les
écoles de droit accueillent des milliers d’étudiants qui ont téléchargé illé-
galement de la musique, consommé illégalement de l’alcool et parfois de la
drogue, travaillé illégalement sans payer de taxes, conduit illégalement des
voitures. Ce sont des gamins pour qui se comporter illégalement est de plus
en plus la norme. Et après, nous, en tant que professeurs de droit, sommes
supposés leur apprendre comment se comporter de manière éthique — com-
ment dire non aux pots-de-vin, ou garder les fonds des clients séparés, ou
respecter une exigence de divulgation d’un document qui signifiera que
votre affaire est terminée. Des générations d’américains — plus dans cer-
taines parties de l’Amérique que d’autres, mais tout de même, partout en
Amérique aujourd’hui — ne peuvent pas vivre leur vie à la fois normalement
et légalement, étant donné que « normalement » implique un certain degré
d’illégalité.
    La réponse à cette illégalité générale est soit d’appliquer la loi plus sévère-
ment ou soit de changer la loi. Nous, en tant que société, devons apprendre
comment faire ce choix plus rationnellement. Le fait qu’une loi ait un sens
dépend, au moins en partie, de savoir si les coûts de la loi, à la fois prévus
et collatéraux, sont plus importants que les bénéfices. Si les coûts, prévus et
collatéraux, sont bel et bien plus importants que les bénéfices, alors la loi de-
vrait être changée. Autrement, si les coûts du système existant sont bien plus
élevés que les coûts d’une alternative, alors nous avons une bonne raison de
considérer cette alternative.
    Je ne défends pas l’idée stupide qui voudrait que juste parce que des gens
violent une loi, nous devrions donc l’abroger. Évidemment, nous pourrions
réduire les statistiques des meurtres de manière spectaculaire en légalisant le
meurtre les mercredis et les vendredis. Mais cela n’aurait aucun sens, étant
donné que le meurtre est mal tous les jours de la semaine. Une société a
raison de bannir le meurtre toujours et partout.
    Mon idée est plutôt celle que les démocraties ont comprise pendant des
générations, mais que nous avons récemment appris à oublier. L’état de droit
dépend des gens obéissant à la loi. Plus nous, en tant que citoyens, faisons
l’expérience d’enfreindre la loi, et plus c’est fréquent, moins nous respectons
la loi. Évidemment, dans la plupart des cas, la question importante c’est la loi,
pas le respect de la loi. Je ne me préoccupe pas de savoir si un violeur respecte
la loi ou non ; je veux l’attraper et l’incarcérer. Mais je me soucie de savoir si
mes étudiants respectent la loi ou non. Et je me soucie de savoir si les règles
du droit génèrent ce manque de respect croissant à cause des réglementa-
tions extrêmes qu’elles imposent. Vingt millions d’américains ont atteint la
majorité depuis qu’Internet a introduit cette idée différente du « partage ».
Nous avons besoin d’être capables d’appeler ces vingt millions d’américains
« citoyens », et non pas « délinquants ».


                                       168
     Quand au moins quarante-trois millions de citoyens téléchargent du
contenu d’Internet, et qu’ils utilisent des outils pour combiner ce contenu de
manière non autorisée par les propriétaires de copyright, la première ques-
tion que nous devrions nous poser n’est pas de savoir comment mieux impli-
quer le FBI. La première question devrait être de savoir si cette prohibition
particulière est réellement nécessaire pour atteindre les buts particuliers vi-
sés par la loi sur le copyright. Y a-t-il un autre moyen de garantir que les
artistes soient payés sans transformer quarante-trois millions d’américains
en délinquants ? Est-ce que cela a du sens s’il y a d’autres manières d’assurer
que les artistes soient payés sans transformer l’Amérique en une nation de
délinquants ?
     Cette idée abstraite peut être clarifiée avec un exemple particulier.
     Nous possédons tous des CDs. Beaucoup d’entre nous possèdent encore
des disques vinyles. Ces morceaux de plastique encodent la musique que
nous avons d’une certaine manière achetée. La loi protège notre droit d’ache-
ter et de vendre ce plastique : je n’enfreins pas le copyright si je vends tous
mes disques de classique à un magasin de disques d’occasion et si j’achète des
disques de jazz pour les remplacer. Cette « utilisation » des enregistrements
est libre.
     Mais comme l’a montré l’engouement pour les MP3, il y a une autre uti-
lisation des disques vinyles qui est effectivement libre. Parce que ces enre-
gistrements étaient fabriqués sans technique de protection contre la copie,
je suis « libre » de copier, ou « ripper », la musique de mes disques sur le
disque dur d’un ordinateur. En effet, Apple Corporation est allée jusqu’à sug-
gérer que la « liberté » était un droit : dans une série de publicités, Apple a
approuvé les capacités des technologies numériques à « Ripper, Mélanger,
Graver ».
     Cette « utilisation » de mes enregistrements a certainement de la valeur.
J’ai commencé une vaste opération chez moi de ripper tous mes CDs et ceux
de ma femme, et de les stocker dans une archive. Puis, en utilisant iTunes
d’Apple, ou un programme merveilleux appelé Andromeda, nous pourrons
construire différentes playlists de notre musique : Bach, Baroque, Chansons
d’Amour, Chansons d’Amour de The Significant Others — le potentiel est in-
fini. Et en réduisant les coûts de mélange des listes de lecture, ces technolo-
gies aident à produire une créativité, avec des listes de lecture qui ont cha-
cune, indépendamment des autres, une valeur intrinsèque. Des compilations
de chanson sont des créations et ont une signification à leur manière.
     Cette utilisation est permise par les médias non protégés — que ce soient
les CDs ou des disques. Mais les médias non protégés permettent également
le partage de fichier. Le partage de fichier menace (ou c’est ce que l’indus-
trie du contenu croit) la possibilité pour les créateurs de tirer un juste re-
venu de leur créativité. Et donc, beaucoup commencent à expérimenter des
technologies pour supprimer les médias non protégés. Ces technologies, par
exemple, permettraient de créer des CDs qui ne pourraient pas être rip-
pés. Ou elles pourraient permettre à des programmes espions d’identifier
du contenu rippé sur les machines des gens.
     Si ces technologies décollaient, alors la constitution d’une grande archive


                                     169
de votre propre musique deviendrait assez difficile. Vous pourriez fréquen-
ter des cercles de hackers, et obtenir la technologie qui désactiverait les pro-
tections de ce contenu. Verser dans ces technologies est illégal, mais peut-
être que cela ne vous dérange pas beaucoup. Dans tous les cas, pour la vaste
majorité des gens, ces technologies de protection détruiraient effectivement
l’archivage des CDs. La technologie, en d’autres termes, nous forcerait tous
à retourner dans le monde où, soit nous écouterions la musique en mani-
pulant des morceaux de plastique, soit nous ferions partie d’un système de
« gestion des droits numériques » particulièrement complexe.
     Si le seul moyen de garantir aux artistes un revenu était d’éliminer la
possibilité de déplacer librement du contenu, alors ces technologies qui in-
terfèrent avec la liberté de déplacer du contenu seraient justifiables. Et si
néanmoins il y avait un autre moyen de garantir que les artistes soient payés,
sans verrouiller tout contenu ? Et si, en d’autres termes, un système différent
pouvait garantir la rémunération des artistes tout en préservant également
la liberté de déplacer du contenu facilement ?
     Je ne vais pas chercher maintenant à prouver qu’il existe un tel système.
Je propose une version d’un tel système dans le dernier chapitre de ce livre.
Pour le moment, le seul sujet est celui-ci, relativement non controversé : si
un système différent atteignait les mêmes objectifs légitimes que le système
de copyright existant, mais laissait les consommateurs et les créateurs bien
plus libres, alors nous aurions une très bonne raison de suivre cette alterna-
tive — à savoir, la liberté. Le choix, en d’autres termes, ne serait pas entre
la propriété et le piratage ; le choix serait entre différents systèmes de pro-
priété et les libertés que chacun permettrait.
     Je crois qu’il existe un moyen d’assurer que les artistes soient payés sans
changer quarante-trois millions d’américains en délinquants. Mais l’aspect
saillant de cette alternative est que cela conduirait à un marché de produc-
tion et de distribution de la créativité très différent. Les quelques dominants,
qui contrôlent aujourd’hui la vaste majorité de la distribution de contenu
dans le monde, n’exerceraient plus ce contrôle extrême. Au lieu de cela, ils
finiraient comme les calèches.
     A ceci près que les fabricants de calèches actuels ont déjà sellé le Congrès,
et chevauchent la loi pour se protéger contre cette nouvelle forme de concur-
rence. Pour eux, le choix est entre quarante-trois millions d’américains à
considérer comme des criminels et leur propre survie.
     On peut comprendre pourquoi ils choisissent de faire ainsi. On ne peut
pas comprendre pourquoi nous, en tant que démocratie, continuons à faire
ainsi. Jack Valenti est charmant ; mais pas si charmant quand il justifie l’aban-
don d’une tradition aussi profonde et importante que notre tradition d’avoir
une culture libre.
     Il y a un aspect supplémentaire de cette corruption, particulièrement im-
portant pour les libertés civiles, et qui découle directement de toute guerre
de prohibition. Comme l’explique Fred von Lohmann, l’avocat de l’Electro-
nic Frontier Foundation, c’est le « dommage collatéral » qui « survient à
chaque fois que vous changez un très grand pourcentage de la population
en criminels ». C’est le dommage collatéral sur les libertés civiles en géné-


                                      170
ral.
    « Si vous pouvez traiter quelqu’un comme un hors-la-loi présumé », ex-
plique von Lohmann,
       alors tout d’un coup de nombreuses protections fondamentales
       de la liberté civile s’évaporent à un degré ou à un autre. […] Si
       vous êtes un contrevenant du copyright, comment pouvez-vous
       espérer avoir de quelconques droits à la vie privée ? Si vous êtes
       un contrevenant du copyright, comment pouvez-vous espérer
       être en sécurité contre des saisies de votre ordinateur ? Com-
       ment pouvez-vous espérer continuer à recevoir l’accès à Inter-
       net ? […] Nos sensibilités changent aussitôt que nous pensons :
       « Oh, bon, mais cette personne est un criminel, un hors-la-loi ».
       En fait, ce que cette campagne contre le partage de fichier a fait,
       c’est transformer un pourcentage remarquable des internautes
       américains en « hors-la-loi ».
    Et la conséquence de cette transformation du public américain en crimi-
nels est qu’il devient banal, au regard du traitement attendu, d’effacer effec-
tivement une grande partie de la vie privée à laquelle la plupart prétendent.
    Les internautes ont commencé à voir cela généralement en 2003 lorsque
la RIAA lança sa campagne pour forcer les fournisseurs d’accès à Internet
à révéler les noms des clients que la RIAA croyait coupable d’enfreindre la
loi sur le copyright. Verizon lutta contre cette demande et perdit. Avec une
simple demande à un juge, et sans aucune injonction donnée au client, l’iden-
tité d’un internaute serait désormais révélée.
    La RIAA étendit ensuite cette campagne, en annonçant une stratégie
générale pour poursuivre des internautes présumés coupables d’avoir télé-
chargé de la musique sous copyright à partir de systèmes de partage de fi-
chiers. Mais comme nous l’avons vu, les dédommagements potentiels de ces
poursuites sont astronomiques : si un ordinateur familial est utilisé pour té-
lécharger la valeur d’un CD de musique, la famille s’expose à une amende de
2 millions de dollars en dommages et intérêts. Cela n’a pas empêché la RIAA
de poursuivre un certain nombre de ces familles, tout comme elle avait pour-
suivi Jesse Jordan176 .
    Même ceci sous-estime l’espionnage mené actuellement par la RIAA. Un
rapport de CNN à la fin de l’été dernier décrivait une stratégie adoptée par la
RIAA pour traquer les utilisateurs de Napster177 . En utilisant un algorithme
de hachage sophistiqué, la RIAA prenait ce qui est en fait une signature de
chaque chanson dans le catalogue de Napster. Toute copie d’un de ces MP3s
aura la même « signature ».
    Alors imaginez le scénario suivant, tout à fait plausible : imaginez qu’un
ami donne un CD à votre fille — une collection de chansons tout comme les
cassettes que vous faisiez étant enfant. Vous ne savez pas, et votre fille non
plus, d’où viennent ces chansons. Mais elle les copie sur son ordinateur. Puis
elle emmène son ordinateur au lycée et le connecte au réseau de l’université,
et si le réseau informatique de l’université « collabore » avec l’espionnage
de la RIAA, et qu’elle n’a pas correctement protégé son contenu du réseau


                                      171
(savez-vous faire cela vous-même ?), alors la RIAA pourra détecter votre fille
comme étant une « criminelle ». Et d’après le règlement que les universités
commencent à appliquer178 , votre fille peut perdre le droit d’utiliser le ré-
seau informatique de l’université. Elle peut, dans certains cas, être renvoyée.
    Maintenant, bien sûr, elle aura le droit de se défendre. Vous pouvez lui
prendre un avocat (à 300 $ de l’heure, si vous avez de la chance), et elle peut
plaider qu’elle ne savait rien sur l’origine des chansons, ou du fait qu’elle
venaient de Napster. Il se peut très bien que l’université la croit. Mais l’uni-
versité pourrait ne pas la croire. Elle pourrait traiter cette « contrebande »
avec une présomption de culpabilité. Et comme l’ont déjà appris un cer-
tain nombre d’étudiants, la présomption d’innocence disparaît au milieu des
guerres de prohibition. Cette guerre n’est pas différente. Comme le dit von
Lohmann,
      Donc quand nous parlons de nombres comme quarante ou
      soixante millions d’américains considérés comme étant essentiel-
      lement des violeurs de copyright, vous créez une situation où
      les libertés civiles de ces personnes sont d’une manière générale
      grandement en péril. Je ne pense pas qu’il existe une quelconque
      analogie où vous pourriez choisir une personne au hasard dans
      la rue et être convaincu qu’elle a commis un acte illégal qui pour-
      rait la mettre au pilori par d’éventuelles poursuites au pénal pour
      crime, ou par une amende de centaines de millions de dollars à
      payer au civil. Bien sûr nous roulons tous trop vite, mais rouler
      vite n’est pas le genre d’acte pour lequel nous perdons réguliè-
      rement des libertés civiles. Certaines personnes prennent de la
      drogue, et je pense que c’est l’analogie la plus proche, mais de
      nombreuses personnes ont noté que la guerre contre la drogue a
      érodé toutes nos libertés civiles parce qu’elle a traité tant d’amé-
      ricains comme des criminels. Disons que, je pense qu’il est juste
      de dire que le partage de fichiers est, en nombre d’américains, à
      un ordre de magnitude plus grand que la prise de drogue. […] Si
      quarante à soixante millions d’américains sont devenus des hors-
      la-loi, alors nous sommes vraiment sur une pente glissante qui
      mènera à la perte de beaucoup de libertés civiles pour chacun de
      ces quarante à soixante millions d’individus.
    Quand quarante à soixante millions d’américains sont considérés comme
« criminels » par la loi, et quand la loi pourrait atteindre le même objectif —
sécuriser les droits des auteurs — sans considérer ces millions d’individus
comme « criminels », qui est le méchant ? Les américains ou la loi ? Qu’est-
ce qui est américain, une guerre constante contre notre peuple ou un effort
concerté par voie démocratique pour changer notre loi ?




                                     172
Quatrième partie

  Équilibres




       173
    Voici la scène : Vous êtes debout au bord de la route. Votre voiture a pris
feu. Vous êtes énervé et en colère parce que vous êtes en partie responsable
de l’incendie. Et maintenant vous ne savez pas comment l’éteindre. Près de
vous se trouve un seau rempli d’essence. Évidemment, ce n’est pas avec de
l’essence que vous allez l’éteindre.
    Alors que vous êtes en train de réfléchir, quelqu’un arrive. Paniquée, elle
s’empare du seau. Avant que vous n’ayez pu lui dire d’arrêter (ou avant qu’elle
n’ait pu comprendre pourquoi arrêter) le seau vole en l’air. L’essence est sur
le point de toucher la voiture en flammes. Et elle est sur le point de mettre
le feu à tout ce qui se trouve autour.
    Une guerre du copyright fait rage autour de nous, et nous nous occu-
pons d’un faux problème. Sans doute, les technologies actuelles menacent
certaines entreprises. Aucun doute qu’elles menacent aussi certains artistes.
Mais les technologies changent. Les industries et les ingénieurs ont beau-
coup de moyens d’utiliser la technologie pour se protéger des menaces en-
gendrées par Internet. C’est un feu qui, livré à lui-même, s’éteindrait tout
seul.
    Cependant nos décideurs ne veulent pas laisser ce feu tout seul. Les
poches pleines de l’argent des lobbyistes, ils sont décidés à intervenir pour
éliminer le problème qu’ils perçoivent. Mais le problème qu’ils perçoivent
n’est pas la véritable menace qui pèse sur notre culture. Car pendant que
nous regardons ce petit feu dans un coin de la scène, un changement massif
est en train de se produire partout ailleurs, dans la manière dont la culture
est produite.
    D’une manière ou d’une autre, nous devons trouver un moyen de tourner
notre attention vers ce problème plus important et plus fondamental. Nous
devons trouver un moyen d’éviter de répandre de l’essence sur ce feu.
    Nous n’avons pas encore trouvé ce moyen. Au lieu de quoi nous semblons
enfermés dans un point de vue simple et binaire. Quel que soit le nombre de
gens qui essaient d’ouvrir ce débat, c’est le point de vue simple et binaire
qui l’emporte. Nous nous retournons pour contempler le feu quand nous
devrions garder les yeux sur la route.
    J’ai consacré mon existence à ce défi pendant les dernières années. Cela
a aussi été un échec. Dans les deux chapitres qui suivent, je décris quelques-
uns de mes efforts, jusqu’ici sans succès, pour trouver un moyen de recentrer
le débat. Nous devons comprendre ces échecs si nous voulons comprendre
comment gagner.




                                     175
176
                                   Eldred


    En 1995, un père était frustré que ses filles semblent ne pas apprécier
Hawthorne. Nul doute qu’il y avait plus d’un père dans cette situation, mais
au moins l’un d’entre eux tenta d’y changer quelque chose. Eric Eldred, un
programmeur à la retraite qui vivait dans le New Hampshire, décida de
mettre Hawthorne sur le web. Une version électronique, pensa Eldred, avec
des liens vers des images et des textes explicatifs, ressusciterait l’œuvre de
cet auteur du dix-neuvième siècle.
    Cela ne marcha pas — du moins pour ses filles. Elles ne trouvèrent
pas Hawthorne plus intéressant qu’avant. Mais l’expérience d’Eldred donna
naissance à un hobby, et ce hobby engendra une vocation : Eldred allait
construire une bibliothèque d’œuvres du domaine public, en scannant ces
œuvres et en les mettant gratuitement à la disposition de tous.
    La bibliothèque d’Eldred n’était pas simplement une copie de certaines
œuvres du domaine public, quoique même une copie eût été d’une grande
valeur pour les gens de par le monde qui ne peuvent pas accéder aux versions
imprimées de ces œuvres. Au lieu de cela, Eldred produisait des œuvres déri-
vées de ces œuvres du domaine public. Tout comme Disney changea Grimm
en histoires plus accessibles au vingtième siècle, Eldred transforma Haw-
thorne, et de nombreux autres, en une forme plus accessible — technique-
ment accessible — aujourd’hui.
    La liberté d’Eldred de faire ça avec l’œuvre d’Hawthorne est issue de
la même source que celle de Disney. Scarlet Letter d’Hawthorne est passé
dans le domaine public en 1907. Il était donc libre d’accès pour quiconque,
sans besoin de la permission des héritiers de Hawthorne ou de qui que ce
soit d’autre. Certains, comme Dover Press et Penguin Classics, prennent
des œuvres du domaine public et produisent des éditions imprimées, qu’ils
vendent en librairie partout dans le pays. D’autres, comme Disney, prennent
ces histoires et les changent en dessins animés, parfois avec succès (Cen-
drillon), parfois sans (Notre-Dame de Paris, La Planète au Trésor). Ce sont toutes
des publications commerciales d’œuvres du domaine public.
    Internet a créé la possibilité de faire des publications non commerciales
des œuvres du domaine public. Celle d’Eldred n’est qu’un exemple. Il y en
a littéralement des milliers d’autres. Des centaines de milliers de personnes
de par le monde ont découvert cette plateforme d’expression et l’utilisent
maintenant pour partager des œuvres qui sont, aux yeux de la loi, d’accès
libre et gratuit. Cela a produit ce que nous pourrions appeler une « indus-
trie non commerciale de publication », qui, avant Internet, était limitée aux


                                      177
gens avec un grand ego ou avec une cause politique ou sociale. Mais avec
Internet, cela comprend une population très diverse et des groupes dévoués
à la diffusion de la culture en général179 .
    Comme je l’ai dit, Eldred habite dans le New Hampshire. En 1998, la col-
lection de poèmes de Robert Frost, New Hampshire, était promise au passage
dans le domaine public. Eldred voulait publier cette collection dans sa biblio-
thèque publique gratuite. Mais le Congrès s’interposa. Comme je l’ai décrit
dans le chapitre 10 (p. 105), en 1998, pour la onzième fois en quarante ans,
le Congrès prolongea la durée des copyrights existants — cette fois de vingt
ans. Eldred devrait attendre 2019 avant d’être libre d’ajouter à sa collection
des œuvres créées après 1923. En effet, aucune œuvre sous copyright ne pas-
serait dans le domaine public avant cette date (sauf si le Congrès prolonge
à nouveau la durée). En comparaison, pendant la même période, plus de un
million de brevets passeront dans le domaine public.
    C’était le Sonny Bono Copyright Term Extension Act (CTEA) (NdT : Loi
d’Extension du Délai de Copyright de Sonny Bono), édictée à la mémoire
du membre du Congrès et ancien musicien Sonny Bono, qui, selon sa veuve,
Mary Bono, croyait que « les copyright devraient durer pour toujours ».180
    Eldred décida de se battre contre cette loi. Il s’y résolut d’abord par la
désobéissance civile. Dans une série d’entretiens, Eldred annonça qu’il pu-
blierait comme prévu, malgré le CTEA. Mais à cause d’une deuxième loi
passée en 1998, le NET (No Electronic Theft, Pas de Vol Électronique) Act,
son acte de publication allait faire d’Eldred un criminel — que quelqu’un
porte plainte ou non. C’était une stratégie dangereuse à entreprendre pour
un programmeur invalide.
    C’est à ce moment que je fus impliqué dans la bataille d’Eldred. J’étais
un spécialiste de la constitution, dont la première passion était l’interpréta-
tion constitutionnelle. Et bien que les cours de droit constitutionnel ne se
focalisent jamais sur la Clause de Progrès (Progress Clause), elle m’avait tou-
jours frappé comme étant crucialement différente. Comme vous le savez, la
Constitution dit :
     Le Congrès a le pouvoir de promouvoir le Progrès de la Science
     […] en sécurisant pour une Durée limitée aux Auteurs […] un
     Droit exclusif sur leurs […] Écrits.
Comme je l’ai décrit, cette clause est unique parmi la clause d’allocation de
pouvoir de la section 8 de l’Article I de notre Constitution. Toute autre clause
conférant du pouvoir au Congrès dit simplement que le Congrès a le pou-
voir de faire quelque chose — par exemple, de réglementer « le commerce
parmi les divers États » ou de « déclarer la guerre ». Mais ici, le « quelque
chose » est très particulier — de « promouvoir […] le Progrès » — à travers
des moyens également spécifiques — en « sécurisant » des « Droits exclu-
sifs » (c’est-à-dire des copyrights) « pour une Durée limitée ».
    Au cours des quarante dernières années, le Congrès a pris l’habitude de
prolonger la durée existante de la protection du copyright. Ce qui m’a rendu
perplexe dans cette pratique c’est que, si le Congrès a le pouvoir de prolon-
ger les durées existantes, alors l’exigence de la Constitution que ces durées


                                     178
soient « limitées » n’aura pas d’effet pratique. Si à chaque fois qu’un copy-
right est sur le point d’expirer le Congrès a le pouvoir de le prolonger, alors
le Congrès peut réussir ce que la Constitution interdit clairement — la du-
rée perpétuelle « par versements échelonnés », comme le dit si bien le Pro-
fesseur Peter Jaszi.
    En tant qu’universitaire, ma première réaction fut de me plonger dans
les livres. Je me souviens être resté assis tard au bureau, fouillant des bases
de données en ligne à la recherche de toute considération sérieuse sur la
question. Personne n’avait jamais contesté la pratique du Congrès de pro-
longer les durées existantes. Cette lacune constitue peut-être en partie la
raison pour laquelle le Congrès semblait si confortablement installé dans
son habitude. Ceci, et aussi le fait que cette pratique est devenue si lucrative
pour le Congrès. Le Congrès sait que les détenteurs de copyright seront dis-
posés à payer des sommes considérables pour voir leurs durées de copyright
prolongées. Et donc le Congrès est assez satisfait d’exploiter ce bon filon.
    Car c’est le cœur de la corruption dans notre système actuel de gou-
vernement. « Corruption » non pas dans le sens où les représentants sont
soudoyés. Plutôt, « corruption » dans le sens où le système incite les bénéfi-
ciaires des lois du Congrès à donner de l’argent au Congrès pour l’inciter à
voter les lois. Le temps est limité ; et le Congrès ne peut pas tout faire. Pour-
quoi ne pas limiter ses actions aux choses à faire impérativement — et qui
rapportent ? Prolonger la durée du copyright est très lucratif.
    Si cela n’est pas évident pour vous, considérez la chose suivante : disons
que vous êtes un des quelques très chanceux propriétaires d’un copyright qui
continue à rapporter de l’argent cent ans après sa création. La succession de
Robert Frost est un bon exemple. Frost est mort en 1963. Sa poésie conti-
nue à avoir une valeur extraordinaire. Ainsi les ayants droit de Robert Frost
bénéficient grandement de toute prolongation du copyright, puisqu’aucun
éditeur ne donnerait de l’argent aux ayants droit si les poèmes écrits par
Frost pouvaient être édités par quiconque gratuitement.
    Donc imaginez que l’ayant droit de Robert Frost gagne 100 000 dollars
par an pour trois poèmes de Frost. Et imaginez que le copyright pour ces
poèmes soit sur le point d’expirer. Vous siégez au comité qui gère l’héritage
de Robert Frost. Votre conseiller financier vient à votre réunion du comité
avec un rapport très morose :
    « L’année prochaine », annonce le conseiller, « nos droits sur les œuvres
A, B et C vont expirer. Cela signifie que l’année prochaine, nous ne recevrons
plus le chèque annuel de droits d’auteur de 100 000 dollars des éditeurs de
ces œuvres ».
    « Il y a une proposition au Congrès, toutefois », continue-t-il, « qui pour-
rait changer ça. Quelques membres du Congrès ont émis un projet de loi
pour prolonger la durée du copyright de vingt ans. Cette loi aurait une va-
leur extraordinaire pour nous. Donc nous devrions espérer que cette loi soit
adoptée. »
    « Espérer ? » dit un membre du comité. « Ne pouvons-nous pas y faire
quelque chose ? »
    « Eh bien, évidemment, oui », répond le conseiller. « Nous pourrions


                                      179
contribuer aux campagnes d’un certain nombre de représentants pour es-
sayer de s’assurer de leur soutien au projet de loi. »
     Vous détestez la politique. Vous détestez contribuer aux campagnes.
Donc vous voulez savoir si cette pratique répugnante en vaut le coup. « Com-
bien obtiendrions-nous si cette prolongation passait ? » demandez-vous au
conseiller. « Combien vaut-elle ? »
     « Bon », dit le conseiller, « si vous êtes sûr que vous continuerez à obtenir
au moins 100 000 dollars par an de ces copyrights, et que vous utilisez le
“taux d’escompte” que nous utilisons pour évaluer les investissements de la
succession (6 pour cent), alors cette loi vaudrait 1 146 000 dollars pour la
succession. »
     Vous êtes un peu choqué par ce montant, mais vous arrivez rapidement
à la conclusion correcte :
     « Donc vous dites que cela vaudrait le coup pour nous de payer plus de
un million de dollars en contributions de campagne si nous étions sûrs que
ces contributions feraient passer cette loi ? »
     « Absolument », répond le conseiller. « Cela vaut le coup pour vous de
contribuer jusqu’à la “valeur actualisée” du revenu que vous attendez de ces
copyrights. Ce qui pour nous signifie plus d’un million de dollars. »
     Vous voyez rapidement l’idée — vous, en tant que membre du comité
et, j’espère, vous le lecteur. Chaque fois que les copyrights sont sur le point
d’expirer, tout bénéficiaire dans la position des héritiers de Robert Frost est
face au même choix : s’il peut contribuer à obtenir une loi qui prolonge le
copyright, il bénéficiera grandement de cette prolongation. Et donc à chaque
fois que les copyrights sont sur le point d’expirer, il y a une quantité massive
de lobbying pour prolonger leur durée.
     D’où une machine à mouvement perpétuel en direction du congrès : aussi
longtemps que la législation pourra être achetée (bien qu’indirectement), il y
aura toutes les motivations du monde à acheter davantage de prolongations
de copyright.
     Dans le lobbying qui a mené au vote du Sonny Bono Copyright Term Ex-
tension Act, cette « théorie » sur les motivations s’est avérée juste. Dix des
trente représentants ayant soutenu la loi à la Chambre ont reçu la contri-
bution maximale du comité d’action politique de Disney ; au sénat, huit des
douze représentants ont reçu des contributions181 . On estime que la RIAA
et la MPAA ont dépensé plus de 1,5 million de dollars en lobbying dans le
cycle électoral de 1998. Ils ont payé plus de 200 000 dollars en contributions
de campagne182 . On estime que Disney a contribué pour plus de 800 000
dollars aux campagnes de réélection du cycle de 1998183 .
     La loi constitutionnelle n’oublie pas les choses évidentes. Ou au moins,
elle n’en a pas besoin. Donc quand j’examinais la plainte d’Eldred, cette réa-
lité à propos des motivations sans fin pour augmenter la durée du copyright
était centrale dans ma réflexion. De mon point de vue, un tribunal pragma-
tique, engagé à interpréter et appliquer la Constitution de nos concepteurs,
verrait que si le Congrès a le pouvoir d’augmenter les durées existantes, alors
il n’y aurait aucune exigence constitutionnelle effective que ces durées soient
« limitées ». S’ils pouvaient le faire une fois, ils le feraient à nouveau, encore


                                      180
et encore.
    C’était également mon avis que cette Cour Suprême ne permettrait pas au
Congrès de prolonger les durées existantes. Comme le sait toute personne
proche de la Cour Suprême, cette Cour a de plus en plus restreint le pouvoir
du Congrès quand elle a vu que les actions du Congrès excédaient le pouvoir
accordé par la Constitution. Pour les spécialistes constitutionnels, l’exemple
le plus célèbre de cette tendance est la décision de la Cour Suprême prise en
1995 de faire tomber une loi qui interdisait la possession d’armes près des
écoles.
    Depuis 1937, la Cour Suprême a fait une interprétation très étendue des
pouvoirs accordés au Congrès ; donc, tandis que la constitution accorde au
Congrès le pouvoir de ne réglementer que le « commerce entre les diffé-
rents états » (aussi appelé « commerce inter-état »), la Cour Suprême a in-
terprété ce pouvoir comme incluant le pouvoir de réglementer toute activité
qui touche simplement le commerce entre états.
    Alors que l’économie grandissait, ce standard signifiait de plus en plus
qu’il n’y avait pas de limite au pouvoir de réglementation du Congrès, étant
donné que quasiment toute activité, considérée à l’échelle nationale, affecte
le commerce entre états. Une Constitution conçue pour limiter le pouvoir
du Congrès était à la place interprétée comme n’imposant aucune limite.
    La cour suprême, sous la présidence du juge Rehnquist, changea ça au
procès États-Unis contre Lopez. Le gouvernement avait affirmé que possé-
der des armes près des écoles affectait le commerce entre états. Les armes
près des écoles augmentent le crime, le crime fait baisser la valeur immobi-
lière, et ainsi de suite. Dans sa plaidoirie, le président de la Cour demanda
au gouvernement si avec un tel raisonnement il y avait quelconque activité
qui pourrait ne pas affecter le commerce entre états. Le gouvernement dit
qu’il n’y en avait pas ; si le Congrès dit qu’une activité affecte le commerce
entre états, alors cette activité affecte le commerce entre états. Selon le gou-
vernement, la Cour Suprême n’était pas en position de remettre en question
le Congrès.
    « Nous marquons une pause pour examiner les implications des argu-
ments du gouvernement », écrivit le président de la Cour184 . Si le Congrès
pouvait à sa guise considérer que n’importe quel sujet concerne le commerce
entre état, alors il n’y aurait aucune limite au pouvoir du Congrès. Cette dé-
cision dans Lopez fut réaffirmée cinq ans plus tard dans États-Unis contre
Morrison185 .
    Si un principe est applicable ici, alors il devrait s’appliquer à la Clause
de Progrès autant qu’à la Clause de Commerce186 . Et s’il est appliqué à la
Clause de Progrès, cela devrait mener à la conclusion que le Congrès ne peut
pas étendre une durée existante. Si le Congrès pouvait étendre une durée
existante, alors il n’y aurait pas de « point d’arrêt » à son pouvoir sur les du-
rées, alors que la Constitution établit expressément qu’une telle limite existe.
Ainsi, le même principe appliqué au pouvoir d’accorder des copyrights de-
vrait impliquer que le Congrès n’a pas le droit de prolonger la durée des
copyrights existants.
    Si, pour ainsi dire, le principe annoncé dans Lopez représentait un prin-


                                      181
cipe. Beaucoup crurent que la décision dans Lopez était une manœuvre po-
litique — une Cour Suprême conservatrice, qui croyait dans les droits des
états, utilisant son pouvoir sur le Congrès pour mettre en avant ses propres
préférences politiques personnelles. Mais j’ai rejeté ce point de vue sur la dé-
cision de la Cour Suprême. En effet, peu après la décision, j’ai écrit un article
démontrant que cette décision était « fidèle » à l’esprit de la Constitution.
L’idée que la Cour Suprême fonde ses décisions sur des calculs politiques
m’a paru extraordinairement ennuyeuse. Je n’allais pas dévouer ma vie à en-
seigner la loi constitutionnelle si ces neuf juges se comportaient en petits
politiciens.
    Faisons maintenant une pause pendant un instant pour être sûr de bien
comprendre quelle argumentation ne s’applique pas à l’affaire Eldred. En in-
sistant sur les limites de la Constitution sur le copyright, Eldred ne caution-
nait évidemment pas le piratage. En effet, à l’évidence, il combattait une sorte
de piratage — le piratage du domaine public. Quand Robert Frost écrivit son
œuvre et quand Walt Disney créa Mickey Mouse, la durée maximale du copy-
right était de seulement cinquante-six ans. À cause de changements dans l’in-
tervalle, Frost et Disney avaient déjà bénéficié d’un monopole de soixante-
quinze ans sur leur œuvre. Ils avaient profité du marché que la Constitution
imagine : en échange d’un monopole protégé pendant cinquante-six ans, ils
créaient de nouvelles œuvres. Mais maintenant ces entités utilisaient leur
pouvoir — par l’argent des lobbyistes — pour avoir vingt ans de plus de mo-
nopole. Ce morceau de vingt ans était pris du domaine public. Eric Eldred
combattait un piratage qui nous concerne tous.
    Certaines personnes voient le domaine public avec mépris. Dans leur
dossier devant la Cour Suprême, la Nashville Songwriters Association écri-
vit que le domaine public n’était rien d’autre que du « piratage légal »187 .
Mais ce n’est pas du piratage quand la loi l’autorise ; et dans notre système
constitutionnel, la loi l’exige. Certains peuvent ne pas apprécier les exigences
de la Constitution, mais cela n’en fait pas une charte de pirate.
    Comme nous l’avons vu, notre système constitutionnel impose des li-
mites aux copyrights afin de garantir que leurs propriétaires n’influencent
par trop lourdement le développement et la distribution de notre culture.
Pourtant, comme l’a découvert Eric Eldred, nous avons installé un système
qui garantit que la durée des copyrights sera constamment prolongée. Nous
avons créé là un scénario catastrophe pour le domaine public. Les copyrights
n’ont pas expiré, et n’expireront pas, aussi longtemps que le Congrès est libre
d’être acheté pour les prolonger à nouveau.
    Ce sont les copyrights de valeur qui sont responsables de l’allongement
de la durée. Mickey Mouse et « Rhapsody in Blue ». Ces œuvres ont trop de
valeur pour que les détenteurs de copyright les lâchent. Mais le vrai préju-
dice à notre société de ces prolongations de copyright n’est pas que Mickey
Mouse reste à Disney. Oubliez Mickey Mouse. Oubliez Robert Frost. Ou-
bliez toutes les œuvres des années 1920 et 1930 qui continuent à avoir une
valeur commerciale. Le vrai préjudice ne vient pas de ces œuvres célèbres.
Le vrai préjudice touche les œuvres qui ne sont pas célèbres, pas commer-
cialisées, et qui en conséquence ne sont plus disponibles.


                                      182
    Si vous regardez les œuvres créées dans les vingt premières années (de
1923 à 1942) concernées par le Sonny Bono Copyright Term Extension Act,
deux pour cent de ces œuvres continuent à avoir une quelconque valeur
commerciale. Ce sont les propriétaires de copyright de ces deux pour cent
qui ont fait passer le CTEA. Mais la loi et ses effets ne se sont pas limités à ces
deux pour cent. La loi a prolongé la durée du copyright de façon générale188 .
    Pensez aux conséquences pratiques de cette extension — concrètement,
comme un homme d’affaire, pas comme un avocat désireux d’avoir plus de
travail juridique. En 1930, 10 047 livres ont été publiés. En 2000, 174 d’entre
eux étaient encore imprimés. Imaginons que vous êtes Brewster Kahle, et
que vous vouliez rendre disponible au monde dans votre projet iArchive les
9 873 livres restants. Qu’auriez-vous à faire ?
    Eh bien, tout d’abord, vous auriez à déterminer lesquels de ces 9 873
livres sont encore sous copyright. Pour cela il faut aller dans une biblio-
thèque (ces données ne sont pas en ligne) et parcourir de nombreux tomes,
pour faire les vérifications croisées des titres et auteurs des 9 873 livres,
avec le dépôt du copyright et les enregistrements des renouvellements des
œuvres publiées en 1930. Cela produira une liste de livres encore sous copy-
right.
    Puis pour les livres encore sous copyright, vous auriez besoin de localiser
les propriétaires actuels du copyright. Comment feriez-vous cela ?
    La plupart des gens pensent qu’il doit y avoir une liste de ces propriétaires
de copyright quelque part. Les gens pragmatiques pensent ainsi. Comment
pourrait-il y avoir des milliers et des milliers de monopoles gouvernemen-
taux sans qu’il y ait au moins une liste ?
    Mais il n’y a pas de liste. Il y a peut-être un nom en 1930, et puis en 1959,
de la personne qui a enregistré le copyright. Mais imaginez simplement la
difficulté, en pratique insurmontable, de retrouver des milliers de tels enre-
gistrements — d’autant plus que la personne enregistrée n’est pas forcément
le propriétaire actuel. Et nous ne parlons que de 1930 !
    « Mais il n’y a pas une liste générale des propriétaires », répondent les
apologistes du système. « Pourquoi devrait-il y en avoir une des proprié-
taires de copyright ? »
    Eh bien, en fait, si vous y réfléchissez, il y a de nombreuses listes de qui
possède quelle propriété. Pensez aux actes de vente dans l’immobilier, ou
aux titres de propriété sur les voitures. Et quand bien même il n’y aurait pas
de liste, les conventions de l’espace physique sont assez bonnes pour suggé-
rer qui est le propriétaire d’une partie de propriété. (Une balançoire installée
dans votre jardin est probablement à vous.) Donc formellement ou de façon
informelle, nous avons un moyen plutôt bon de dire qui possède quelle pro-
priété tangible.
    Donc : vous marchez dans la rue et vous voyez une maison. Vous pouvez
savoir qui possède cette maison en regardant dans le registre du palais de
justice. Si vous voyez une voiture, il y a habituellement une plaque d’imma-
triculation qui fera le lien avec le propriétaire de la voiture. Si vous voyez un
tas de jouets d’enfants devant la pelouse d’une maison, il est assez facile de
déterminer qui possède les jouets. Et s’il nous arrive de voir une balle de ba-


                                       183
seball traîner dans un caniveau sur le côté de la route, cherchez du regard un
peu autour de vous des enfants jouant à la balle. Si vous ne voyez pas d’en-
fant, alors d’accord : voici un morceau de propriété dont il n’est pas facile
de déterminer le propriétaire. C’est l’exception qui confirme la règle : que
d’ordinaire nous savons assez bien qui possède quelle propriété.
     Comparez cette histoire à la propriété intangible. Vous allez dans une
bibliothèque. La bibliothèque possède les livres. Mais qui possède les copy-
rights ? Comme décrit précédemment, il n’existe pas de liste de propriétaires
de copyright. Il y a les noms des auteurs, bien sûr, mais leurs copyrights
peuvent être assignés, ou passés à un héritier comme les vieux bijoux de
Grand-Mère. Pour savoir qui possède quoi, il vous faudrait embaucher un
détective privé. Au bout du compte : le propriétaire ne peut pas être facile-
ment localisé. Et dans un régime comme le nôtre, dans lequel utiliser une
propriété sans la permission du propriétaire est un délit, la propriété ne va
tout bonnement pas être utilisée.
     La conséquence par rapport aux vieux livres est qu’ils ne vont pas être
numérisés, et ainsi ils vont simplement disparaître en pourrissant sur les
étagères. Mais la conséquence pour d’autres œuvres de création est bien plus
affreuse.
     Considérez l’histoire de Michael Agee, président de Hal Roach Studios,
qui possède les copyrights des films de Laurel et Hardy. Agee est un béné-
ficiaire direct du Bono Act. Les films de Laurel et Hardy ont été faits entre
1921 et 1951. Seul un de ces films, The Lucky Dog, est actuellement hors co-
pyright. Mais sans le CTEA, les films réalisés après 1923 auraient commencé
à entrer dans le domaine public. Parce que Agee contrôle les droits exclusifs
de ces films populaires, il se fait beaucoup d’argent. D’après une estimation,
« Roach a vendu environ 60 000 cassettes vidéos et 50 000 DVDs des films
muets du duo »189 .
     Et pourtant Agee s’est opposé au CTEA. Son raisonnement démontre
une vertu rare dans cette culture : l’altruisme. Il argumenta dans un dossier
devant la Cour Suprême que le Sonny Bono Copyright Term Extension Act,
s’il était maintenu, détruirait tout une génération de cinéma américain.
     Son argument est direct. Une minuscule fraction de cette œuvre conti-
nue à avoir une quelconque valeur commerciale. Le reste — dans la mesure
qu’il survive — reste dans des coffres à ramasser de la poussière. Il se peut
que certaines de ces œuvres actuellement sans valeur commerciale soient
considérées dans le futur par les propriétaires des coffres comme ayant de
la valeur. Pour que cela arrive, toutefois, il faut que le bénéfice commercial
de l’œuvre excède les coûts de fabrication pour sa distribution.
     On ne sait pas se prononcer sur les bénéfices, mais on en connaît beau-
coup sur les coûts. Dans la majeure partie de l’histoire du cinéma, les coûts
de restauration d’un film étaient très élevés ; les technologies numériques
ont considérablement baissé ces coûts. Alors que la restauration d’un film
en noir et blanc de quatre-vingt-dix minutes coûtait plus de 10 000 dollars
en 1933, cela ne coûte maintenant que 100 dollars pour numériser une heure
d’un film de 8 mm190 .
     La technologie de restauration n’est pas le seul coût, ni le plus important.


                                      184
Les avocats, aussi, sont un coût, un coût très important et en croissance. En
plus de préserver le film, un distributeur a besoin de sécuriser les droits. Et
pour sécuriser les droits d’un film sous copyright, vous avez besoin de loca-
liser le propriétaire du copyright.
     Ou plus précisément, les propriétaires. Comme nous l’avons vu, il n’y a
pas seulement un seul copyright associé à un film ; il y en a beaucoup. Il n’y
a pas une unique personne que vous pouvez contacter pour ces copyrights ;
il y en a autant que de propriétaires de droits, ce qui s’avère être un nombre
très grand. Ainsi les coûts pour acquitter les droits de ces films sont excep-
tionnellement élevés.
     « Mais ne pouvez-vous pas juste restaurer le film, le distribuer, et ensuite
payer la propriétaire du copyright quand elle se présente ? » Bien sûr, si vous
voulez commettre un délit. Et même si commettre un délit vous est égal,
quand elle se présentera, elle aura le droit de vous poursuivre pour tout le
profit que vous avez fait. Donc, si le film est un succès, vous pouvez être sûr
que vous aurez un coup de fil de l’avocat de quelqu’un d’autre. Et si le film
ne marche pas, vous ne pourrez même pas couvrir les frais de votre propre
avocat. Dans tous les cas, vous devez parler à un avocat. Et comme c’est trop
souvent le cas, dire que vous devez parler à un avocat est pareil que dire que
vous ne gagnerez pas assez d’argent.
     Pour certains films, le bénéfice de sortir le film peut bien excéder ces
coûts. Mais dans la grande majorité des cas, les bénéfices ne peuvent pas
l’emporter sur les coûts légaux. Ainsi, pour la vaste majorité des vieux films,
argumenta Agee, le film ne sera pas restauré et distribué jusqu’à ce que le
copyright expire.
     Mais d’ici à ce que le copyright de ces films expire, le film aura disparu.
Ces films ont été produits à base de nitrate, et le nitrate se dissout au fil
du temps. Ils seront partis, et la cartouche de métal dans laquelle ils sont
maintenant rangés sera remplie avec rien d’autre que de la poussière.
     De toutes les œuvres de création produites par des humains où que ce
soit, une minuscule fraction a toujours une valeur commerciale. Pour cette
minuscule fraction, le copyright est un système légal d’une importance cru-
ciale. Pour cette minuscule fraction, le copyright crée des motivations pour
produire et distribuer cette œuvre. Pour cette minuscule fraction, le copy-
right agit comme un « moteur d’expression libre ».
     Mais même pour cette minuscule fraction, la véritable durée pendant la-
quelle l’œuvre de création a une vie commerciale est extrêmement courte.
Comme je l’ai indiqué, la plupart des livres imprimés sont épuisés en une
année. La même chose est vraie pour la musique et le cinéma. La culture
commerciale est comme un requin. Elle doit toujours être en mouvement.
Et quand une œuvre de création tombe en disgrâce des distributeurs com-
merciaux, la vie commerciale s’achève.
     Cela ne veut toutefois pas dire que la vie de l’œuvre s’achève. Nous ne gar-
dons pas des bibliothèques pour faire de la concurrence à Barnes & Noble,
et nous n’avons pas des archives de films parce que nous nous attendons à
ce que les gens choisissent entre passer le vendredi soir à regarder des films
nouveaux et passer le vendredi soir à regarder un documentaire d’actuali-


                                      185
tés de 1930. La vie non commerciale de la culture est importante et a de la
valeur — pour le divertissement mais aussi, et surtout, pour le savoir. Pour
comprendre qui nous sommes, et d’où nous venons, et comprendre nos er-
reurs et leur origine, nous avons besoin d’avoir accès à cette histoire.
     Dans ce contexte, les copyrights ne favorisent pas un moteur d’expres-
sion libre. Dans ce contexte, il n’y a pas besoin d’un droit exclusif, et les co-
pyrights ont un effet négatif.
     Pourtant, pendant la majeure partie de notre histoire, ils ont aussi causé
peu de préjudice. Quand une œuvre avait fini sa vie commerciale, il n’y avait
pas d’utilisation liée au copyright qui pouvait être interdite par un droit exclu-
sif. Quand un livre était épuisé, vous ne pouviez pas l’acheter chez un éditeur.
Mais vous pouviez toujours l’acheter dans une bouquinerie, et quand une
bouquinerie le vend, il n’y a pas besoin de payer quelque chose au proprié-
taire du copyright, en Amérique tout du moins. Ainsi, l’usage ordinaire d’un
livre après sa commercialisation n’était pas assujetti à la loi sur le copyright.
     C’était aussi le cas pour le cinéma. Les coûts de restauration d’un film
— les coûts économiques réels, pas les frais d’avocat — étaient si élevés, qu’il
n’était pas du tout envisageable de préserver ni de restaurer un film. Comme
les restes d’un grand dîner, quand c’est fini, c’est fini. Une fois qu’un film
terminait sa vie commerciale, il peut avoir été archivé pendant un moment,
mais c’était la fin de sa vie tant que le marché n’avait pas plus à offrir.
     En d’autres termes, bien que le copyright ait été relativement court pen-
dant la majeure partie de notre histoire, des copyrights longs n’auraient pas
posé de problème aux œuvres ayant perdu leur valeur commerciale. L’exis-
tence de copyrights longs pour ces œuvres aurait été sans conséquence.
     Mais la situation a maintenant changé.
     Une conséquence d’une importance cruciale de l’émergence des techno-
logies numériques est de permettre l’archivage dont Brewster Kahle rêve.
Les technologies numériques rendent maintenant possible la préservation
et l’accès à toute sorte de connaissance. Lorsqu’un livre est épuisé, nous pou-
vons imaginer le numériser et le rendre disponible à quiconque, pour tou-
jours. Lorsqu’un film n’est plus distribué, nous pourrions le numériser et le
rendre disponible à quiconque, pour toujours. Les technologies numériques
donnent une nouvelle vie au matériel sous copyright une fois sa commer-
cialisation terminée. Il est maintenant possible de préserver et d’assurer un
accès universel à cette connaissance et culture, ce qui n’était pas le cas aupa-
ravant.
     Et maintenant la loi du copyright s’interpose. Chaque étape de la pro-
duction de cette archive numérique pour notre culture enfreint le droit ex-
clusif du copyright. Numériser un livre, c’est le copier. Ce qui requiert la
permission du propriétaire du copyright. Pareil pour la musique, les films,
ou tout autre partie de notre culture protégée par copyright. Les efforts
pour rendre ces choses disponibles aux historiens, ou aux chercheurs, ou
à ceux qui veulent juste explorer, sont maintenant inhibés par un ensemble
de règles initialement écrites pour un contexte radicalement différent.
     Voici l’effet néfaste principal de l’allongement de la durée : maintenant
que la technologie permet de reconstruire la bibliothèque d’Alexandrie, la loi


                                      186
s’interpose. Et elle ne s’interpose pas pour un but utile du copyright, comme
de permettre au marché commercial de diffuser la culture. Non, nous par-
lons de culture après sa vie commerciale. Dans ce contexte, le copyright ne
sert aucun but lié à la diffusion du savoir. Dans ce contexte, le copyright n’est
pas un moteur d’expression libre. Le copyright est un frein.
    Vous demanderez peut-être, « Mais si les technologies numériques
baissent les coûts pour Brewster Kahle, alors elles baisseront les coûts pour
les Éditions Machin, également. Donc, les Éditions Machin ne vont-ils pas
faire aussi bien que Brewster Kahle dans la diffusion large de la culture ? »
Peut-être. Un jour. Mais il n’y a absolument pas de preuve que les éditeurs
seraient aussi complets que les bibliothèques. Si Barnes & Noble proposait
le prêt à bas prix de ses livres en magasin, est-ce que cela éliminerait le be-
soin de bibliothèques ? Seulement si vous pensez que le seul rôle d’une bi-
bliothèque est de servir la demande « du marché ». Mais si vous pensez que
son rôle est plus important que cela — comme d’archiver la culture, qu’il
y ait une demande ou non pour la partie archivée — alors nous ne pouvons
pas compter sur le marché commercial pour faire le travail de bibliothécaire
pour nous.
    Je serais le premier d’accord pour qu’il en fasse le plus possible : nous
devrions compter sur le marché autant que possible pour diffuser et rendre
possible la culture. Mon message n’est absolument pas anti-marché. Mais
là où nous voyons que le marché ne fait pas du bon travail, alors nous de-
vrions accorder aux forces externes au marché la liberté de remplir les trous.
Comme l’a calculé un chercheur pour la culture américaine, 94 pour cent des
films, des livres et de la musique produits entre 1923 et 1946 n’est pas dispo-
nible commercialement. Aussi immodéré soit l’amour que l’on peut porter
au marché, si l’accès aux œuvres est un de nos buts, y pourvoir à hauteur de
6 pour cent est un échec191 .
    En janvier 1999, nous avons engagé des poursuites au nom d’Eric El-
dred au tribunal de district fédéral de Washington, D.C., en demandant au
tribunal de déclarer le Sonny Bono Copyright Term Extension Act anti-
constitutionnel. Les deux revendications centrales que nous fîmes étaient
(1) qu’étendre la durée existante violait l’exigence de « durée limitée » de la
Constitution et (2) qu’allonger la durée de vingt ans supplémentaires violait
le Premier Amendement.
    Le tribunal de district rejeta nos plaintes sans même entendre un argu-
ment. Un jury de la Cour d’Appel du Circuit de D.C. (NdT : un circuit est
une division administrative d’un État) rejeta également nos plaintes, après
cependant avoir entendu un argumentaire développé. Mais cette décision
reçut au moins un avis contraire, celui d’un des juges les plus conservateurs
de ce tribunal. Cet avis minoritaire donna vie à nos plaintes.
    Le juge David Sentelle dit que le CTEA violait l’exigence que les co-
pyrights soient seulement pour une « durée limitée ». Son argumentaire
était aussi élégant que simple : si le Congrès peut prolonger la durée exis-
tante, alors il n’y a pas de « point d’arrêt » au pouvoir du Congrès sous la
Clause du Copyright. Le pouvoir d’allonger des durées existantes signifie
que le Congrès n’a pas l’obligation d’accorder des durées qui sont « limi-


                                      187
tées ». Ainsi, argumenta le juge Sentelle, le tribunal devait interpréter l’ex-
pression « durée limitée » pour lui donner du sens. Et la meilleure interpré-
tation, argumenta le juge Sentelle, serait de priver le Congrès du pouvoir de
prolonger la durée existante.
     Nous avions demandé la Cour d’Appel du Circuit de D.C. en entier pour
instruire l’affaire. D’ordinaire, les affaires sont instruites par un jury de trois,
excepté pour les affaires importantes ou celles qui soulèvent des problèmes
spécifiques au Circuit en entier, auquel cas le tribunal siège « en banc » pour
instruire l’affaire.
     La Cour d’Appel rejeta notre demande d’instruire l’affaire en banc. Cette
fois, le Juge Sentelle était rejoint par le membre le plus libéral du Circuit D.C.,
le Juge David Tatel. À la fois le juge le plus conservateur et le juge le plus
libéral du Circuit D.C. croyaient que le Congrès avait dépassé ses limites.
     C’était ici que la plupart s’attendaient à ce que l’affaire Eldred contre Ash-
croft meure, car la Cour Suprême révise rarement une décision d’une cour
d’appel. (Elle instruit environ cent affaires par an, sur plus de cinq cents ap-
pels.) Et elle ne révise pratiquement jamais une décision qui confirme une
loi si aucun autre tribunal n’a déjà révisé la loi.
     Mais en février 2002, la Cour Suprême a surpris le monde en répondant à
notre pétition pour réviser le jugement du Circuit D.C. L’exposé était prévu
pour octobre 2002. L’été serait consacré à l’écriture de dossiers et à préparer
la plaidoirie.
     C’est terminé maintenant, un an plus tard alors que j’écris ces mots. C’est
encore étonnamment difficile. Si vous savez quelque chose à propos de cette
histoire, vous savez que nous avons perdu l’appel. Et si vous en savez un
peu plus que le minimum, vous pensez probablement qu’il n’y avait aucune
chance que l’affaire puisse être gagnée. Après notre défaite, j’ai reçu littéra-
lement des milliers de missives de sympathisants et de soutiens, me remer-
ciant pour mon travail au nom de cette cause noble mais vouée à l’échec. Et
aucune de cette pile n’était plus important pour moi que le courriel de mon
client, Eric Eldred.
     Mais mon client et ces amis avaient tort. Cette affaire pouvait être gagnée.
Elle aurait dû être gagnée. Et peu importe avec quelle insistance j’essaye de
me raconter à nouveau cette histoire à moi-même, je ne peux pas m’empê-
cher de croire que c’est ma propre erreur qui a fait perdre cette affaire.
     L’erreur a été faite tôt, bien qu’elle n’est devenue évidente qu’à la toute
fin. Notre affaire a été soutenue depuis le tout début par un avocat extraordi-
naire, Geoffrey Stewart, et par le cabinet d’avocat qu’il a rejoint, Jones, Day,
Reavis et Pogue. Jones Day ont encaissé une bonne quantité de méconten-
tement de la part de leurs clients protectionnistes du copyright pour nous
avoir soutenu. Ils ont ignoré cette pression (quelque chose que peu de cabi-
nets d’avocats feraient aujourd’hui), et tout au long de l’affaire, ils ont donné
tout ce qu’ils pouvaient.
     Il y avait trois avocats clés de Jones Day sur l’affaire. Geoff Stewart était le
premier, mais ensuite Dan Bromberg et Don Ayer furent pas mal impliqués.
Bromberg et Ayer en particulier avaient une vision commune sur comment
l’affaire pouvait être gagnée : nous ne gagnerions, m’ont-ils continuellement


                                        188
dit, que si nous pouvions faire paraître le problème « important » aux yeux
de la Cour Suprême. Ça devait apparaître comme une atteinte dramatique
à la liberté d’expression et à la culture libre ; sinon, ils ne voteraient jamais
contre « les plus puissants groupes de médias du monde ».
    Je déteste cette vision de la loi. Bien sûr je pensais que le Sonny Bonno Act
portait un préjudice dramatique à la liberté d’expression et à la culture libre.
Bien sûr que je continue à le penser. Mais l’idée que la Cour Suprême décide
de la loi en fonction de l’importance qu’elle porte aux problèmes est sim-
plement fausse. Elle pourrait être « juste » dans le sens de « vraie », je pen-
sais, mais elle est « fausse » dans le sens de « cela ne devrait pas être ainsi ».
Comme je croyais que toute interprétation fidèle de ce que les concepteurs
de la Constitution ont fait mènerait à la conclusion que le CTEA était an-
ticonstitutionnel, et comme je croyais que toute interprétation fidèle de ce
que signifiait le Premier Amendement mènerait à la conclusion que le pou-
voir d’allonger la durée existante du copyright est anticonstitutionnel, je
n’étais pas persuadé que nous aurions à vendre notre affaire comme du sa-
von. Tout comme une loi interdisant la swastika est anticonstitutionnelle,
non pas parce que la Cour aime les Nazis, mais parce qu’une telle loi viole-
rait la Constitution, alors également, à mes yeux, la Cour déciderait si la loi
du Congrès était anticonstitutionnelle en se basant sur la Constitution, et
non pas en fonction de leur appréciation des valeurs qu’elle contient.
    Dans tous les cas, pensais-je, la Cour devait déjà voir le danger et le mal
causé par cette sorte de loi. Pour quelle autre raison accorderaient-ils une ré-
vision ? Il n’y avait aucune raison d’entendre l’affaire à la Cour Suprême s’ils
n’étaient pas convaincus que cette réglementation était nocive. Donc à mes
yeux, nous n’avions pas besoin de les persuader que cette loi était mauvaise,
nous avions besoin de montrer qu’elle était anticonstitutionnelle.
    Il y avait un aspect, toutefois, où je sentais que la politique aurait son im-
portance et pour lequel je pensais avoir trouvé une réponse. J’étais convaincu
que la Cour n’entendrait pas nos arguments si elle pensait qu’ils ne venaient
que d’une bande de gauchistes idiots. La Cour Suprême n’allait pas se lancer
dans un nouveau champ de révision judiciaire s’il lui semblait que c’était sim-
plement la préférence d’une petite minorité politique. Même si mon objectif
dans l’affaire n’était pas de démontrer à quel point le Sonny Bono Act était
mauvais mais de démontrer qu’il était anticonstitutionnel, j’espérais pouvoir
établir mon argumentaire à partir de dossiers couvrant toute la gamme des
points de vue politiques. Pour montrer que cette plainte contre le CTEA était
bien établie sur la loi et non sur de la politique, donc, nous avons essayé de
rassembler le spectre le plus large de critiques crédibles — crédibles non pas
parce qu’elles étaient riches et célèbres, mais parce que, en synthèse, elles dé-
montraient que cette loi était anticonstitutionnelle indépendamment de la
tendance politique de chacun.
    La première étape est arrivée d’elle-même. L’organisation de Phyllis
Schlafly, Eagle Forum, a été un adversaire du CTEA dès le tout début. Mme
Schlafly voyait le CTEA comme une trahison de la part du Congrès. En no-
vembre 1998, elle écrivit un éditorial piquant qui attaquait le Congrès Ré-
publicain pour avoir permis à la loi de passer. Comme elle l’écrivit : « Vous


                                      189
demandez-vous parfois pourquoi les lois qui créent une aubaine financière
à de intérêts particuliers spécifiques passent facilement à travers le tortueux
processus législatif, alors que les lois qui bénéficient au bien public semblent
s’embourber ? » La réponse, comme le documente l’éditorial, était le pouvoir
de l’argent. Schlafly énuméra les contributions de Disney aux acteurs-clés
des comités. C’était l’argent, et non pas la justice, qui donna à Disney vingt
ans de plus sur le contrôle de Mickey Mouse, argumenta Schlafly.
     À la cour d’appel, Eagle Forum était enthousiaste d’enregistrer un dos-
sier soutenant notre position. Leur dossier constituait l’argument qui est de-
venu la revendication centrale devant la Cour Suprême : si le Congrès peut
étendre la durée existante du copyright, il n’y a pas de limite au pouvoir du
Congrès à fixer la durée. Cet argument fortement conservateur persuada un
juge fortement conservateur, le Juge Sentelle.
     À la Cour Suprême, les dossiers de notre côté étaient aussi variés que
possible. Ils incluaient un dossier extraordinairement historique de la Free
Software Foundation (foyer du projet GNU qui a rendu possible GNU/Li-
nux). Ils incluaient un dossier puissant sur les coûts de l’incertitude par Intel.
Il y avait deux dossiers de professeurs de loi, un par des experts du copyright
et un par des experts du Premier Amendement. Il y avait un dossier exhaus-
tif et incontesté, fait par des experts mondiaux de l’histoire de la Clause de
Progrès. Et bien sûr, il y avait un nouveau dossier par Eagle Forum, répétant
et renforçant ses arguments.
     Ces dossiers formulaient un argument légal. Puis, pour soutenir l’argu-
ment légal, il y avait un certain nombre de dossiers puissants issus de bi-
bliothèques et d’archives, parmi lesquelles l’Internet Archive, la American
Association of Law Libraries, et la National Writers Union.
     Mais deux dossiers capturèrent au mieux l’argument politique. Un des
deux fit l’argument que j’ai déjà décrit : un dossier de Hal Roach Studios
affirmait qu’à moins que la loi soit enterrée, toute une génération de film
américain disparaîtrait. L’autre rendit l’argument économique absolument
clair.
     Ce dossier d’économistes était signé par dix-sept économistes, parmi les-
quels cinq Prix Nobel, parmi lesquels Ronald Coase, James Buchanan, Mil-
ton Friedman, Kenneth Arrow et George Akerlof. Les économistes, comme
le démontre la liste des lauréats du Prix Nobel, s’étendaient sur tout le
spectre politique. Leurs conclusions étaient puissantes : il n’y avait rien de
plausible dans la revendication que l’allongement de la durée des copyrights
existants favoriserait une quelconque augmentation des motivations à créer.
De tels allongements n’étaient rien d’autre qu’une « recherche de rente » —
le terme élégant que les économistes utilisent pour décrire une législation
d’intérêt particulier hors de contrôle.
     La même recherche d’équilibre se reflétait dans l’équipe juridique que
nous avions rassemblée pour écrire nos dossiers dans l’affaire. Les avocats
de Jones Day étaient avec nous depuis le début. Mais quand l’affaire s’est re-
trouvée devant la Cour Suprême, nous avons ajouté trois avocats pour nous
aider à présenter l’argumentaire pour cette Cour : Alan Morrison, un avo-
cat de Public Citizen, un groupe de Washington qui a contribué à l’histoire


                                      190
constitutionnelle avec une série de victoires marquantes à la Cour Suprême
pour la défense des droits individuels ; ma collègue et doyenne, Kathleen Sul-
livan, qui a soutenu de nombreuses affaires à la Cour, et qui nous a conseillés
dès le début sur une stratégie avec le Premier Amendement ; et finalement
Charles Fried, ancien conseiller auprès du Ministre de la Justice.
    Fried était une victoire particulière pour notre camp. Tous les autres
anciens conseillers auprès du Ministre de la Justice étaient embauchés par
l’autre camp pour défendre le pouvoir du Congrès de donner aux sociétés
des médias la faveur spéciale d’une durée étendue de copyright. Fried était
le seul qui avait décliné ce poste lucratif pour prendre la défense de quelque
chose auquel il croyait. Il avait été l’avocat en chef de Ronald Reagan à la
Cour Suprême. Il a aidé à constituer la série d’affaires qui ont limité le pou-
voir du Congrès dans le cadre de la Clause de Commerce. Et bien qu’il eut
soutenu de nombreuses positions à la Cour Suprême avec lesquelles j’étais
personnellement en désaccord, son ralliement à la cause était un vote de
confiance pour notre argumentaire.
    Le gouvernement, pour la défense de la loi, avait sa collection d’amis, éga-
lement. De manière significative, cependant, aucun historien ou économiste
ne figuraient parmi ces « amis ». Les dossiers dans l’autre camp de l’affaire
étaient écrits exclusivement par des sociétés de média majeures, des députés,
et des propriétaires de copyright.
    Les sociétés de média n’étaient pas une surprise. Elles avaient le plus à
gagner avec cette loi. Les députés n’étaient pas non plus une surprise — ils
défendaient leur pouvoir et, indirectement, le filon des contributions que ce
pouvoir induisait. Et bien sûr ce n’était pas surprenant que les détenteurs
de copyright défendent l’idée qu’ils devraient continuer à avoir le droit de
contrôler qui faisait quoi avec le contenu qu’ils voulaient contrôler.
    Les représentants du Dr. Seuss, par exemple, soutinrent qu’il était mieux
pour les successeurs du Dr. Seuss de contrôler ce qu’il arrivait à l’œuvre du
Dr. Seuss — mieux que de permettre qu’elle tombe dans le domaine public —
car si cette créativité était dans le domaine public, alors les gens pourraient
l’utiliser pour « glorifier les drogues et créer de la pornographie »192 . C’était
également le motif des successeurs de Gershwin, qui défendaient leur « pro-
tection » de l’œuvre de George Gershwin. Ils refusent, par exemple, d’ac-
corder un droit d’exploitation pour Porgy and Bess à quiconque qui refuse
d’utiliser des Afro-Américains dans la distribution193 . C’est leur vision de
comment cette partie de la culture américaine devrait être contrôlée, et ils
voulaient que cette loi les aide à effectuer ce contrôle.
    Cet argument a rendu clair un sujet qui est peu relevé dans ce débat.
Quand le Congrès décide de prolonger la durée des copyrights existants, le
Congrès choisit quels porte-paroles elle va favoriser. Des détenteurs de co-
pyrights célèbres et adorés, tels que les successeurs de Gershwin et du Dr.
Seuss, viennent au Congrès et disent, « Donnez-vous vingt ans pour contrô-
ler l’expression à propos de ces icônes de la culture américaine. Nous ferons
mieux pour eux que n’importe qui d’autre ». Bien sûr le Congrès aime ré-
compenser les gens populaires et célèbres en leur donnant ce qu’ils veulent.
Mais lorsque le Congrès donne à des gens un droit exclusif de parler d’une


                                      191
certaine façon, c’est juste ce que le Premier Amendement est censé empê-
cher.
     Nous avons argumenté de cette façon dans un dossier final. Non seule-
ment maintenir le CTEA signifie qu’il n’y a pas de limite au pouvoir du
Congrès d’étendre le copyright — allongements qui concentreraient davan-
tage le marché ; cela voudrait également dire qu’il n’y avait pas de limite au
Congrès de faire du favoritisme, à travers le copyright, avec qui a le droit de
parler.
     Entre février et octobre, je n’ai pas fait grand-chose hormis préparer le
dossier. Dès le début, comme je l’ai dit, j’avais fixé la stratégie.
     La Cour Suprême était divisée en deux camps importants. Un camp que
nous avons appelé « les Conservateurs ». L’autre, nous l’avons appelé « le
Reste ». Parmi les Conservateurs figuraient le président de la Cour Rehn-
quist, le juge O’Connor, le juge Scalia, le juge Kennedy, et le juge Thomas.
Ces cinq-là ont été les plus constants pour limiter le pouvoir du Congrès.
C’étaient les cinq qui avaient soutenu la série d’affaires Lopez/Morrison qui
disaient qu’une clause de pouvoir devait être interprétée pour garantir que
les pouvoirs du Congrès aient des limites.
     Les quatre juges qui s’étaient fortement opposés à la limitation du pou-
voir du Congrès formaient le Reste. Ces quatre-là — le juge Stevens, le juge
Souter, le juge Ginsburg et le juge Breyer — ont soutenu à plusieurs reprises
que la Constitution donne au Congrès toute discrétion de décider comment
mettre en œuvre au mieux ses pouvoirs. Affaire après affaire, ces juges ont
soutenu que le rôle de la Cour devrait être un rôle de respect. Même si j’avais
été personnellement le plus souvent d’accord avec les votes de ces quatre
juges, c’étaient également les votes que nous avions le moins de chance d’ob-
tenir.
     En particulier, le moins probable était celui du juge Ginsburg. En plus de
son point de vue général sur le respect du Congrès (excepté là où des pro-
blèmes de genre sexuel étaient impliqués), elle avait été particulièrement res-
pectueuse des décisions du Congrès au sujet de la protection de la propriété
intellectuelle. Elle et sa fille (une excellente et bien connue experte en pro-
priété intellectuelle) étaient faites de la même étoffe concernant la propriété
intellectuelle. Nous nous attendions à ce qu’elle soit d’accord avec les écrits
de sa fille : que le Congrès avait le droit dans ce contexte de faire comme il
le désirait, même si ce que le Congrès désirait avait peu de sens.
     Juste derrière le juge Ginsburg, se trouvaient deux juges que nous consi-
dérions également comme des alliés improbables, malgré de possibles sur-
prises. Le juge Souter était fortement en faveur du respect du Congrès,
comme l’était le juge Breyer. Mais les deux étaient également très sensibles
aux intérêts de la liberté d’expression. Et, comme nous le croyions fortement,
il y avait un argument contre ces prolongations rétrospectives qui était très
important pour la liberté d’expression.
     Le seul vote en lequel nous pouvions avoir confiance était celui du juge
Stevens. L’histoire se souviendra du juge Stevens comme un des meilleurs
juges de cette Cour. Ses votes sont systématiquement éclectiques, ce qui si-
gnifie simplement qu’aucune idéologie simple n’explique ce qu’il défendra.


                                     192
Mais il avait systématiquement soutenu les limites concernant la propriété
intellectuelle en général. Nous étions assez confiants qu’il reconnaîtrait les
limites ici.
     Cette analyse du « Reste » montrait très clairement où devait porter
notre effort : sur les Conservateurs. Pour remporter l’affaire, nous avions
à fracturer ces cinq-là et obtenir au moins une majorité pour tracer notre
route. Ainsi, l’unique argument prédominant qui animait notre revendi-
cation reposait sur l’innovation jurisprudentielle la plus importante des
Conservateurs — l’argument sur lequel s’est appuyé le juge Sentelle à la Cour
d’Appel, à savoir que le pouvoir du Congrès doit être interprété afin que ses
clauses de pouvoir aient des limites.
     C’était donc là le cœur de notre stratégie — une stratégie dont je suis
responsable. Nous amènerions la Cour à voir que tout comme avec l’affaire
Lopez, sous l’argument du gouvernement ici, le Congrès aurait toujours le
pouvoir illimité de prolonger des durées existantes. S’il y avait bien quelque
chose de clair dans la Clause de Progrès, c’était que le pouvoir du Congrès
était supposé être « limité ». Notre but était d’obtenir que la Cour réconcilie
Eldred avec Lopez : si le pouvoir du Congrès de réglementer le commerce était
limité, alors, également, le pouvoir du Congrès de réglementer le copyright
devait être limité.
     L’argumentation du côté du gouvernement se résumait à ceci : le
Congrès l’a déjà fait auparavant. Il devrait être autorisé à le refaire. Le gou-
vernement affirmait que depuis le tout début, le Congrès prolonge la durée
des copyrights existants. Donc, soutenait le gouvernement, la Cour ne de-
vrait pas dire maintenant que cette pratique est anticonstitutionnelle.
     Il y avait une part de vérité dans l’affirmation du gouvernement, mais pas
beaucoup. Nous étions certainement d’accord que le Congrès a prolongé
la durée existante en 1831 et en 1909. Et bien sûr, en 1962, le Congrès a
commencé à prolonger régulièrement les durées existantes — onze fois en
quarante ans.
     Mais il faudrait relativiser cette « habitude ». Le Congrès a prolongé les
durées existantes une fois dans les cent premières années de la République.
Il l’a refait une fois les cinquante années suivantes. Ces rares prolongations
contrastent avec la pratique désormais régulière de prolonger les durées
existantes. Quel que soit la retenue que le Congrès a eu dans le passé, cette re-
tenue avait maintenant disparu. Le Congrès était maintenant dans un cycle
d’extensions ; il n’y avait pas de raison de s’attendre à ce que ce cycle s’arrête.
Cette Cour n’avait pas hésité à intervenir dans le passé lorsque le Congrès
était dans un cycle similaire de prolongation. Il n’y avait pas de raison qu’elle
ne puisse pas intervenir ici.
     La plaidoirie était prévue pour la première semaine d’octobre. Je suis
arrivé dans le D.C. deux semaines avant la plaidoirie. Durant ces deux se-
maines, j’étais à plusieurs reprises « interrogé » par des avocats qui se sont
portés volontaires pour aider dans cette affaire. De tels « interrogatoires »
étaient simplement des rounds d’entraînement, où des aspirants juge bom-
bardent de questions des aspirants vainqueurs.
     J’étais convaincu que pour gagner, j’avais à garder la Cour concentrée sur


                                       193
une simple idée : que si cette extension était permise, alors il n’y aurait au-
cune limite au pouvoir de fixer les durées. Suivre le gouvernement signifie-
rait que les durées seraient effectivement illimitées ; nous suivre donnerait
au Congrès une ligne claire à suivre : ne prolongez pas les durées existantes.
Les interrogatoires étaient un entraînement efficace ; j’ai trouvé les moyens
de ramener chaque question à cette idée centrale.
    Un interrogatoire se fit devant les avocats de Jones Day. Don Ayer était
le sceptique. Il avait servi dans le Département de Justice de Reagan avec le
Conseiller auprès du Ministre de la Justice Charles Fried. Il avait soutenu de
nombreuses affaires devant la Cour Suprême. Et dans sa revue de l’interro-
gatoire, il a exprimé son inquiétude :
    « J’ai juste peur qu’à moins qu’ils voient vraiment le mal causé, ils ne se-
ront pas disposés à perturber cette pratique que le gouvernement dit être
habituelle depuis deux-cents ans. Vous devez les amener à voir le préjudice
causé — les amener passionnément à voir le préjudice. Car s’ils ne voient pas
ça, alors nous n’avons aucune chance de gagner. »
    Il pouvait avoir soutenu de nombreuses affaires devant cette Cour,
pensais-je, mais il n’en comprenait pas l’essence. En tant que greffier, j’avais
vu les juges rendre la bonne décision — pas à cause de la politique mais parce
que c’était juste. En tant que professeur de droit, j’avais passé ma vie à en-
seigner à mes étudiants que cette Cour fait la bonne chose — pas à cause
de la politique mais parce que c’est juste. En écoutant l’argumentation de
Ayer pour sa passion des pressions politiques, je compris son idée, et je la
rejetai. Notre plaidoirie était juste. C’était suffisant. Laissez les politiciens
apprendre à voir que c’est également bon.
    La nuit précédant la plaidoirie, une file de personnes commençait à se
former devant la Cour Suprême. L’affaire avait capté l’attention de la presse
et du mouvement de la culture libre. Des centaines de personnes faisaient la
queue pour avoir la chance de voir la procédure. Des douzaines ont passé la
nuit sur les marches de la Cour Suprême pour être sûrs d’avoir un siège.
    Tout le monde n’avait pas à faire la queue. Les gens qui connaissaient les
juges pouvaient demander des sièges qu’ils contrôlaient. (J’ai demandé au ca-
binet du juge Scalia des sièges pour mes parents, par exemple.) Les membres
du barreau de la Cour Suprême peuvent obtenir un siège dans une section
spéciale qui leur est réservée. Et les sénateurs et députés ont un emplace-
ment spécial où ils peuvent s’asseoir, aussi. Et enfin, bien sûr, la presse a une
tribune, tout comme les greffiers travaillant pour les juges à la Cour. Et ce
matin-là, au moment où nous entrions, il n’y avait plus aucune place de libre.
C’était une plaidoirie concernant la loi sur la propriété intellectuelle, et pour-
tant les salles étaient pleines. Alors que j’entrai pour prendre place devant la
Cour, je vis mes parents assis sur la gauche. Et comme je m’assoyais à la table,
je vis Jack Valenti assis dans la section spéciale réservée habituellement à la
famille des juges.
    Quand le président de la Cour m’appela pour commencer ma plaidoirie,
je commençai là où j’avais l’intention de rester : sur la question des limites du
pouvoir du Congrès. C’était une affaire sur les pouvoirs en nombre limité (ou
clauses de pouvoir), dis-je, et si ces pouvoirs avaient une quelconque limite.


                                      194
   Le juge O’Connor m’arrêta en moins d’une minute de mon ouverture.
L’histoire la dérangeait.
      JUGE O’CONNOR : Le Congrès a déjà prolongé la durée si sou-
      vent à travers les ans, et si vous avez raison, ne courons-nous pas
      le risque de remettre en cause les prolongations de durée précé-
      dentes ? Je veux dire, cela semble être une pratique qui a com-
      mencé dès la toute première loi.
   Elle était assez disposée à concéder que « cela remettait directement en
question ce que les concepteurs avaient à l’esprit ». Mais ma réponse était
encore et encore d’insister sur les limites du pouvoir du Congrès.
      M. LESSIG : Disons que, si cela remet en question ce que les
      concepteurs avaient à l’esprit, alors la question est : y a-t-il une
      manière d’interpréter leurs mots qui donne un effet à ce qu’ils
      avaient à l’esprit, et la réponse est oui.
    Il y a deux moments dans cette plaidoirie où j’aurais dû voir où la Cour
était en train d’aller. Le premier c’était une question du juge Kennedy, qui
observa :
      JUGE KENNEDY : Donc, je suppose qu’il est implicite dans cette
      argumentation que la loi de 1976, également, aurait dû être décla-
      rée nulle, et que nous pourrions l’abandonner à cause de déran-
      gement provoqué, en ceci que pendant toutes ces années la loi a
      entravé le progrès de la science et des arts utiles. Je ne vois juste
      aucune preuve empirique de cela.
   Et voici mon erreur criante. Comme un professeur corrigeant un étu-
diant, je répondis,
      M. LESSIG : Juge, nous ne faisons pas du tout d’affirmation em-
      pirique. Rien dans notre plainte sur la Clause de Copyright ne re-
      pose sur l’assertion empirique d’une gêne au progrès. Notre seul
      argument est celui d’une limite structurelle nécessaire pour assu-
      rer que ce qui serait une durée effectivement perpétuelle ne soit
      pas permise sous les lois du copyright.
   C’était une réponse correcte, mais ce n’était pas la bonne réponse. La
bonne réponse était plutôt qu’il y avait un préjudice évident et profond. Tout
un tas de dossiers a été écrit là-dessus. Il voulait l’entendre. Et c’était là le mo-
ment où le conseil de Don Ayer aurait dû servir. C’était du softball (NdT :
sorte de baseball) ; ma réponse était une frappe manquée.
   Le second vint du président de la Cour, pour qui toute l’affaire avait été
conçue. Car le président avait élaboré l’arrêt Lopez, et nous espérions qu’il
verrait cette affaire comme son cousin germain.
   Il était clair en l’espace d’une seconde qu’il n’était pas du tout sympa-
thique. Pour lui, nous étions une bande d’anarchistes. Comme il le demanda :
      PRÉSIDENT DE LA COUR : Enfin, mais vous voulez plus que
      cela. Vous voulez le droit de copier mot pour mot les livres des
      autres gens, n’est-ce pas ?


                                        195
     M. LESSIG : Nous voulons le droit de copier mot pour mot des
     œuvres qui devraient être dans le domaine public et qui le se-
     raient s’il n’y avait pas une loi qui ne peut pas être justifiée sous
     une analyse ordinaire du Premier Amendement ou sous une lec-
     ture appropriée des limites incorporées dans la Clause de Copy-
     right.
    Les choses s’améliorèrent pour nous quand le gouvernement donna son
argumentation ; car maintenant la Cour avait saisi le cœur de notre revendi-
cation. Comme le demanda le juge Scalia au Conseiller auprès du Ministre
de la Justice Olson,
     JUGE SCALIA : Vous dites que l’équivalent fonctionnel d’une du-
     rée illimitée serait une violation [de la Constitution], mais c’est
     précisément l’argumentation qui est en train d’être faite par les
     pétitionnaires ici, qu’une durée limitée qui est extensible est fonc-
     tionnellement équivalente à une durée illimitée.
     Lorsque Olson eut fini, ce fut à mon tour de donner la réfutation finale.
Les gesticulations d’Olson avaient ravivé ma colère. Mais ma colère était
toujours dirigée vers des principes, non pas vers du concret. Le gouverne-
ment argumentait comme si c’était la toute première affaire qui envisageait
des limites sur le pouvoir du Congrès sur la Clause de Copyright et de Bre-
vet. Toujours en professeur et non comme avocat, je terminai en rappelant
la longue histoire de la Cour imposant des limites au pouvoir du Congrès
au nom de la Clause de Copyright et de Brevet — en effet, la toute première
affaire qui a annulé une loi du Congrès et relative à un abus sur une clause
de pouvoir était basée sur la Clause de Copyright et de Brevet. Entièrement
vrai. Mais cela n’allait pas ramener la Cour de mon côté.
     En quittant le tribunal ce jour-là, je savais qu’il y avait une centaine
de points que j’aurais voulu refaire. Il y avait une centaine de questions
auxquelles j’aurais voulu répondre différemment. Mais vue sous un certain
angle, cette affaire me laissait optimiste.
     On avait demandé au gouvernement encore et encore, quelle est la li-
mite ? Encore et encore, il avait répondu qu’il n’y avait pas de limite. C’était
précisément la réponse que je voulais que la Cour entende. Car je ne pou-
vais pas imaginer comment la Cour, en comprenant que le gouvernement
croyait que le pouvoir du Congrès sur les durées de la Clause de Copyright
était illimité, pouvait soutenir la position du gouvernement. Le Conseiller
auprès du Ministre de la Justice avait fait mon argumentation à ma place.
Peu importe combien de fois j’ai essayé, je ne pouvais pas comprendre com-
ment la Cour pourrait promulguer un jugement où le pouvoir sur la Clause
du Commerce était limité, mais illimité sur Clause de Copyright. Dans ces
rares moments où je me laissais croire que nous avions dominé, c’était parce
je pensais que cette Cour — en particulier les Conservateurs — se sentirait
elle-même contrainte par la règle de la loi qu’elle avait établie ailleurs.
     Le matin du 15 janvier 2003, j’étais en retard de cinq minutes au bureau
et j’ai manqué l’appel de 7 heures du matin du greffier de la Cour Suprême.



                                     196
En écoutant le message, je pouvais dire en un instant qu’elle avait de mau-
vaises nouvelles à rapporter. La Cour Suprême avait confirmé la décision
de la Cour d’Appel. Sept juges avaient voté dans la majorité. Il y avait deux
minoritaires.
    Quelques secondes plus tard, les délibérations arrivèrent par courriel. J’ai
décroché le téléphone, posté une annonce sur notre blog, et me suis assis
pour voir où j’avais eu tort dans mon raisonnement.
    Mon raisonnement. Voici une affaire qui a engouffré tout l’argent du
monde contre le raisonnement. Et voici le dernier professeur de droit naïf,
parcourant les pages, cherchant un raisonnement.
    J’ai d’abord parcouru le jugement, cherchant comment la Cour distingue-
rait le principe dans cette affaire, du principe de Lopez. L’argumentaire était
introuvable nulle part. L’affaire n’était même pas citée. L’argumentation cen-
trale de notre affaire n’apparaissait même pas dans le jugement de la Cour.
    Le juge Ginsbourg ignorait simplement l’argument des clauses de pou-
voir. En accord avec son point de vue que le pouvoir du Congrès n’était pas
limité en général, elle avait jugé le pouvoir du Congrès non limité ici.
    Son opinion était parfaitement honnête — pour elle, et pour le juge Sou-
ter. Aucun ne croyait en Lopez. C’eût été trop attendre d’eux qu’ils écrivent
un jugement qui reconnaîtrait, et encore moins qui expliquerait, la doctrine
qu’ils avaient tant cherché à vaincre.
    Mais alors que je réalisais ce qui s’était passé, je ne pouvais pas croire
ce que j’étais en train de lire. J’avais dit qu’il n’était pas possible que cette
Cour puisse réconcilier les pouvoirs limités de la Clause de Commerce avec
les pouvoirs illimités de la Clause de Progrès. Je n’aurais jamais pu imaginer
qu’ils pourraient réconcilier les deux simplement en ne mentionnant pas l’ar-
gument. Il n’y avait pas d’incohérence parce qu’ils ne parlaient pas des deux
ensemble. Il n’y avait donc aucun principe qui s’ensuivait de l’affaire Lopez :
dans cette affaire, le pouvoir du Congrès était limité, mais dans celle-ci, non.
    Et pourtant, de quel droit pouvaient-ils choisir les valeurs des concep-
teurs qu’ils respecteraient ? De quel droit pouvaient-ils — les cinq silencieux
— sélectionner la partie de la Constitution qu’ils appliqueraient, en se basant
sur les valeurs qu’ils pensaient importantes ? On en revenait à l’argumenta-
tion que je disais détester du début : j’avais échoué à les convaincre que le
problème ici était important, et j’avais échoué à reconnaître qu’en dépit de
mon aversion pour un tel système dans lequel la Cour choisit les valeurs
constitutionnelles qu’il respectera, c’était le système actuel.
    Le juge Breyer et le juge Stevens écrivirent des avis minoritaires très forts.
L’avis de Stevens était construit sur des considérations internes à la loi : il
argumenta que la tradition de la loi de la propriété intellectuelle ne devrait
pas soutenir cette prolongation injustifiée des durées. Sa démonstration re-
posait sur l’analyse comparative avec la législation des brevets (tout comme
nous). Mais le reste de la Cour émit des doutes sur ce parallèle — sans ex-
pliquer comment exactement les mêmes mots dans la Clause de Progrès
pouvaient signifier des choses totalement différentes selon que cela parle
de brevets ou de copyrights. La Cour a laissé l’accusation du juge Stevens
sans réponse.


                                      197
     L’avis du juge Breyer, peut-être le meilleur avis qu’il ait jamais écrit, était
externe à la Constitution. Il soutenait que la durée des copyrights est deve-
nue si longue qu’elle en est devenue illimitée dans les faits. Nous avions dit
que sous la durée actuelle, un copyright donnait à un auteur 99,8 pour cent
de la valeur d’un copyright illimité. Breyer disait que nous avions tort, que
le véritable chiffre était 99,9997 pour cent d’une durée perpétuelle. Dans un
cas comme dans l’autre, l’idée était claire : si la Constitution disait qu’une
durée devait être « limitée », et que la durée existante était longue au point
d’être effectivement illimitée, alors c’était anticonstitutionnel.
     Ces deux juges avaient compris tous les arguments que nous avions plai-
dés. Mais parce qu’aucun ne croyait en l’affaire Lopez, aucun ne voulait s’ap-
puyer sur ce cas pour justifier le rejet de cette prolongation. L’affaire avait
été décidée sans que personne n’ait remarqué l’argument que nous avions
rapporté du Juge Sentelle. C’était Hamlet sans le Prince.
     La défaite amène la dépression. On dit que c’est un signe de santé quand
la dépression fait place à la colère. Ma colère est venue rapidement, mais elle
n’a pas soigné la dépression. Cette colère était de deux sortes.
     C’était d’abord ma colère contre les cinq « Conservateurs ». Cela aurait
été bien de leur part d’avoir expliqué en quoi le principe de Lopez ne s’appli-
quait pas dans cette affaire. Cela n’aurait pas été un argument très convain-
cant, je pense, l’ayant lu par d’autres, et ayant essayé de l’utiliser moi-même.
Mais cela aurait été au moins un acte d’intégrité. Ces juges en particulier
ont dit à plusieurs reprises que l’interprétation correcte de la Constitution
est l’« originalisme » — d’abord comprendre le texte des concepteurs, inter-
prété dans leur contexte, à la lumière de la structure de la Constitution. Cette
méthode a produit Lopez, et de nombreux autres verdicts « originalistes ».
Où était leur « originalisme » maintenant ?
     Ici, ils avaient rejoint un avis qui n’a jamais essayé d’expliquer ce que les
concepteurs avaient voulu dire en rédigeant la Clause de Progrès comme
ils l’ont fait ; un avis qui n’a jamais essayé d’expliquer comment la structure
de cette clause affecterait l’interprétation du pouvoir du Congrès. Et aussi
un avis qui n’a même pas essayé d’expliquer pourquoi cet octroi de pouvoir
pouvait être illimité, alors que la Clause de Commerce était limitée. Bref, ils
avaient rejoint un avis qui ne s’appliquait pas à, et était incohérent avec, leur
propre méthode d’interprétation de la Constitution. Cet avis peut bien avoir
donné le résultat qu’ils veulent. Il ne s’y trouve aucun raisonnement quoi soit
en accord avec leurs propres principes.
     Ma colère envers les Conservateurs a rapidement mené à une colère
contre moi-même. Car j’avais laissé une vision de la loi que j’aimais inter-
férer avec une vision de la loi telle qu’elle est.
     La plupart des avocats, et la plupart des professeurs de droit, ne s’at-
tardent pas sur l’idéalisme des tribunaux en général et de cette Cour Su-
prême en particulier. La plupart a une vue bien plus pragmatique. Quand
Don Ayer disait que cette affaire serait gagnée si je pouvais convaincre les
juges que les valeurs des concepteurs étaient importantes, j’ai lutté contre
l’idée, parce que je ne voulais pas croire que c’est ainsi que la Cour décide.
J’ai insisté pour plaider l’affaire comme si c’était une simple application d’un


                                       198
ensemble de principes. J’avais un argument qui suivait la logique. Je n’avais
pas besoin de perdre mon temps à démontrer qu’elle serait populaire.
    En lisant la transcription de cette plaidoirie en octobre, je voyais une cen-
taine d’endroits où les réponses auraient pu emmener la discussion dans dif-
férentes directions, où la vérité sur le préjudice que ce pouvoir incontrôlé
causerait aurait pu être explicité à cette Cour. Le juge Kennedy, de bonne foi,
voulait qu’on le lui montre. Moi, bêtement, j’ai corrigé sa question. Le juge
Souter, de bonne fois, voulait qu’on lui montre les dommages au Premier
Amendement. Moi, comme un professeur de maths, j’ai recadré la question
pour faire une argumentation logique. Je leur avais montré comment ils pou-
vaient annuler cette loi du Congrès s’ils le voulaient. Il y avait une centaine
d’endroits où j’aurais pu les aider à le vouloir, mais mon entêtement, mon
refus de céder, m’a arrêté. J’avais essayé de persuader des centaines d’audi-
toires auparavant ; j’avais mis de la passion dans cette volonté de persuader ;
mais j’ai refusé d’essayer de persuader cet auditoire avec la passion que j’avais
utilisée ailleurs. Ce n’était pas sur cette base qu’un tribunal devrait décider
d’un enjeu.
    Cela aurait-il été différent si j’avais plaidé différemment ? Cela aurait-il
été différent si Don Ayer l’avait soutenue ? Ou Charles Fried ? Ou Kathleen
Sullivan ?
    Mes amis ont fait bloc autour de moi pour insister que non. La Cour
n’était pas prête, insistèrent mes amis. C’était voué à l’échec. Il en faudrait
beaucoup plus pour montrer à notre société pourquoi nos concepteurs
avaient raison. Et quand nous le ferons, nous seront capables de le montrer
à cette Cour.
    Peut-être, mais j’en doute. Ces juges n’ont pas d’intérêt financier à ne pas
faire la chose juste. Ils ne sont pas sous pression. Ils ont peu de raison de s’in-
terdire à faire bien. Je ne peux pas m’empêcher de penser que si j’étais revenu
de cette belle image de la justice dépassionnée, j’aurais pu les persuader.
    Et même si je ne le pouvais pas, cela ne justifie pas ce qui s’est passé en
janvier. Car au début de cette affaire, un des plus importants professeurs en
propriété intellectuelle d’Amérique déclara publiquement que le fait que je
présente cette affaire était une erreur. « La Cour n’est pas prête », dit Peter
Jaszi ; ce problème ne devrait pas être soulevé jusqu’à ce qu’elle soit prête.
    Après la plaidoirie et la délibération, Peter me dit, et publiquement, qu’il
avait tort. Mais si en effet cette Cour ne pouvait pas être persuadée, alors c’est
encore la preuve que Peter avait raison. Soit je n’étais pas prêt pour défendre
cette affaire de manière à ce qu’elle se termine bien, soit la cour n’était pas
prête à l’entendre et y donner une issue favorable pour nous. Dans tous les
cas, la décision de présenter cette affaire — une décision que j’ai prise quatre
ans auparavant — était mauvaise.
    Alors que les réactions au Sonny Bono Act lui-même étaient presque
unanimement négatives, les réactions à la décision de la Cour étaient miti-
gées. Personne, au moins dans la presse, n’essaya de dire que prolonger la
durée du copyright était une bonne idée. Nous avions gagné la bataille des
idées. Là où la décision était louée, cela venait de journaux qui avaient été
sceptiques concernant l’activisme de la Cour dans d’autres affaires. Le res-


                                       199
pect du Congrès était une bonne chose, même s’il laissait intact une loi stu-
pide. Mais là où la décision était attaquée, c’était parce qu’elle laissait intacte
une loi stupide et nuisible. Le New York Times écrivit dans son éditorial,
      En effet, la décision de la Cour Suprême rend probable que nous
      voyions le début de la fin du domaine public et la naissance de la
      perpétuité du copyright. Le domaine public est une grande expé-
      rience, une qu’on ne devrait pas laisser mourir. La possibilité de
      créer librement à partir de l’intégralité de la production créative
      de l’humanité est une des raisons pour laquelle nous vivons dans
      une époque d’un tel ferment créatif fructueux.
    Les meilleures réactions étaient celles des caricatures. Il y avait une foule
d’images hilarantes — de Mickey en prison ou dans ce genre-là. La meilleure,
de mon point de vue de l’affaire, était celle de Ruben Bolling, reproduite par
la figure 13.1 (p. 201). La ligne « puissant et riche » est un peu injuste. Mais
le coup de poing dans la figure ressemblait exactement à ça.
    L’image qui restera toujours dans ma tête était celle évoquée par la ci-
tation du New York Times. Cette « grande expérience » que nous appelons
le « domaine public » est-elle terminée ? Quand je pourrai faire la lumière
dessus, je pense, ce sera « Chérie, j’ai rétréci la Constitution ». Mais je peux
difficilement faire la lumière dessus. Nous avions dans la Constitution un
engagement pour la culture libre. Dans l’affaire que j’ai portée, la Cour Su-
prême a effectivement renoncé à cet engagement. Un meilleur avocat leur
aurait fait voir les choses différemment.




                                       200
F     13.1




    201
202
                                  Eldred II


    Le jour où la décision sur l’affaire Eldred fut prononcée, le destin voulut
que je doive me rendre à Washington D.C. (Le jour où la pétition deman-
dant une réaudition pour Eldred fut refusée — signifiant que l’affaire était
réellement finalement terminée — le sort voulut que je donne un discours
aux ingénieurs à Disney World.) C’était un vol particulièrement long pour
ma ville la moins préférée. L’arrivée dans la ville en provenance de Dulles
était retardée à cause du trafic, donc j’ai ouvert mon ordinateur et j’ai écrit
un éditorial.
    C’était un acte de contrition. Durant tout le vol de San Francisco à Wa-
shington, je ressassais en boucle dans ma tête le même conseil de Don Ayer :
vous devez leur faire voir pourquoi c’est important. Et cette consigne alter-
nait avec la question du juge Kennedy : « Pendant toutes ces années la loi
a entravé le progrès de la science et des arts utiles. Je ne vois juste aucune
preuve empirique de ceci. » Et donc, ayant échoué dans l’argument du prin-
cipe constitutionnel, finalement, je me suis tourné vers un argument poli-
tique.
    Le New York Times publia le texte. Dedans, je proposais une solution de
dépannage simple : cinquante ans après qu’une œuvre a été publiée, le pro-
priétaire du copyright serait obligé d’enregistrer l’œuvre et de payer un petit
tarif. S’il payait le tarif, il aurait le bénéfice de la durée totale du copyright.
Sinon, l’œuvre passerait dans le domaine public.
    Nous l’appelâmes la Loi Eldred (NdT : Eldred Act), mais c’était juste pour
lui donner un nom. Eric Eldred était assez gentil pour laisser son nom être
utilisé une fois de plus, mais comme il l’avait dit plus tôt, elle ne passera pas
tant qu’elle n’aura pas un autre nom.
    Ou deux autres noms. Car selon le point de vue, c’est soit la « Loi d’Amé-
lioration du Domaine Public » ou la « Loi de Dérégulation de la Durée du
Copyright ». De toute façon, l’idée essentielle est claire et évidente : enlever
le copyright là où il ne fait que bloquer l’accès et la diffusion de la connais-
sance. Laissez-le durer aussi longtemps que le Congrès le permet pour les
œuvres valant moins de 1 dollar. Mais pour tout le reste, libérez l’œuvre.
    La réaction à cette idée fut incroyablement forte. Steve Forbes l’a sou-
tenue dans un éditorial. J’ai reçu une avalanche de courriels et de lettres de
soutien. Quand vous vous concentrez sur le problème de la créativité perdue,
les gens peuvent voir que le système du copyright n’a pas de sens. Comme
tout bon Républicain pourrait le dire, ici la réglementation du gouverne-
ment bloque simplement l’innovation et la créativité. Et comme tout bon


                                       203
Démocrate pourrait le dire, ici le gouvernement bloque l’accès et la diffu-
sion de la connaissance sans bonne raison. En effet, il n’y a pas de différence
réelle entre les Démocrates et les Républicains sur ce sujet. N’importe qui
peut reconnaître le préjudice stupide causé par le système actuel.
    En effet, de nombreuses personnes ont reconnu le bénéfice évident de
l’obligation d’enregistrement. Car une des choses les plus difficiles à propos
du système actuel pour les gens qui veulent obtenir un droit sur du contenu
est qu’il n’y a pas d’endroit évident où chercher les propriétaires actuels de
copyright. Puisque l’enregistrement n’est pas requis, que marquer le contenu
n’est pas requis, qu’aucune formalité n’est requise du tout, il est souvent trop
difficile de localiser les propriétaires de copyright pour leur demander la
permission d’utiliser ou obtenir un droit sur leur œuvre. Le système pourrait
baisser ces coûts, en établissant au moins un registre où les propriétaires de
copyright pourraient être identifiés.
    Comme je l’ai décrit dans le chapitre 10 (p. 105), les formalités de la loi
du copyright furent supprimées en 1976, lorsque le Congrès suivit les Euro-
péens en abandonnant toute exigence de formalité pour se voir accorder un
copyright194 . On dit que les Européens voient le copyright comme un « droit
naturel ». Les droits naturels n’ont pas besoin de formulaires pour exister.
Les européens pensaient que les traditions qui exigeaient que les détenteurs
de copyright remplissent un formulaire pour avoir leurs droits protégés, à
l’exemple de la tradition anglo-américaine, ne respectaient pas vraiment la
dignité de l’auteur. Mon droit en tant que créateur dépend de ma créativité,
et non pas d’une faveur spéciale du gouvernement.
    C’est de la bonne rhétorique. Cela a l’air merveilleusement romantique.
Mais c’est une politique de copyright absurde. C’est absurde particulière-
ment pour les auteurs, car un monde sans formalités cause du tort au créa-
teur. La possibilité de diffuser la « créativité Walt Disney » est détruite
quand il n’y a pas de moyen simple de savoir ce qui est protégé et ce qui
ne l’est pas.
    Le combat contre les formalités a remporté sa première victoire réelle
à Berlin en 1908. Des avocats du copyright international amendèrent la
Convention de Berne en 1908, pour exiger que la durée du copyright soit
la vie de l’auteur plus cinquante ans, ainsi que l’abolition des formalités du
copyright. Ces formalités étaient détestées parce que les histoires de pertes
par inadvertance étaient de plus en plus banales. C’était comme si un person-
nage de Charles Dickens gérait tous les bureaux de copyright, et que l’oubli
d’un point sur un i ou d’une barre sur un t faisait perdre le seul revenu d’une
veuve.
    Ces protestations étaient fondées et raisonnables. Et la rigueur des for-
malités, en particulier aux États-Unis, était absurde. La loi devrait toujours
avoir un moyen de pardonner les erreurs innocentes. Il n’y a pas de raison
que la loi du copyright ne le puisse pas, également. Plutôt que d’abandonner
complètement les formalités, la réaction à Berlin aurait dû être d’adopter un
système d’enregistrement plus équitable.
    Cependant, même un tel système aurait suscité de la résistance, car l’en-
registrement aux dix-neuvième et vingtième siècles était encore cher. C’était


                                     204
aussi une corvée. L’abolition des formalités promettait non seulement de sau-
ver les veuves affamées, mais également d’alléger le fardeau d’une réglemen-
tation inutile imposée aux créateurs.
    En plus de la protestation pratique des auteurs en 1908, il y avait égale-
ment une revendication morale. Il n’y avait aucune raison que la propriété
intellectuelle soit une forme de propriété de seconde classe. Si un charpen-
tier construit une table, ses droits sur la table ne dépendent pas du remplis-
sage d’un formulaire avec le gouvernement. Il a « naturellement » un droit
de propriété sur la table, et il peut faire valoir ce droit contre quiconque vo-
lerait la table, qu’il ait informé ou non le gouvernement de sa possession de
la table.
    Cet argument est juste, mais ses implications sont trompeuses. Car l’ar-
gument en faveur des formalités ne dépend pas du fait que la propriété créa-
tive soit une propriété de seconde classe. L’argument en faveur des formali-
tés vient des problèmes spécifiques que la propriété créative présente. La loi
des formalités répond à la physique spéciale de la propriété créative, pour
assurer qu’elle peut être efficacement et équitablement répartie.
    Personne ne pense, par exemple, que la propriété foncière est de seconde
classe, juste parce que vous devez enregistrer un acte auprès d’un tribunal
pour rendre la vente effective. Et peu de gens penseraient qu’une voiture est
une propriété de seconde classe juste parce que vous devez la faire immatri-
culer auprès de l’État et poser les plaques avec un permis. Dans les deux cas,
tout le monde voit qu’il y a une raison importante pour sécuriser l’enregistre-
ment — dans les deux cas parce que cela rend le marché plus efficace et parce
que cela sécurise mieux les droits du propriétaire. Sans système d’enregistre-
ment pour le terrain, les propriétaires devraient perpétuellement garder leur
domaine. Avec l’enregistrement, ils peuvent simplement montrer un acte à
la police. Sans système d’enregistrement pour les voitures, le vol de voiture
serait bien plus facile. Avec un système d’enregistrement, le voleur a bien
plus de difficultés pour vendre une voiture volée. Le détenteur de propriété
a une légère contrainte, mais ces contraintes produisent généralement un
bien meilleur système de protection de la propriété.
    C’est une physique spéciale similaire qui rend les formalités importantes
dans la loi sur le copyright. Contrairement à la table d’un charpentier, il n’y a
rien par nature qui rend relativement évident qui possède un morceau parti-
culier de propriété de création. Un enregistrement du dernier album de Lyle
Lovett peut se trouver dans un milliard d’endroits sans que rien ne puisse
nécessairement le relier à un propriétaire particulier. Et comme pour une
voiture, il est impossible d’acheter et de vendre une propriété de création
en confiance s’il n’y a pas un moyen simple d’authentifier qui en est l’auteur
et quels droits il possède. Les transactions simples sont détruites dans un
monde sans formalités. Des transactions d’avocat, complexes et chères, les
remplacent.
    C’était la compréhension du problème du Sonny Bono Act que nous
avions essayé de démontrer à la Cour. C’était la partie que je n’avais pas
« comprise ». Parce que nous vivons dans un système sans formalités, il n’y a
aucun moyen facile de réutiliser ou transformer notre culture issue du passé.


                                      205
Si les durées du copyright étaient, comme le juge Story disait qu’elles se-
raient, « courtes », alors cela n’aurait pas beaucoup d’importance. Sous le
système des concepteurs, une œuvre était présumée contrôlée pendant qua-
torze ans. Après quatorze ans, elle était présumée non contrôlée.
    Mais maintenant que les copyrights peuvent durer environ un siècle, l’in-
capacité de savoir ce qui est protégé et ce qui ne l’est pas devient un frein
énorme et évident sur le processus créatif. Si le seul moyen pour qu’une bi-
bliothèque puisse offrir une exposition sur le New Deal sur Internet est de
faire appel à un avocat pour acquitter les droits de chaque image et son, alors
le système du copyright pèse sur la créativité à un niveau jamais vu aupara-
vant parce qu’il n’y a pas de formalités.
    La Loi Eldred a été conçue pour répondre exactement à ce problème. Si
cela vaut 1 dollar pour vous, alors enregistrez votre œuvre et vous pourrez
avoir la durée la plus longue. Les autres sauront comment vous contacter et,
donc, comment obtenir votre permission s’ils veulent utiliser votre œuvre.
Et vous aurez le bénéfice d’une durée de copyright étendue.
    Si pour vous cela ne vaut pas la peine d’enregistrer pour profiter d’une
durée prolongée, alors cela ne devrait pas non plus valoir la peine pour le
gouvernement de défendre votre monopole sur cette œuvre. L’œuvre de-
vrait passer dans le domaine public où tout le monde peut la copier, ou créer
des archives avec, ou réaliser un film basé dessus. Elle devrait devenir libre
si elle ne vaut pas 1 dollar pour vous.
    Certains s’inquiètent de la contrainte sur les auteurs. La contrainte d’en-
registrer l’œuvre ne signifiera-t-elle pas que le 1 dollar est en fait trompeur ?
La corvée ne vaut-elle pas plus de 1 dollar ? N’est-ce pas le vrai problème
avec l’enregistrement ?
    Exact, c’est le problème. La corvée est épouvantable. Le système actuel
est affreux. Je suis complètement d’accord que le Copyright Office a fait
un travail lamentable (sans doute parce qu’ils sont horriblement financés)
concernant la possibilité de faire un enregistrement simple et bon marché.
Toute solution réelle au problème des formalités doit régler le problème réel
des gouvernements se tenant au cœur de tout système de formalités. Dans ce
livre, j’offre une telle solution. Cette solution refait essentiellement le Copy-
right Office. Pour l’instant, imaginez que c’est Amazon qui gère le système
d’enregistrement. Imaginez que c’est l’enregistrement en un clic. La Loi El-
dred proposerait un enregistrement simple en un clic cinquante ans après la
publication d’une œuvre. D’après des données historiques, ce système met-
trait jusqu’à 98 pour cent des œuvres commerciales, œuvres qui ne sont plus
commercialisées, dans le domaine public en l’espace de cinquante ans. Qu’en
pensez-vous ?
    Quand Steve Forbes a soutenu cette idée, certaines personnes à Wa-
shington commencèrent à y prêter attention. De nombreuses personnes me
contactèrent en m’indiquant des élus qui seraient enclins à mettre en place
la Loi Eldred. Et j’en avais quelques-uns qui ont directement suggéré qu’ils
seraient enclins à faire le premier pas.
    Un élu, Zoe Lofgren en Californie, est allé jusqu’à écrire un projet de loi.
La loi résolvait tout problème concernant le droit international. Elle impo-


                                      206
sait la plus simple des exigences possible sur les propriétaires de copyright.
En mai 2003, il semblait que la loi serait mise en place. Le 16 mai, j’ai posté
sur le blog de la Loi Eldred, « nous sommes tout proche ». Il y a eu une ré-
action générale dans la communauté des blogs qu’une bonne chose pourrait
se passer à ce moment-là.
    Mais à ce stade, les lobbyistes commencèrent à intervenir. Jack Valenti et
le conseil général de la MPAA allèrent au bureau de la députée pour donner
le point de vue de la MPAA. Assisté par son avocat, comme me l’a dit Valenti,
Valenti informa la députée que la MPAA s’opposerait à la Loi Eldred. Les
raisons sont honteusement maigres. Surtout, la faiblesse de ces arguments
montre clairement quel est l’objet réel du débat.
    La MPAA a d’abord soutenu que le Congrès avait « fermement rejeté le
principe même de la loi proposée » — que les copyrights soient renouve-
lés. C’était vrai, mais sans aucun rapport, étant donné que le « rejet ferme »
du Congrès avait eu lieu bien avant qu’Internet ne permette de simplifier
le renouvellement. Deuxièmement, elle a soutenu que la proposition cause-
rait du tort aux propriétaires de copyright pauvres — apparemment ceux
qui ne pouvaient pas se permettre le prix de 1 dollar. Troisièmement, elle
a soutenu que le Congrès avait déterminé qu’allonger la durée d’un copy-
right encouragerait le travail de restauration. Peut-être pour le petit pour-
centage des œuvres couvertes par la loi du copyright ayant encore une valeur
commerciale, mais là encore c’était sans aucun rapport, puisque la proposi-
tion n’interromprait pas la durée allongée à moins que le prix de 1 dollar
ne soit pas payé. Quatrièmement, la MPAA a soutenu que la loi imposerait
des coûts « énormes », puisqu’un système d’enregistrement n’est pas gratuit.
C’est assez vrai, mais ces coûts sont certainement mois élevés que les coûts
pour s’acquitter des droits d’un copyright d’un propriétaire inconnu. Cin-
quièmement, elle s’est inquiétée des risques si le copyright d’une histoire
sous-jacente à un film devait passer dans le domaine public. Mais quel risque
est-ce ? Si c’est dans le domaine public, alors le film est une utilisation déri-
vée valide.
    Finalement, la MPAA a soutenu que la loi actuelle permettait aux pro-
priétaires de copyright de le donner s’ils le souhaitaient. Mais toute l’idée
est qu’il y a des milliers de propriétaires de copyright qui ne savent même
pas qu’ils ont un copyright à donner. Qu’ils soient libres de renoncer à leur
copyright ou pas — une revendication controversée dans cette affaire — à
moins qu’ils soient au courant d’un copyright, ils ne sont pas susceptibles de
le faire.
    Au début de ce livre, j’ai raconté deux histoires à propos de la loi ré-
agissant aux changements technologiques. Dans l’une, le bon sens a prévalu.
Dans l’autre, le bon sens a été retardé. La seule différence entre ces deux his-
toires, c’est le pouvoir de l’opposition — le pouvoir du côté de ceux qui se
sont battus pour défendre le statu quo. Dans les deux cas, une nouvelle tech-
nologie menaçait de vieux intérêts. Mais dans un seul cas, ces intérêts avaient
le pouvoir de se protéger contre la menace de cette nouvelle concurrence.
    J’ai utilisé ces deux cas comme un moyen de cadrer la guerre qui est le
sujet de ce livre. Car ici aussi, une nouvelle technologie force la loi à réagir.


                                      207
Et ici aussi, nous devrions demander, est-ce que la loi suit ou résiste au bon
sens ? Si le bon sens soutient la loi, qu’est-ce qui explique ce bon sens ?
     Quand le problème est le piratage, il est juste que la loi soutienne les pro-
priétaires de copyright. Le piratage commercial que j’ai décrit est mauvais
et nuisible, et la loi devrait travailler à l’éliminer. Quand le sujet est le par-
tage par peer-to-peer, il est facile de comprendre pourquoi la loi soutienne
encore les propriétaires : une bonne part de ce partage est mauvais, même
s’il est inoffensif. Quand le sujet porte sur la durée du copyright sur Mickey
Mouse dans le monde, il est encore possible de comprendre pourquoi la loi
favorise Hollywood : la plupart des gens ne voient pas les raisons de limiter
la durée du copyright ; il est donc encore possible de voir de la bonne foi
dans la résistance.
     Mais quand les propriétaires de copyright s’opposent à une proposition
telle que la Loi Eldred, alors, finalement, voilà un exemple qui met à nu les
intérêts personnels qui motivent cette guerre. Cette loi libérerait une pa-
lette extraordinaire de contenu qui n’est pas utilisé autrement. Elle n’em-
pêcherait pas un propriétaire de copyright d’exercer un contrôle continu
sur son contenu. Elle libérerait simplement ce que Kevin Kelly appelle le
« Contenu Caché » qui remplit les archives du monde entier. Alors quand les
guerriers s’opposent à un changement comme celui-ci, nous devrions poser
une simple question :
     Que veut réellement l’industrie ?
     Avec très peu d’effort, ces guerriers pourraient protéger leur contenu. La
volonté de bloquer une chose comme la Loi Eldred n’a donc pas pour but de
protéger leur contenu. C’est un effort pour s’assurer que plus rien ne passe
dans le domaine public. C’est une étape supplémentaire pour s’assurer que
le domaine public ne fera jamais concurrence, qu’il n’y aura aucune utilisa-
tion de contenu non contrôlée commercialement, et qu’il n’y aura aucune
utilisation commerciale de contenu sans leur permission d’abord.
     L’opposition à la Loi Eldred révèle à quel point l’autre camp est extré-
miste. Le plus puissant et sexy et aimé des lobbys n’a pas pour but la protec-
tion de la « propriété », mais en réalité le rejet de la tradition. Leur but n’est
pas simplement de protéger ce qui est à eux. Leur but est de s’assurer que tout
ce qui est ici est à eux.
     Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les guerriers adoptent ce
point de vue. Il n’est pas difficile de voir quel parti ils tireraient si la concur-
rence du domaine public couplé à Internet pouvait d’une façon ou d’une
autre être annulée. Tout comme la RCA craignait la concurrence de la FM,
ils craignent la concurrence du domaine public connecté à un public qui a
maintenant les moyens de créer à partir d’œuvres publiques, et de partager
ses propres créations.
     Ce qui est difficile à comprendre, c’est pourquoi le public adopte ce point
de vue. C’est comme si la loi faisait des avions des violeurs de propriété. La
MPAA se dresse avec les Causbys et demande que leurs droits de propriété
inutiles et lointains soient respectés, de telle sorte que les détenteurs de ces
copyrights lointains et oubliés puissent bloquer le progrès des autres.
     Tout cela semble découler facilement de cette acceptation confortable du


                                       208
principe de « propriété » dans la propriété intellectuelle. Le sens commun le
soutient, et tant qu’il le soutient, les assauts pleuvront sur les technologies
d’Internet. La conséquence sera une « société de la permission » croissante.
Le passé peut être cultivé seulement si vous pouvez identifier le propriétaire
et obtenir la permission de réutiliser son œuvre. Le futur sera contrôlé par
cette emprise (souvent introuvable) du passé.




                                     209
210
                              Conclusion


    Il y a plus de trente-cinq millions de personnes atteintes par le virus du
SIDA dans le monde. Vingt-cinq millions d’entre elles sont en Afrique subsa-
harienne. Dix-sept millions sont déjà mortes. Dix-sept millions d’Africains,
cela représente, en proportion de la population, sept millions d’américains.
Mais ça fait surtout dix-sept millions d’Africains.
    Il n’y a pas de remède contre le SIDA, mais il existe des médicaments
qui ralentissent sa progression. Ces thérapies antirétrovirales sont encore
expérimentales, mais elles ont eu un effet radical. Aux États-Unis, les ma-
lades du SIDA qui prennent régulièrement un cocktail de ces médicaments
augmentent leur espérance de vie de dix à vingt ans. Pour certains, les médi-
caments rendent la maladie presque invisible.
    Ces médicaments coûtent cher. Quand ils furent mis sur le marché aux
États-Unis, ils coûtaient entre 10 000 et 15 000 dollars par personne et par
an. Aujourd’hui, certains coûtent 25 000 dollars par an. À ces prix, bien sûr,
aucun pays d’Afrique ne peut offrir ces médicaments à la grande majorité
de sa population : 15 000 dollars, c’est trente fois le PNB par habitant du
Zimbabwe. À ce prix, les médicaments sont complètement inaccessibles.195
    Ces prix ne sont pas élevés parce que les ingrédients des médicaments
coûtent cher. Ils sont élevés parce que les médicaments sont protégés par
des brevets. Les entreprises pharmaceutiques qui produisent ces mixtures
salvatrices jouissent d’un monopole d’au moins vingt années sur leurs in-
ventions. Elles utilisent ce monopole pour gagner le plus d’argent possible
du marché. Ce pouvoir est en retour utilisé pour maintenir des prix élevés.
    Beaucoup de gens sont sceptiques au sujet des brevets, en particulier des
brevets sur les médicaments. Je ne le suis pas. En effet, de tous les domaines
de recherche qui pourraient bénéficier des brevets, la recherche de médica-
ments est, à mon avis, celui qui en a le plus clairement besoin. Les brevets
donnent à une entreprise pharmaceutique la garantie que si elle invente un
nouveau médicament qui soigne une maladie de façon efficace, elle sera ca-
pable d’avoir un retour sur son investissement, et même de gagner plus. C’est
une incitation extrêmement utile. Je serais la dernière personne à réclamer
que la loi les abolisse, du moins sans rien changer d’autre.
    Mais c’est une chose que d’être en faveur des brevets, même des brevets
sur les médicaments. C’en est une autre que de savoir comment gérer au
mieux une crise. Et quand les dirigeants africains commencèrent à com-
prendre quelle dévastation le SIDA apportait, ils cherchèrent des moyens
d’importer des traitements contre le VIH à un coût très inférieur aux prix


                                    211
du marché.
    En 1997, l’Afrique du Sud tenta une parade. Elle autorisa l’importation
de médicaments brevetés qui avaient été produits ou mis sur le marché d’un
autre pays avec l’accord du détenteur de copyright. Par exemple, si un mé-
dicament était vendu en Inde, il pouvait être exporté d’Inde vers l’Afrique.
Ceci est appelé une « importation parallèle », et est en général autorisé par
les lois du commerce international, et est spécifiquement autorisé à l’inté-
rieur de l’Union Européenne.196
    Cependant, les États-Unis s’opposèrent à cette loi. Et c’est le moins qu’on
puisse dire. Comme le rapporte l’Association Internationale de la Propriété
Intellectuelle, « Le gouvernement U.S. pressa l’Afrique du Sud… de ne pas
autoriser les licences obligatoires, ou bien les importations parallèles »197 .
Par l’intermédiaire du Bureau des Représentants de Commerce des États-
Unis (USTR), le gouvernement demanda à l’Afrique du Sud de changer sa
loi— et pour ajouter de la pression à cette demande, en 1998 le USTR dési-
gna l’Afrique du Sud pour d’éventuelles sanctions commerciales. La même
année, plus de quarante compagnies pharmaceutiques entamèrent des pro-
cès dans les tribunaux sud-africains, pour remettre en question la politique
du gouvernement. Les États-Unis furent ensuite rejoints par d’autres gou-
vernements de l’Union Européenne. Leur argument, et l’argument des com-
pagnies pharmaceutiques, était que l’Afrique du Sud manquait à ses obliga-
tions selon la loi internationale, en ne respectant pas les brevets pharma-
ceutiques. La demande de ces gouvernements, États-Unis en tête, était que
l’Afrique du Sud respectât ces brevets, tout comme elle respectait les autres
types de brevets, nonobstant toute conséquence sur le traitement du SIDA
en Afrique du Sud.198 Nous devrions replacer l’intervention des États-Unis
dans son contexte. Il ne fait aucun doute que les brevets ne sont pas la raison
principale pour laquelle les Africains n’ont pas accès aux médicaments. La
pauvreté, et l’absence totale d’infrastructure médicale sont plus importants.
Mais que les brevets soient ou non la raison principale, le prix des médica-
ments a un effet sur la demande, et les brevets ont un effet sur leur prix. Ainsi
donc, l’intervention de notre gouvernement a contribué à stopper l’afflux de
médicaments en Afrique, que son effet soit marginal ou non.
    En stoppant le flux de médicaments contre le SIDA vers l’Afrique, le gou-
vernement des États-Unis n’a pas mis de côté ces médicaments, pour les
réserver à ses propres citoyens. Ce n’est pas comme pour du blé (ce qu’ils
mangent n’est plus pour nous). Au contraire, le flux que les États-Unis ont
stoppé était, de fait, un flux de connaissance : savoir comment, à partir de
matières premières qui existent en Afrique, synthétiser des médicaments qui
sauveraient 15 à 30 millions de vies.
    L’intervention des États-Unis n’a pas non plus servi à protéger les profits
des compagnies pharmaceutiques américaines — du moins, pas significati-
vement. Ces pays étaient loin de pouvoir acheter leurs médicaments à ces
compagnies, au prix où ils étaient vendus. Une fois de plus, les Africains sont
bien trop pauvres pour pouvoir se payer ces médicaments aux prix propo-
sés. Stopper les importations parallèles de ces médicaments ne servait pas à


                                      212
augmenter les ventes des compagnies U.S.
    Non, l’argument en faveur d’une restriction de ce flux d’information, qui
était nécessaire pour sauver des millions de vies, concernait l’intouchabilité
de la propriété.199 C’est parce que la « propriété intellectuelle » aurait été
violée que ces médicaments ne devaient pas aller en Afrique. C’est un prin-
cipe concernant l’importance de la « propriété intellectuelle » qui a conduit
ces gouvernants à intervenir contre la politique anti-sida de l’Afrique du Sud.
    Prenons un peu de recul maintenant. D’ici une trentaine d’années, nos en-
fants nous demanderont comment nous avons pu laisser faire une chose pa-
reille. Comment avons-nous pu autoriser une politique dont la conséquence
directe a été d’accélérer la mort de 15 à 30 millions d’Africains, et dont le vé-
ritable bénéfice a été d’affirmer l’« intouchabilité » d’une idée ? Quelle jus-
tification possible pouvait-il y avoir à une politique qui a provoqué tant de
morts ? Quelle est cette folie qui a laissé mourir tant de gens au nom d’une
abstraction ?
    Certains accusent les compagnies pharmaceutiques. Pas moi. Ce sont des
entreprises. Leurs dirigeants ont l’obligation légale de faire des bénéfices. Ils
mettent en avant une certaine politique des brevets, non pas par idéal, mais
parce que c’est la politique qui leur permet de gagner le plus d’argent. Et
si cette politique est celle qui leur rapporte le plus d’argent, c’est unique-
ment à cause d’une certaine corruption de notre système politique — une
corruption dont les compagnies pharmaceutiques ne sont certainement pas
responsables.
    Cette corruption est le manque d’intégrité de nos propres politiciens. En
effet les compagnies pharmaceutiques aimeraient beaucoup, disent-elles, et
je les crois, vendre leurs médicaments aussi bon marché que possible à cer-
tains pays d’Afrique ou d’ailleurs. Bien sûr elles auraient quelques problèmes
à résoudre, pour s’assurer que ces médicaments ne soient pas remis sur le
marché aux États-Unis, ces problèmes sont d’ordre techniques. Ils peuvent
être surmontés.
    Cependant, un problème différent ne pourrait pas être évité. C’est la
peur qu’un politicien démagogue n’interpelle les présidents des compagnies
pharmaceutiques devant le Sénat ou la Chambre des Représentants, et ne
demande : « Comment se fait-il que vous puissiez vendre ce médicament
anti-sida pour un dollar le comprimé en Afrique, et que le même médica-
ment coûte 1 500 dollars à un américain ? » Parce qu’il n’y a pas de « ré-
ponse simple » à cette question, son effet serait d’induire une régulation des
prix en Amérique. Les compagnies pharmaceutiques évitent d’entrer dans
cette spirale. Elles renforcent l’idée que la propriété doit être sacrée. Elles
adoptent une stratégie rationnelle dans un contexte irrationnel, et dont la
conséquence involontaire est peut-être la mort de millions de personnes. Et
au final cette stratégie rationnelle se cache derrière un idéal : l’intouchabilité
d’une idée appelée « propriété intellectuelle ».
    Donc, quand le sens commun de vos enfants vous interrogera, que direz
vous ? Quand le sens commun de toute une génération finira par se révolter
contre ce que nous avons fait, comment pourrons-nous le justifier ? Par quel
argument ?


                                      213
    Une politique raisonnable en matière de brevets pourrait endosser et sou-
tenir le système de brevets, sans pour autant atteindre tout le monde en tout
endroit de la même manière. De même qu’une politique raisonnable en ma-
tière de droit d’auteur pourrait endosser et soutenir un système de droits
sans devoir réglementer la diffusion de la culture de manière parfaite et im-
muable, une politique raisonnable en matière de brevets pourrait endosser
et soutenir un système de brevets sans nécessairement bloquer la diffusion
de médicaments dans des pays trop pauvres pour jamais pouvoir les ache-
ter aux prix du marché. Une politique raisonnable, en d’autres termes, serait
une politique équilibrée. Pour l’essentiel de notre histoire, nos politiques en
matières de droit d’auteur et de brevets ont justement été équilibrées en ce
sens.
    Mais nous avons, en tant que culture, perdu ce sens de la mesure. Nous
avons perdu le regard critique qui nous aide à voir ce qui sépare la vérité
de l’extrémisme. Un certain fondamentalisme de la propriété, qui n’a aucun
lien avec notre tradition, règne maintenant dans la culture — de manière
incongrue, et avec des conséquences autrement plus sérieuses pour la circu-
lation des idées et de la culture que presque toutes les décisions politiques
que nous pouvons prendre en tant que démocratie.
    Une idée simple nous aveugle, et à la faveur de l’obscurité, beaucoup
de choses se passent que nous rejetterions si nous les voyions. Nous pre-
nons si peu de recul pour accepter l’idée de propriété des idées que nous
ne remarquons pas à quel point il est monstrueux de refuser leur bénéfice
à un peuple qui meurt. Nous prenons si peu de recul pour accepter l’idée
de propriété culturelle que nous ne nous interrogeons même pas lorsque le
contrôle de cette propriété nous empêche, en tant que peuple, de dévelop-
per notre culture démocratiquement. La cécité devient notre sens commun.
Et le défi à relever pour quiconque voudrait restaurer notre droit à dévelop-
per une culture est de trouver le moyen de faire ouvrir les yeux à ce sens
commun.
    Jusqu’ici, le sens commun sommeille. Il n’y a pas de révolte. Le sens com-
mun ne voit même pas pourquoi se révolter. L’extrémisme qui domine main-
tenant ce débat trouve écho dans des idées qui paraissent naturelles, et cet
écho est amplifié par les RCA d’aujourd’hui. Ils mènent une guerre fanatique
contre le « piratage », et dévastent une culture au nom de la créativité. Ils
défendent l’idée de « propriété de création », en transformant les véritables
créateurs en paysans sans terre des temps modernes. Ils sont choqués par
l’idée que leurs droits puissent être équilibrés, alors même que les acteurs
principaux de cette guerre du contenu ont profité d’un contexte plus équili-
bré. Ça sent l’hypocrisie. Mais même dans une ville comme Washington, l’hy-
pocrisie passe inaperçue. Des lobbys puissants, des problèmes complexes, et
une faculté d’attention digne de MTV, produisent une « tempête parfaite »
pour la culture libre.
    En août 2003, une dispute éclata aux États-Unis au sujet d’une déci-
sion de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle d’annuler une
conférence200 . À la demande d’intérêts divers, l’OMPI avait décidé d’organi-
ser un séminaire sur les « projets ouverts et collaboratifs pour créer des biens


                                     214
publics ». C’est le type de projets qui a réussi à produire des biens publics
sans s’appuyer sur un usage uniquement propriétaire de la propriété intellec-
tuelle. Internet et le Web en sont des exemples, tous deux ont été développés
à partir de protocoles du domaine public. Un mouvement nouveau visant
à développer des revues scientifiques ouvertes, comme le projet Public Li-
brary of Science décrit dans la Postface, en faisait partie. De même qu’un pro-
jet pour recenser les Single Nucleotide Polymorphisms (SNP), dont l’impor-
tance pour la recherche biomédicale est tenue pour cruciale. (Ce projet non-
commercial comprenait un consortium rassemblant le Wellcome Trust et
des compagnies pharmaceutiques et technologiques, dont Amersham Bios-
ciences, AstraZeneca, Aventis, Bayer, Bristol-Myers Squibb, Hoffmann-La
Roche, Glaxo-SmithKline, IBM, Motorola, Novartis, Pfizer, and Searle.) Le
Global Positioning System (GPS), que Ronald Reagan avait rendu libre au
début des années 1980, en faisait partie. De même que les « logiciels libres
et open-source ».
    Le but de la conférence était de considérer ces projets divers à la lumière
d’un aspect commun : à savoir qu’aucun de ces projets n’était lié à cet extré-
misme de la propriété intellectuelle. Au lieu de quoi, dans chacun d’entre eux,
la propriété intellectuelle était équilibrée par des accords visant à maintenir
un accès ouvert, ou à limiter les appropriations possibles.
    Du point de vue de ce livre, donc, la conférence était idéale201 . Parmi
les projets à l’ordre du jour, on comptait à la fois des travaux commerciaux
et non-commerciaux. Ils s’occupaient essentiellement de science, mais avec
différents points de vue. Et l’OMPI était un hôte idéal pour cette discus-
sion, puisque c’est l’organisme international prééminent qui s’occupe des
problèmes de propriété intellectuelle.
    En effet, il m’est arrivé d’être raillé en public pour ne pas avoir reconnu
ce rôle à l’OMPI. En février 2003, j’ai donné un discours à une conférence
préparatoire du Sommet Mondial sur la Société de l’Information (WSIS).
Au cours d’une conférence de presse qui précédait mon discours, on me
demanda ce que j’allais dire. Je répondis que j’allais parler un peu de l’im-
portance d’équilibrer la propriété intellectuelle pour le développement de la
société de l’information. La modératrice m’interrompit brusquement, pour
m’informer ainsi que les journalistes présents, qu’aucune question relative
à la propriété intellectuelle ne serait discutée au WSIS, car ces questions
étaient du ressort exclusif de l’OMPI. Dans le discours que j’avais préparé,
j’avais fait de la propriété intellectuelle un thème relativement mineur. Mais
après cette déclaration étonnante, je fis de la propriété intellectuelle l’unique
sujet de mon discours. Il n’était pas possible de parler d’une « Société de l’In-
formation » sans parler aussi de la partie de l’information et de la culture qui
serait libre. Mon discours ne rendit pas très heureuse mon immodeste mo-
dératrice. Et il ne fait aucun doute qu’elle avait raison de penser que la pro-
tection de la propriété intellectuelle était en principe du ressort de l’OMPI.
Mais à mon avis, il ne saurait y avoir trop de conversations au sujet de la
quantité de propriété intellectuelle dont nous avons besoin. Car à mon avis,
l’idée même d’équilibre de la propriété intellectuelle s’est perdue.
    Ainsi donc, que WSIS fut ou non l’endroit pour discuter d’équilibrer la


                                      215
propriété intellectuelle, j’avais pensé qu’il était certain que l’OMPI l’était. Et
la conférence sur les « projets ouverts et collaboratifs pour créer des biens
publics » semblait convenir parfaitement à l’agenda de l’OMPI.
    Mais il y a un projet dans cette liste qui est très controversé, du moins
parmi les lobbyistes. Il s’agit du projet « logiciels libres et open- source ».
Microsoft, en particulier, prend soin d’éviter toute discussion sur le sujet.
De leur point de vue, une conférence pour discuter de logiciels libres et
open-source serait comme une conférence pour discuter du système d’ex-
ploitation d’Apple. Les logiciels libres et open-source sont en concurrence
avec ceux de Microsoft. Et à l’international, beaucoup de gouvernements ont
commencé à tester l’obligation, pour leurs propres administrations, d’utili-
ser des logiciels libres ou open-source, plutôt que des « logiciels proprié-
taires ».
    Je ne veux pas entrer dans ce débat ici. Qu’il me suffise de préciser que
la différence n’est pas entre logiciel commercial et non-commercial. Il y a
beaucoup d’entreprises de premier plan qui dépendent fondamentalement
du logiciel libre et open-source, IBM étant la plus en vue. IBM déplace de
plus en plus son activité vers le système GNU/Linux, le « logiciel libre » le
plus célèbre — et IBM est évidemment une entité commerciale. Ainsi, sou-
tenir le « logiciel libre et open-source » n’est pas s’opposer aux entités com-
merciales. C’est au contraire soutenir un modèle de développement logiciel
différent de celui de Microsoft.202
    Plus important pour le sujet qui nous occupe, soutenir le « logiciel libre
et open-source » n’est pas s’opposer au copyright. Les « logiciels libres et
open-source » ne sont pas dans le domaine public. Au contraire, comme
les logiciels de Microsoft, les détenteurs de copyright de logiciels libres et
open-source insistent fortement pour que les termes de leurs licenses soient
respectés par leurs utilisateurs. Ces termes sont évidemment différents de
ceux d’une licence de logiciel propriétaire. Par exemple, un logiciel libre
sous la Général Public Licence (GPL) requiert que le code source du logi-
ciel soit rendu public par quiconque le modifie et le redistribue. Mais cette
contrainte n’est effective que si le copyright est respecté. Sinon, le logiciel
libre ne pourrait pas imposer ce genre de contraintes à ses utilisateurs. Il
dépend donc des lois sur le droit d’auteur, au même titre que Microsoft.
    Il est donc compréhensible qu’en tant que développeur de logiciels, Mi-
crosoft se soit opposé à cette conférence de l’OMPI, et compréhensible qu’il
utilise ses lobbyistes pour pousser le gouvernement des États-Unis à s’y op-
poser aussi. Et en effet, c’est exactement ce qui s’est passé, semble-t-il. Selon
Jonathan Krim du Washington Post, les lobbyistes de Microsoft réussirent à
faire que le gouvernement des États-Unis s’oppose à la conférence203 . Et sans
soutien des U.S., la conférence fut annulée.
    Je ne blâme pas Microsoft de faire ce qu’il peut pour servir ses propres
intérêts, dans le respect de la loi. Et il est tout a fait légal de faire du lobbying
auprès du gouvernement. Il n’y a rien de surprenant qu’ils en fassent ici, et
rien non plus de très surprenant à ce que l’éditeur de logiciels le plus puisant
des États-Unis ait du succès dans ses efforts de lobbying.
    Ce qui est surprenant a été la raison avancée par le gouvernement des


                                        216
États-Unis pour s’opposer à la conférence. Comme le rapporte à nouveau
Krim, Lois Boland, le directeur des relations internationales du bureau amé-
ricain des brevets et des marques, expliqua que « le logiciel open source va à
l’encontre de la mission de l’OMPI, qui est de promouvoir les droits de pro-
priété intellectuelle ». Elle est citée disant : « Organiser une conférence dont
le but est de contester ou de relaxer ces droits semble contraire à la mission
de l’OMPI. » Ces affirmations sont étonnantes à bien des égards.
    Premièrement, elles sont tout simplement fausses. Comme je l’ai expli-
qué, la plupart des logiciels open source et libres reposent sur cette pro-
priété intellectuelle appelée « copyright ». Sans elle, les restrictions impo-
sées par ces licences ne marcheraient pas. Par conséquent, dire qu’il va « à
l’encontre » de la mission de promotion des droits de propriété intellectuelle
révèle une faille extraordinaire de raisonnement — le genre d’erreur qui est
excusable chez un étudiant de première année en droit, mais embarrasse
quand elle est commise par un haut officiel du gouvernement, chargé de s’oc-
cuper des questions de propriété intellectuelle.
    Deuxièmement, qui a dit que la mission exclusive de l’OMPI était de
« promouvoir » la propriété intellectuelle sous sa forme maximale ? Comme
on me l’a rappelé lors de cette conférence préparatoire du sommet WSIS, le
but de l’OMPI n’est pas seulement de trouver comment protéger au mieux la
propriété intellectuelle, mais aussi de trouver quel est le meilleur équilibre
pour cette propriété intellectuelle. Comme le sait n’importe économiste ou
juriste, la vraie question pour la loi sur la propriété intellectuelle est de trou-
ver cet équilibre. Mais le fait qu’il doit y avoir des limites est, je croyais, in-
contesté. Il faudrait demander à Mme Boland si les médicaments génériques
(des médicaments qui en imitent d’autres dont les brevets ont expiré) sont
contraires à la mission de l’OMPI. Le domaine public affaiblit-il la propriété
intellectuelle ? Aurait-il mieux valu que les protocoles d’Internet fussent bre-
vetés ?
    Troisièmement, même si l’on croit que la mission de l’OMPI est de maxi-
miser les droits de propriété intellectuelle, dans notre tradition ces droits
sont détenus par des individus et des corporations. Ils ont le loisir de décider
quoi faire de ces droits parce que, encore une fois, ce sont leurs droits. S’ils
choisissent de « donner » ou de « renoncer à » ces droits, c’est parfaitement
en accord avec notre tradition. Quand Bill Gates donne plus de 20 milliards
de dollars à des œuvres de bienfaisance, ça n’est pas en contradiction avec
les objectifs du système de propriété. C’est, bien au contraire, précisément
ce qu’un système de propriété est censé permettre : donner aux individus le
droit de décider quoi faire de leur propriété.
    Quand Mme Boland dit qu’il y a un problème avec une conférence « dont
le but est de donner ou de renoncer à ces droits », elle dit que l’OMPI
cherche à interférer avec les choix des individus qui détiennent des droits
de propriété intellectuelle. Que d’une manière ou d’une autre, le but de
l’OMPI devrait être d’empêcher les gens de « donner » ou de « renoncer » à
leurs droits de propriété intellectuelle. Que l’OMPI souhaite non seulement
que les droits de propriété intellectuelle soient maximisés, mais aussi qu’ils
soient exercés de la manière la plus extrême et la plus restrictive possible.


                                       217
    Un tel système de propriété existe dans l’Histoire, et est bien connu de
la tradition anglo-américaine. Il est appelé « féodalisme ». Sous ce système,
non seulement la propriété était détenue par un nombre relativement res-
treint d’individus et d’entités, et non seulement les droits qui administraient
cette propriété étaient puissants et exhaustifs, mais le système lui-même
avait fortement intérêt à assurer que les propriétaires n’affaiblissent pas
le système, en libérant des individus ou des propriétés qui était sous leur
contrôle, pour les rendre au marché libre. Le féodalisme dépendait d’un
contrôle maximal et d’une concentration maximale. Il combattait toute li-
berté qui aurait pu interférer avec ce contrôle.
    Comme le rapportent Peter Drahos et John Braithwaite, c’est précisé-
ment le choix que nous sommes en train de faire au sujet de la propriété intel-
lectuelle204 . Nous aurons une société de l’information. C’est certain. Notre
seul choix maintenant est entre une société de l’information libre et une féo-
dale. Nous nous dirigeons vers une société de l’information féodale.
    Lorsque cette bataille a éclaté, j’en ai parlé sur mon blog. Un débat inté-
ressant s’en est suivi dans la partie réservée aux commentaires. Mme Boland
avait un certain nombre de partisans qui tentèrent de montrer pourquoi elle
avait raison. Mais il y eut un commentaire qui fut particulièrement dépri-
mant pour moi. Un auteur anonyme écrivit :
      George, vous avez mal compris Lessig : Il ne parle que du monde
      tel qu’il devrait être (« le but de l’OMPI, et le but de tout gouver-
      nement, devrait être de promouvoir un bon équilibre des droits
      de propriété intellectuelle, pas simplement de promouvoir ces
      droits »), et non tel qu’il est. Si nous parlions du monde tel qu’il
      est, alors bien sûr Boland n’a rien dit de faux. Mais dans le monde
      rêvé de Lessig, bien sûr elle a tort. Toujours prendre garde à la
      différence entre le monde de Lessig et le nôtre.
    Je n’ai pas saisi l’ironie du message la première fois que je l’ai lu. Je l’ai
lu rapidement, et j’ai cru que l’auteur défendait l’idée que notre gouverne-
ment devrait rechercher l’équilibre. (Bien sûr, ma critique de Mme Boland
ne concernait pas le fait qu’elle cherche un équilibre ou non ; ma critique
était que ses commentaires trahissaient une erreur digne d’un étudiant en
droit de première année. Je ne me fais pas d’illusions sur l’extrémisme de
notre gouvernement, qu’il soit Républicain ou Démocrate. Ma seule illusion,
semble-t-il, concerne le fait que notre gouvernement doive ou non dire la
vérité).
    Évidemment, ce n’était pas l’idée que défendait l’auteur. Au contraire, il
ridiculisait l’idée même que dans le monde réel, le « but » d’un gouverne-
ment puisse être de « promouvoir un bon équilibre » de la propriété intel-
lectuelle. Cette idée lui semblait évidemment idiote. Et elle trahissait, selon
lui, mon propre utopisme idiot. « Typique pour un universitaire », aurait-il
pu ajouter.
    Je comprends qu’on me reproche d’être un universitaire utopiste. Je
pense moi aussi que l’utopisme est idiot, et je serais le premier à me gausser
des idéaux absurdement irréalistes des universitaires au cours de l’histoire
(et pas seulement l’histoire de notre pays).


                                      218
    Mais s’il est devenu idiot de supposer que le rôle du gouvernement est
de « chercher l’équilibre », comptez-moi parmi les idiots, car cela veut dire
que c’est devenu assez grave, en effet. S’il devient évident pour chacun que le
gouvernement ne recherche pas l’équilibre, que le gouvernement n’est que
l’outil des lobbyistes les plus puissants, que l’idée que le gouvernement soit
supposé faire autre chose est absurde, que l’idée d’attendre du gouvernement
qu’il dise la vérité et non des mensonges est naïve, alors que sommes nous,
la démocratie la plus puissante au monde, devenus ?
    C’est peut être folie que d’attendre d’un porte-parole du gouvernement
qu’il dise la vérité. C’est peut-être folie de croire que la politique du gouver-
nement doive être plus que l’exécutant des intérêts les plus puissants. C’est
peut-être folie de soutenir que nous devrions préserver une tradition qui a
été la nôtre pour l’essentiel de notre histoire — la culture libre.
    Si tout cela est folie, alors qu’il y ait plus de fous ! Et vite !
    Il y a des moments d’espoir dans ce combat. Et des moments qui sur-
prennent. Alors que la FCC envisageait d’assouplir les lois sur la propriété,
ce qui aurait eu pour conséquence d’augmenter la concentration des médias,
une coalition extraordinaire s’est formée, au-delà des partis, pour combattre
ce changement. Peut-être pour la première fois dans l’histoire, des intérêts
aussi hétéroclites que la NRA, l’ACLU, Moveon.org, William Safire, Ted Tur-
ner, et CodePink Femmes pour la Paix se sont organisés pour s’opposer au
changement de politique de la FCC. Un nombre impressionnant de lettres,
700 000, furent envoyées à la FCC, demandant plus de débats et un résultat
différent.
    Cet activisme n’a pas arrêté la FCC, mais peu après, une large coalition
au Sénat votait l’annulation de la décision de la FCC. Les débats d’opposition
qui ont conduit à ce vote ont révélé à quel point ce mouvement était devenu
puissant. Il n’y avait pas de soutien substantiel à la décision de la FCC, et
il y avait un soutien large et continu pour combattre toute concentration
supplémentaire des médias.
    Mais même ce mouvement oublie une part importante du puzzle. La
taille en soi n’est pas mauvaise. La liberté n’est pas menacée simplement
parce que certains deviennent très riches, ou parce qu’il n’y a qu’une poignée
d’acteurs de taille. La qualité déplorable des Big Mac et Quarter Pounder ne
veut pas dire que vous ne pouvez pas acheter un bon hamburger ailleurs.
    Le danger de la concentration des médias ne vient pas de la concentra-
tion, mais du féodalisme que cette concentration produit, lié aux change-
ments dans le droit d’auteur. Le danger n’est pas qu’un petit nombre de com-
pagnies puissantes contrôlent une part grandissante des médias. C’est plutôt
le fait que cette concentration puisse invoquer des droits aussi extensifs —
des droits sur la propriété dont l’étendue est une première historique, qui la
rend mauvaise.
    Il est donc significatif que tant de gens se soient unis pour demander de
la compétition et plus de diversité. Néanmoins, le fait que cette union soit
vue comme une union contre la taille en soi n’est pas très surprenant. Nous
autres américains avons l’habitude de nous opposer à ce qui est « grand »,
que ce soit justifié ou non. Que nous puissions être motivés pour nous battre


                                      219
une fois de plus contre les « grands » n’a rien de nouveau.
    Il serait nouveau, et très important, si une coalition aussi importante pou-
vait se lever pour combattre l’extrémisme grandissant qui accompagne l’idée
de « propriété intellectuelle ». Non que l’équilibre soit étranger à notre tradi-
tion ; en fait, comme j’ai essayé de le montrer, l’équilibre fait partie de notre
tradition. Mais plutôt parce que la capacité de penser de manière critique à
l’étendue de quelque chose appelée « propriété », n’est plus très bien exercée
dans cette tradition.
    Si nous étions Achille, ceci serait notre talon. Ce serait le lieu de notre
perte.
    Alors que j’écris ces derniers mots, les journaux sont remplis d’histoires
au sujet des procès menés par la RIAA contre presque trois cents indivi-
dus205 . Eminem vient d’être poursuivi pour avoir « échantillonné » la mu-
sique de quelqu’un d’autre206 . L’histoire au sujet de Bob Dylan qui a « volé »
un auteur japonais vient tout juste de cesser de faire les gros titres207 . Un
correspondant de Hollywood (qui tient à rester anonyme) rapporte « une
conversation étonnante avec les gens des studios. Ils ont des [vieux] films
extraordinaires, qu’ils adoreraient utiliser, mais ils ne peuvent pas car ils ne
peuvent pas acquitter les droits. Ils ont des tas de gens qui pourraient faire
des choses étonnantes avec ce contenu, mais il faudrait d’abord des tas d’avo-
cats pour en démêler les droits. » Le Congrès parle de détourner des virus
informatiques afin d’attaquer les ordinateurs suspectés de violer la loi. Les
universités menacent d’expulsion les étudiants qui utilisent un ordinateur
pour partager du contenu.
    Et pourtant de l’autre côté de l’Atlantique, la BBC vient d’annoncer
qu’elle va créer une « Archive des Créations », à partir de laquelle les su-
jets britanniques pourront télécharger les contenus de la BBC, les éditer,
mélanger, réutiliser208 . Et au Brésil, le ministre de la culture, Gilberto Gil,
lui-même un héros populaire de la musique brésilienne, s’est allié aux Crea-
tive Commons pour diffuser du contenu et des licences libres dans ce pays
d’Amérique latine209 . L’histoire que j’ai racontée est bien sombre. La vérité
est plus mitigée. Une technologie nous a donné une liberté nouvelle. Len-
tement, certains commencent à comprendre que cette liberté ne veut pas
forcément dire anarchie. Nous pouvons transposer notre culture libre dans
le vingt-et-unième siècle, sans que les artistes ne soient lésés, et sans que
le potentiel de la technologie numérique ne soit gâché. Il faudra des efforts
de réflexion, et surtout de la volonté, pour transformer en Causby les RCA
d’aujourd’hui.
    Il faut que le sens commun se révolte. Il faut qu’il agisse pour libérer la
culture. S’il le fait, qu’il le fasse vite.




                                      220
                                   Postface


    Au moins une partie de ceux qui ont lu jusqu’ici conviendront que
quelque chose doit être fait pour changer la direction que nous avons prise.
Le reste de ce livre décrit ce qui pourrait être fait.
    Je sépare ces moyens en deux catégories : ce que chacun peut faire main-
tenant, et ce qui requiert l’aide des législateurs. S’il y a une leçon à tirer de
l’histoire du sens commun, c’est que son évolution requiert un changement
des mentalités.
    Ceci veut dire que le mouvement doit commencer par la base. Il doit re-
cruter un nombre significatif de parents, enseignants, libraires, créateurs,
auteurs, musiciens, metteurs en scène, scientifiques — pour que chacun ré-
pète cette histoire à sa manière, et qu’ils expliquent à leurs voisins pourquoi
ce combat est si important.
    Une fois que ce mouvement aura un effet sur la base, alors il pourra
avoir un effet sur Washington. Nous sommes encore une démocratie. Ce
que pensent les gens joue un rôle. Pas aussi important qu’il ne devrait l’être,
du moins quand une RCA s’y oppose, mais quand même un rôle. Et donc,
dans la deuxième partie qui suit, je décris les changements que le Congrès
pourrait entreprendre afin de mieux assurer une culture libre.


                          Nous, maintenant
    Le bon sens appartient à ceux qui s’opposent au copyright, car le débat
n’a jusqu’ici été défini qu’en termes extrêmes — comme un grand soit ce-
ci/soit cela : soit la propriété soit l’anarchie, soit un contrôle total soit les
artistes ne seront pas payés. Si le choix est vraiment de cette nature, alors les
opposants au copyright devraient l’emporter.
    L’erreur consiste ici à négliger des positions médianes. Il y a des extrêmes
dans ce débat mais il n’y a pas qu’eux. Il y a ceux qui croient en un copy-
right maximal — « Tous droits réservés » — et ceux qui le rejettent — « Libre
de droits ». Les partisans du « Tous droits réservés » soutiennent que toute
« utilisation » d’une œuvre soumise à copyright devrait d’abord faire l’objet
d’une autorisation. Les promoteurs du « Libre de droits » pensent que vous
devriez pouvoir exploiter le contenu à votre guise, que vous en ayez la per-
mission ou non.
    À sa naissance, l’architecture d’Internet s’est dans les faits rattachée à l’ap-
proche « libre de droits ». Le contenu pouvait être copié fidèlement et faci-


                                       221
lement ; les droits ne pouvaient être aisément contrôlés. Ainsi, indépendam-
ment du souhait de qui que ce soit, le régime effectif du copyright associé à
la structure d’origine de l’Internet relevait du « Libre de droits ». Le contenu
était « exploité » quels qu’en soient les droits. Tout droit était dans les faits
non protégé.
    Ce caractère originel engendra une réaction (opposée quoique pas de
même intensité) de la part des détenteurs de copyright. Cette réaction a fait
l’objet de ce livre. À travers la législation, le contentieux et les changements
dans la conception du réseau, les détenteurs de copyright ont été capables
de changer le caractère essentiel de l’environnement de l’Internet originel. Si
l’architecture originelle faisait que le régime effectif était « Libre de droits »,
l’architecture future créera par défaut un régime effectif de « Tous droits ré-
servés ». L’architecture et la loi qui entourent la conception d’Internet pro-
duiront de plus en plus un environnement où toute utilisation de contenu
requerra une permission. Le monde « copier-coller » qui définit Internet au-
jourd’hui deviendra un monde « obtenir la permission de copier-coller » qui
est un cauchemar de créateur.
    Ce qu’il faut, c’est un moyen de dire quelque chose entre les deux, ni
« tous droits réservés » ni « aucun droit réservé », mais « des droits réser-
vés » — et ainsi une façon de respecter les copyrights tout en permettant
aux auteurs de libérer les droits comme ils le souhaitent. En d’autres termes,
nous avons besoin de rétablir un ensemble de libertés que nous tenions pour
acquises auparavant.

   Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises :
                          exemples
    Si vous prenez du recul par rapport à la bataille que j’ai décrite ici, vous
reconnaîtrez ce problème à partir d’autres contextes. Pensez à la vie privée.
Avant Internet, la plupart d’entre nous n’avait pas beaucoup à se soucier à
propos des informations sur notre vie que nous diffusions au monde entier.
Si vous entriez dans une librairie pour y feuilleter des œuvres de Karl Marx,
vous n’aviez pas besoin de vous inquiéter des explications sur vos habitudes
de lecture à donner à vos voisins ou à votre chef. La « vie privée » de vos
habitudes de lecture était assurée.
    Qu’est-ce qui l’assurait ?
    Eh bien, si nous pensons en termes des modalités que j’ai décrites dans
le chapitre 10 (p. 105), votre vie privée était assurée à cause d’une architec-
ture inefficace pour rassembler des données, et par conséquent à cause d’une
contrainte du marché (le coût) sur quiconque voulait rassembler ces don-
nées. Si vous étiez suspecté d’être un espion pour la Corée du Nord, il ne
fait pas de doute pour la CIA que votre vie privée ne serait pas assurée. Mais
c’est parce que la CIA trouverait (nous l’espérons) valable de dépenser les
milliers de dollars nécessaires pour vous pister. Mais pour la plupart d’entre
nous (là encore, nous l’espérons), l’espionnage ne vaut pas le coût. L’architec-
ture extrêmement inefficace de l’espace réel signifie que nous jouissons tous
d’une forte protection de la vie privée. Cette vie privée nous est garantie par


                                       222
la friction. Pas par la loi (il n’y a pas de loi protégeant la « vie privée » dans
un espace public), et dans de nombreux endroits, pas par les normes (les in-
discrétions et les potins sont trop amusants), mais plutôt par les coûts que la
friction impose à quiconque voudrait espionner.
    Arrive Internet, où le coût pour surveiller la navigation en particulier
est devenu dérisoire. Si vous êtes un client d’Amazon, alors tandis que vous
consultez les pages, Amazon collecte les données sur ce que vous avez re-
gardé. Vous le savez car sur un côté de la page, il y a une liste des pages « ré-
cemment consultées ». Maintenant, à cause de l’architecture du Net et de
la fonction des cookies sur le Net, rien n’est plus facile que de collecter des
données. La friction a disparu, et ainsi toute forme de « vie privée » protégée
par la friction disparaît, également.
    Amazon, bien sûr, n’est pas le problème. Mais nous pourrions commen-
cer à nous inquiéter à propos des bibliothèques. Si vous êtes un de ces gau-
chistes fous qui pensent que les gens devraient avoir le « droit » de chercher
dans une bibliothèque sans que le gouvernement sache quels livres vous re-
gardez (et je suis aussi un de ces gauchistes) alors ce changement dans la
technologie de surveillance pourrait vous préoccuper. S’il devient simple de
rassembler et de classer qui fait quoi dans les espaces électroniques, alors la
vie privée d’hier induite par la friction disparaît.
    C’est cette réalité qui explique l’initiative de nombreuses personnes pour
définir la « vie privée » sur Internet. C’est la reconnaissance que la techno-
logie peut enlever ce que la friction nous donnait auparavant qui pousse de
nombreuses personnes à militer pour que des lois fassent ce que la friction
faisait210 . Et que vous soyez en faveur de ces lois ou pas, c’est le motif qui est
important ici. Nous devons faire des étapes affirmatives pour sécuriser un
type de liberté dont on bénéficiait passivement auparavant. Un changement
dans la technologie force maintenant ceux qui croient en la vie privée à agir
affirmativement où, auparavant, la vie privée était donnée par défaut.
    Une histoire similaire pourrait être racontée sur la naissance du mou-
vement du logiciel libre. Quand les ordinateurs avec logiciels furent mis à
disposition commercialement pour la première fois, le logiciel — à la fois le
code source et les binaires — était libre. Vous ne pouviez pas faire tourner
un programme écrit pour une machine Data General sur une machine IBM,
donc Data General et IBM ne se préoccupaient pas de contrôler leur logiciel.
    C’était le monde dans lequel est né Richard Stallman, et alors qu’il était
chercheur au MIT, il s’est attaché à aimer la communauté qui s’est dévelop-
pée avec cette liberté d’explorer et de bricoler le logiciel qui tournait sur les
machines. Étant lui-même d’un genre malin, et un programmeur talentueux,
Stallman considérait comme nécessaire d’avoir la liberté d’ajouter et de mo-
difier le travail d’autres personnes.
    Dans un contexte universitaire, tout du moins, ce n’est pas une idée terri-
blement radicale. Dans une section de mathématiques, quiconque était libre
d’adapter une preuve que quelqu’un donnait. Si vous aviez une meilleure
manière de prouver un théorème, vous pouviez prendre ce que quelqu’un
d’autre avait fait et le modifier. Dans une section de littérature classique, si
vous pensiez que la traduction faite par un collègue d’un texte récemment


                                       223
découvert était imparfaite, vous étiez libre de l’améliorer. Ainsi, pour Stall-
man, il semblait évident que vous puissiez être libre de reprendre et d’amé-
liorer un code qui tournait sur une machine. Ceci, également, était du savoir.
Pourquoi ne serait-il pas ouvert à la critique comme n’importe quoi d’autre ?
    Personne n’a répondu à cette question. À la place, le modèle de revenu
dans l’informatique a changé. Comme il était devenu possible d’importer
des programmes d’un système à un autre, il était devenu économiquement
attractif (au moins aux yeux de certains) de cacher le code de votre pro-
gramme. De même que les compagnies commençaient à vendre des périphé-
riques pour des systèmes mainframes. Si je pouvais juste prendre le pilote de
votre imprimante et le copier, alors cela serait plus facile pour moi de vendre
une imprimante sur marché que ça ne l’était pour vous.
    Ainsi, la pratique du code propriétaire commença à se répandre, et au dé-
but des années 1980, Stallman s’est trouvé entouré de code propriétaire. Le
monde du logiciel libre avait été effacé par un changement dans l’économie
de l’informatique. Et comme il le croyait, s’il n’y faisait rien, alors la liberté
de changer et de partager le logiciel serait fondamentalement affaiblie.
    Ainsi, en 1984, Stallman commença un projet pour construire un sys-
tème d’exploitation libre, afin qu’au moins une souche de logiciel libre sur-
vive. C’était la naissance du projet GNU, dans lequel le noyau « Linux » de
Linus Torvald a été ajouté pour produire le système d’exploitation GNU/Li-
nux.
    La technique de Stallman était d’utiliser la loi du copyright pour
construire un monde de logiciels qui doivent rester libre. Un logiciel sous
licence GPL de la Free Software Foundation ne peut pas être modifié et dis-
tribué à moins que le code source de ce logiciel soit rendu également dispo-
nible. Ainsi, quiconque réutilisant un logiciel sous GPL doit rendre sa réuti-
lisation libre également. Cela assurerait, croyait Stallman, qu’une écologie
de code se développerait en restant libre pour que d’autres la réutilise. Son
but fondamental était la liberté ; le code créatif innovant était un effet secon-
daire.
    Stallman faisait ainsi pour le logiciel ce que les défenseurs de la vie pri-
vée font maintenant pour la vie privée. Il cherchait un moyen de reconstruire
une sorte de liberté qui était prise pour acquise auparavant. À travers l’uti-
lisation affirmative de licences qui lient du code sous copyright, Stallman
récupérait affirmativement un espace où le logiciel libre survivrait. Il proté-
geait activement ce qui était auparavant passivement garanti.
    Finalement, considérez un exemple très récent qui résonne plus directe-
ment avec l’histoire de ce livre. C’est le changement dans la manière dont les
revues scientifiques et de recherche sont produites.
    Alors que les technologies numériques se développaient, il devint évident
pour beaucoup qu’imprimer des milliers de copies de revues chaque mois et
les envoyer aux bibliothèques n’était peut-être pas la manière la plus efficace
de distribuer le savoir. Au lieu de cela, les revues deviennent de plus en plus
électroniques, et les bibliothèques et leurs utilisateurs se voient donner l’ac-
cès à ces revues électroniques à travers des sites protégés par mot de passe.
Quelque chose de similaire à ceci est arrivé à la loi pendant presque trente


                                      224
ans : Lexis et Westlaw avaient des versions électroniques de rapports d’af-
faires disponibles pour les membres de leur service. Bien qu’un avis de la
Cour Suprême ne soit pas sous copyright, et que quiconque soit libre d’aller
dans une bibliothèque et de le lire, Lexis et Westlaw sont également libres
de faire payer les utilisateurs pour le privilège d’obtenir l’accès à cet avis de
la Cour Suprême à travers leurs services respectifs.
     Il n’y a rien de mal en général avec cela, et, en effet, la possibilité de faire
payer l’accès à du contenu même du domaine public est une bonne incita-
tion pour que gens développent des manières nouvelles et innovantes de
diffusion du savoir. La loi est d’accord, c’est pourquoi Lexis et Westlaw ont
pu prospérer. Et s’il n’y a rien de mal à vendre le domaine public, alors il ne
devrait y avoir rien de mal, en principe, à vendre l’accès à du contenu qui
n’est pas dans le domaine public.
     Mais que se passe-t-il si la seule façon d’obtenir l’accès à des données
sociales et scientifiques passe par des services propriétaires ? Que se passe-
t-il si personne n’a la possibilité de consulter ces données excepté en payant
un abonnement ?
     Comme beaucoup commencent à le remarquer, c’est de plus en plus la
réalité pour les revues scientifiques. Quand ces revues étaient distribuées
sous forme papier, les bibliothèques pouvaient les rendre disponibles à qui-
conque avait accès à la bibliothèque. Ainsi, les patients atteints de cancer
pouvaient devenir des experts du cancer parce que la bibliothèque leur en
donnait l’accès. Ou bien les patients essayant de comprendre les risques d’un
traitement particulier pouvaient rechercher ces risques en lisant tous les ar-
ticles disponibles sur ce traitement. Cette liberté était donc une fonction de
l’institution des bibliothèques (les normes) et de la technologie du papier
(l’architecture) — pour ainsi dire, il était très difficile de contrôler l’accès à
une revue papier.
     Toutefois, alors que les revues deviennent électroniques, les éditeurs
exigent que les bibliothèques ne donnent pas d’accès public général aux re-
vues. Cela signifie que les libertés données par les revues papier dans les bi-
bliothèques publiques commencent à disparaître. Ainsi, tout comme pour la
vie privée et le logiciel, un changement de technologie et le marché réduisent
une liberté prise pour acquise auparavant.
     Cette réduction de liberté a conduit de nombreuses personnes à prendre
des mesures affirmatives pour retrouver la liberté perdue. La Public Library
of Science (PLoS) (NdT : Bibliothèque Publique des sciences), par exemple,
est une organisation à but non lucratif dédiée à rendre la recherche scienti-
fique disponible à quiconque possédant une connexion à internet. Des au-
teurs d’ouvrages scientifiques soumettent leurs travaux à la Public Library
of Science. Ces ouvrages sont ensuite soumis à revue. S’ils sont acceptés, ils
sont alors déposés dans une archive publique électronique et rendus dispo-
nibles de façon permanente gratuitement. PLoS vend également une version
imprimée de ses ouvrages, mais le copyright pour la version imprimée n’in-
hibe pas le droit de quiconque de redistribuer gratuitement l’ouvrage.
     C’est un des nombreux efforts pour restaurer une liberté prise pour
acquise auparavant, mais maintenant menacée par une technologie chan-


                                        225
geante et les marchés. Il n’y a pas de doute que ces alternatives sont en
concurrence avec les éditeurs traditionnels et leurs efforts pour faire de l’ar-
gent à partir de la distribution exclusive de contenu. Mais la concurrence
dans notre tradition est supposée être une bonne chose — en particulier
quand elle aide à diffuser la connaissance et la science.

              Reconstruire la culture libre : une idée
    La même stratégie pourrait être appliquée à la culture, en tant que réac-
tion au contrôle croissant obtenu par la loi et la technologie.
    Arrive Creative Commons. Creative Commons est une société à but non
lucratif fondée dans le Massachusetts, mais avec son siège à l’Université
de Stanford. Son but est de construire une couche de copyright raisonnable
par-dessus les extrêmes qui règnent actuellement. Elle le fait en rendant fa-
cile aux gens la réutilisation des œuvres d’autres personnes. De simples éti-
quettes, liées à des descriptions humainement lisibles, liées à des licences
inattaquables, rendent ceci possible.
    Simples — ce qui signifie sans intermédiaire, ou sans avocat. En déve-
loppant un ensemble libre de licences que les gens peuvent attacher à leur
contenu, Creative Commons vise à marquer une gamme de contenu qui peut
être facilement, et de manière fiable, réutilisé. Ces étiquettes sont ensuite
liées à des versions de la licence lisibles par la machine, qui permettent à
des ordinateurs d’identifier automatiquement du contenu qui peut être fa-
cilement partagé. Ces trois couches ensembles — une licence juridique, une
description humainement lisible et des étiquettes lisibles par une machine
— constituent une licence Creative Commons. Une licence Creative Com-
mons constitue une garantie de liberté à quiconque accède à la licence, et de
manière plus importante, c’est une expression de l’idéal que la personne qui
souscrit cette licence croit en quelque chose différent des extrêmes « Tous »
ou « Aucun ». Le contenu est marqué avec la marque CC, qui ne signifie pas
que le copyright est abandonné, mais que certaines libertés sont données.
    Ces libertés vont au-delà des libertés promises par l’usage loyal. Leurs
contours précis dépendent des choix faits par le créateur. Le créateur peut
choisir une licence qui permet n’importe quel usage, du moment que l’attri-
bution est donnée. Il peut choisir une licence qui permet seulement un usage
non commercial. Il peut choisir une licence qui permet toute utilisation du
moment que les mêmes libertés sont données aux autres usages (« partage et
partage à l’identique »). Ou n’importe quel usage du moment qu’aucun usage
dérivé n’est fait. Ou n’importe quel usage dans des pays en voie de dévelop-
pement. Ou n’importe quelle utilisation d’extraits, du moment qu’il n’y a pas
de copie complète de l’œuvre. Ou enfin, n’importe quel usage éducatif.
    Ces choix établissent ainsi une gamme de libertés supérieure à la loi du
copyright par défaut. Ils permettent aussi des libertés qui vont au-delà de
l’usage loyal traditionnel. Et le plus important est que ces libertés sont for-
mulées de manière à ce que les utilisateurs ultérieurs puissent les utiliser et
compter dessus sans devoir faire appel à un avocat. Creative Commons vise
ainsi à construire une couche de contenu, gouvernée par une couche de loi


                                     226
de copyright raisonnable, que d’autres peuvent réutiliser. Des individus et
des créateurs feront le choix volontaire de rendre ce contenu disponible. Et
ce contenu nous permettra en retour à reconstruire un domaine public.
     C’est juste un projet parmi d’autres de Creative Commons. Et bien sûr,
Creative Commons n’est pas la seule organisation recherchant de telles li-
bertés. Mais ce qui distingue Creative Commons de beaucoup d’autres ini-
tiatives est que nous ne cherchons pas seulement à parler d’un domaine pu-
blic ou à avoir l’aide des législateurs le pour construire. Notre but est de
construire un mouvement de consommateurs et de producteurs de contenu
(les « conducteurs de contenu » comme les appelle l’avocat Mia Garlick) qui
aident à construire le domaine public et, par leur travail, démontrent son
importance pour les autres créativités.
     Le but n’est pas de combattre toutes les sortes de « Tous droits réservés ».
Le but est de les compléter. Les problèmes que la loi nous crée en tant que
culture sont causés par les conséquences folles et involontaires de lois écrites
il y a des siècles, appliquées à une technologie que seul Jefferson aurait pu
imaginer. Ces règles peuvent très bien avoir eu du sens face à des technolo-
gies d’il y a des siècles, mais elles n’ont pas de sens dans le contexte des tech-
nologies numériques. De nouvelles règles — avec des libertés différentes, ex-
primées de manière à ce que des humains sans avocat puissent les utiliser —
sont nécessaires. Creative Commons donne aux gens une manière de com-
mencer efficacement à construire ces règles.
     Pourquoi les créateurs participeraient-ils en renonçant à un contrôle to-
tal ? Certains participent à une meilleure diffusion de leur contenu. Cory
Doctorow, par exemple, est un auteur de science-fiction. Son premier ro-
man, Down and Out in the Magic Kingdom, a été publié en ligne et gratuite-
ment, sous une licence Creative Commons, le même jour que sa sortie en
librairie.
     Pourquoi un éditeur donnerait-il son accord pour cela ? Je soupçonne
que son éditeur a raisonné ainsi : il y a deux groupes de personnes : (1) ceux
qui vont acheter le livre de Cory qu’il soit ou non sur Internet et (2) ceux qui
n’entendraient jamais parler du livre de Cory, s’il n’est pas rendu disponible
gratuitement sur Internet. Une certaine partie des (1) téléchargera le livre de
Cory au lieu de l’acheter. Appelez-les les mauvais-(1). Une certaine partie des
(2) téléchargera le livre de Cory, l’aimera et décidera de l’acheter. Appelez-
les les bons-(2). S’il y a plus de bons-(2) que de mauvais-(1), la stratégie de
diffuser le livre de Cory gratuitement en ligne augmentera probablement les
ventes du livre de Cory.
     Effectivement, la suite donna clairement raison aux déductions de l’édi-
teur. Le premier tirage du livre fut épuisé des mois avant la date prévue par
l’éditeur. Ce premier roman d’un auteur de science-fiction fut un succès to-
tal.
     L’idée que le contenu libre puisse augmenter la valeur du contenu non-
libre a été confirmée par l’expérience d’un autre auteur. Peter Wayner, qui
a écrit un livre sur le mouvement du logiciel libre intitulé Free for All, en
fit une version électronique gratuite sous une licence Creative Commons,
après que le livre imprimé fut épuisé. Il a ensuite surveillé les prix du livre


                                      227
dans des boutiques de livres d’occasion. Comme prédit, alors que le nombre
de téléchargements augmentait, le prix de ce livre d’occasion augmentait,
également.
    Ce sont des exemples d’utilisation des Creative Commons pour mieux
diffuser du contenu propriétaire. Je crois que c’est un usage merveilleux et
courant des Commons. Il y en a d’autres qui utilisent les licences Creative
Commons pour d’autres raisons. Beaucoup de ceux qui utilisent la « sam-
pling license » (NdT : licence d’échantillonnage) le font car quoi que ce soit
d’autre serait hypocrite. La licence d’échantillonnage dit que les autres sont
libres, dans des buts commerciaux ou non commerciaux, d’utiliser des ex-
traits de l’œuvre sous licence ; ils ne sont simplement pas libres de mettre à
disposition des copies complètes de l’œuvre. C’est cohérent avec leur propre
art — eux aussi prennent des extraits chez d’autres. Parce que les coûts légaux
de l’échantillonnage sont si élevés (Walter Leaphart, manager du groupe de
rap Public Enemy, qui a commencé en échantillonnant la musique des autres,
a affirmé qu’il ne « permettait » plus à Public Enemy d’échantillonner, parce
que les coûts légaux sont trop élevés211 ), ces artistes diffusent dans l’environ-
nement créatif du contenu que les autres peuvent réutiliser, afin que cette
forme de créativité puisse croître.
    Enfin, il y en a beaucoup qui mettent leurs contenus sous licence Crea-
tive Commons juste pour exprimer aux autres l’importance de l’équilibre
dans ce débat. Si vous suivez le système tel qu’il est, vous dites effectivement
que vous croyez dans le modèle « Tous droits réservés ». Tant mieux pour
vous, mais beaucoup n’y croient pas. Beaucoup croient que même si cette
règle est adaptée pour Hollywood et ses caprices, elle ne représente pas le
point de vue de la plupart des créateurs sur les droits de leurs œuvres. La
licence Creative Commons exprime cette notion de « Des droits réservés »,
et donne l’opportunité à beaucoup de le dire aux autres.
    Dans les six premiers mois de l’expérience Creative Commons, plus d’un
million d’objets furent placés sous ces licences de culture libre. L’étape sui-
vante, c’est de faire des partenariats avec des fournisseurs de contenus in-
termédiaires pour les aider à incorporer dans leur technologie des moyens
simples permettant aux utilisateurs de marquer leur contenu avec des liber-
tés Creative Commons. Puis l’étape suivante est d’observer et de célébrer les
créateurs qui construisent du contenu en se basant sur du contenu libéré.
    Ce sont les premières étapes pour reconstruire un domaine public. Ce ne
sont pas de simples arguments ; ce sont des actions. Construire un domaine
public est la première étape pour montrer aux gens à quel point ce domaine
est important pour la créativité et l’innovation. Creative Commons compte
sur des démarches volontaires pour réussir cette reconstruction. Elles mè-
neront à un monde qui ne se limitera pas à des démarches volontaires.
    Creative Commons est juste un exemple d’efforts volontaires de la part
d’individus et de créateurs pour changer le mélange des droits qui gou-
vernent maintenant le champ créatif. Le projet n’est pas en compétition avec
le copyright ; il le complète. Son but n’est pas de vaincre les droits des au-
teurs, mais de rendre plus facile aux auteurs et aux créateurs l’exercice de
leurs droits de façon plus souple et à bon marché. Cette différence, nous le


                                      228
croyons, permettra à la créativité de se répandre plus facilement.


                              Eux, bientôt
   Nous ne rétablirons pas une culture libre uniquement par l’action indi-
viduelle. Cela nécessitera aussi d’importantes réformes législatives. Un long
chemin nous attend avant que les politiciens écoutent ces idées et mettent
en œuvre ces réformes. Cependant, cela veut aussi dire que nous avons le
temps de faire prendre conscience des changements requis.
   Dans ce chapitre, je propose cinq changements : quatre qui sont d’ordre
général, et un qui est spécifique au débat le plus agité d’aujourd’hui : la mu-
sique. Chacun n’est qu’une étape, pas une fin. Cependant, chacune de ces
étapes nous rapprocheraient beaucoup de notre but.

                      1. Davantage de formalités
    Si vous achetez une maison, vous devez enregistrer la vente selon un acte
de vente ; si vous achetez une parcelle de terrain dans le but d’y construire
une maison, vous devez enregistrer cette acquisition dans un acte. Si vous
achetez une voiture, vous recevez une facture et vous déclarez cette voiture.
Si vous achetez un ticket d’avion, ce dernier portera votre nom.
    Toutes ces formalités sont associées à la propriété. Ce sont des obliga-
tions que nous devons supporter si nous voulons que la propriété soit pro-
tégée.
    A contrario, selon la loi du copyright en vigueur, vous détenez automati-
quement un copyright, que vous soyez ou non en conformité avec une quel-
conque formalité. Vous n’avez pas à déclarer. Vous n’avez même pas à mar-
quer votre contenu. Le contrôle est là par défaut, les « formalités » sont ex-
clues.
    Pourquoi ?
    Comme je l’ai suggéré dans le chapitre 10 (p. 105), la motivation d’abolir
les formalités était une bonne chose. Dans le monde antérieur aux techno-
logies numériques, les formalités imposaient un fardeau sur les titulaires de
copyright sans beaucoup de bénéfice. Ainsi, ce fut un progrès quand la loi
relâcha les formalités qu’un titulaire de copyright devait remplir pour pro-
téger et sécuriser son œuvre. Ces formalités étaient un obstacle.
    Mais Internet change tout cela. Les formalités aujourd’hui n’ont pas be-
soin d’être un fardeau. Plutôt, c’est le monde sans formalité qui pèse sur la
créativité. Aujourd’hui, il n’y a pas de moyen simple de savoir qui possède
quoi, ou avec qui on doit avoir affaire afin d’utiliser ou de réutiliser les créa-
tions des autres. Il n’y a pas d’enregistrements, il n’y a pas de système pour
tracer — il n’y a pas de manière simple de savoir comment obtenir la permis-
sion. Et pourtant, étant donné l’augmentation massive du champ d’applica-
tion de la règle du copyright, obtenir la permission est une étape nécessaire
pour tout travail qui réutilise notre passé. Et ainsi, le manque de formalités




                                      229
réduit de nombreuses personnes au silence au lieu de leur permettre de par-
ler.
     La loi devrait donc changer cette obligation212 — mais elle ne devrait
pas la changer en revenant à l’ancien système défectueux. Nous devrions
requérir des formalités, mais nous devrions établir un système qui crée les
incitations pour minimiser le poids de ces formalités.
     Les formalités importantes sont au nombre de trois : marquer les œuvres
sous copyright, enregistrer les copyrights, et demander le renouvellement
du copyright. Traditionnellement, la première des trois était quelque chose
que le titulaire du copyright faisait ; les deux autres étaient quelque chose
que le gouvernement faisait. Mais un système de formalités révisé bannirait
le gouvernement du processus, à l’exception de l’unique objectif d’approuver
des standards développés par d’autres.

Enregistrement et renouvellement
    Dans l’ancien système, un titulaire de copyright devait s’enregistrer au-
près du Copyright Office, pour y déclarer ou renouveler un copyright. En
faisant cet enregistrement, le titulaire de copyright payait des frais. Comme
avec la plupart des agences gouvernementales, le Copyright Office avait
peu de motivation à réduire la lourdeur de l’enregistrement ; il avait éga-
lement peu de motivation pour minimiser les frais. Et comme le Copyright
Office n’est pas un sujet prioritaire dans la politique du gouvernement, le
bureau est historiquement terriblement sous-financé. Ainsi, quand des gens
qui connaissent la procédure entendent cette idée de formalités, leur pre-
mière réaction est la panique — rien ne pourrait être pire que forcer les gens
à avoir affaire à ce pétrin qu’est le Copyright Office.
    Et pourtant il est toujours étonnant pour moi que nous, qui sommes issus
d’une tradition d’innovation extraordinaire dans la conception du gouver-
nement, ne sachions plus penser de manière innovante à la conception des
fonctions gouvernementales. Le simple fait qu’il y ait un but public dans un
rôle gouvernemental, n’implique pas que le gouvernement doive véritable-
ment l’administrer. Au contraire, nous devrions créer des incitations pour
que le privé serve le public, selon les normes que le gouvernement fixe.
    Concernant l’enregistrement, un modèle évident est Internet. Il existe au
moins 32 millions de sites web enregistrés à travers le monde. Les titulaires
de nom de domaine pour ces sites web doivent payer des frais pour main-
tenir leur enregistrement. Dans les domaines principaux (.com, .org, .net),
il y a un enregistrement central. Les enregistrements à proprement parler
sont, toutefois, effectuées par de nombreux greffiers en concurrence. Cette
compétition fait baisser les coûts de l’enregistrement, et de manière plus im-
portante, elle conduit à simplifier la procédure d’inscription.
    Nous devrions adopter un modèle similaire pour l’enregistrement et le
renouvellement des copyrights. Le Copyright Office peut bien servir de re-
gistre central, mais il ne devrait pas s’occuper des enregistrements. Au lieu
de cela, il devrait établir une base de données, et un ensemble de normes
pour les greffiers. Il devrait approuver les greffiers qui sont conformes à



                                    230
ces normes. Ces greffiers seraient ensuite en compétition les uns contre les
autres pour délivrer les systèmes les moins onéreux et les plus simples pour
enregistrer et renouveler les copyrights. Cette compétition réduirait signifi-
cativement la lourdeur de cette formalité — tout en produisant un registre
qui faciliterait l’obtention d’un droit d’exploitation du contenu.

Marquage
    Il fut un temps où l’oubli d’inclure une marque de copyright sur une
œuvre de création signifiait que le copyright était déchu. C’était une sanc-
tion dure pour ne pas s’être conformé à un règlement — un peu comme im-
poser la peine de mort pour une contravention dans le monde des droits des
créations. Là encore, il n’y a pas de raison qu’une obligation de marquage
ait besoin d’être appliquée de cette manière. Et de manière plus importante,
il n’y a pas de raison qu’une obligation de marquage doive être appliquée
uniformément à tous les médias.
    Le but du marquage est de signaler au public que cette œuvre est sous
copyright et que l’auteur veut appliquer ses droits. La marque facilite égale-
ment la localisation d’un titulaire de copyright pour assurer la permission
d’utiliser l’œuvre.
    Un des problèmes auquel le système du copyright a été confronté tôt,
était que des œuvres différentes sous copyright devaient être marquées dif-
féremment. Il n’était pas précisé comment et où une statue, un disque, ou un
film devaient être marqués. Une nouvelle obligation de marquage pourrait
résoudre ces problèmes en reconnaissant les spécificités de chaque support,
et en autorisant le système de marquage à évoluer avec les possibilités of-
fertes par les technologies. Le système pourrait rendre possible un signal
spécial venant de l’absence de marquage — pas la perte du copyright, mais la
perte du droit de pénaliser quelqu’un pour ne pas avoir obtenu la permission
au préalable.
    Commençons avec le dernier point. Si un titulaire de copyright permet
que son œuvre soit publiée sans indication de copyright, la conséquence de
cette absence ne doit pas être la perte du copyright. La conséquence serait
plutôt que tout le monde a le droit d’utiliser cette œuvre, jusqu’à ce que
l’ayant droit s’en plaigne, démontre que c’est son œuvre, et qu’il ne donne
pas la permission de l’utiliser213 . La signification d’une œuvre non marquée
serait donc « utilisez-la à moins que quelqu’un ne s’en plaigne ». Si quelqu’un
s’en plaint, alors l’obligation serait de ne plus l’utiliser à partir de ce moment
dans de nouvelles créations, bien qu’aucune pénalité ne soit exigible pour
les utilisations existantes. Cela créerait une forte incitation pour que les ti-
tulaires de copyright marquent leur œuvre.
    Cela soulève en retour la question sur comment l’œuvre devrait être mar-
quée au mieux. Là encore, le système a besoin de s’adapter alors que les tech-
nologies évoluent. La meilleure manière de s’assurer que le système s’adapte
est de limiter le rôle du Copyright Office à celui d’approuver des normes de
marquage de contenu développées ailleurs.
    Par exemple, si une association d’industrie du disque concevait une mé-



                                      231
thode pour marquer les CDs, elle la proposerait au Copyright Office. Le Co-
pyright Office tiendrait une séance, dans laquelle d’autres propositions pour-
raient être faites. Le Copyright Office sélectionnerait ensuite la proposition
qu’elle juge préférable, et elle baserait ce choix uniquement sur sa capacité
à être la mieux intégrée dans le système d’enregistrement et de renouvelle-
ment. Nous ne compterions pas sur le gouvernement pour innover ; mais
nous compterions sur le gouvernement pour garder le produit de l’innova-
tion en accord avec ses autres fonctions importantes.
    Enfin, marquer le contenu clairement simplifierait les exigences d’enre-
gistrement. Si les photographies étaient marquées par auteur et par année,
il y aurait peu de raisons pour ne pas permettre à un photographe d’enre-
gistrer à nouveau, par exemple, toutes les photographies prises durant une
année particulière, rapidement en une fois. Le but de cette formalité n’est
pas de gêner le créateur ; le système lui-même devrait rester le plus simple
possible.
    L’objectif des formalités est de clarifier les choses. Le système existant ne
fait rien pour clarifier les choses. En effet, il semble être conçu pour rendre
les choses confuses.
    Si des formalités telles que l’enregistrement étaient réinstaurées, une des
difficultés majeures quand on compte sur le domaine public serait levée. Il
serait simple d’identifier quel contenu est présumé libre ; il serait simple
d’identifier qui contrôle les droits pour un type particulier de contenu, il
serait simple de déclarer ces droits, et de renouveler cette déclaration au
moment approprié.

                       2. Une durée plus courte
     La durée du copyright est allée de quarante ans à quatre-vingt-quinze
ans pour les auteurs personnes morales, et à la vie de l’auteur plus soixante-
dix ans pour les auteurs personnes physiques.
     Dans L’Avenir des idées, j’ai proposé une durée de soixante-quinze ans, ac-
cordée par périodes de cinq ans avec une obligation de renouvellement tous
les cinq ans. Cela semblait assez radical à l’époque. Mais après que nous
ayons perdu Eldred contre Ashcroft, les propositions sont devenues encore
plus radicales. The Economist a soutenu une proposition pour une durée de
copyright de quarante-cinq ans214 . D’autres ont proposé d’attacher la durée
à la durée des brevets.
     Je suis d’accord avec ceux qui croient que nous avons besoin d’un chan-
gement radical dans la durée du copyright. Mais que ce soit quarante-cinq
ou soixante-quinze ans, il y a quatre principes qu’il est important de garder
à l’esprit concernant la durée du copyright.
  1. Gardez-la courte : la durée devrait être aussi longue que nécessaire pour
     donner l’incitation de créer, mais pas plus longue. Si elle était liée à des
     protections très fortes des auteurs (afin que les auteurs puissent récu-
     pérer des droits des éditeurs), les droits pour la même œuvre (pas les
     œuvres dérivées) pourraient être étendus davantage. La clé est de ne



                                      232
      pas attacher l’œuvre à des réglementations légales quand elle ne béné-
      ficie plus à un auteur.
  2. Gardez-la simple : la ligne entre le domaine public et le contenu pro-
     tégé doit rester claire. Les avocats aiment le flou de l’« usage loyal », et
     la distinction entre « les idées » et « l’expression ». Ce genre de loi leur
     donne beaucoup de travail. Mais nos premiers législateurs avaient une
     idée plus simple en tête : protégé contre non protégé. L’intérêt d’une
     durée courte est qu’il est peu nécessaire d’inclure des cas d’exceptions
     dans le copyright lorsque cette durée reste courte. Une « zone sans avo-
     cat » claire et active rend moins nécessaire de faire appel aux complexi-
     tés de l’« usage loyal » et de l’« idée/expression ».
  3. Gardez-la vivante : le renouvellement de copyright devrait être néces-
     saire. En particulier si la durée maximale est longue, le titulaire du
     copyright devrait être obligé de signaler de manière périodique qu’il
     veut que la protection continue. Cela ne doit pas être une contrainte
     onéreuse, mais il n’y a pas de raison que ce monopole de protection
     soit accordé gratuitement. En moyenne, cela prend quatre-vingt-dix
     minutes pour qu’un vétéran fasse une demande de pension215 . Si nous
     infligeons cette contrainte aux vétérans, je ne vois par pourquoi nous
     n’exigerions pas des auteurs qu’ils passent dix minutes tous les cin-
     quante ans pour remplir un unique formulaire.
  4. Gardez-la prospective : quelle que soit la durée que doit avoir le copy-
     right, la leçon la plus claire que les économistes enseignent est qu’une
     durée une fois accordée ne devrait pas être étendue. C’était peut-être
     une erreur en 1923 de la part de la loi que d’offrir aux auteurs une durée
     de seulement cinquante-six ans. Je ne le pense pas, mais c’est possible.
     Si c’était une erreur, alors la conséquence est qu’il y avait moins d’au-
     teurs qui créaient en 1923 que nous n’aurions eu sinon. Mais nous ne
     pouvons pas corriger cette erreur aujourd’hui en augmentant la durée.
     Peu importe ce que nous faisons aujourd’hui, nous n’augmenterons pas
     le nombre d’auteurs qui ont écrit en 1923. Bien sûr, nous pouvons aug-
     menter la récompense de ceux qui écrivent maintenant (ou alternati-
     vement, augmenter le poids du copyright qui étouffe de nombreuses
     œuvres qui sont aujourd’hui invisibles). Mais augmenter leur récom-
     pense n’augmentera pas leur créativité en 1923. Ce qui n’est pas fait
     n’est pas fait, et il n’y a rien que nous puissions y faire maintenant.
    Ces modifications mises ensembles devraient produire une durée
moyenne de copyright bien plus courte que la durée actuelle. Jusqu’en 1976,
la durée moyenne était juste de 32,2 ans. Nous devrions viser la même chose.
    Il ne fait pas de doute que les extrémistes qualifieront ces idées de « ra-
dicales ». (Après tout, je les appelle « extrémistes ».) Mais là encore, la durée
que j’avais recommandée était plus longue que la durée sous Richard Nixon.
À quel point est-ce « radical » de demander une loi du copyright plus géné-
reuse que ce qu’elle était sous Richard Nixon ?




                                      233
                  3. Usage libre contre usage loyal
    Comme je l’ai observé au début de ce livre, la loi de la propriété accor-
dait à l’origine aux propriétaires le droit de contrôler leur propriété du sol
jusqu’au paradis. L’avion est arrivé. La portée des droits de propriété chan-
gea rapidement. Il n’y a pas eu de scandale, ni de défi constitutionnel. Cela
n’avait plus de sens d’accorder autant de contrôle, étant donné l’émergence
de cette nouvelle technologie.
    Notre Constitution donne au Congrès le pouvoir de donner aux auteurs
un « droit exclusif » à « leurs écrits ». Le Congrès a donné aux auteurs un
droit exclusif à « leurs écrits » ainsi qu’à tout écrit dérivé (fait par d’autres)
suffisamment proche de l’œuvre originale de l’auteur. Ainsi, si j’écris un livre,
et que vous faites un film basé sur ce livre, j’ai le pouvoir de vous refuser le
droit de sortir ce film, même si ce film n’est pas « mon écrit ».
    Le Congrès a accordé les débuts de ce droit en 1870, lorsqu’il a étendu
le droit exclusif du copyright pour y inclure le droit de contrôler les traduc-
tions et la théâtralisation d’une œuvre216 . Les tribunaux l’ont ensuite étendu
lentement par interprétation judiciaire. Cette expansion a été commentée
par un des meilleurs juges, le Juge Benjamin Kaplan.
      Nous nous sommes tellement habitués à l’extension du mono-
      pole à une vaste gamme de soi-disant œuvres dérivées, que nous
      ne sentons plus l’étrangeté d’accepter un tel agrandissement du
      copyright, tout en psalmodiant pourtant l’abracadabra d’une idée
      et expression.217
    Je pense qu’il est temps de reconnaître qu’il y a des avions dans ce champ
et que l’expansion de ces droits d’usage dérivé n’a plus de sens. Plus précisé-
ment, ils n’ont pas de sens sur la période pendant laquelle le copyright s’ap-
plique. Et ils n’ont pas de sens en tant qu’allocation amorphe. Considérez
chacune de ces limitations l’une après l’autre.
    Durée : si le Congrès veut accorder un droit dérivatif, alors ce droit de-
vrait avoir une durée bien plus courte. Cela a un sens de protéger le droit
de John Grisham de vendre les droits du film issu de son dernier roman (ou
du moins je veux bien supposer qu’il y en a) ; mais cela n’a pas de sens qu’il
ait la même durée que le copyright sous-jacent. Le droit dérivatif pourrait
être important pour inciter à la créativité ; il n’est pas important longtemps
après la réalisation de l’œuvre.
    Portée : de la même manière, la portée des droits dérivatifs devrait être
réduite. Une fois de plus, il y a certains cas où les droits dérivatifs sont im-
portants. Ceux-ci devraient être spécifiés. Mais la loi devrait tracer une ligne
claire entre les usages réglementés et non réglementés de contenu sous co-
pyright. Quand toutes les « réutilisations » d’une création étaient sous le
contrôle des entreprises, peut-être que cela avait un sens de faire appel à
des avocats pour négocier les lignes. Cela n’a plus de sens que des avocats
négocient les lignes. Pensez à toutes les possibilités de création offertes par
les technologies numériques ; imaginez maintenant un déversement de mé-
lasse dans les machines. C’est ce que cette exigence générale de permission
fait au processus créatif. Elle l’étouffe.


                                      234
     C’est ce qu’Alben a montré en décrivant l’élaboration du CD Clint East-
wood. Alors qu’il est logique de demander la négociation pour des droits
dérivatifs prévisibles — tirer un film d’un livre, ou une piste musicale d’un
poème — cela n’a pas de sens de demander à négocier pour l’imprévisible.
Ici, un droit statutaire aurait eu beaucoup plus de sens.
     Dans chacun de ces cas, la loi devrait marquer les usages qui sont proté-
gés, et la présomption devrait être que les autres usages ne sont pas proté-
gés. C’est l’inverse de la recommandation de mon collègue Paul Goldstein218 .
Son point de vue est que c’est la loi qui devrait être écrite afin que des pro-
tections étendues suivent des usages étendus.
     Les analyses de Goldstein seraient totalement pertinentes si le coût du
système légal était faible. Mais comme nous le voyons actuellement dans le
contexte d’Internet, l’incertitude sur l’étendue de la protection, et les inci-
tations pour protéger les modèles de revenu existants, combinées avec un
copyright fort, affaiblissent le processus d’innovation.
     La loi pourrait remédier à ce problème soit en enlevant la protection au-
delà de la partie explicitement tracée ou en accordant des droits de réutili-
sation selon certaines conditions statutaires. Dans tous les cas, l’effet serait
de libérer une grande partie de la culture pour que d’autres la cultivent. Et
sous un régime de droits statutaires, cette réutilisation rapporterait plus de
revenus aux artistes.

                  4. Libérer la musique, à nouveau
    La bataille qui provoqua toute cette guerre concerne la musique, donc il
ne serait pas juste de terminer ce livre sans aborder le problème qui est, pour
la plupart des gens, le plus pressant — la musique. Il n’y a pas de problème de
politique qui puisse mieux enseigner les leçons de ce livre que les batailles
autour du partage de musique.
    L’attrait de la musique par partage de fichiers a été la cocaïne de la crois-
sance d’Internet. Elle a stimulé les demandes d’accès à Internet plus forte-
ment que toute autre application. C’était l’application « mortelle » d’Inter-
net — probablement dans les deux sens du terme. C’est sans aucun doute
l’application qui a conduit à l’augmentation de la bande passante. Elle est
peut-être bien l’application qui a conduit aux demandes de réglementations
qui vont finalement tuer l’innovation sur le réseau.
    Le but du copyright, par rapport au contenu en général et à la musique
en particulier, est de créer les incitations pour que la musique soit composée,
jouée et, c’est le plus important, diffusée. La loi le fait en donnant un droit
exclusif à un compositeur pour contrôler les exécutions publiques de son
œuvre, et à un artiste interprète pour contrôler les copies de son interpréta-
tion.
    Les réseaux d’échange de fichiers compliquent ce modèle en rendant pos-
sible la diffusion de contenu pour lequel l’interprète n’a pas été payé. Mais
bien sûr, ce n’est pas tout ce que les réseaux de partage de fichiers permettent.
Comme je l’ai décrit dans le chapitre 5 (p. 63), ils permettent quatre diffé-
rents types de partage :


                                      235
  A. Il y en a certains qui utilisent les réseaux de partage comme substituts
     à l’achat de CDs.
  B. Il y en a aussi certains qui utilisent les réseaux de partage pour écouter
     des extraits, afin d’acheter des CDs.
  C. Il y en a beaucoup qui utilisent les réseaux de partage de fichier pour
     accéder à du contenu qui n’est plus vendu mais qui est encore soumis
     au copyright, ou qu’il serait trop compliqué d’acheter sur Internet.
  D. Il y a beaucoup qui utilisent les réseaux de partage de fichiers pour
     accéder à du contenu qui n’est pas sous copyright ou pour avoir un
     accès que le titulaire du copyright approuve totalement.
    Toute réforme de la loi doit garder en vue ces différents usages. Elle doit
éviter de gêner le type D même si elle vise à éliminer le type A. L’avidité avec
laquelle la loi cherche à éliminer le type A, de plus, doit dépendre de la ma-
gnitude du type B. Tout comme avec les magnétoscopes, si l’effet total du
partage n’est pas très nuisible, le besoin de réglementation devient considé-
rablement plus faible.
    Comme je l’ai dit dans le chapitre 5 (p. 63), la nuisance réelle est sujette
à controverse. Dans l’objectif de ce chapitre, toutefois, je suppose que le mal
est réel. Je suppose, en d’autres termes, que le type A de partage est bien plus
grand que le type B, et est l’utilisation dominante des réseaux de partage.
    Néanmoins, il y a un fait crucial à propos du contexte technologique ac-
tuel que nous devons garder à l’esprit si nous voulons comprendre comment
la loi devrait répondre.
    Aujourd’hui, le partage de fichiers est addictif. Dans dix ans, il ne le sera
plus. Il est addictif aujourd’hui parce que c’est la manière la plus facile d’avoir
accès à une large palette de contenu. Ce ne sera pas le moyen le plus facile
d’avoir un tel accès dans dix ans. Aujourd’hui, l’accès à Internet est fastidieux
et lent — nous, aux États-Unis, sommes chanceux d’avoir du haut débit à 1,5
méga, et nous avons très rarement un service à cette vitesse à la fois en émis-
sion et en réception. Bien que l’accès sans fil augmente, la plupart d’entre
nous utilise une connexion filaire. La plupart d’entre nous ne peut se connec-
ter qu’avec une machine avec un clavier. L’idée d’un Internet toujours allumé,
toujours connecté est principalement juste un fantasme.
    Mais cela va devenir une réalité, et cela signifiera que la manière dont
nous accédons à Internet aujourd’hui est une technologie en transition. Les
faiseurs de politique ne devraient pas faire de politique sur la base d’une tech-
nologie en transition. Ils devraient faire une politique en fonction du devenir
de la technologie. La question ne devrait pas être, comment la loi devrait ré-
glementer le partage dans ce monde ? La question devrait être, qu’attendra-t-
on de la loi quand le réseau deviendra ce qu’il est clairement en train de de-
venir ? Ce réseau dans lequel toute machine électrique est essentiellement
sur le Net ; dans lequel où que vous soyez — excepté peut-être dans le dé-
sert des Rocheuses — vous pouvez être instantanément connecté à Internet.
Imaginez Internet aussi omniprésent que le meilleur service de téléphonie
mobile, où en actionnant un appareil, vous êtes connecté.



                                       236
    Dans ce monde-là, il sera extrêmement facile de se connecter à des ser-
vices qui vous donnent accès à du contenu à la volée — tels que des webra-
dios, le contenu étant diffusé à l’utilisateur sur demande. Ici, donc, c’est le
point critique : quand il devient extrêmement facile de se connecter à des ser-
vices qui donnent accès à du contenu, il deviendra plus facile de se connecter
à ces services que de télécharger et stocker ce contenu sur tous les nombreux
appareils où vous voudrez le jouer. Il sera plus facile, en d’autres termes, de s’ins-
crire que d’être un gestionnaire de base de données, comme le sont finale-
ment tous ceux qui font du téléchargement-partage de type Napster. Les
services de contenu rivaliseront avec le partage de contenu, même si les ser-
vices font payer pour le contenu auquel ils donnent accès. Il y a déjà des ser-
vices pour téléphones portables au Japon qui offrent de la musique (payante)
diffusée sur les téléphones portables (améliorés avec des prises casque). Les
Japonais payent pour ce contenu même si du contenu « gratuit » au format
MP3 est disponible sur le web219 .
    Cette idée sur le futur a pour but de suggérer une perspective sur le pré-
sent : il est catégoriquement temporaire. Le « problème » avec le partage de
fichiers — dans la mesure où il y a un problème réel — est un problème qui
va de plus en plus disparaître alors qu’il deviendra plus facile de se connec-
ter à Internet. Et ainsi c’est une erreur extraordinaire de la part des faiseurs
de politique que de « résoudre » ce problème à la lumière d’une technologie
qui ne sera plus là demain. La question ne devrait pas être comment régle-
menter Internet pour éliminer le partage de fichiers (l’évolution du Net fera
disparaître ce problème). La question devrait plutôt être comment garantir
que les artistes sont payés, pendant cette transition entre les modèles com-
merciaux du vingtième siècle et les technologies du vingt-et-unième siècle.
    La réponse commence en reconnaissant qu’il y a ici différents « pro-
blèmes » à résoudre. Commençons par le contenu de type D — le contenu
sans copyright ou le contenu sous copyright que l’artiste veut voir partagé.
Le « problème » avec ce contenu est de s’assurer que la technologie qui per-
mettra ce genre de partage ne soit pas rendue illégale. Vous pouvez le penser
de cette manière : les cabines téléphoniques sont utilisées pour faire des de-
mandes de rançon, sans doute. Mais beaucoup de ceux qui ont besoin d’utili-
ser les cabines téléphoniques n’ont rien à voir avec des demandes de rançon.
Ce serait une erreur de supprimer les cabines téléphoniques pour ne plus
avoir d’enlèvements.
    Le contenu de type C soulève un « problème » différent. C’est du contenu
qui était, à une époque, publié et qui n’est plus disponible. Il n’est peut-être
plus disponible parce que l’artiste n’a plus assez de valeur pour la maison de
disques avec laquelle il a signé pour porter son œuvre. Ou il n’est peut-être
plus disponible parce que l’œuvre est oubliée. De toutes les façons, le but de
la loi devrait être de faciliter l’accès à ce contenu, idéalement d’une manière
qui rapporte quelque chose à l’artiste.
    Ici encore, le modèle est celui de la librairie. Une fois qu’un livre est
épuisé, il peut être encore disponible dans des librairies et des revendeurs
de livres d’occasion. Mais les librairies et les bouquineries ne payent pas le
titulaire du copyright quand quelqu’un lit ou achète un livre épuisé. Cela a


                                        237
complètement du sens, bien sûr, étant donné que n’importe quel autre sys-
tème serait si pénible qu’il éliminerait la possibilité pour des bouquineries
d’exister. Mais du point de vue de l’auteur, ce « partage » de son contenu
sans compensation est moins qu’idéal.
    Le modèle des livres d’occasion suggère que la loi pourrait simplement
considérer la musique épuisée de la même façon. Si l’éditeur ne rend pas dis-
ponible à la vente des copies de la musique, alors les distributeurs commer-
ciaux et non commerciaux seraient libres, sous cette règle, de « partager »
ce contenu, même si le partage implique de faire une copie. La copie ici se-
rait sans importance pour la transaction ; dans un contexte où la publication
commerciale est terminée, vendre de la musique devrait être aussi libre que
de vendre des livres.
    Ou bien, la loi pourrait créer une licence statutaire qui assurerait que
les artistes obtiendraient quelque chose pour la vente de leur travail. Par
exemple, si la loi fixait un taux statutaire bas pour le partage commercial
de contenu qui n’est plus en vente par un éditeur commercial, et si ce taux
était automatiquement transféré à une administration au bénéfice de l’ar-
tiste, alors des affaires pourraient se développer autour de l’idée du partage
de ce contenu, et les artistes pourraient bénéficier de ce commerce.
    Ce système créerait également une incitation pour que les éditeurs conti-
nuent à commercialiser les œuvres. Les œuvres disponibles à la vente ne se-
raient pas soumises à cette licence. Ainsi, les éditeurs pourraient protéger le
droit de faire payer ce qu’ils veulent pour une œuvre qui reste commerciali-
sée. Mais si l’œuvre n’est plus commercialisée, et si au lieu de cela, les disques
durs des ordinateurs de fans du monde entier la gardent vivante, alors tout
droit d’auteur dû pour une telle copie devrait être moins élevé que le mon-
tant dû à un éditeur commercial.
    Le cas difficile est celui du contenu de type A et B, et là encore, ce cas
est difficile seulement parce que la portée du problème va changer au fur
et à mesure des changements de technologie pour accéder au contenu. La
solution de la loi devrait être aussi flexible que le problème, en comprenant
que nous sommes au cœur d’une transformation radicale dans la technologie
de distribution et d’accès au contenu.
    Voici donc une solution qui semblera à première vue très étrange aux
deux camps de ce conflit, mais qui à la réflexion, je le souhaite, devrait avoir
quelque sens.
    Une fois expurgée toute la rhétorique sur la sainteté de la propriété, la re-
vendication basique de l’industrie du contenu est la suivante : une nouvelle
technologie (Internet) a fait du tort à un ensemble de droits qui sécurisent
le copyright. Si ces droits doivent être protégés, alors l’industrie du contenu
devrait obtenir une compensation pour ce préjudice. Tout comme l’indus-
trie du tabac a nui à la santé de millions d’américains, ou que l’utilisation de
l’amiante a provoqué de graves maladies pour des milliers de mineurs, alors,
également, la technologie des réseaux numériques a fait du tort aux intérêts
de l’industrie du contenu.
    J’aime Internet, et donc je n’aime pas l’assimiler au tabac ou à l’amiante.
Mais l’analogie est juste du point de vue de la loi. Et elle suggère une ré-


                                      238
ponse juste : plutôt que de chercher à détruire Internet, ou les technologies
p2p qui portent actuellement préjudice aux fournisseurs de contenu sur In-
ternet, nous devrions trouver une manière relativement simple de donner
une compensation à ceux qui en sont victimes.
    L’idée serait de repartir d’une proposition qui a été lancée par William
Fisher, professeur de droit à Harvard220 . Fisher propose un moyen très in-
génieux pour sortir de l’impasse actuelle d’Internet. Selon son plan, tout
contenu pouvant être transmis numériquement serait (1) marqué avec un
filigrane numérique (ne vous faites pas de souci sur la facilité avec laquelle
on peut leur échapper ; comme vous allez le voir, il n’y a pas d’intérêt à
leur échapper). Une fois que le contenu est marqué, alors des entrepreneurs
développeraient (2) des systèmes pour surveiller combien d’exemplaires de
chaque contenu seraient distribués. Sur la base de ces nombres, alors (3) les
artistes recevraient une compensation. La compensation serait payée par (4)
une taxe appropriée.
    La proposition de Fisher est prudente et complète. Elle soulève un mil-
lion de questions, auxquelles pour la plupart il répond dans son prochain
livre Promises to Keep. La modification que j’apporterais est relativement
simple : Fisher imagine que sa proposition remplacerait le système de copy-
right existant. J’imagine qu’elle complémenterait le système existant. Le but
de la proposition serait de faciliter la compensation dans la mesure où le pré-
judice causé pourrait être démontré. Cette compensation serait temporaire,
visant à faciliter une transition entre les régimes. Et il faudrait la renouveler
après quelques années. À ce moment-là, si elle reste pertinente pour faciliter
les échanges libres de contenu, soutenus par un système de taxation, alors
elle pourrait être prolongée. Si cette forme de protection n’est plus néces-
saire, alors le système serait abandonné avec l’ancien système de contrôle
d’accès.
    Fisher rechignerait à l’idée de permettre l’abandon du système. Son but
n’est pas juste d’assurer que les artistes soient payés, mais également d’assu-
rer que le système couvre le domaine de la « démocratie sémiotique » le plus
largement possible. Mais les objectifs de la démocratie sémiotique seraient
satisfaits si d’autres changements que j’ai décrits étaient appliqués — en par-
ticulier, la limitation des usages dérivés. Un système qui ferait simplement
payer l’accès ne gênerait pas considérablement la démocratie sémiotique, s’il
y avait ensuite peu de limitations sur les droits d’utilisation du contenu lui-
même.
    C’est évident qu’il serait difficile de calculer le montant véritable du « pré-
judice » causé à une industrie. Mais la difficulté de faire ce calcul serait
largement compensée par le bénéfice de faciliter l’innovation. Ce système
de compensation n’aurait pas non plus besoin d’interférer avec des offres
innovantes telles que le MusicStore d’Apple. Comme le prédisaient les ex-
perts quand Apple a lancé le MusicStore, il pourrait battre le « gratuit » car
plus facile d’utilisation. Cela s’est avéré juste : Apple a vendu des millions de
chansons même au prix très élevé de 99 cents par chanson. (À 99 cents, le
coût est équivalent au prix d’un CD par chanson, alors que les maisons de
disques n’ont pas de frais de production d’un CD). Real Networks fit une


                                       239
offre concurrente d’Apple, avec un prix de 79 centimes par chanson. Et il ne
fait aucun doute qu’il y aura une compétition acharnée pour offrir et vendre
de la musique en ligne.
    Cette concurrence à l’encontre de la musique « gratuite » des systèmes
p2p a déjà fait son apparition. Comme le savent les vendeurs de télévision
par câble depuis trente ans, et les vendeurs d’eau en bouteille depuis plus
longtemps que cela, il n’est pas du tout impossible d’« être en concurrence
avec le gratuit ». En effet, la compétition incite plutôt les concurrents à of-
frir des produits nouveaux et meilleurs. C’est précisément le but du marché
concurrentiel. Ainsi à Singapour, malgré un piratage répandu, les salles de
cinéma sont souvent luxueuses — avec des sièges « première classe », et des
repas servis pendant que vous regardez un film — car elles luttent et réus-
sissent à trouver des moyens pour concurrencer le « gratuit ».
    Ce régime concurrentiel, avec un talon pour garantir que les artistes ne
sont pas lésés, favoriserait de nombreuses innovations dans la distribution
de contenu. Cette concurrence réduirait toujours plus le partage de type A.
Elle inspirerait un éventail extraordinaire de nouveaux innovateurs — ceux
qui auraient un droit sur le contenu, et qui ne craindraient plus les sanctions
de la loi, incertaines et d’une sévérité barbare.
    En somme, donc, ma proposition est la suivante :
    Internet est en transition. Nous ne devrions pas réglementer une tech-
nologie en transition. Nous devrions plutôt réglementer pour minimiser les
préjudices causés par ce changement technologique, tout en permettant, et
en encourageant, les technologies les plus efficaces que nous puissions créer.
    Nous pouvons minimiser ce préjudice tout en maximisant le bénéfice de
l’innovation en :
  1. garantissant le droit de s’engager dans le type D de partage ;
  2. permettant le partage non commercial de type C sans contrainte, et le
     partage commercial de type C à un taux bas et fixé par décret ;
  3. pendant cette transition, taxant et compensant pour le partage de type
     A, dans la mesure où le véritable préjudice est démontré.
    Mais si le « piratage » ne disparaissait pas ? Et s’il y avait un marché
concurrentiel avec des offres de contenu à un coût bas, mais qu’un nombre
important de consommateurs continuent à « prendre » ce contenu pour
rien ? La loi devrait-elle alors faire quelque chose ?
    Oui, elle devrait. Mais, encore, ce qu’elle devrait faire dépend de com-
ment la situation se développe. Ces changements peuvent ne pas éliminer le
partage de type A. Mais le vrai problème n’est pas si cela élimine le partage en
théorie. Le vrai problème est son effet sur le marché. Est-ce mieux (a) d’avoir
une technologie qui est sécurisée à 95 pour cent et qui produit un marché de
taille x, ou (b) d’avoir une technologie qui est sécurisée à 50 pour cent mais
qui produit un marché de cinq fois x ? Le moins sécurisé pourrait produire
plus de partage non autorisé, mais il est susceptible de produire également
un marché bien plus gros dans le partage autorisé. La chose la plus impor-
tante est d’assurer la compensation des artistes sans casser Internet. Une fois



                                     240
ceci assuré, alors il serait bien approprié de trouver des manières de traquer
les petits pirates.
    Mais la route est longue avant de réduire le problème à ce sous-ensemble
de partageurs de type A. Et jusqu’à ce que nous y arrivions on ne devrait pas
se focaliser sur la recherche de moyens pour casser Internet. D’ici là on de-
vrait se concentrer sur comment garantir la rémunération des artistes, tout
en protégeant l’espace pour l’innovation et la créativité qu’est Internet.

                     5. Virer beaucoup d’avocats
    Je suis un avocat. Je gagne ma vie en formant des avocats. Je crois en la
loi. Je crois en la loi du copyright. En effet, j’ai consacré ma vie à travailler
dans le droit, pas parce c’est qu’il y a beaucoup d’argent à se faire mais parce
qu’il y a certains idéaux qu’à la fin j’aimerais vivre.
    Et pourtant une grande partie de ce livre a été une critique des avocats,
ou du rôle qu’ont joué les avocats dans ce débat. La loi parle aux idéaux, mais
de mon point de vue, notre profession est devenue trop à l’écoute du client.
Et dans un monde où les clients riches ont un point de vue tranché, le refus
de la profession de remettre en question ou de contrer ce point de vue fort
met la loi dans une position difficile.
    La preuve de cette inclinaison est flagrante. Je suis attaqué en tant que
« radical » par de nombreux représentants de la profession, et pourtant les
positions pour lesquelles je me bats sont précisément les positions de cer-
taines des figures les plus modérées et importantes dans l’histoire de cette
branche de la loi. Nombreux, par exemple, sont ceux qui ont trouvé insensé
le défi que nous avions mené face au Copyright Term Extension Act. Et pour-
tant il y a juste trente ans, l’universitaire et juriste dominant dans le champ
du copyright, Melville Nimmer, trouvait cela évident221 .
    Toutefois, ma critique du rôle que les avocats ont joué dans ce débat n’est
pas juste à propos d’un biais professionnel. Elle est de manière plus impor-
tante à propos de notre échec à véritablement calculer les coûts de la loi.
    Les économistes sont supposés être bons pour calculer les coûts et les bé-
néfices. Mais le plus souvent, les économistes, sans aucune idée claire sur la
façon dont le système légal fonctionne, supposent simplement que les coûts
de transaction du système légal sont faibles222 . Ils voient un système qui
existe depuis des siècles, et ils supposent qu’il fonctionne de la manière que
leurs cours d’éducation civique de l’école élémentaire leur ont appris.
    Mais le système légal ne fonctionne pas. Ou plus précisément, il ne fonc-
tionne pour personne excepté pour ceux qui ont le plus de ressources. Non
pas parce que le système est corrompu. Je ne pense pas du tout que notre
système légal (au niveau fédéral, tout du moins) soit corrompu. Je veux sim-
plement dire que les coûts de notre système légal sont si étonnamment élevés
que la justice ne peut en pratique jamais être faite.
    Ces coûts distordent la culture libre de nombreuses façons. Le temps
d’un avocat est facturé dans les plus grandes firmes à plus de 400 dollars
de l’heure. Combien de temps un vrai avocat devrait-il passer à lire atten-
tivement les dossiers, ou à rechercher des détails obscurs ? La réponse est,


                                      241
de plus en plus, une triste réalité : très peu. La loi dépendait de l’articulation
attentive et du développement de la doctrine, mais l’articulation attentive
et le développement d’une doctrine légale dépendent d’un travail attentif. Et
pourtant ce travail attentif coûte trop cher, excepté pour les dossiers les plus
notoires et donc les plus coûteux.
    Le coût, la maladresse et le caractère aléatoire de ce système se moquent
de notre tradition. Et les avocats, tout comme les universitaires, devraient
considérer que c’est leur devoir de changer la manière dont fonctionne la
justice — ou mieux, de changer la loi afin qu’elle fonctionne. C’est une mau-
vaise chose que le système fonctionne bien uniquement pour les un pour
cent des clients les plus riches. Il pourrait être radicalement plus efficace, et
économique, et ainsi radicalement plus juste.
    Mais jusqu’à ce que cette réforme soit complète, nous, en tant que société,
devrions tenir éloignée la loi des zones où nous savons qu’elle n’y fera que
des dégâts. Et c’est précisément ce que la loi fera trop souvent si une trop
grande part de notre culture est laissée à son examen.
    Pensez aux choses étonnantes que votre enfant pourrait faire avec les
technologies numériques — le film, la musique, la page web, le blog. Ou pen-
sez aux choses étonnantes que votre communauté pourrait faire plus faci-
lement avec la technologie numérique — un wiki, une levée de fonds, l’ac-
tivisme pour changer quelque chose. Pensez à toutes ces choses créatives,
et ensuite imaginez de la mélasse froide versée dans les machines. C’est ce
que tout régime qui requiert la permission produit. Encore une fois, c’est la
réalité de la Russie de Brejnev.
    La loi devrait réglementer certaines zones de la culture — mais elle de-
vrait réglementer la culture seulement là où la réglementation fait du bien. Et
pourtant les avocats remettent rarement en question leur pouvoir, ou le pou-
voir qu’ils promeuvent, en répondant à une simple question pragmatique :
« Causera-t-il du bien ? » Quand ils sont questionnés à propos de l’étendue
croissante de la loi, les avocats répondent « Pourquoi pas ? »
    Nous devrions demander « Pourquoi ? » Montrez-moi pourquoi votre
réglementation de la culture est nécessaire. Montrez-moi en quoi elle est
bonne. Et tant que vous ne pouvez pas me montrer les deux, tenez vos avo-
cats éloignés.




                                      242
                                              Notes


    Tout au long de ce texte, il y a des références à des liens sur le Web.
Comme toute personne ayant essayé d’utiliser le Web le sait, ces liens
peuvent être hautement instables. J’ai essayé de remédier à cette instabilité
en redirigeant les lecteurs à la source originelle via le site Web associé à
ce livre. Pour chaque lien, vous pouvez aller sur http://free-culture.cc/
notes et localiser la source en cliquant sur le nombre après le signe #. Si le
lien originel est resté vivant, vous y serez redirigé. Si le lien originel a dis-
paru, vous serez redirigé vers une référence appropriée pour le contenu.


Préface
 1. David P         , « Don’t Just Chat, Do Something », The New York Times, 30 janvier 2000.
 2. Richard M. S            , Free Software, Free Society: Selected Essays, Joshua Gay dir., GNU Press,
    2002, p. 57.
 3. William S        , « The Great Media Gulp », The New York Times, 22 mai 2003.

Introduction
 4. St. George T         , Blackstone’s Commentaries, vol. 3, Rothman Reprints, 1969, p. 18.
 5. United States v. Causby, U.S. 328 (1946). Le tribunal estima qu’il pouvait s’agir d’une « sai-
    sie » si l’utilisation par le gouvernement du terrain des Causby en détruisait effectivement
    la valeur. Cet exemple m’a été suggéré par le merveilleux travail de Keith A        , « (Intel-
    lectual) Property and Sovereignty: Notes Toward a Cultural Geography of Authorship »,
    Stanford Law Review, vol. 48, nº 5, 1996, p. 1293 et 1333. Voir également Paul G              ,
    Real Property, The Foundation Press, 1984, p. 1112-1113.
 6. Lawrence L          , Man of High Fidelity: Edwin Howard Armstrong, J.B. Lippincott Company,
    1956, p. 209.
 7. Voir « Saints: The Heroes and Geniuses of the Electronic Era », première Église électro-
    nique d’Amérique, sur www.webstationone.com/fecha, disponible au lien nº 1.
 8. Lawrence L          , op. cit., p. 226.
 9. Idem, p. 256.
10. Amanda L           et al., « The Ever-Shifting Internet Population: A New Look at Internet
    Access and the Digital Divide », Pew Internet and American Life Project, 15 avril 2003, 6, dis-
    ponible au lien nº 2.
11. Ce n’est pas le seul but du copyright, bien que ce soit massivement son but dans la Consti-
    tution fédérale. Historiquement, la loi d’État sur le copyright protégeait non seulement les
    intérêts commerciaux de l’édition, mais aussi la vie privée. En accordant aux auteurs le
    droit exclusif de la première publication, la loi donnait aux auteurs le pouvoir de contrô-
    ler la diffusion des informations sur les faits les concernant. Voir Samuel D. W          et



                                                243
    Louis D. B           , « The Right to Privacy », Harvard Law Review, vol. 4, nº 5, 1890, p. 193
    et 198-200.
12. Voir Jessica L        , Digital Copyright, Prometheus Books, 2001, ch. 13.
13. Amy H         , « Black Hawk Download: Moving Beyond Music, Pirates Use New Tools to
    Turn the Net into an Illicit Video Club », The New York Times, 17 janvier 2002.
14. Neil W. N          , « Copyright and a Democratic Civil Society », Yale Law Journal, vol. 106,
    1996, p. 283.

« Piratage »
15. Bach v. Longman, English Reports, 98, 1274 (1777, Mansfield).
16. Voir Rochelle D        , « Expressive Genericity: Trademarks as Language in the Pepsi
    Generation », Notre Dame Law Review, vol. 65, 1990, p. 397.
17. Lisa B        , « The Birds May Sing, but Campers Can’t Unless They Pay Up », Wall Street
    Journal, 21 août 1996, disponible au lien nº 3. Jonathan Z          , « Calling Off the Copy-
    right War: In Battle of Property vs. Free Speech, No One Wins », The Boston Globe, 24 no-
    vembre 2002.
18. Dans The Rise of the Creative Class, Basic Books, 2002, Richard F          documente un glis-
    sement vers des activités créatives dans la nature du travail. Cependant, son étude n’aborde
    pas les conditions légales qui permettent ou étouffent cette créativité. Je suis tout à fait d’ac-
    cord avec lui sur l’importance et la signification de cette évolution, mais je crois aussi que
    les conditions dans lesquelles elle s’établit sont beaucoup plus fragiles.

Créateurs
19. Leonard M        , Of Mice and Magic: A History of American Animated Cartoons, Penguin
    Books, 1987, p. 34-35.
20. Je suis reconnaissant envers David G          et son travail historique minutieux (lien nº 4).
    D’après Dave Smith des Disney Archives, Disney payait des royalties pour utiliser la mu-
    sique de cinq chansons dans Steamboat Willie : « Steamboat Bill », « The Simpleton » (De-
    lille), « Mischief Makers » (Carbonara), « Joyful Hurry No. 1 » (Baron) et « Gawky Rube »
    (Lakay). Une sixième chanson, « The Turkey in the Straw », était déjà dans le domaine pu-
    blic. Lettre de David Smith à Harry Surden, 10 juillet 2003.
21. C’était également un fan du domaine public. Voir Chris S               , « The Mouse that Ate
    the Public Domain », Findlaw, 5 mars 2002, au lien nº 5.
22. Jusqu’en 1976, la loi sur le copyright accordait à un auteur la possibilité de deux durées :
    une durée initiale et une durée de renouvellement. J’ai calculé la durée « moyenne » en dé-
    terminant la moyenne pondérée du total des enregistrements pour chaque année et la pro-
    portion de renouvellement. Ainsi, si cent copyrights sont enregistrés au cours d’une année,
    que seuls quinze copyrights sont renouvelés et que la durée du renouvellement est de 28
    ans, la durée moyenne des copyrights est de 32,2 ans. Pour les données de renouvellement
    et d’autres données pertinentes, voir le site web associé à ce livre, disponible au lien nº 6.
23. Pour une histoire excellente, voir Scott M C           , Reinventing Comics, Perennial, 2000.
24. Voir Salil K. M       , « Copyright and Comics in Japan: Does Law Explain Why All the Co-
    mics My Kid Watches Are Japanese Imports? », Rutgers Law Review vol. 55, 2002, p. 155 et
    182. « Il pourrait y avoir une rationalité économique collective qui ferait que les principaux
    artistes de manga et de dessins animés renoncent à des actions légales pour violation. Une
    hypothèse est que tous les artistes de manga sont peut-être en meilleure posture collecti-
    vement s’ils mettent de côté leur intérêt personnel et décident de ne pas faire valoir leurs
    droits légaux. C’est essentiellement un “dilemme du prisonnier” résolu. »
25. Le terme de « propriété intellectuelle » est relativement récent. Voir Siva V                  , Co-
    pyrights and Copywrongs: The Rise of Intellectual Property and How it Threatens Creativity, New
    York University Press, 2001. Voir aussi Lawrence L            , The Future of Ideas: the fate of the
    commons in a connected world, Random House, 2001, p. 293, n. 26. Le terme décrit précisé-
    ment un ensemble de droits de « propriété » — copyrights, brevets, marques déposées et



                                                 244
    secrets de fabrication —, mais la nature de ces droits est très différente.

« Simples copistes »
26. Reese V. J       , Images and Enterprise: Technology and the American Photographic Industry,
    1839-1925, Johns Hopkins University Press, 1975, p. 112.
27. Brian C      , The Birth of Photography, Taplinger Publishing Co, 1977, p. 53.
28. Reese V. J           , op. cit., p. 177.
29. Basé sur un graphique de Reese V. J              , op. cit., p. 178.
30. Brian C      , op. cit., p. 58.
31. Pour des affaires illustrant ce propos, voir par exemple Pavesich v. N.E. Life Ins. Co., 50 S.E.
    68 (Ga. 1905), Foster-Milburn Co. v. Chinn, 123090 S.W. 364, 366 (Ky. 1909), Corliss v. Walker,
    64 F. 280 (Mass. Dist. Ct. 1894).
32. Samuel D. W          et Louis D. B         , « The Right to Privacy », p. 193.
33. Voir Melville B. N          , « The Right of Publicity », Law and Contemporary Problems, vol. 19,
    nº 2, 1954, p. 203 ; William L. P            , « Privacy », California Law Review, vol. 48, nº 3,
    1960, p. 398-407 et White v. Samsung Electronics America, Inc., 971 F. 2d 1395 (9th Cir. 1992),
    cert. denied, 508 U.S. 951 (1993).
34. H. Edward G              , « Essential Presentation Tools: Hardware and Software You Need
    to Create Digital Multimedia Presentations », Cadalyst, 1er février 2002, disponible au lien
    nº 7.
35. Judith V E       , Television and Child Development, (Lea’s Communication), Lawrence Erlbaum
    Associates, 1990. « Findings on Family and TV Study », Denver Post, 25 mai 1997.
36. Entretien avec Elizabeth Daley et Stephanie Barish, 13 décembre 2002.
37. Voir Scott S           , « Crichton Gets Medieval on PCs », E!online, 4 novembre 2000, dis-
    ponible au lien nº 8 et « Timeline », IGN, 22 novembre 2000, disponible au lien nº 9.
38. Entretien avec Elizabeth Daley et Stephanie Barish.
39. Idem.
40. Voir, par exemple, Alexis de T                  , De la démocratie en Amérique, t. I, ch. 16, Bantam
    Books, 2000, Henry Reeve trad.
41. Bruce A              et James F            , « Deliberation Day », Journal of Political Philosophy,
    vol. 10, nº 2, 2002, p. 129.
42. Cass S         , Republic.com, Princeton University Press, 2001, p. 65-80, 175, 182, 183
    et 192.
43. Noah S            , « With Incessant Postings, a Pundit Stirs the Pot », The New York Times,
    16 janvier 2003.
44. Entretien par téléphone avec David Winer, 16 avril 2003.
45. John S         , « Loss of the Shuttle: The Internet; A Wealth of Information Online », The
    New York Times, 2 février 2003 ; Staci D. K        , « Shuttle Disaster Coverage Mixed, but
    Strong Overall », Online Journalism Review, 2 février 2003, disponible au lien nº 10.
46. Voir Michael F            , « Does an Editor’s Pencil Ruin a Web Log? », The New York Times,
   29 septembre 2003 : « Toutes les organisations d’information n’ont pas été aussi tolérantes
   envers les employés qui bloguent. Kevin Sites, un correspondant de CNN en Irak qui, le
   9 mars, avait commencé un blog sur son reportage sur la guerre, arrêta de poster 12 jours
   plus tard à la demande de son chef. L’an dernier Steve Olafson, un reporter de Houston
   Chronicle, a été renvoyé pour avoir tenu un blog personnel publié sous pseudonyme, qui
   traitait de sujets et de personnes qu’il couvrait. »
47. Voir, par exemple, Edward F          et Andrew A  , « Technological Access Control In-
    terferes with Noninfringing Scholarship », Communications of the Association for Computer
    Machinery, vol. 43, nº 9, septembre 2000.




                                                   245
Catalogues
48. Tim G        , « Recording Industry Goes After Campus P-2-P Networks: Suit Alleges $97.8
    Billion in Damages », University Business Magazine, vol. 6, nº 5, mai 2003, disponible au 2003
    WL 55179443.
49. U S D                   L     S          , Occupational Employment and Wages, « 27-2042 Mu-
    sicians and Singers », 2001. Voir aussi Neil A       et Gregory H. W           , More Than One
    in a Blue Moon, National Endowment for the Arts, 2000.
50. Douglas L             argumente de manière semblable dans « KaZaA and Punishment », The
    Wall Street Journal, 10 septembre 2003.

« Pirates »
51. Je remercie Peter DiMauro de m’avoir indiqué cette histoire extraordinaire. Voir également
    Siva V                 , op. cit., p. 87-93, qui détaille les « aventures » d’Edison avec les copy-
    rights et les brevets.
52. J. A. A          , Hollywood Renegades: The Society of Independent Motion Picture Producers, Cob-
    blestone Entertainment, 2000, textes complémentaires disponibles à « The Edison Movie
    Monopoly: The Motion Picture Patents Company vs. the Independent Outlaws », dispo-
    nibles au lien nº 11. Pour une discussion sur la motivation économique derrière ces limites
    et sur les limites imposées par Victor sur les phonographes, voir Randal C. P           , « From
    Edison to the Broadcast Flag: Mechanisms of Consent and Refusal and the Propertization
    of Copyright », University of Chicago Law Review, nº 281, 2003.
53. Marc W              , « The First Studios », The Silents Majority, archivé au lien nº 12.
54. « Pour amender et consolider les lois concernant le copyright », auditions sur les amen-
    dements et projets de loi S. 6330 et H.R. 19853 devant la commission commune sur les
    brevets du 59e Congrès, 1re session, 1906, déclaration du sénateur Alfred B. Kittredge, du
    Dakota-du-Sud, président. Repris dans Legislative History of the 1909 Copyright Act, E. Fulton
    Brylawski et Abe Goldman éd., Fred. B. Rothman and Co, 1976.
55. Idem, 223, déclaration de Nathan Burkan, avocat pour la Music Publishers Association.
56. Idem, 226, déclaration de Nathan Burkan, avocat pour la Music Publishers Association.
57. Idem, 23, déclaration de John Philip Sousa, compositeur.
58. Idem, 283-284, déclaration d’Albert Walker, représentant pour the Auto-Music Perforating
    Company of New York.
59. Idem, 376, mémorandum préparé par Philip Mauro, conseiller général pour les brevets au-
    près de la Graphophone Company Association.
60. « Modification de la loi sur le copyright », auditions sur les amendements et projets de loi
    S. 2499, S. 2900, H.R. 243, et H.R. 11794 devant la commission commune sur les brevets du
    60e Congrès, 1re session, 1908, 217, déclaration du sénateur Reed Smoot, président. Repris
    dans Legislative History of the 1909 Copyright Act, op. cit.
61. « Modification de la loi sur le copyright », rapport pour accompagner le projet de loi
    H.R. 2512, commission des lois de la Chambre des représentants, 90e Congrès, 1re session,
    House Document nº 83, 8 mars 1967, 66. Je remercie Glenn Brown d’avoir attiré mon atten-
    tion sur ce rapport.
62. Voir le titre 17 du United States Code, sections 106 et 110. Au début, les entreprises du disque
    imprimaient : « Pas de licence pour la diffusion radiophonique » et autres messages visant à
    restreindre la possibilité de jouer un disque sur une station de radio. Le juge Learned Hand
    rejeta l’argument selon lequel un avertissement mis sur un disque pourrait restreindre les
    droits des stations de radio. Voir RCA Manufacturing Co. v. Whiteman, 114 F. 2d 86 (2nd Cir.
    1940). Voir aussi Randal C. P         , op. cit.
63. « Modification de la loi sur le copyright (télévision et réseaux câblés) », auditions sur
    l’amendement S. 1006 devant la sous-commission des brevets, marques, et copyrights de
    la commission des lois du Sénat, 89e Congrès, 1re session, 1966, 78, déclaration de Rosel H.
    Hyde, président de la commission fédérale des communications.



                                                246
64. Idem, 116, déclaration de Douglas A. Anello, conseiller général du National Association of
    Broadcasters.
65. Idem, 126, déclaration d’Ernest W. Jennes, conseiller général de Maximum Service Telecas-
    ters.
66. Idem, 169, déclaration commune d’Arthur B. Krim, président de United Artists Corp. et de
    John Sinn, président de United Artists Television.
67. Idem, 209, déclaration de Charlton Heston, président de la Screen Actors Guild.
68. Idem, 216, déclaration de Edwin M. Zimmerman, agissant au titre d’attorney général ad-
    joint.
69. Voir par exemple N           M      P            A             , The Engine of Free Expression:
    Copyright on the Internet—The Myth of Free Information, disponible au lien nº 13 : « La me-
    nace du piratage — l’utilisation du travail créatif de quelqu’un d’autre sans permission ni
    compensation — a augmenté avec Internet. »

« Piratage »
70. Voir I                F                      P               I           (IFPI), The Recording
    Industry Commercial Piracy Report 2003, juillet 2003, disponible au lien nº 14. Voir aussi Ben
    H     , « Companies Warned on Music Piracy Risk », Financial Times, 14 février 2003.
71. Voir Peter D         et John B              , Information Feudalism: Who Owns the Knowledge
    Economy?, The New Press, 2003, p. 10-13 et 209. Le TRIPS, accord sur les aspects des
    droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (NdT : TRIPS est l’acronyme de
    Agreement on Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights ; en anglais, ce mot signifie
    « voyages »), oblige les nations membres à créer des mécanismes administratifs et opéra-
    tionnels pour les droits de propriété intellectuelle, ce qui est une réglementation coûteuse
    pour les pays en voie de développement. De plus, les droits exclusifs d’exploitation peuvent
    conduire à des prix plus élevés pour les industries du secteur primaire comme l’agriculture.
    Les critiques du TRIPS portent sur la disparité entre les charges imposées aux pays en voie
    de développement et les avantages conférés aux pays industrialisés. Le TRIPS permet aux
    gouvernements d’utiliser des brevets pour des applications publiques et sans but lucratif,
    sans devoir obtenir au préalable la permission du détenteur du brevet. Les pays en voie de
    développement peuvent profiter de cette disposition pour exploiter des brevets étrangers
    à moindre coût. C’est une stratégie prometteuse pour des pays en voie de développement
    membres du TRIPS.
72. Pour une analyse de l’impact économique des technologies de copie, voir Stan J. L               ,
    Re-thinking the Network Economy: The True. Forces Driving the Digital Marketplace, Amacom,
    2002, p. 144-190. « Dans quelques cas […] l’impact du piratage sur la capacité du déten-
    teur du copyright lors d’une appropriation de la valeur du travail sera négligeable. Un cas
    évident est celui où l’individu s’engageant dans le piratage n’aurait pas acheté d’original,
    même si le piratage n’était pas une option. » (Idem, p. 149.)
73. Bach v. Longman, op. cit.
74. Voir Clayton M. C                 , The Innovator’s Dilemma: The Revolutionary National Bestsel-
    ler That Changed the Way We Do Business, HarperBusiness, 2000. Le professeur Christensen
    examine pourquoi les entreprises qui développent et dominent un secteur sont souvent in-
    capables d’inventer les utilisations les plus créatives et de changer de paradigme dans l’uti-
    lisation de leurs propres produits. Cette tâche incombe plus généralement aux innovateurs
    extérieurs, qui réutilisent la technologie existante de façon inventive. Pour une discussion
    des idées de Clayton M. Christensen, voir Lawrence L             , The Future of Ideas, p. 89-92
    et 139.
75. Voir Carolyn L             , « Silicon Valley Dream, Hollywood Nightmare », San Francisco
    Chronicle, 24 septembre 2002 et « Rock ‘n’ Roll Suicide », New Scientist, 6 juillet 2002,
     Benny E              , « Napster Names CEO, Secures New Financing », San Francisco Chro-
    nicle, 23 mai 2003 et « Napster’s Wake-Up Call », The Economist, 24 juin 2000, John N           -
         , « Hollywood at War with the Internet » The Times, 26 juillet 2002.
76. Voir I    -I       , TEMPO: Keeping Pace with Online Music Distribution, septembre 2002
    qui rapporte que 28 % des américains âgés de 12 ans et plus ont téléchargé de la musique



                                               247
    depuis Internet et 30 % ont écouté des fichiers numériques stockés sur leurs ordinateurs.
77. Amy H            , « Industry Offers a Carrot in Online Music Fight », The New York Times,
    6 juin 2003.
78. Voir Stan J. L          , op. cit., p. 148-149.
79. Voir C G            E       Y       , Technology Evolution and the Music Industry’s Business
    Model Crisis, 2003. Ce rapport décrit les efforts de l’industrie musicale pour stigmatiser la
    pratique, émergente dans les années 1970, de l’enregistrement sur cassette, y compris par
    une campagne publicitaire représentant un crâne en forme de cassette avec comme titre
   « L’enregistrement personnel sur cassette tue la musique ». Lorsque l’enregistrement nu-
    mérique est devenu une menace, un organisme dépendant du Congrès américain, l’Office
    of Technical Assessment (OTA), a fait un sondage sur le comportement du grand public. En
    1988, 40 % des consommateurs âgés de plus de dix ans avaient enregistré de la musique sur
    une cassette : U S C           O            T              A           , Copyright and Home
    Copying: Technology Challenges the Law, OTA-CIT-422, U.S. Government Printing Office,
    octobre 1989, p. 145-156.
80. O           T              A             , op. cit., p. 4.
81. Voir R            I          A                A         , 2002 Yearend Statistics, disponible au
    lien nº 15. Un rapport ultérieur indique des pertes encore plus grandes, voir R
    I          A                A        , Some Facts About Music Piracy, 25 juin 2003, disponible
    au lien nº 16 : « Dans les quatre dernières années, le volume exporté de musique enregis-
    trée a chuté de 26 %, passant de 1,16 milliard d’unités en 1999 à 860 millions d’unités en
    2002 aux États-Unis (basé sur des unités expédiées). En termes de ventes, les revenus sont
    en baisse de 14 %, passant de 14,6 milliards de dollars en 1999 à 12,6 milliards de dollars
    l’année dernière (basé sur la valeur du dollar américain à l’exportation). L’industrie mon-
    diale de la musique est passée du statut d’une industrie de 39 milliards de dollars en 2000
    à une industrie de 32 milliards de dollars en 2002 (basé sur la valeur du dollar américain à
    l’exportation) ».
82. Jane B       , « Big Music’s Broken Record », Business Week Online, 13 février 2003, dispo-
    nible au lien nº 17.
83. Idem.
84. Selon une estimation, 75 % de la musique mise en vente par les principaux labels n’est plus
    disponible en magasin. Voir « Online Entertainment and Copyright Law—Coming Soon to
    a Digital Device Near You », audition devant la commission des lois du Sénat, 107e Congrès,
    1re session, 3 avril 2001 : déclaration préparée par la Coalition pour l’avenir de la musique,
    disponible au lien nº 18.
85. S’il n’existe pas de bonne estimation du nombre de magasins de CDs d’occasion, on comp-
    tait 7 198 vendeurs de livres d’occasion aux États-Unis en 2002, soit une augmentation de
    20 % depuis 1993. Voir B       H          P    , The Quiet Revolution: The Expansion of the Used
    Book Market, 2002, disponible au lien nº 19. Les ventes de CDs d’occasion se sont chiffrées
    à 260 millions de dollars en 2002 : voir N            A                 R           M           -
            , 2002 Annual Survey Results, disponible au lien nº 20.
86. Voir la transcription des procédures : In Re: Napster Copyright Litigation, 34-35 (N.D. Cal.,
    11 juillet 2001), nos. MDL-00-1369 MHP, C 99-5183 MHP, disponible au lien nº 21. Pour
    un compte rendu du litige et de son coût pour Napster, voir Joseph M        , All the Rave: The
    Rise and Fall of Shawn Fanning’s Napster, Crown Business, 2003, p. 269-282.
87. « Infractions au copyright (enregistrements audio et vidéo) », auditions sur l’amendement
    S. 1758 devant la commission des lois du Sénat, 97e Congrès, 1re et 2e sessions, 459, 1982,
    témoignage de Jack Valenti, président de Motion Picture Association of America.
88. Idem, 475.
89. Universal City Studios, Inc. v. Sony Corp. of America, 480 F. Supp. 429, (C.D. Cal., 1979).
90. « Infractions au copyright (enregistrements audio et vidéo) », 485, témoignage de Jack Va-
    lenti.
91. Universal City Studios, Inc. v. Sony Corp. of America, 659 F. 2d 963 (9e Cir. 1981).
92. Sony Corp. of America v. Universal City Studios, Inc., 464 U.S. 417, 431 (1984).




                                                 248
 93. Il s’agit ici des cas les plus importants dans notre histoire, mais il y a aussi d’autres affaires.
     La technologie de la bande audio numérique (DAT), par exemple, a été réglementée par
     le Congrès pour minimiser le risque de piratage. Le traitement imposé par le Congrès a
     vraiment pesé sur les producteurs de DAT, en taxant les ventes de cassette et en contrôlant
     la technologie du DAT. Voir la loi Audio Home Recording de 1992 (titre 17 du United States
     Code), Pub. L. No. 102-563, 106 Stat. 4237, codifiée dans 17 U.S.C. § 1001. Encore une fois
     et de toute façon, cette réglementation n’a pas éliminé les resquillages dans le sens que j’ai
     décrit, voir Lawrence L          , The Future of Ideas, p. 71 ; voir aussi Randal C. P    , op. cit.,
     p. 293-296.
 94. Sony Corp. of America v. Universal City Studios, Inc., 464 U.S. 417, 432 (1984).
 95. John S          , « New Economy: The Attack on Peer-to-Peer Software Echoes Past Ef-
     forts », The New York Times, 22 septembre 2003.

 « Propriété »
 96. Thomas J           , lettre à Isaac McPherson, 13 août 1813, The Writings of Thomas Jefferson,
     vol. 6, Andrew A. Lipscomb et Albert Ellery Bergh éd., 1903, p. 330 et 333-334.
 97. Comme l’enseignaient les « réalistes juridiques » à propos de la loi américaine, tous les
     droits de propriété sont intangibles. Un droit de propriété est simplement un droit qu’un
     individu a contre le monde de faire ou de ne pas faire certaines choses qui peuvent ou ne
     peuvent pas être liées à un objet physique. Le droit lui-même est intangible, même si l’objet
     auquel il est (métaphoriquement) attaché est tangible. Voir Adam M           , « What Is Pro-
     perty? Putting the Pieces Back Together », Arizona Law Review, vol. 45, 2003, p. 373 et 429,
     n. 241.

 Fondateurs
 98. Le souvenir de Jacob Tonson est particulièrement associé aux personnalités importantes
     de la littérature du    e siècle (en particulier John Dryden) et à ses belles « éditions défini-

     tives » des œuvres classiques. En plus de Roméo et Juliette, il édita une étonnante collection
     d’œuvres qui sont encore au cœur du canon littéraire anglais, parmi lesquelles les œuvres
     choisies de Shakespeare, Ben Jonson, John Milton et John Dryden. Voir Keith W             , « Ja-
     cob Tonson, Bookseller », American Scholar, vol. 61, nº 3, 1992, p. 424-431.
 99. Lyman Ray P               , Copyright in Historical Perspective, Vanderbilt University Press, 1968,
     p. 151-152.
100. Comme l’argumente si bien Siva Vaidhyanathan, il est erroné d’appeler ceci une « loi sur le
     copyright ». Voir Siva V            , op. cit., p. 40.
101. Philip W               , The Protection and Marketing of Literary Property, Julian Messner, 1937,
     p. 31.
102. Une lettre à un membre du Parlement au sujet de la loi dépendant maintenant de la
     Chambre des communes, pour rendre plus efficace une loi dans la huitième année du règne
     de la reine Anne, intitulée « Une loi pour l’encouragement de l’apprentissage, par l’acqui-
     sition des copies de livres imprimés, parmi les auteurs ou acheteurs de telles copies, pen-
     dant la durée ci-avant mentionnée (Londres, 1735) », dans « Brief Amici Curiae of Tyler
     T. Ochoa, et al. », 8, Eldred v. Ashcroft, 537 U.S. 186 (2003) (No. 01-618).
103. Lyman Ray P                 , « Free Speech, Copyright, and Fair Use », Vanderbilt Law Review,
     vol. 40, 1987, p. 28. Pour une explication merveilleusement convaincante, voir Siva V -
                 , op. cit., p. 37-48.
104. Pour une explication convaincante, voir David S                  , Authorship and Copyright, Rout-
     ledge, 1992, p. 62-69.
105. Mark R         , Authors and Owners: The Invention of Copyright, Harvard University Press, 1993,
     p. 92.
106. Idem, p. 93.
107. Lyman Ray P                (citant Borwell), op. cit., p. 167.



                                                   249
108. Howard B. A    , « The Historic Foundation of American Copyright Law: Exploding the
     Myth of Common Law Copyright », Wayne Law Review, vol. 29, 1983, p. 1152.
109. Idem, p. 1156.
110. Mark R      , op. cit., p. 97.
111. Idem.

 Enregistreurs
112. Pour un excellent argumentaire du fait il s’agit bel et bien d’un « usage loyal », mais que les
     avocats ne permettent pas qu’il soit reconnu comme tel, voir Richard A. P           et William
     F. P      , « Fair Use and Statutory Reform in the Wake of Eldred », California Law Review,
     vol. 92, nº 6, 2004.

 Transformateurs
113. Techniquement, les droits que Alben devait acquitter étaient principalement ceux de la pu-
     blicité : les droits qu’un artiste détient pour pouvoir contrôler l’exploitation commerciale
     de son image. Mais ces droits restreignent également la possibilité créative de « ripper,
     mixer, graver », comme le montre ce chapitre.
114. U S D                 C              O          A              M                 , Seven Steps to
     Performance-Based Services Acquisition, disponible au lien nº 22.

 Collectionneurs
115. Mais la tentation demeure : Brewster Kahle rapporte ainsi que la Maison-Blanche change
     ses propres communiqués de presse, sans en rendre compte. Un communiqué de presse
     du 13 mai 2003 affirmait : « Les opérations militaires en Irak sont terminées. » Cela fut
     changé plus tard, sans explication, en « Les principales opérations militaires en Irak sont
     terminées. » Courriel de Brewster Kahle, 1er décembre 2003.
116. Doug H          , « Toward a National Film Collection: Motion Pictures at the Library of
     Congress », Film Library Quarterly, vol. 13, nº 2-3, 1980, p. 5 ; Anthony S    , Nitrate Won’t
     Wait: A History of Film Preservation in the United States, McFarland & Co, 1992, p. 36.
117. Dave B        , « Fledgling Career in Antique Books: Woodstock Landlord, Bar Owner
     Starts a New Chapter by Adopting Business », Chicago Tribune, 5 septembre 1997. Sur l’en-
     semble des livres publiés entre 1927 et 1946, seulement 2,2 % étaient encore réimprimés en
     2002 : R. Anthony R       , « The First Sale Doctrine in the Era of Digital Networks », Boston
     College Law Review vol. 44, nº 2, 2003, p. 593, n. 51.

 « Propriété »
118. « Enregistrements privés d’œuvres copyrightées », auditions sur les projets de loi
     H.R. 4783, H.R. 4794, H.R. 4808, H.R. 5250, H.R. 5488 et H.R. 5705 devant la sous-
     commission sur les tribunaux, les libertés civiles, et l’administration de la justice de la com-
     mission des lois de la Chambre des représentants, 97e Congrès, 2e session, 1982, 65, témoi-
     gnage de Jack Valenti.
119. Les juristes parlent de la « propriété » non pas comme d’une chose absolue, mais comme
     d’un ensemble de droits qui sont parfois attachés à un objet particulier. Ainsi, mon « droit
     de propriété » sur ma voiture me donne le droit de son utilisation exclusive, mais pas le
     droit de conduire à 250 km/h. Pour la meilleure tentative de relier la notion commune
     de « propriété » au « langage juridique », voir Bruce A            , Private Property and the
     Constitution, Yale University Press, 1977, p. 26-27.
120. En décrivant comment la loi affecte les trois autres modalités, je ne cherche pas à suggérer
     que les trois autres ne l’affectent pas. Évidemment, elles l’affectent aussi. Ce qui distingue la
     loi, c’est seulement sa capacité à parler comme si elle avait le droit autoproclamé de changer



                                                 250
      les trois autres modalités. Le droit des trois autres est plus timidement exprimé. Voir Law-
      rence L       , Code: And Other Laws of Cyberspace, Basic Books, 1999, p. 90-95, Lawrence
      L       , « The New Chicago School », The Journal of Legal Studies, vol. 27, nº 2, juin 1998,
      p. 661-691.
121. Certaines personnes désapprouvent cette façon de parler de la « liberté ». Ils la désap-
     prouvent, car ils considèrent que les seules contraintes qui existent à un moment donné
     sont celles imposées par le gouvernement. Par exemple, si un orage détruit un pont, ces
     personnes pensent que cela n’a pas de sens de dire que la liberté de chacun a été réduite. Un
     pont a disparu, et il est plus difficile d’aller d’un endroit à un autre. Considérer cela comme
     une perte de liberté, disent-ils, c’est confondre les affaires politiques avec les aléas de la vie
     ordinaire. Je ne veux pas nier la valeur de ce point de vue réductionniste, qui dépend du
     contexte où il s’applique. Je veux cependant démontrer que cette vue réductionniste ne ca-
     ractérise pas à elle seule la liberté. Comme je l’ai souligné dans Code, op. cit., nous sommes is-
     sus d’une longue tradition de penseurs politiques qui avaient des préoccupations plus vastes
     que de savoir simplement ce que le gouvernement a fait et quand. Par exemple, John Stuart
     Mill a défendu la liberté de parole, contre la tyrannie des personnes étroites d’esprit et non
     par peur de poursuites de la part du gouvernement (John Stuart M , On Liberty, Hackett
     Publishing, 1978, p. 19). John R. Commons est connu pour avoir défendu la liberté écono-
     mique du travail contre les contraintes imposées par le marché ; John R. C                 , « The
     Right to Work », John R. Commons: Selected Essays, Malcom Rutherford et Warren J. Samuels,
     éd., Routledge, 1997, p. 62. La loi sur les américains handicapés augmente la liberté des han-
     dicapés en changeant l’architecture de divers lieux publics, leur donnant ainsi un accès plus
     facile à ces endroits (titre 42 du United States Code, section 12101, 2000). Chacune de ces in-
     terventions pour changer les conditions existantes change la liberté d’un groupe particulier.
     Les effets de telles interventions devraient être pris en compte pour comprendre la liberté
     effective de chacun de ces groupes.
122. Voir Geoffrey S      , « Film vs. Digital: Can Kodak Build a Bridge? » Business Week Online,
     2 août 1999, disponible au lien nº 23. Pour une analyse plus récente de la place de Kodak
     dans le marché, voir Chana R. S                , « Can Kodak Make Up for Lost Moments? »
     Forbes.com, 6 octobre 2003, disponible au lien nº 24.
123. Fred W            , The Patent Wars: The Battle to Own the World’s Technology, John Wiley &
     Sons, 1994, p. 170-171.
124. Voir, par exemple, James B     , « A Politics of Intellectual Property: Environmentalism for
     the Net? » Duke Law Journal, vol. 47, nº 87, 1997, p. 87.
125. William W. C            , Politics and the Constitution in the History of the United States, University
     of Chicago Press, 1953, vol. 1, p. 485-486 : « Supprim[ant] par pleine conséquence les droits
     perpétuels que les auteurs avaient, ou étaient supposés par certains avoir, sous la common law de “la
     loi suprême du Pays”. »
126. Bien que 13 000 titres aient été publiés aux États-Unis de 1790 à 1799, seulement 556 co-
     pyrights ont été enregistrés : John Tebbel, A History of Book Publishing in the United States,
     volume I, The Creation of an Industry, 1630-1865, R. R. Bowker Company, 1972, p. 141. Sur
     les 21 000 réimpressions enregistrées avant 1790, seulement 12 avaient un copyright aux
     termes de la loi de 1790 : William J. M       , « Copyright Term, Retrospective Extension and
     the Copyright Law of 1790 in Historical Context », Journal of the Copyright Society of the U.S.A.,
     vol. 49, nº 4, 2002, disponible au lien nº 25. Ainsi, la majorité écrasante des œuvres en-
     trèrent immédiatement dans le domaine public. Même celles qui avaient un copyright y
     entrèrent rapidement, parce que la durée du copyright était courte. La durée initiale était
     de quatorze ans, avec possibilité de renouvellement pour quatorze années supplémentaires
     (Copyright Act of May 31, 1790, § 1, 1 stat. 124.)
127. Peu de détenteurs de copyright choisissent finalement de les renouveler. Par exemple, sur
     les 25 006 copyrights enregistrés en 1883, seulement 894 étaient renouvelés en 1910. Pour
     une analyse par année des taux de renouvellement des copyrights, voir Barbara A. R            ,
     « Study No. 31: Renewal of Copyright », Studies on Copyright, Arthur Fisher et al. éd., vol. 1,
     Fred B. Rothman & Co, 1963, p. 618. Pour une analyse plus récente et plus complète, voir
     William M. L         et Richard A. P         , « Indefinitely Renewable Copyright », The Uni-
     versity of Chicago Law Review, vol. 70, nº 2, 2003, p. 471 et 498-501, et graphiques d’accom-
     pagnement.



                                                    251
128. Voir Barbara A. R         , op. cit., ch. 9, n. 2.
129. Ces statistiques sont sous-estimées. Entre 1910 et 1962 (la première année où la durée de
     renouvellement a été allongée), la durée moyenne n’a jamais dépassé trente-deux ans, et la
     moyenne est de trente ans. Voir William M. L        et Richard A. P      , op. cit.
130. Voir Thomas B          et David S           , « Poets, Pirates, and the Creation of American
     Literature », New York University Journal of International Law and Politics, vol. 29, nº 1 et 2,
     1997, et Federal Copyright Records, 1790-1800, James Gilraeth et Elizabeth Wills éd., Library
     of Congress, 1987.
131. Jonathan Z           , « The Copyright Cage », Legal Affairs, juillet-août 2003, disponible au
     lien nº 26.
132. Le professeur Rubenfeld a présenté un argument constitutionnel puissant à propos la dif-
     férence que la loi sur le copyright devrait faire (du point de vue du premier amendement)
     entre de simples « copies » et des œuvres dérivées. Voir Jed R              , « The Freedom of
     Imagination: Copyright’s Constitutionality », Yale Law Journal, vol. 112, nº 1, 2002, p. 1-60
     (voir en particulier les pages 53-59).
133. C’est une simplification de la loi, mais pas tant que ça. La loi réglemente certainement plus
     que les « copies » — la diffusion publique d’une chanson copyrightée, par exemple, est ré-
     glementée même si elle ne crée pas en soi de copie : titre 17 du United States Code, section
     106 (4). Et parfois cela ne concerne certainement pas une « copie » : titre 17 du United States
     Code, section 112 (a). Mais la supposition sous-jacente de la loi existante (qui réglemente les
     « copies » : titre 17 du United States Code, section 102) est que s’il y a une copie, alors il y a
     un droit.
134. Ainsi, mon argument n’est pas qu’à chaque endroit où la loi sur le copyright s’étend, on de-
     vrait l’abroger. C’est plutôt que l’on devrait avoir une bonne justification de ces extensions
     et qu’elles ne devraient pas être faites de façon arbitraire et par des changements automati-
     quement provoqués par la technologie.
135. Je ne veux par dire « nature » dans le sens où cela ne pourrait pas être différent, mais plutôt
     que la mise en œuvre actuelle implique une copie. Les réseaux optiques ne nécessitent pas
     de faire des copies du contenu qu’ils transmettent et un réseau numérique pourrait être
     conçu pour supprimer tout ce qu’il copie de façon à garder un nombre identique de copies.
136. Voir David L         , « Recognizing the Public Domain », Law and Contemporary Problems,
     vol. 44, nº 4, 1981, p. 172-173.
137. Idem. Voir aussi Siva V                     , op. cit., p. 1-3.
138. En principe, un contrat pourrait m’imposer une exigence. Je pourrais, par exemple, vous
     acheter un livre qui inclurait un contrat stipulant que je ne lirai ce livre que trois fois, ou
     que je promets de lire ce livre trois fois. Mais cette obligation (et les limites pour la créer)
     viendrait alors du contrat et non de la loi sur le copyright, et les obligations contractuelles
     ne seraient pas nécessairement applicables aux acheteurs suivants de ce livre.
139. Voir Pamela S             , « Anticircumvention Rules: Threat to Science », Science, vol. 293,
     nº 5537, 2001, p. 2028 ; Brendan I. K            , « Play Dead: Sony Muzzles the Techies Who
     Teach a Robot Dog New Tricks », The American Prospect, vol. 13, nº 1, janvier 2002, « Court
     Dismisses Computer Scientists’ Challenge to DMCA », Intellectual Property Litigation Repor-
     ter, 11 décembre 2001 ; Bill H          , « Copyright Act Raising Free-Speech Concerns »,
     Billboard, 26 mai 2001 ; Janelle B     , « Is the RIAA Running Scared? », Salon.com, 26 avril
     2001 ; E            F           F             , « Frequently Asked Questions about Felten and
     USENIX v. RIAA Legal Case », disponible au lien nº 27.
140. Sony Corporation of America v. Universal City Studios, Inc., 464 U.S. 417, 455 fn. 27 (1984).
     Rogers ne changea jamais son point de vue sur le magnétoscope. Voir James L              , Fast
     Forward: Hollywood, the Japanese, and the Onslaught of the VCR, W. W. Norton, 1987, p. 270-
     271.
141. Pour une analyse précoce et visionnaire, voir Rebecca T             , « Legal Fictions, Copy-
     right, Fan Fiction, and a New Common Law », Loyola of Los Angeles Entertainment Law Jour-
     nal, vol. 17, nº 3, 1997, p. 651.
142. “Surveillance du FCC”, auditions devant la commission du commerce, de la science et des
     transports du Sénat, 108e Congrès, 1re session, 22 mai 2003, déclaration du sénateur John



                                                     252
     McCain.
143. Lynette H          , « Despite a Marketing Blitz, CD Sales Continue to Slide », The New York
     Times, 23 décembre 2002.
144. Molly I     , “Media Consolidation Must Be Stopped”, Charleston Gazette, 31 mai 2003.
145. James F           , « The Age of Murdoch », The Atlantic Monthly, septembre 2003, p. 89.
146. Leonard H , « The Axis of Access », remarques devant le Weidenbaum Center Forum, En-
     tertainment Economics: The Movie Industry, Washington University in St. Louis, 3 avril 2003
     (la transcription des remarques preparées est disponible au lien nº 28 ; pour l’histoire de
     Lear, non incluse dans la transcription, voir le lien nº 29).
147. « Fusion NewsCorp./DirecTV et concentration des médias », auditions sur la propriété des
     médias devant la commission du commerce du Sénat, 108e Congrès, 1re session, 2003, té-
     moignage de Gene Kimmelman au nom de l’Union des consommateurs et de la Fédération
     des consommateurs d’Amérique, disponible au lien nº 30. Gene Kimmelman cite Victoria
     Riskin, présidente de la Guilde des écrivains d’Amérique (Ouest) dans ses remarques à l’au-
     dience du « FCC en banc », Richmond, Virginia, du 27 février 2003.
148. Idem.
149. Barry D      , « Barry Diller Takes on Media Deregulation », Now with Bill Moyers, entretien
     avec Bill Moyers, Now on PSB, 25 avril 2003, transcription éditée disponible au lien nº 31.
150. Clayton M. C             , op. cit., qui reconnaît que l’idée avait déjà été suggérée par le
     doyen Kim B. Clark, voir Kim B. C        , « The Interaction of Design Hierarchies and Mar-
     ket Concepts in Technological Evolution », Research Policy, vol. 14, nº 5, 1985, p. 235-251.
     Pour une étude plus récente, voir Richard F           et Sarah K       , Creative Destruction:
     Why Companies That Are Built to Last Underperform the Market—and How to Successfully Trans-
     form Them, Currency/Doubleday, 2001.
151.     En février 2003, le Marijuana Policy Project chercha à diffuser des publicités Norm sur les
       chaînes de télévision de la ville de Washington, pour répondre directement à la série Nick
       and Norm : Comcast refusa ces publicités, les considérant « contraires [à leur] politique », la
       chaîne locale WRC (une filiale de NBC) les rejeta sans les commenter, la chaîne locale WJOA
       (une filiale d’ABC) fut au départ d’accord pour les diffuser et accepta le paiement pour le
       faire, mais décida ensuite de ne pas les diffuser et remboursa l’argent perçu : entretien avec
       Neal Levine, 15 octobre 2003. Ces refus ne sont bien sûr pas réservés à la politique sur la
       drogue : voir, par exemple, Nat I , « On the Issue of an Iraq War, Advocacy Ads Meet with
       Rejection from TV Networks », The New York Times, 13 mars 2003. En dehors des périodes
       électorales, le FCC et les tribunaux cherchent très peu à mettre à égalité les différents ac-
       teurs en jeu. Pour un aperçu général, voir Rhonda B         , « Ad Hoc Access: The Regulation
       of Editorial Advertising on Television and Radio », Yale Law and Policy Review, vol. 6, nº 2,
       1988, p. 449-479, et pour un résumé plus récent de la position du FCC et des tribunaux,
       voir Radio-Television News Directors Association v. FCC, 184 F. 3d 872 (D.C. Cir. 1999). Les
       autorités municipales ont les mêmes pouvoirs de contrôle que les réseaux de télévision :
       ainsi récemment, à San Francisco, la régie de transport de San Francisco a refusé une pu-
       blicité qui critiquait ses bus municipaux roulant au diesel : Phillip M      et Andrew R       ,
       « Antidiesel Group Fuming After Muni Rejects Ad », SFGate.com, 16 juin 2003, disponible
       au lien #32. Le motif était que la critique était « trop controversée. »
152. Siva Vaidhyanathan souligne un point similaire dans ses « quatre abandons » de la loi sur
     le copyright à l’âge du numérique. Voir Siva V             , op. cit., p. 159-160.
153. La contribution la plus importante de l’école du « réalisme juridique » a été de démontrer
     que les droits de propriété sont toujours formulés pour équilibrer les intérêts publics et
     privés. Voir Thomas C. G     , « La désintégration de la propriété », Nomos XXII: Property, J.
     Roland Pennock et John W. Chapman éd., New York University Press, 1980.

 Casse-têtes
 Chimères
154. H. G. W      , Le Pays des aveugles, 1904, 1911. Voir H. G. W , The Country of the Blind and
     Other Stories, Michael Sherborne éd., Oxford University Press, 1996).


                                                  253
155. Pour un excellent résumé, voir Copyright and Digital Media in a Post-Napster World, rapport
     préparé par le groupe G           G2 et le B           C             I             S           H -
            L S           , 27 juin 2003, disponible au lien nº 33. Les représentants démocrates
     John Conyers Jr. (Michigan) et Howard L. Berman (Californie) ont proposé une loi qui as-
     simile toute copie en ligne non autorisée à un délit grave, pouvant conduire à une peine de
     cinq ans d’emprisonnement ; voir Jon H             , « House Bill Aims to Up Stakes on Piracy »,
     Los Angeles Times, 17 juillet 2003, disponible au lien nº 34 ; les pénalités au civil sont à ce
     jour fixées à 150 000 dollars par chanson copiée. Pour le récent (et infructueux) recours
     en justice de la RIAA demandant à un fournisseur d’accès à Internet de révéler l’identité
     d’un utilisateur accusé de partager plus de 600 chansons au travers de son ordinateur fami-
     lial, voir RIAA v. Verizon Internet Services (In re. Verizon Internet Services), 240 F. Supp. 2d 24
     (D.D.C. 2003). Un tel utilisateur pourrait être condamné à payer jusqu’à 90 millions de dol-
     lars : le montant potentiellement astronomique des amendes donne à la RIAA un arsenal
     puissant pour poursuivre ceux qui partagent des fichiers. Les amendes allant de 12 000 à
     17 500 dollars payées par quatre étudiants accusés d’un partage massif de fichiers sur les ré-
     seaux de l’université doivent apparaître comme une maigre pitance à côté des 98 millions
     que la RIAA pourrait réclamer en justice. Voir Elizabeth Y                , « Downloading Could
     Lead to Fines », Redandblack.com, 26 août 2003, disponible au lien nº 35. Pour un exemple
     de la RIAA prenant pour cible le partage de fichiers par des étudiants et des assignations à
     comparaître adressées aux universités pour obtenir l’identité de ces étudiants, voir James
     C         , « RIAA Steps Up Bid to Force BC, MIT to Name Students », The Boston Globe,
     8 août 2003, disponible au lien nº 36.
156. « Le WIPO et le DMCA un an plus tard : évaluation de l’accès des consommateurs aux
     divertissements numériques sur Internet et autres médias » : auditions devant la sous-
     commission aux télécommunications, au commerce et à la protection des consommateurs,
     commission du commerce de la Chambre des représentants, 106e Congrès, 29, 1999, décla-
     ration de Peter Harter, vice-président d’EMusic.com chargé de la politique publique géné-
     rale et des standards, disponible dans LEXIS, Federal Document Clearing House Congressional
     Testimony.

 Dommages
157. Voir Lynne W. J       , Disconnected: Deceit and Betrayal at WorldCom, John Wiley & Fils, 2003,
     p. 176 et 204. Pour les détails du règlement, voir le communiqué de presse de MCI, « MCI
     Wins U.S. District Court Approval for SEC Settlement », 7 juillet 2003, disponible au lien
     nº 37.
158. La loi, conçue d’après la réforme de la responsabilité pénale de la Californie, a été votée par
     la Chambre des représentants, mais a été rejetée en juillet 2003 par le Sénat. Pour une vue
     d’ensemble, voir Tanya A         , « Measure Stalls in Senate: “We’ll Be Back,” Say Tort Refor-
     mers », Amednews.com, 28 juillet 2003, disponible au lien nº 38, et Dan C            , « Senate
     Turns Back Malpractice Caps », CBSNews.com, 9 juillet 2003, disponible au lien nº 39. Le
     président Bush a continué à pousser la réforme de la responsabilité pénale dans les derniers
     mois.
159. Voir Danit L      , « Artists Just Wanna Be Free », Wired, 7 juillet 2003, disponible au lien
     nº 40. Pour un aperçu de l’exposition, voir lien nº 41.
160. Voir Joseph M       , « Universal, EMI Sue Napster Investor », Los Angeles Times, 23 avril
     2003. Pour un argument parallèle sur les effets de l’innovation sur la distribution de mu-
     sique, voir Janelle B       , « The Music Revolution Will Not Be Digitized », Salon.com,
     1er juin 2001, disponible au lien nº 42. Voir aussi Jon H    , « Online Music Services Be-
     sieged », Los Angeles Times, 28 mai 2001.
161. Rafe N              , « Driving in Cars with MP3s », Business2.com, 16 juin 2003, disponible
     au lien nº 43. Je remercie Dr Mohammad Al-Ubaydli de m’avoir signalé cet exemple.
162. G           G2 et B         C             I             S            H          L    S        , op.
     cit., p. 33-35, disponible au lien nº 44.
163. Idem, p. 26-27.
164. Voir David M G          , « Tech Execs Square Off Over Piracy », Newsbytes (Entertainment),
     28 février 2002.


                                                   254
165. Jessica L       , Digital Copyright, Prometheus Books, 2001.
166. La seule exception auprès d’un « tribunal de circuit » (NdT : un Circuit court est un tribunal
     itinérant : il s’agit d’un dispositif spécifique aux pays de common law) se trouve dans Recor-
     ding Industry Association of America (RIAA) v. Diamond Multimedia Systems, 180 F. 3d 1072
     (9th Cir. 1999). Il y apparaît que la cour d’appel du neuvième circuit argumenta que les
     fabricants de lecteurs MP3 portables ne pouvaient être tenus responsables de contribuer
     aux infractions sur les copyrights pour un appareil incapable d’enregistrer ou de rediffuser
     de la musique (un appareil qui a seulement une fonction de copie ne peut dupliquer qu’un
     fichier lui-même déjà stocké sur le disque dur de l’utilisateur). Au niveau des cours de dis-
     trict, la seule exception se trouve dans Metro-Goldwyn-Mayer Studios, Inc. v. Grokster, Ltd.,
     259 F. Supp. 2d 1029 (C.D. Cal., 2003), où la cour trouva que le lien entre un distributeur
     et le comportement d’un utilisateur était trop ténu pour rendre le distributeur responsable
     d’une infraction commise par autrui, ni directement ni par fourniture de moyen.
167. Par exemple, en juillet 2002, le représentant Howard Berman proposa un Peer-to-Peer Piracy
     Prevention Act (H.R. 5211) qui aurait protégé les propriétaires de copyright de poursuites ju-
     diciaires en cas de détérioration des ordinateurs provoquée par l’utilisation de technologies
     de protection des copyrights. En août 2002, le député Billy Tauzin introduisit un projet de
     loi prévoyant que les technologies permettant la rediffusion de copies numériques de films
     diffusés à la TV (c.-à-d. d’ordinateurs) empêchent de copier un contenu qui serait signalé
     « pour la diffusion ». Et en mars de la même année, le sénateur Fritz Hollings proposa un
     Consumer Broadband and Digital Television Promotion Act, qui tendait à faire appliquer les
     technologies de protection des copyrights sur tous les supports numériques. G                 G2
     et B          C             I           S            H         L S          , op. cit., p. 33-34,
     disponible au lien nº 44.
168. Lawrence L          , op. cit., p. 239.
169. Idem, p. 229.
170. Cet exemple est dérivé des taxes fixées dans les actes originaux du Copyright Arbitration
     Royalty Panel (CARP), et est tiré de l’exemple donné par le professeur William F                .
     « Actes de conférence », iLaw (Stanford), le 3 juillet 2003, dossier de l’auteur. Les profes-
     seurs Fisher et Zittrain soumirent un témoignage au CARP qui a finalement été rejeté. Voir
     Jonathan Z           , Digital Performance Right in Sound Recordings and Ephemeral Recordings,
     Docket No. 2000-9, CARP DTRA 1 et 2, disponible au lien nº 45. Pour une excellente ana-
     lyse sur un point similaire, voir Randal C. P        , « Copyright as Entry Policy: The Case of
     Digital Distribution », The Antitrust Bulletin, vol. 47, nº 423, 2002, p. 461 : « Ce n’était pas
     du désarroi, mais juste la bonne vieille méthode pour faire barrage à de nouveaux arrivants.
     Les stations de radio analogiques sont protégées des arrivants numériques, réduisant ainsi
     la possibilité d’avoir de nouveaux acteurs et la diversité dans ce secteur. Oui, cela a été fait
     sous prétexte de rémunérer les ayants droit, mais sans de puissants intérêts en jeu, cela
     aurait pu être fait d’une façon neutre vis à vis du moyen de transmission. »
171. Mike G             et Lee R      , « The Music Downloading Deluge », Pew Internet and Ame-
     rican Life Project, 24 avril 2001, disponible au lien nº 46. Le Pew Internet and American
     Life Project estime que 37 millions d’américains ont téléchargé des fichiers de musique via
     Internet depuis le début de 2001.
172. Alex P    , « The Labels Strike Back: N.Y. Girl Settles RIAA Case », Los Angeles Times,
     10 septembre 2003.
173. Jeffrey A. M     et Jeffrey Z         , « Alcohol Consumption During Prohibition », The
     American Economic Review, vol. 81, nº 2, 1991, p. 242.
174. « Politique nationale de lutte contre la drogue », audition devant la commission de la sur-
     veillance et de la réforme du gouvernement de la Chambre des représentants, 108e Congrès,
     1re session, 5 mars 2003, déclaration de John P. Walters, directeur du National Drug
     Control Policy.
175. Voir James A            , Brian E      et Jonathan F         , « Tax Compliance », Journal of
     Economic Literature, vol. 36, nº 2, 1998, p. 818 (vue d’ensemble des études sur la conformité
     des taxations).
176. Voir Frank A        , « RIAA’s Lawsuits Meet Surprised Targets; Single Mother in Calif., 12-
     Year-Old Girl in N.Y. Among Defendants », The Washington Post, 10 septembre 2003 ; Chris



                                                255
     C      , « Worried Parents Pull Plug on File “Stealing”; With the Music Industry Cracking
     Down on File Swapping, Parents are Yanking Software from Home PCs to Avoid Being
     Sued », Orlando Sentinel Tribune, 30 août 2003 ; Jefferson G         , « Recording Industry
     Sues Parents », USA Today, 14 septembre 2003 ; John S           , « She Says She’s No Music
     Pirate. No Snoop Fan, Either », The New York Times, 25 septembre 2003 ; Margo V        , « Is
     Brianna a Criminal? » Toronto Star, 18 septembre 2003.
177. Voir A             P     , « Revealed: How RIAA Tracks Downloaders: Music Industry Dis-
     closes Some Methods Used », dépêche reprise par CNN.com, 28 août 2003, disponible au
     lien nº 47.
178. Voir Jeff A     , « On Campus, Pirates Are Not Penitent », The Boston Globe, 18 mai 2003 ;
     Frank A        , « Four Students Sued over Music Sites; Industry Group Targets File Sha-
     ring at Colleges », The Washington Post, 4 avril 2003 ; Elizabeth A       , « Students “Rip,
     Mix, Burn” at Their Own Risk », The Christian Science Monitor, 2 septembre 2003 ; Robert
     B        et Angela R       , « Music Pirate Hunt Turns to Loyola; Two Students Names Are
     Handed Over; Lawsuit Possible », Chicago Tribune, 16 juillet 2003 ; Beth C , « RIAA Trains
     Antipiracy Guns on Universities », InternetNews.com, 30 janvier 2003, disponible au lien
     nº 48 ; Benny E               , « Download Warning 101: Freshman Orientation This Fall to
     Include Record Industry Warnings Against File Sharing », San Francisco Chronicle, 11 août
     2003 ; « Raid, Letters Are Weapons at Universities », USA Today, 26 septembre 2000.

 Équilibres
 Eldred
179. Il y a un parallèle avec la pornographie qui est un peu difficile à décrire, mais qui est fort.
     Un des phénomènes qu’Internet a créé est un monde de pornographes amateurs — des gens
     qui distribuent du porno, mais qui n’en tirent pas d’argent, ni directement ni indirectement.
     Une telle catégorie n’existait pas avant Internet parce les coûts de distribution étaient trop
     élevés. Et cependant, ce nouveau type de distributeurs reçut une attention spéciale de la
     Cour suprême quand elle annula le Communications Decency Act de 1996. C’était en partie
     grâce au poids des porte-parole des amateurs, dont le statut s’est trouvé dépasser le pouvoir
     du Congrès. La même chose aurait pu être faite pour les éditeurs non-commerciaux après
     la venue d’Internet. Les Eric Eldred du monde d’avant Internet étaient extrêmement peu.
     On aurait cependant pu penser que c’était au moins aussi important de les protéger que de
     protéger les pornographes amateurs.
180. Le texte complet est : « Sonny [Bono] voulait que la protection par copyright soit définitive.
     Je suis informé par mon équipe qu’un tel changement violerait la constitution. Je vous invite
     tous à travailler avec moi pour renforcer nos lois sur le copyright avec tous les moyens à
     notre disposition. Comme vous le savez, il y a aussi la proposition de Jack Valenti pour
     une durée infinie moins un jour. Peut-être que la commission peut regarder ça au prochain
     Congrès », 144 Cong. Rec. H9946, 9951-2, 7 octobre 1998.
181. A         P      , « Disney Lobbying for Copyright Extension No Mickey Mouse Effort;
     Congress OKs Bill Granting Creators 20 More Years », Chicago Tribune, 17 octobre 1998.
182. Voir Nick B      , « Fair Use No More?: Copyright in the Information Age », disponible
     au lien nº 49.
183. Alan K. O , « Disney in Washington: The Mouse That Roars », Congressional Quarterly This
     Week, 10 août 1990, disponible au lien nº 50.
184. United States v. Lopez, 514 U.S. 549, 564 (1995).
185. United States v. Morrison, 529 U.S. 598 (2000).
186. Si un principe s’applique à un des pouvoirs, alors il s’applique à n’importe quel autre pou-
     voir. Le point important dans le contexte de la Clause de commerce était que l’interpréta-
     tion donnée par le gouvernement lui attribuerait le pouvoir de réglementer le commerce
     pour une durée infinie — en dépit des limitations du commerce interétatique. C’est aussi
     vrai dans le contexte de la Clause de Copyright. Là encore, l’interprétation du gouverne-
     ment l’autoriserait à réglementer le copyright pour une durée infinie — en dépit de sa limi-
     tation à des « durées limitées ».



                                                256
187. Dossier de l’association des auteurs de chanson de Nashville (Nashville Songwriters Asso-
     ciation), Eldred v. Ashcroft, 537 U.S. 186 (2003) (No. 01-618), n. 10, disponible au lien nº 51.
188. Le chiffre de 2 % est une extrapolation, à partir de l’étude faite par le Congressional Re-
     search Service et à la lumière de l’ordre de grandeur estimée des renouvellements. Voir le
     dossier des pétitionnaires Eldred v. Ashcroft, 7, disponible au lien nº 52.
189. Voir David G. S        , « High Court Scene of Showdown on Copyright Law », Los Angeles
     Times, 6 octobre 2002 ; David S              , « Classic Movies, Songs, Books at Stake; Su-
     preme Court Hears Arguments Today on Striking Down Copyright Extension », Orlando
     Sentinel Tribune, 9 octobre 2002.
190. Dossier de Hal Roach Studios et Michael Agee en tant qu’amicus curiæ soutenant les pé-
     titionnaires Eldred v. Ashcroft, 12. Voir aussi le dossier d’amicus curiæ monté au nom des
     pétitionnaires par Internet Archive, disponible au lien nº 53.
191. Jason S        , « The Myth of the 1976 Copyright “Chaos” Theory », 20 décembre 2002,
     disponible au lien nº 54.
192. Dossier de Amici Dr. Seuss Enterprise et al., Eldred v. Ashcroft, 19.
193. Dinitia S     , « Immortal Words, Immortal Royalties? Even Mickey Mouse Joins the
     Fray », The New York Times, 28 mars 1998.

 Eldred II
194. Jusqu’à la révision de Berlin de la convention de Berne en 1908, la législation nationale im-
     posait parfois, pour qu’un copyright soit protégé, des formalités telles que l’enregistrement,
     le dépôt et l’apposition d’une indication de la revendication de copyright par l’auteur. Tou-
     tefois, à partir de la révision de 1908, chaque texte de la convention stipule que « la jouis-
     sance et l’exercice » des droits qu’elle garantit « ne doivent pas être soumis à quelconque
     formalité. » L’interdiction de ces formalités est actuellement incorporée à l’article 5(2) de la
     révision de Paris de la Convention de Berne. De nombreux pays continuent à imposer une
     forme d’exigence de dépôt ou d’enregistrement, bien que ce ne soit pas une condition du
     copyright. La loi française, par exemple, exige le dépôt des œuvres dans des dépôts natio-
     naux, principalement à la Bibliothèque nationale de France. Des copies de livres publiés au
     Royaume-Uni doivent être déposées à la British Library. La loi allemande sur le copyright
     a mis en place un registre des auteurs, où le vrai nom de l’auteur peut être inscrit dans le
     cas d’œuvres anonymes ou pseudonymes. Paul G                 , International Intellectual Property
     Law, Cases and Materials, Foundation Press, 2001, p. 153-154.

 Conclusion
195. C                                                                             , Intégrer les droits de
     propriété intellectuelle et la politique de développement, Londres, 2002, disponible au lien nº 55.
     Selon un communiqué de l’Organisation mondiale de la santé du 9 juillet 2002, seulement
     230 000 personnes reçoivent des médicaments parmi les six millions de personnes du tiers-
     monde qui en ont besoin — et la moitié d’entre eux est au Brésil.
196. Voir Peter D           et John B              , op. cit., p. 37.
197. I                I                P           I          (IIPI), Patent Protection and Access to
     HIV/AIDS Pharmaceuticals in Sub-Saharan Africa, a Report Prepared for the World Intellectual
     Property Organization, IIPI, 2000, p. 14, disponible au lien nº 56. Pour un compte rendu de
     première main sur la lutte pour l’Afrique du Sud, voir l’audition devant la sous-commission
     de la justice criminelle, la politique des stupéfiants et les ressources humaines, commis-
     sion de la surveillance et de la réforme du gouvernement de la Chambre des représen-
     tants, 106e Congrès, 1re session, série nº 106-126, 22 juillet 1999, p. 150-157, déclaration
     de James Love.
198. I                  I                P          I              (IIPI), op. cit., p. 15.
199. Voir Sabin R        , « New Crusade to Lower AIDS Drug Costs: Africa’s Needs at Odds
     with Firms’ Profit Motive », San Francisco Chronicle, 24 mai 1999, disponible au lien nº 57




                                                   257
     (« les licences obligatoires et les marchés gris mettent en péril le système entier de la pro-
     tection de la propriété intellectuelle ») ; Robert W         , « AIDS and Developing Coun-
     tries: Democratizing Access », Foreign Policy in Focus, août 1999, disponible au lien nº 58
     (décrit la politique américaine) ; John A. Harrelson, « TRIPS, Pharmaceutical Patents, and
     the HIV/AIDS Crisis: Finding the Proper Balance Between Intellectual Property Rights and
     Compassion, a Synopsis », Widener Law Symposium Journal, 2001, p. 175.
200. Jonathan K      , « The Quiet War over Open-Source », The Washington Post, 21 août 2003,
     disponible au lien nº 59 ; William N , « Global Group’s Shift on “Open Source” Meeting
     Spurs Stir », National Journal’s Technology Daily, 19 août 2003, disponible au lien nº 60, et
     « U.S. Official Opposes “Open Source” Talks at WIPO », idem, 19 août 2003, disponible au
     lien nº 61.
201. Je devrais révéler que j’étais une des personnes qui demanda au WIPO de tenir cette
     réunion.
202. La position de Microsoft sur le logiciel libre et Open Source est plus subtile. Comme il l’a
     affirmé à maintes reprises, Microsoft n’a pas de problème avec les logiciels « Open Source »
     ou mis dans le domaine public : sa principale opposition concerne les logiciels libres sous
     licence « Copyleft », qui impliquent que les travaux dérivés de ces logiciels soient soumis
     à la même licence. Voir Bradford L. S            , « The Future of Software: Enabling the Mar-
     ketplace to Decide », Government Policy Toward Open Source Software, AEI-Brookings Joint
     Center for Regulatory Studies, Robert Hahn éd., 2002, p. 69, disponible au lien nº 62. Voir
     aussi Craig M           , vice-président senior de Microsoft, The Commercial Software Model,
     débat au New York University Stern School of Business, 3 mai 2001, disponible au lien
     nº 63.
203. Jonathan K      , op. cit., disponible au lien nº 64.
204. Voir Peter D        et John B             , op. cit., p. 210-220.
205. John B          , « RIAA Sues 261 File Swappers », CNET.com, 8 septembre 2003, disponible
     au lien nº 65 ; Paul R. L M        , « Music Industry Sues Swappers », CNN/Money, 8 sep-
     tembre 2003, disponible au lien nº 66 ; Soni S        et Phyllis F         , « Sued for a Song,
     N.Y.C. 12-Yr- Old Among 261 Cited as Sharers », New York Daily News, 9 septembre 2003 ;
     Frank A         , « RIAA’s Lawsuits Meet Surprised Targets », op. cit. ; Katie D    , « School-
     girl Settles with RIAA », Wired, 9 octobre 2003, disponible au lien nº 67.
206. Jon W            , « Eminem Gets Sued … by a Little Old Lady », MTVnews.com, 17 sep-
     tembre 2003, disponible au lien nº 68.
207. Kenji H    , Associated Press, « Japanese Book May Be Inspiration for Dylan Songs », Kan-
     sascity.com, 9 juillet 2003, disponible au lien nº 69.
208. « BBC Plans to Open Up Its Archive to the Public », BBC press release, 24 août 2003, dispo-
     nible au lien nº 70.
209. « Creative Commons and Brazil », Creative Commons Weblog, 6 août 2003, disponible au
     lien nº 71.

 Postface
210. Voir, par exemple, Marc R             , « Fair Information Practices and the Architecture of
     Privacy; (What Larry Doesn’t Get) », Stanford Technology Law Review, vol. 1, 2001, par. 6-
     18, disponible au lien nº 72 (description d’exemples dans lesquels la technologie définit
     la politique de vie privée). Voir aussi Jeffrey R    , The Naked Crowd: Reclaiming Security
     and Freedom in an Anxious Age, Random House, 2004 (cartographie des compromis entre la
     technologie et la vie privée).
211. Willful Infringement: A Report from the Front Lines of the Real Culture Wars (2003), documen-
     taire produit par Jed Horovitz, réalisé par Greg Hittelman et produit par Fiat Lucre, dispo-
     nible au lien nº 72.
212. La proposition que j’avance ici ne s’appliquerait qu’aux œuvres américaines. Je pense évi-
     demment que ce serait bénéfique si d’autres pays l’adoptaient également.
213. Il y aurait une complication avec les œuvres dérivées, que je n’ai pas résolue ici. De mon
     point de vue, la loi sur les œuvres dérivées crée un système compliqué que les perspectives
     marginales de gains qu’il crée ne justifient pas.


                                                258
214. « Copyrights: A Radical Rethink », The Economist, 23 janvier 2003, disponible au lien nº 74.
215. D              V         A       , Veteran’s Application for Compensation and/or Pension, VA
     Form 21-526 (OMB Approved No. 2900-0001), disponible au lien nº 75.
216. Benjamin K           , An Unhurried View of Copyright, Columbia University Press, 1967, p. 32.
217. Idem, p. 56.
218. Paul G           , Copyright’s Highway: From Gutenberg to the Celestial Jukebox, Stanford Uni-
     versity Press, 2003, p. 187-216.
219. Voir, par exemple, Music Media Watch, nº 12, J@pan Inc., 3 avril 2002, disponible au lien
     nº 76.
220. William F         , Digital Music: Problems and Possibilities (dernière révision : 10 octobre 2000),
     disponible au lien nº 77 et Promises to Keep: Technology, Law, and the Future of Entertainment,
     Stanford University Press, 2004, ch. 6, disponible au lien nº 78. Le professeur Netanel a pro-
     posé une idée proche qui exempterait de copyright le partage non commercial et établirait
     une rémunération aux artistes pour compenser le manque à gagner, voir Neil Weinstock
     N         , « Impose a Noncommercial Use Levy to Allow Free P2P File Sharing », Harvard
     Journal of Law & Technology, vol. 17, nº 1, 2003, disponible au lien nº 79. Pour d’autres pro-
     positions, voir Lawrence L           , « Who’s Holding Back Broadband? » The Washington Post,
     8 janvier 2002 ; Philip S. C            au nom de Sharman Networks, Lettre au sénateur Joseph
     R. Biden Jr., président de la commission aux affaires étrangères du Sénat, 26 février 2002, dispo-
     nible au lien nº 80 ; Serguei O            , A Quick Case for Intellectual Property Use Fee (IPUF),
     3 mars 2002, disponible au lien nº 81 ; Jefferson G              , « Kazaa, Verizon Propose to Pay
     Artists Directly », USA Today, 13 mai 2002, disponible au lien nº 82 ; Steven M. C                 ,
     « Getting Copyright Right », IEEE Spectrum Magazine, vol. 39, nº 2, 2002, disponible au lien
     nº 83 ; Declan M C              , « Verizon’s Copyright Campaign », CNETNews.com, 29 août
     2002, disponible au lien nº 84. La proposition de William Fisher est très similaire à celle de
     Richard Stallman sur le DAT. À la différence de celle William Fisher, la proposition de Ri-
     chard Stallman ne rémunérerait pas proportionnellement les artistes, même si les artistes
     les plus populaires recevaient plus que ceux qui le sont moins. De façon typique avec Ri-
     chard Stallman, sa proposition anticipe d’une décennie le débat actuel. Voir le lien nº 85.

221. Lawrence Lessig, « Copyright’s First Amendment » (Melville B. Nimmer Memorial Lec-
     ture), UCLA Law Review, vol. 48, 2001, p. 1057 et 1069-1070.
222. Un bon exemple est le travail du professeur Stan Liebowitz. Stan Liebowitz est une réfé-
     rence pour son analyse scrupuleuse des données sur les infractions, ce qui l’a amené à être
     publiquement interrogé sur sa position — deux fois. Il a initialement prédit que le téléchar-
     gement nuirait de façon significative à l’industrie. Il a ensuite revu son opinion à la lumière
     des données, et il a encore changé d’avis depuis. Comparez Stan J. L                   , op. cit. (qui
     revoit son point de vue initial, mais en exprimant du scepticisme) avec Stan J. L                     ,
     « Will MP3s Annihilate the Record Industry? » texte de travail, juin 2003, disponible au
     lien nº 86. L’analyse méticuleuse de Stan Liebowitz est extrêmement précieuse pour esti-
     mer l’effet du partage de fichier. De mon point de vue, cependant, il sous-estime les coûts
     du système légal. Voir par exemple : Lawrence L           , Rethinking, op. cit., p. 174-176.




                                                   259
260
                             Remerciements


    Ce livre est le produit d’un combat long et jusqu’ici sans succès, qui a
commencé quand j’ai lu la guerre d’Eric Eldred pour la liberté des livres. Le
travail d’Eldred a contribué à lancer un mouvement, le mouvement pour une
culture libre, et c’est à lui que ce livre est dédié.
    J’ai été aidé en beaucoup d’endroits par des amis et des universitaires,
dont Glenn Brown, Peter DiCola, Jennifer Mnookin, Richard Posner, Mark
Rose, et Kathleen Sullivan. Et j’ai reçu des corrections et des conseils de mes
étonnants étudiants à Stanford Law School et Stanford University. Parmi
eux, Andrew B. Coan, John Eden, James P. Fellers, Christopher Guzelian,
Erica Goldberg, Robert Hallman, Andrew Harris, Matthew Kahn, Brian
Link, Ohad Mayblum, Alina Ng, et Erica Platt. Je suis particulièrement re-
connaissant envers Catherine Crump et Harry Surden, qui ont contribué
à diriger leurs recherches, et envers Laura Lynch, qui a brillamment dirigé
cette petite armée, et offert son regard critique sur une bonne part de ce
travail.
    Yuko Noguchi m’a aidé à comprendre les lois et la culture de son pays.
Je la remercie, ainsi que tous ceux, au Japon, qui m’ont aidé à préparer ce
livre : Joi Ito, Takayuki Matsutani, Naoto Misaki, Michihiro Sasaki, Hiro-
michi Tanaka, Hiroo Yamagata et Yoshihiro Yonezawa. Je remercie aussi le
professeur Nobuhiro Nakayama et le Tokyo University Business Law Cen-
ter, pour m’avoir donné la chance de passer du temps au Japon, à Tadashi
Shiraishi et Kiyokazu Yamagami pour leur aide généreuse lorsque j’y étais.
    Il y a les sortes traditionnelles d’aides sur lesquelles les universitaires s’ap-
puient régulièrement. Mais en plus de celles-ci, Internet a rendu possible la
réception de conseils et de corrections de nombreuses personnes que je n’ai
même jamais rencontrées. Parmi celles qui ont répondu avec des conseils
extrêmement utiles aux requêtes sur mon blog à propos du livre figurent Dr.
Mohammad Al-Ubaydli, David Gerstein et Peter DiMauro, de même qu’une
longue liste de ceux qui ont eu des idées spécifiques sur des manières de dé-
velopper mon argumentation. Parmi eux figuraient Richard Bondi, Steven
Cherry, David Coe, Nik Cubrilovic, Bob Devine, Charles Eicher, Thomas
Guida, Elihu M. Gerson, Jeremy Hunsinger, Vaughn Iverson, John Karabaic,
Jeff Keltner, James Lindenschmidt, K. L. Mann, Mark Manning, Nora Mc-
Cauley, Jeffrey McHugh, Evan McMullen, Fred Norton, John Pormann, Pe-
dro A. D. Rezende, Shabbir Safdar, Saul Schleimer, Clay Shirky, Adam Shos-
tack, Kragen Sitaker, Chris Smith, Bruce Steinberg, Andrzej Jan Taramina,
Sean Walsh, Matt Wasserman, Miljenko Williams, « Wink », Roger Wood,


                                        261
« Ximmbo da Jazz » et Richard Yanco. (Je m’excuse si j’ai oublié quelqu’un ;
avec les ordinateurs viennent les erreurs, et un plantage de mon système de
courriels a signifié pour moi la perte d’un tas de bonnes réponses.)
    Richard Stallman et Michael Carroll ont tous deux lu le livre entier à
l’état de brouillon, et chacun a fourni des corrections et des avis extrême-
ment utiles. Michael m’a aidé à voir plus clairement l’importance de la régle-
mentation des œuvres dérivées. Et Richard a corrigé un nombre d’erreurs
honteusement élevé. Bien que mon œuvre soit en partie inspirée de celle de
Stallman, il n’est pas d’accord avec moi en des endroits importants tout au
long de ce livre.
    Pour finir, et pour toujours, je suis reconnaissant envers Bettina, qui a
toujours insisté pour qu’il y ait un bonheur sans fin loin de ces batailles, et
qui a toujours eu raison. Cet homme qui apprend lentement est, comme tou-
jours, reconnaissant pour sa perpétuelle patience et amour.




                                     262
                    À propos de cette édition


    Cette édition est tout d’abord le fruit de trois ans de travail de Petter
Reinholdtsen qui, avec son équipe de volontaires, a entrepris de traduire le
livre de Lawrence Lessig en norvégien. Il est reparti d’une conversion du
livre au format DocBook faite par Hans Schou, et toute l’équipe l’a traduite
et enrichie progressivement (par exemple les entrées d’index), pour offrir
finalement sous Github un environnement complet permettant de produire
à la fois le livre en anglais et en norvégien.
    La production de la version française a suivi un parcours différent : la
traduction repart de celle de Wikilivres.ca, avec un effort important porté
pour compléter les parties manquantes, corriger les erreurs de traduction,
et remanier parfois le texte pour avoir une syntaxe et un style que j’espère
corrects. Je tiens à remercier en particulier Alain Hurtig pour sa remarquable
révision des notes du livre. Il a vérifié chacune des références citées et les a
adaptées à la typographie française.
    Rien ne me prédestinait à m’impliquer dans une telle aventure. C’est
à l’occasion d’échanges avec Petter sur la génération au format PDF que
l’initiative d’ajouter la version française est née. Je remercie Petter pour la
confiance qu’il me témoigne en intégrant cette traduction dans son projet.
    La genèse de cette édition est finalement une belle démonstration des
valeurs, de l’énergie créatrice, et de la formidable mobilisation collective
qu’une culture et une technologie libres peuvent susciter. Ce sont ces valeurs
que Lawrence Lessig cherche à défendre.

   — Benoît Guillon, à Valence, le 17 décembre 2015




                                     263
                                                Index


11 septembre 2001, attaque terroriste du, 45, 46, 101   bandes dessinées doujinshi, 34–36
60 Minutes, 100                                         bandes dessinées japonaises, 33–36
                                                        Barish, Stephanie, 43, 44, 44, 50, 245
A                                                       Barlow, Joel, 19
ABC, 45, 141, 253                                       Barnes & Noble, 127
Afrique du Sud, importations de médicaments par,        Barry, Hank, 159, 160
        212, 213                                        BBC, 220
Afrique, médicaments pour traiter les malades du        Beatles (Les), 56, 58
        SIDA, 211–213                                   Beckett, Thomas, 86
Agee, Michael, 184, 185                                 Bell, Alexander Graham, 16
agriculture, 112, 114                                   Berman, Howard L., 254, 255
Aibo, robot chien, 133, 135–137                         Bernstein, Leonard, 70
Akerlof, George, 190                                    Betamax, 72, 73
Alben, Alex, 93–96, 166, 234, 250                       Bibliothèque du Congrès, 100, 101, 166
All in the Family, 141, 142                             bibliothèques
Allen, Paul, 93                                            d’œuvres du domaine public, 177, 178
Amazon, 223                                                droits à la vie privée des utilisateurs des, 223
American Association of Law Libraries, 190                 fonction d’archivage des, 100
American Graphophone Company, 57                           journaux dans les, 224, 225
Americans with Disabilities Act (1990), 251             Black, Jane, 248
Andromeda, 169                                          blogs (Web-logs), 46–49, 245
Anello, Douglas, 59                                     BMG, 139
Angleterre, lois sur le copyright en, 81–87             BMW, 160, 161
Apple Corporation, 216, 239                             Boies, David, 96
architecture, contrainte effectuée par, 109–111, 251    Boland, Lois, 216–218
archive.org, 101, voir aussi Internet Archive           Bolling, Ruben, 200, 201
Archives du Cinéma (Movie Archive), 101                 Bono, Mary, 178, 256
archives numériques, 99–104, 147, 183, 186, 187         Bono, Sonny, 178, 256
Archives Télévisées (Television Archive), 100           Boswell, James, 85
Aristote, 129                                           Boyle, James, 114
Armstrong, Edwin Howard, 16–18, 155, 164                Braithwaite, John, 218, 257
Arrow, Kenneth, 190                                     Branagh, Kenneth, 81, 83
art clandestin, 156                                     Brandeis, Louis D., 41, 244, 245
artistes                                                Brejnev, Leonid, 113, 242
    compilation pour rétrospective sur, 93–96           Brésil, culture libre au, 220
    droits à l’image des, 250                           brevets
    rémunérations par l’industrie du disque, 53, 58,       brevets futurs vs. copyrights futurs, 178
        59, 72, 163–166, 239, 259
                                                           dans le domaine public, 118, 178
ASCAP, 27
                                                           pharmaceutiques, 211–214, 217
Asie, piratage commercial en, 63–65, 240
                                                           sur la technique cinématographique, 55, 56
assurance responsabilité civile professionnelle, 91
                                                        brevets agricoles, 247
AT&T, 18
                                                        brevets pharmaceutiques, 211–214
Ayer, Don, 188, 194, 195, 198, 199, 203
                                                        Breyer, Stephen, 192, 197
                                                        broadcast flag, 162, 246, 249, 255
B                                                       Bromberg, Dan, 188
Bacon, Francis, 86



                                                   264
Brown, John Seely, 49, 50, 112                                 164
Buchanan, James, 190                                       sur l’industrie du disque, 57, 58, 72, 164
Bunyan, John, 86                                        connaissance, liberté de, 83
Burdick, Quentin, 59                                    Conrad, Paul, 136, 137
Bush, George W., 254                                    Constitution des USA
                                                           but du copyright établi par la, 115, 116, 182
C                                                          Clause de Commerce de la, 191
caméscope numérique, 41, 112                               Clause de Progrès de la, 115, 116, 178, 193
Camp Chaos, 96                                             équilibres et contrôles structurels de la, 115
campagne contre la drogue de Nick et Norm, 143             Premier Amendement de la, 21, 113, 123, 143
capital risqueurs, 159, 160                                sur la propriété des créations, 115
CARP (Copyright Arbitration Royalty Panel), 255         contes de Grimm, 32, 33, 36, 177
Carson, Rachel, 114                                     contraintes du marché, 109–111, 158, 159, 161, 162,
Casablanca, 127                                                251
Causby, Thomas Lee, 15, 16, 18, 20, 22, 23, 155, 208,   contrats, 252
       220, 243                                         Convention de Berlin (1988), 204
Causby, Tinie, 15, 16, 18, 20, 22, 23, 155, 208, 220,   Conyers, John, Jr., 254
       243                                              cookies, Internet, 223
CBS, 45                                                 copyright, 33, voir aussi Loi sur le copyright
CD-ROMs, extraits de film mis sur, 93–96                   but constitutionnel du, 115, 182
CDs                                                        comme droit de monopole restreint, 82–87
   données sur les préférences musicales, 159              des auteurs indivduels vs. entreprises, 118
   marquage du copyright sur, 231                          durée du, 33, 81–87, 115, 117–119, 178–182
   niveaux de vente des, 69                                efforts volontaristes de réforme du, 221
   piratage étranger de, 63, 64                            marquage de, 119, 120
   prix des, 239                                           perpétuel, 84–86, 178, 179
   technique de mixage et, 169, 170                        portée de la, 119–121
Chambre des Lords, 86, 87                                  quatre modalités réglementaires sur le, 111, 112,
chimères, 151–153                                              116
Christensen, Clayton M., 142, 247                          renouvellement de, 81, 117–119
Clark, Kim B., 142                                         restrictions d’utilisation attachées au, 82, 124–
Clause de Progrès, 115, 116, 178, 193                          127
CNN, 48, 245                                            Country of the Blind, The (Wells), 151, 152
Coase, Ronald, 190                                      cour d’appel
Code (Lessig), 11, 108, 251                                neuvième circuit, 96
code propriétaire, 224                                  Cour Suprême des États-Unis
Coe, Brian, 40, 245                                        accès aux opinions de, 224
collège électoral, 115                                     actions du Congrès restreintes par la, 192
Comcast, 253                                               Chambre des Lords vs., 86
commerce inter-état, 181, 193                              droits de l’espace aérien vs. fonciers, 15, 16
Commerce, département du (US), 112                         factions de la, 192
Commons, John R., 251                                      sur l’équilibre des intérêts dans la loi sur le copy-
                                                               right, 74
communiqués de presse de la Maison Blanche, 250
                                                           sur l’interdiction de publicité à la télévision, 143
compositeurs, protections par copyright des, 72
                                                        cours d’appel pour le neuvième circuit, 96
concurrence du marché, 113, 127
                                                        couverture des informations, 45–49, 100, 101
Conger, 81–83, 85
                                                        Creative Commons, 220, 226–229
Congrès des États-Unis
                                                        créativité, 28, voir aussi innovation
  Court Suprême restriction, 181, 182, 192
                                                           par transformation d’œuvres antérieures, 32–36
  dans la Clause de Progrès constitutionnelle, 115,
                                                           restrictions légales de la, 28
     193
                                                        Crichton, Michael, 42
  durée du copyright prolongée par le, 118, 119,
     178–181, 193                                       Crosskey, William W., 251
  pouvoirs constitutionnels du, 178, 179, 181, 182,     CTEA, 118, voir aussi Sonny Bono Copyright Term
     191                                                       Extension Act (CTEA) (1998)
  sur la radio, 164                                     culture, 19, voir aussi culture libre
  sur la technique du magnétoscope (VCR), 73               commercial vs. non-commercial, 19–21
  sur les lois du copyright, 57, 58, 72–74, 117–119,    culture de permission



                                                   265
   coût de transaction de la, 161, 162                       intangibilité des, 79
   culture libre vs., 20                                     système féodal des, 217, 218
culture libre                                                trafic aérien vs., 15, 16, 234
   culture de permission vs., 20                          droits de propriété intellectuelle, 22, 23
   efforts de restauration sur les aspects antérieurs        des brevets phramaceutiques, 213, 214
      de la, 222–226                                         organisations internationales portant sur les,
   fondement juridique anglais de la, 87                         214–218
   œuvres dérivées issues de la, 36, 37                   droits du compositeur vs. droits du producteur, 72
   quatre modalités de contrainte sur la, 108–112         Drucker, Peter, 95
Cyber Rights (Godwin), 45                                 Dryden, John, 249
                                                          Duck and Cover, film, 101
D                                                         Dylan, Bob, 220
Daguerre, Louis, 39
Daley, Elizabeth, 42–45, 245                              E
DAT (Digital Audio Tape), 248, 249                        Eagle Forum, 189, 190
Data General, 223                                         Eastman, George, 39–41
Day After Trinity, The, 90                                école du réalisme juridique, 253
DDT, 114, 115                                             écoles de droit, 168
Dean, Howard, 47                                          écologie, 114, 115
démocratie                                                Edison, Thomas, 16
   dans les techniques d’expression, 40, 41, 46, 47       éditeurs écossais, 82, 84–86
   discours public en, 46, 47                             édition musicale, 27, 57
   Média : concentration, 142                             éducation
   partage numérique en, 156                                 bricolage comme méthode d’, 52
   sémiotique, 239                                           dans la lecture des médias, 42–45
démocratie sémiotique, 239                                Eldred, Eric, 177, 178
dessins animés, 31–33                                     élections, 46
Digital Copyright (Litman), 255                           Electronic Frontier Foundation, 170, 252
Diller, Barry, 142                                        Else, Jon, 89–91
discours politique, 46–49                                 e-mail, 47
Disney, Inc., 32, 33, 105, 126, 127                       EMI, 139, 160
Disney, Walt, 31–34, 36, 37, 40, 41, 74, 103, 121, 177,   enregistrement de cassette, 248
       182                                                   magnétoscopes, 68, 72–74, 136, 137, 162, 236,
Doctorow, Cory, 70                                               252
doctrine de la première vente, 126                        enregistrements de musique, voir peer-to-peer (p2p),
domaine public                                                   partage de fichier; industrie du disque
   bibliothèque d’œuvres dérivées issues du, 177,            nombre total de, 103
       178                                                entreprises
   brevets futurs vs. copyrights futurs, 118                 dans l’industrie pharmaceutique, 213
   défini, 33                                                durée de copyright pour, 118
   droits d’accès à du contenu du, 225                    Erskine, Andrew, 85
   durée traditionnelle pour passage dans le, 33          États-Unis contre Lopez, 181, 192, 193, 195, 197,
   équilibre du contenu américain dans le, 117                   198
   fondement juridique anglais de la, 86                  États-Unis contre Morrison, 192, 256
   projets publics dans le, 214                           expression, technique d’
   restrictions des e-books sur le, 132                      démocratique, 40, 41, 46, 47
   système de license pour reconstruire le, 225–229          lecture des médias et, 42–45
dommages-intérêts, 52
Donaldson contre Beckett, 86, 87                          F
Donaldson, Alexander, 84–86                               FAI (Fournisseurs d’Accès à Internet), identités de
Douglas, William O., 15, 16                                      clients révélées par, 157, 170–172, 254
Down and Out in the Magic Kingdom (Doctorow),             Fallows, James, 140, 253
       70                                                 Fanning, Shawn, 66
Drahos, Peter, 218, 247, 257, 258                         Faraday, Michael, 16
Dreyfuss, Rochelle, 27                                    FCC
droits à la vie privée, 222, 223                              sur la radio FM, 18
droits de propriété                                       film documentaire, 89–91



                                                     266
films                                                  Hyde, Rosel H., 59, 246
    animation, 31–33
    archives de, 101                                   I
    copyrights multiples attachés aux, 89              IBM, 214, 216, 223
    nombre total de, 103                               images, propriété des, 40, 41, 157
    usage loyal de contenu protégé dans les, 89–91     importation parallèle, 212
films d’animation, 31–33                               indistrie de la métallurgie, 112
Films de Laurel et Hardy, 184                          industrie cinématographique
films ephémères, 101                                      bandes annonces de l’, 126
Fisher, William, 259                                      cinémas de luxe vs. piratage de vidéos dans l’, 240
Florida, Richard, 28, 244                              industrie cinématographique de Hollywood, 55, 55,
Forbes, Steve, 203, 206                                        56, voir aussi industrie cinématographique
formalités, 119, 120                                   industrie du disque
Fourneaux, Henri, 56, 57                                  diffusion radio et, 58, 59, 72, 164, 165
Fox (firme cinématographique), 89–91                      procès pour infraction au copyright dans l’, 52–
Fox, William, 55                                               54, 160
Free for All (Wayner), 227                                protections par copyright dans, 72
frères Wrights, 15, 16, 22                                rémunération de l’artiste dans l’, 53, 72, 164–166
Fried, Charles, 190, 191, 194, 199                        système de licence statutaire dans l’, 57, 58
Friedman, Milton, 190                                     Webradio entravée par l’, 164–166
Frost, Robert, 178                                     industrie du rail, 112
Future of Ideas, The (Lessig), 130, 159                infraction délibérée, 126
                                                       innovation, 66, 247, voir aussi créativité
G                                                         industrie en place opposée à l’, 158–166
Garlick, Mia, 227                                      insecticide, conséquence sur l’environnement, 114,
                                                               115
Gates, Bill, 113, 217
                                                       Intel, 162, 190
General Film Company, 55
                                                       inter-état, commerce, 181, 193
General Public License (GPL), 216
                                                       Internet
Gershwin, George, 191
                                                          actualités sur, 45–48
Gil, Gilberto, 220
                                                          applicabilité du copyright modifiée par la techno-
Ginsburg, Ruth Bader, 192, 197                                 logie d’, 122–125
Girl Scouts, 27                                           blogs sur, 46–49
Global Positioning System (GPS), 214                      classement par référencement sur, 47
Godwin, Mike, 45                                          développement de, 19, 214, 221, 222
Goldstein, Paul, 259                                      diffusion efficace de contenu sur, 27
Google, 51, 52                                            discours public mené sur, 46–49
GPL (General Public License), 216                         enregistrement de nom de domaine sur, 230
Gracie Films, 89                                          équilibre perdu de la réglementation sur le copy-
Grisham, John, 57, 58, 234                                     right, avec, 111, 112
Groening, Matt, 89–91                                     Liberté originelle de, 221, 222
Grokster, Ltd., 255                                       livres sur, 70, 71, 124–126, 128–133
Guerre en Irak, 48, 245, 250                              moteurs de recherche utilisés sur, 51, 52
                                                          protection de la vie privée sur, 223
H                                                         radio sur, 163–166
hacks, 133                                             Internet Archive, 101
Hal Roach Studios, 184, 190                            Internet Explorer, 65
Hand, Learned, 246                                     Iwerks, Ub, 31
Hawthorne, Nathaniel, 177
Henry V, 81                                            J
Henry VIII, roi d’Angleterre, 83                       japonaises, bandes dessinées, 33–36
Herrera, Rebecca, 90                                   Jaszi, Peter, 178, 199
Heston, Charlton, 60, 247                              Jefferson, Thomas, 79, 107, 108, 227
histoire, archives, 99                                 jeux vidéos, 43
Hollings, Fritz, 255                                   Johnson, Lyndon, 105
Hummer Winblad, 160                                    Johnson, Samuel, 86
Hummer, John, 160



                                                     267
Jones, Day, Reavis and Pogue (Jones Day), 188–190,        Lofgren, Zoe, 206
       194                                                logiciel libre/logiciel open-source (FS/OSS), 65, 216,
Jonson, Ben, 249                                                  217, 223, 224
Jordan, Jesse, 51–54, 156                                 logiciel open-source, voir logiciel libre/logiciel open-
joueur de piano, 57                                               source (FS/OSS)
journalisme, 48                                           loi
journaux                                                      bases de données d’affaires de, 65, 224, 225
   archives de, 101                                           comme modalité de contrainte, 108–111
   concentration des propriétaires de, 140                    commune vs. positive, 81, 82, 84
journaux scientifiques, 224–226                               fédérale vs. d’état, 117
Just Think !, 41, 42                                      Loi allemande sur le copyright, 257
                                                          loi commune, 82, 84–86
K                                                         Loi de Berlin (1908), 204
Kahle, Brewster, 50, 100–104, 183, 186, 187, 250          loi internationale, 212–214
Kaplan, Benjamin, 234                                     loi positive, 81, 84
Kazaa, 66                                                 Loi sur le copyright
Keaton, Buster, 32, 36                                        anglais, 27, 81–87
Kelly, Kevin, 208                                             comme modalité de réglementation ex post, 108,
                                                                  109
Kennedy, Anthony, 192
                                                              comme protection des créateurs, 21, 115, 116
Kennedy, John F., 105, 163
                                                              copies comme problème principal de, 121–127
Kittredge, Alfred, 57, 246
                                                              créativité entravée par, 28
Kodak Primer, The (Eastman), 39, 40
                                                              deux buts principaux de la, 72
Kodak, appareils photographiques, 39–41, 112, 156
                                                              développement de, 81–87
Kozinski, Alex, 73
                                                              européenne, 120
Krim, Jonathan, 216, 217
                                                              histoire américaine de la, 115–118
                                                              innovation entravée par la, 158–166
L                                                             Japonais, 34–36
Leaphart, Walter, 228                                         liberté d’innovation équilibrée par une rémunéra-
Lear, Norman, 141                                                 tion juste dans la, 114, 115
lecteur de livre électronique Adobe, 128–133                  licences statutaires dans la, 57, 58, 72, 162
lecteurs MP3, 160                                             obligation d’enregistrement de, 119, 120
lecture des médias, 42–45                                     portée de la, 121, 122
Les aventures d’Alice au pays des merveilles (Carroll),       prolongement de la durée dans la, 118, 119, 178–
        132                                                       181
Lessig, Lawrence, 108, 130, 159                               reproduction vs. transformation d’une œuvre ori-
    dans le débat international sur la propriété intel-           ginale, 28, 119–121, 125
        lectuelle, 215, 216                                   sanction pénale pour infraction à la, 178
    implication dans l’affaire Eldred de, 178, 179            sur l’enregistrement de musique, 56–58, 72
Lessing, Lawrence, 18                                         technologie comme application automatique de
Lexis et Westlaw, 224, 225                                        la, 127
Libraires anglais, 83–87                                      usage loyal et, 89–91, 123–126
licence obligatoire, 57, 58                               Loi sur le Copyright (1790), 117, 120
licence statutaire, 57, 58, 72, 162                       Lott, Trent, 47
licences copyleft, 216                                    Lovett, Lyle, 59, 152, 159, 205
Licensing Act (1662), 81                                  Lucas, George, 91
Liebowitz, Stan, 247, 248, 259                            Lucky Dog, The, 184
Litman, Jessica, 244, 255                                 Lumières, les, 83
livres
    épuisés, 70, 102, 117, 237, 250                       M
    loi anglaise sur le copyright des, 81–87              Madonna, 59, 67, 108, 109
    nombre total de, 103                                  magnétoscopes, 162, 236
    parutions libres en ligne de, 70, 71, 227, 228        manga, 33–36
    reventes de, 70, 117, 237, 248                        Mansfield, William Murray, Lord, 27, 85
    sur Internet, 124–126, 128–133                        marché libre, changements technologiques dans un,
    trois types d’utilisation des, 122–124                      113
livres électroniques, 124–126                             Marijuana Policy Project, 253




                                                     268
Marx Brothers, 127, 128, 131                          Netscape, 65
McCain, John, 139                                     New Hampshire (Frost), 178
médias                                                Nimmer, David, 96
  concentration des, 17–19, 48                        Nimmer, Melville, 241
  impératifs commerciaux des, 47, 48, 48              No Electronic Theft (NET) Act (1998), 178
  pression des blogs sur les, 47                      noms de domaine, 230
médicaments                                           normes, influence réglementaire des, 109–111
  pharmaceutique, 211–213, 217
médicaments antirétroviraux, 211–213                  O
médicaments contre le SIDA, 211–213                   O’Connor, Sandra Day, 192, 194
médicaments génériques, 217                           œuvres dérivées
Mehra, Salil, 35                                         développements technologiques et, 124, 125
MGM, 105                                                 glissement historique de la portée du copyright
Michigan Technical University, 53                            sur les, 119
Mickey Mouse, 31, 32, 121                                piratage vs., 32–36, 120–123
Microsoft, 93                                            usage loyal vs., 125, 126
  en opposant de la conférence de l’OMPI, 216         Olafson, Steve, 245
  piratage logiciel international de, 65              Olson, Theodore B., 196
  procès du gouvernement contre, 134                  Opéra de San Francisco, 89, 90
  stratégies compétitives de, 65                      Oppenheimer, Matt, 53
  sur le logiciel libre, 216                          originalisme, 198
  système de fichier en réseau de, 51, 52             Orwell, George, 99
  système d’exploitation Windows, 65
Millar contre Taylor, 85, 86                          P
Milton, John, 83, 86                                  Paramount Pictures, 105
monopole, coyright en tant que, 83–87                 parlement britannique, 81–87
Monroe, Marilyn, 163                                  parole, liberté de
Montée de la classe créative, La (Florida), 28, 244      garantie constitutionnelle de, 113
Morrison, Alan, 190                                   Parti Démocrate, 203
moteurs de recherche, 51, 52                          Parti Républicain, 203
mouvement des Femmes en Rose pour la Paix, 12,        partition, 27, 57
      219                                             Patent and Trademark Office, US., 216–219
Moyers, Bill, 142                                     Patterson, Raymond, 84, 249
MP3.com, 159, 160                                     pays en développement, prix des brevets étrangers
MP3s, 111                                                    dans les, 211–213
MTV, 68                                               peer-to-peer (p2p), partage de fichier
Müller, Paul Hermann, 114                                efficacité de, 27
MusicStore, 239                                          équilibre de la réglementation perdu dans le, 111
musique rap, 228                                         protection anti-infraction dans le, 71
my.mp3.com, 159, 160                                     quatre types de, 67, 68
                                                         sanctions pénales pour, 178
N                                                     pension des vétérans, 233
Napster, 41, 66, 96                                   permissions
  capital risque pour, 160                               photographie exemptée de, 40, 41
  gamme du contenu de, 67                             photographie, 39–41
  industrie du disque traquant les utilisateurs de,   Picker, Randal C., 55, 246, 249, 255
     171, 172                                         piratage
  matériel illégal bloqué par, 71                        dans le développement de l’industrie du contenu,
  nombre d’enregistrements sur, 66                           55–60
  remplacement de, 66                                    en asie, 65, 240
Nashville Songwriters Association, 182                   œuvre dérivée vs., 32–36, 120–123
National Writers Union, 190                           pistolet, 137
NBC, 253                                              plainte pour erreur médicale, 156
Needleman, Rafe, 160, 161, 254                        PLoS (Public Library of Science), 214, 225
NET (No Electronic Theft) Act (1998), 178             Pogue, David, 11
Netanel, Neil Weinstock, 21, 244, 259                 Politiques, de Aristote, 129




                                                 269
polymorphismes mono-nucléotidiques (SNPs), 214              comme protectionnisme des acquis, 112, 113,
Porgy and Bess, 191                                            158–166
pornographie, 191, 256                                      pénalités énormes de la, 160, 161
pouvoir, concentration de, 12, 22                           quatre modalités de, 108–112
Prelinger, Rick, 101                                     Rehnquist, William H., 181, 192
Premier amendement, 21, 113, 123, 143                    Rensselaer Polytechnic Institute (RPI), 51–53
Princeton University, 53                                    moteur de recherche du réseau du, 51, 52
procès pour infraction au copyright                      reprise de chansons, 57
   accusés intimidés par, 52–54                          réseaux d’ordinateurs d’université, partage de fichier
   contre le partage de fichier d’un étudiant, 52–54           (p2p) sur, 51–54
   convictions d’infraction délibérée aux, 126, 127      revues scientifiques, 214, 224–226
   créativité commerciale comme principal but des,       Roberts, Michael, 159
      20                                                 robot chien, 133, 135–137
   dans l’industrie du disque, 52–54, 156, 160           robots, 99, 138
   dommages-intérêts des, 52                             Rogers, Fred, 136, 252
   plaintes abusives, 52, 156, 160                       Roméo et Juliette (Shakespeare), 81, 82
   technologie de diffusion cible des, 160               Rose, Mark, 249, 261
   tolérance zéro des, 71                                Royaume Uni
prohibition de l’alcool, 167                                archives publiques des créations au, 220
Promises to Keep (Fisher), 239, 259                         histoire du copyright au, 81–87
propriété des créations, 27, voir aussi droits de pro-   RPI, voir Rensselaer Polytechnic Institute (RPI)
      priété intellectuelle                              Rubenfeld, Jeb, 252
   autres droits de propriété vs., 122                   Russel, Phil, 56
   protections par la loi commune, 117
   théorie de la valeur implique droit, 27, 28           S
   tradition constitutionnelle sur la, 115, 116          Safire, William, 12, 219, 243
propriété foncière, et trafic aérien, 15, 16, 234        Sarnoff, David, 17
protection des artists vs. intérêts commerciaux, 20      Scalia, Antonin, 192
Public Citizen, 190                                      Scarlet Letter, The (Hawthorne), 177
Public Enemy, 228                                        Schlafly, Phyllis, 189
Public Library of Science (PLoS), 214, 225               Seasons, The (Thomson), 85
publicitaire, 42, 49, 50, 112, 126, 143, 144, 253        Sénat US, 115
publicités, 42, 112, 143, 144                            Shakespeare, William, 36, 81–83, 86
                                                         Silent Spring (Carson), 114
Q                                                        Simpsons, Les, 89–91
Quayle, Dan, 100                                         Sites web, enregistrement du nom de domaine de,
                                                                230
                                                         Sommet mondial sur la société de l’information
R                                                               (WSIS), 215–217
radio
                                                         Sonny Bono Copyright Term Extension Act (CTEA)
   concentration des propriétaires de, 139, 140                 (1998), 118, 178
   disques de musique joués sur, 59, 72, 163                 défi de la Cour Supême au, 241
   spectre de fréquence FM, 16–18, 113                   Sony
   sur Internet, 163–166                                     robot chien Aibo produit par, 133, 135–137
radio FM, 17, 18, 113                                        technologie Betamax développée par, 72, 73
RCA, 17–19, 113, 221                                     Sony Pictures Entertainment, 105
Reagan, Ronald, 190, 194, 214                            Sousa, John Philip, 57
Real Networks, 166, 239                                  Stallman, Richard, 223, 224
recherche biomédicale, 214, 214, 215                     Stanford University, 226
Recording Industry Association of America (RIAA)         Star Wars, 91
   concernant les taxes sur la webradio, 164–166         Statut des Monopoles (1656), 83
   pouvoir de lobbying des, 53, 164, 165                 Statute of Anne (1710), 81, 82, 84–86, 117
   procès pour infraction au copyright engagés par,      Steamboat Bill, Jr., 32, 34, 41
      52–54, 160
                                                         Steamboat Willie, 31, 32
   tactiques d’intimidation, 52–54
                                                         Stevens, Ted, 12
réforme de la responsabilité pénale, 254
                                                         Steward, Geoffrey, 188
réglementation
                                                         Superman (bande dessinée), 35



                                                    270
survol, 126, 127, 222, 223                                   sur la technique du magnétoscope (VCR), 73
Sutherland, Donald, 94                                       sur les droits de propriété des créations, 21, 122
système de jury, 46                                      valeur implique droit, théorie, 27, 28, 55
système d’exploitation GNU/Linux, 65, 190, 216,          Vanderbilt University, 100
      224                                                vente de disques usagés, 70
système d’exploitation Linux, 65, 190, 216, 224          Video Pipeline, 126, 127
système féodal, 217, 218                                 vitesse de conduite, limitation de la, 110
système judiciaire, 143                                  vitesse, limitations de, 110
système légal, frais d’avocats dans le, 53               Vivendi Universal, 154, 160
                                                         voitures, systèmes audio MP3 dans, 160, 161
T                                                        von Lohmann, Fred, 171, 172
Talbot, William, 39
Tatel, David, 188                                        W
Tauzin, Billy, 255                                       Wagner, Richard, 89, 90
Taylor, Robert, 85                                       Warner Brothers, 105, 127, 128, 131
technique d’appareil photographique, 39–41, 112          Warner Music Group, 139
technologie                                              Warren, Samuel D., 245
    application du copyright contrôlée par la, 127       Way Back Machine, 99, 100
    industries en place menacées par les évolutions de   Wayner, Peter, 227
       la, 111                                           Web-logs (blogs), 46–49
    objectif du copyright modifié par, 122–125           Webster, Noah, 19
    réglementation obscure sur la, 161                   Wellcome Trust, 214
télécommandes, 112                                       Wells, H. G., 151, 152
téléphones portables, musique streamée sur, 236          Windows, 65
télévision                                               Winer, Dave, 48, 49
    câble vs. radio-diffusion, 240                       Winick, Judd, 34, 35
    controverse évitée par, 143                          WJOA, 253
    publicité à la, 42, 112, 143, 144                    World Intellectual Property Organization (WIPO),
télévision par câble, 59, 60, 72, 139, 140, 240                 214–218
thérapies contre le SIDA, 211–213                        World Trade Center, 45
Thomas, Clarence, 192                                    World Wide Web (WWW), 214
Thomson, James, 85, 86                                   WorldCom, 156, 254
Thurmond, Strom, 47                                      WRC, 253
Tocqueville, Alexis de, 46
Tonson, Jacob, 81                                        Y
Torvalds, Linus, 224                                     Yanofsky, Dave, 42
trafic aérien, vs. propriété foncière, 15, 16
Turner, Ted, 219
                                                         Z
Twentieth Century Fox, 105
                                                         Zimmerman, Edwin, 60, 247
                                                         Zittrain, Jonathan, 244, 252
U
United States Trade Representative (USTR), 212
Universal Music Group, 139, 160
Universal Pictures, 105
usage loyal, 123, 124
   dans un film documentaire, 89–91
   poids d’Internet sur l’, 124–126
   tactiques juridiques d’intimidation contre l’, 90,
      91, 126, 127


V
Vaidhyanathan, Siva, 244, 246, 249, 252, 253
Valenti, Jack
   copyright à durée perpétuelle proposé par, 256
   en opposant de la loi Eldred, 207
   passé de, 105, 106




                                                    271